Entretien réalisé avec François Le Gall, producteur nouveaux médias à Camera Talk Productions.
Il travaille depuis un an et demi dans le domaine du web-documentaire. Défense d’afficher est un projet qu’il a réalisé avec FTV. L’entretien a été réalisé en février 2012 par correspondance.
De nombreux web documentaires ont été produits et diffusés jusqu’à présent, connaissons nous précisément le moment où ce genre nait véritablement ? Et à partir de quand gagne til en légitimité ?
Il y a pour moi 3 moments-clés dans la naissance du genre “webdocumentaire” :
1. les 1ers pas de Brian Storm aux USA avec des productions documentaires commandées / produites pour le web (mais non interactives). C’était en 2002/2003 de mémoire, c’est la naissance de MediaStorm.
2. les 1ères expérimentations d’Upian avec La Cité des Mortes puis Thanatorama : des œuvres multimédias à part entières, avec une vraie narration documentaire
3. Voyage au bout du charbon qui a propulsé le genre en Une du Monde et donc touché pour la 1ère fois une audience grand public, tout en introduisant la dimension ludique (histoire dont vous êtes le héros)
Quelles sont les (ou la) évolutions profondes que ce genre a connues depuis ses débuts (bien que récents) ?
Des évolutions du côté de l’offre et de la demande.
Offre :
• plus d’acteurs, moins web natifs (journalistes et photographes notamment) ce qui génère plus d’histoires mais paradoxalement moins d’originalité / de créativité dans l’approche de la narration interactive. En se “démocratisant” (on en est encore loin), le genre s’est appauvri, l’aspect documentaire a été phagocyté par le genre journalistique.
• Il reste toutefois des “phares” comme les productions Upian et plus encore celles de l’ONF au Canada. Il manque selon moi une affluence de compétences purement web pour redonner de la créativité aux narrations.
Demande :
• des médias de plus en plus intéressés car le webdoc enrichi l’offre éditoriale, n’est pas dans le flux mais impose un temps différent
• des coproducteurs qui ont de plus en plus de moyens (Arte évidemment mais aussi maintenant France Télévisions Nouvelles Ecritures) pour financer des projets ambitieux
• mais indéniablement c’est selon moi la démocratisation du haut débit, le développement des usages autour de la consultation vidéo en ligne (catch up TV, VOD, streaming) qui permettent maintenant de considérer que le webdocumentaire peut s’imposer dans le Paysage Interactif Français
Pouvez-vous donner une définition plus ou moins précise du web documentaire ?
Un objet multimédia, pensé pour vivre online, et dont la trame narrative correspond à une vision d’auteur qui exploite toutes les potentialités offertes par l’interactivité.
Quelles sont selon vous les différences majeures qui le distinguent du documentaire ”classique” télévisé ?
La place du spectateur, ce que l’on attend de lui.
Le rapport au temps.
Du point de vue de l’audience, peut-on être satisfait de la circulation médiatique et de la visibilité du web-documentaire ? Connaît-il un succès par rapport aux attentes des producteurs et des réalisateurs ?
Clairement non. Hormis Prison Valley et Voyage au bout du charbon, les audiences restent assez confidentielles au regard des audiences générées par d’autres supports online.
Producteurs et réalisateurs n’ont pas forcément cette culture-là, et cette réalité à l’esprit. Peut-être que les sujets ne sont pas assez larges – ou a contrario pas assez de niches ?
Ces audiences sont aussi à mettre en regard des investissements en production et en communication qui sont bien en-deçà de ce qu’il existe en TV. Tout est donc relatif.
Y a t-il des sujets privilégiés par le web-documentaire ? Tout sujet est abordable pour ce genre documentaire ?
Trop de sujets journalistiques, peu de sujets personnels, intimement liés à l’auteur. Tout sujet est bien évidemment abordable : c’est la vision de l’auteur sur ce sujet – et comment elle se traduit en interactivité – qui est intéressant.
Est-ce que le web-documentaire est un genre qui découle naturellement des transformations médiatiques en cours impliquées par le développement des médias sur
internet (après les web radio, les web TV, la presse en ligne etc)?
C’est avant tout lié – selon moi – à l’évolution de la “consommation” de contenus audiovisuels en ligne.
Pensez-vous également que la notion d’interactivité soit inhérente au genre web documentaire ? Est-elle indispensable dans une optique web 3.0 (même s’il faut être prudent sur la définition de ce terme) ?
L’interactivité doit être un outil au service du propos de l’auteur. Si ce dernier n’en ressent pas le besoin alors elle peut être nulle. Aucun souci pour moi.
Cette notion préexiste évidemment au genre webdocumentaire puisqu’intrinsèque à la notion de réseau internet.
Etant donné que ce travail de mémoire porte plus précisément sur le web documentaire historique, je tenais à savoir si selon vous, le web documentaire et l’Histoire s’accordent ?
La Nuit Oubliée, 17.10.61, Adieu Camarades en sont les preuves tangibles.
Quel est selon vous (ou quels sont) le (ou les) types d’internaute susceptibles d’être intéressés par le web documentaire ?
Je ne vois pas de profils types. C’est juste une question de temps, d’usages à développer. Les sujet vont aussi s’élargir (Amour 2.0 par ex) et toucher un plus grand public peut habituer de la forme.
En effet, il s’agit d’un genre particulier et parfois déroutant pour des internautes novices en la matière. Qu’en pensez-vous ?
C’est toute la difficulté du genre : tenir un propos, créer une expérience interactive… tout en réfléchissant à l’ergonomie parfaite de l’interface pour servir au mieux ce propos. C’est pourquoi les producteurs non web natifs ne peuvent se passer de compétences interactives. C’est essentiel pour penser l’interface.
Dans de plusieurs interviews de professionnels, l’exigence de la narration ressurgit régulièrement. En quoi selon vous, le web documentaire propose et peut proposer de nouvelles formes de narration ?
Je ne reviens pas sur le linéaire / délinéarisé.
La découverte par soi-même / l’identification à l’auteur (cf. Manipulations et le travail d’investigation).
La ludification des contenus documentaires (cf. Collapsus).
etc.
Pensez-vous qu’il est davantage compliqué de préserver l’intérêt et la curiosité d’une personne qui regarde un web documentaire ou d’une personne qui visionne un doc télévisé ?
Oui certainement. Parce que devant son écran, une souris à la main, on est à un clic de partir. On navigue constamment, on est sollicité par une multitude de contenus, publicité, etc. On peut avoir plusieurs onglets d’ouverts. Des logiciels. Ecoutez une web radio…
En ce qui concerne le web documentaire historique, n’existe il pas un danger majeur : perdre l’internaute en lui proposant une multitude de choix à partir de la home page ?
Ce cas de figure est celui d’un auteur qui n’aurait pas éditorialisé son propos.
Lorsque vous créez un web documentaire, comment envisagez-vous la réception, l’utilisation par l’internaute ? Quel place a t-il selon vous dans le processus de création ?
L’internaute doit être central. On doit tout penser en se mettant à sa place pour anticiper ses choix, ses désirs, ses errances, ses erreurs de navigation (comment on peut le “remettre dans le droit chemin” ?). C’est fondamental.
Pour conclure cet entretien, comment définiriez-vous l’usage du web documentaire par l’internaute ? On écoute la radio, on regarde un documentaire télévisé, on lit un article. Mais que faisons-nous devant un web documentaire selon vous ?
On s’immerge dans une histoire / un propos via une expérience interactive.
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