Cour de cassation chambre civile 2
Audience publique du 11 juin 2009
N° de pourvoi: 08-16362
Non publié au bulletin
Cassation partielle
M. Gillet (président), président
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l‟arrêt suivant :
Attendu, selon l‟arrêt attaqué, que la société Eurotainer, qui a pour activité la gestion d‟un parc de conteneurs, a souscrit pour le compte de qui il appartiendra une police d‟assurance “corps de conteneurs citernes” auprès de la société Groupama transport (l‟assureur) prenant effet le 1er janvier 2001, garantissant notamment les dommages résultant de vol ou disparition ; que la société Eurotainer a déclaré le 13 juin 2002 le vol de 190 conteneurs sur dépôt exploité par sa filiale basée à Singapour ; que l‟assureur ayant refusé sa garantie, la société Eurotainer l‟a fait assigner devant le tribunal de commerce en exécution du contrat d‟assurance ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, tel que reproduit en annexe :
Attendu que la société Eurotainer fait grief à l‟arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir dire et juger que l‟assureur devait sa garantie pour le vol de 59 conteneurs considéré par l‟expert comme ayant été commis avant le 1er janvier 2001 et à le voir condamner en conséquence à lui payer à ce titre la somme en principal de 564 625 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2002, eux-mêmes capitalisés à compter du 11 octobre 2006 ;
Mais attendu que la cour d‟appel ayant relevé qu‟il n‟était pas contesté qu‟à la date de souscription du contrat, ces conteneurs avaient déjà été détournés, retient à bon droit qu‟il importait peu que cette circonstance ait été ignorée des parties et que les conteneurs volés auraient, dans la mesure où ils étaient englobés dans la flotte, donné lieu au paiement de primes, dès lors qu‟aucune clause du contrat ne prévoyait la couverture des risques putatifs ;
D‟où il suit que le moyen n‟est pas fondé ;
Mais sur la première branche du moyen unique du pourvoi principal :
Vu l‟article 1134 du code civil ;
Attendu que pour condamner l‟assureur à payer à la société Eurotainer une somme de 1 808 590 euros avec intérêts et capitalisation correspondant au détournement de 122 conteneurs, l‟arrêt relève que l‟article 3-2 des conditions particulières de la police stipule que « les conteneurs citernes, hors contrat de location, stationnés sur dépôt, sont garantis pour les dommages survenant suite aux risques suivants : explosion -foudre – tempête – raz de marée – jet à la mer – vol et disparition » ; que l‟alinéa suivant du même article poursuit : « cette garantie intervient en excédent de garantie et capitaux couverts par ailleurs pour les risques assurés ou en cas de défaillance ou insuffisances desdites garanties » ; que ce second alinéa, rédigé sous forme affirmative, et sans indiquer que la garantie serait conditionnée à l‟existence d‟autres garanties , mais seulement qu‟elle « intervient en excédent » de telles garanties, constitue manifestement une clause de subsidiarité et ne saurait, sans dénaturation, être considéré comme stipulant exclusion ; qu‟il n‟est dès lors pas nécessaire de recourir, pour interpréter cette clause claire, à des éléments extérieurs au contrat lui même qui seraient censés en éclairer la portée ;
Qu‟en statuant ainsi, alors que la clause de subsidiarité subordonnait clairement la garantie de l‟assureur à l‟existence d‟une autre assurance couvrant le même risque, la cour d‟appel, qui en a dénaturé le sens et la portée, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu‟il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi principal ;
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu‟il a débouté la société Eurotainer de sa demande de garantie pour les 59 conteneurs volés avant le 1er janvier 2001, l‟arrêt rendu le 10 avril 2008, entre les parties, par la cour d‟appel de Versailles ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l‟état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d‟appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Eurotainer aux dépens ;
Vu l‟article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Eurotainer ; la condamne à payer à la société Groupama transport la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l‟arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour la société Groupama Transport
Le moyen fait grief à l‟arrêt attaqué d‟avoir condamné Groupama Transport à payer à Eurotainer une somme de 1.808.590 avec intérêts et capitalisation ;
Aux motifs que l‟article 3-2 des conditions particulières de la police stipule que « les conteneurs citernes, hors contrat de location, stationnés sur dépôt, sont garantis pour les dommages survenant suite aux risques suivants : explosion -foudre – tempête – raz de marée – jet à la mer – vol et disparition» ; que l‟alinéa suivant du même articule poursuit : « cette garantie intervient en excédant de garantie et capitaux couverts par ailleurs pour les risques assurés ou en cas de défaillance ou insuffisances desdites garanties » ; que ce second alinéa, rédigé sous forme affirmative, et sans indiquer que la garantie serait conditionnée à l‟existence d‟autres garanties (mais seulement qu‟elle « intervient en excédant » de telles garanties) constitue manifestement une clause de subsidiarité et ne saurait, sans dénaturation, être considéré comme stipulant exclusion ; qu‟il n‟est dès lors pas nécessaire de recourir, pour interpréter cette clause claire, à des éléments extérieurs au contrat lui-même qui seraient censés en éclairer la portée ;
Alors d‟une part, que la clause de subsidiarité qui stipule que la garantie de l‟assureur pour un risque déterminé « intervient en excédent de garantie et capitaux couverts par ailleurs pour les risques assurés ou en cas de défaillance ou insuffisances des dites garanties » subordonne clairement la garantie de l‟assureur à l‟existence d‟une autre assurance couvrant le même risque ; qu‟en affirmant le contraire, la Cour d‟appel a dénaturé la clause de subsidiarité litigieuse en violation de l‟article 1134 du Code civil ;
Alors d‟autre part, que la clause de subsidiarité litigieuse avait pour objet de déterminer l‟étendue de la garantie ; qu‟en retenant que cette clause ne comportait pas une exclusion formelle de garantie en cas d‟absence d‟autres garanties, la Cour d‟appel a violé l‟article L. 113-1 du Code des assurances.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour la société Eurotainer,
Il est fait grief à l‟arrêt attaqué d‟avoir débouté la société EUROTAINER de sa demande tendant à voir dire et juger que la société GROUPAMA TRANSPORT devait sa garantie pour le vol de 59 conteneurs considéré par l‟expert comme ayant été commis avant le 1er janvier 2001 et à voir condamner en conséquence la société GROUPAMA TRANSPORT à payer à ce titre la somme en principal de 564.625 , outre les intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2002, eux-mêmes capitalisés à compter du 11 octobre 2006,
Aux motifs propres que « sur la demande de garantie relative aux cinquante-neuf conteneurs volés avant le 1er janvier 2001, qu‟il n‟est pas contesté qu‟à la date de souscription du contrat, ces conteneurs avaient déjà été détournés ; qu‟il n‟importe que cette circonstance ait été ignorée des parties et que les conteneurs volés auraient, dans la mesure où ils étaient englobés dans la flotte, donné lieu au paiement de primes, dès lors qu‟aucune clause du contrat ne prévoit la couverture des risques putatifs ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges que la société GROUPAMA fait valoir que le 27 juin 2002, la société EUROTAINER adressait à la société MARSH la plainte déposée le 5 juin 2002 à la police de SINGAPOUR par le responsable de la société EUROTAINER ASIA ; qu‟il ressort de cette déclaration qu‟il était découvert le 14 mai 2002 que 22 conteneurs citernes supposés avoir été loués à DUPONT SINGAPOUR n‟avaient jamais été reçus par cette société ; que l‟enquête révélait que le comptable de sa filiale de SINGAPOUR avait détourné 180 conteneurs qui apparaissaient être toujours exploités sous couvert de contrats de location fictifs ; que dans son rapport, l‟expert relève que les détournements commis par William X… avaient commencé avant le 1er janvier 2001 ; que l‟expert a considéré que « William X… avait masqué le vol du conteneur par un contrat de location fictif et que par conséquent le vol a été commis avant la période de location fictive » apparaissant, dans les livres de EUROTAINER, postérieurement au 1er janvier 2001 ; que 59 containers ont été volés, mais avant le 1er janvier 2001, date d‟effet de la police ; que GROUPAMA affirme, suivant l‟article 18 des conditions particulières, que la prise d‟effet de la police a été « fixée au 1er janvier 2001, 0 h 00, date des expéditions » et poursuit qu‟il s‟évince de cette précision que la police s‟appliquait donc aux conteneurs mis en risque qu‟elle avait pour objet de couvrir à compter du 1er janvier 2001 ; qu‟en l‟absence de clause spécifique contraire, EUROTAINER ne peut prétendre que les détournements qui ont, selon l‟expert, débuté dès 1998, date d‟arrivée de William X… chez ERMEWA SINGAPOUR devraient être pris en charge par GROUPAMA ; qu‟EUROTAINER fonde en particulier son argumentation sur un arrêt de la Cour de cassation, 2ème Civ., 8 septembre 2005, et prétend que la période de prise en charge du sinistre s‟apprécie d‟après la date de découverte de l‟événement ; que l‟arrêt sera repris, in extenso, par le Tribunal ; qu‟en statuant ainsi, alors que le contrat stipulait, au titre de la définition du sinistre qu‟en ce qui concerne les risques de détournements, malversations (…), la période de prise en charge du sinistre s‟apprécie d‟après la date de découverte de l‟événement quand bien même celui-ci se serait produit et aurait débuté antérieurement à la date de prise d‟effet du contrat, à moins que le sinistre soit pris en charge partiellement ou totalement par le contrat précédent, ce dont il s‟évinçait que les primes versées avaient pour cause la couverture des sinistres révélés pendant le cours du contrat quelle que soit la date du fait générateur, la Cour d‟appel qui a méconnu la portée de l‟engagement des parties a violé le texte susvisé (1134 du Code civil) ; qu‟en l‟espèce il apparaît que la police souscrite par EUROTAINER auprès de GROUPAMA ne stipulait aucunement, dans la définition du sinistre ou de la période de garantie, que la période de prise en charge du sinistre s‟apprécie d‟après la date de la découverte de celui-ci quand bien même il aurait débuté antérieurement si les parties avaient souhaité un tel fonctionnement pour la police, comme dans l‟arrêt évoqué, elles n‟auraient pas manqué de le stipuler ; qu‟ainsi le Tribunal dira que EUROTAINER aurait dû déclarer le sinistre, au titre des 59 conteneurs volés, auprès de son assureur précédent, celui-ci étant antérieur à la prise d‟effet de la police, soit le 1er janvier 2001, et déboutera EUROTAINER au titre de sa demande en garantie pour les 59 conteneurs volés avant le 1er janvier 2001,
Alors qu‟en matière d‟assurance dommage le risque déjà réalisé au moment de la naissance de l‟obligation de couverture entre dans le cadre de la garantie de l‟assureur quand bien même aucune clause ne le prévoirait expressément dès lors que l‟assuré n‟a pas eu connaissance de la survenance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu‟il résulte des constatations des juges du fond que les vols commis par M. William X… avaient certes débuté antérieurement au 1er janvier 2001, date de prise d‟effet de la police d‟assurance souscrite auprès de la société GROUPAMA TRANSPORT mais que ces vols avaient été dissimulés au moyen de contrats de location fictifs de sorte que la société EUROTAINER n‟en avait eu connaissance que le 14 mai 2002 ; qu‟en énonçant que les vols ainsi survenus ne pouvaient donner lieu à garantie au motif «qu‟ aucune clause du contrat ne prévoit la couverture des risques putatifs » alors même qu‟en l‟absence de clause d‟exclusion de garantie les sinistres survenus antérieurement à la date de prise d‟effet de la police d‟assurance, à l‟insu tant de l‟assureur que de l‟assuré, étaient couverts par la garantie résultant de la police souscrite par la société EUROTAINER auprès de la société GROUPAMA TRANSPORT, les conteneurs litigieux étant censés faire toujours partie de la flotte de l‟assuré et ayant été pris en compte pour le calcul de la prime d‟assurance acquittée par la société EUROTAINER, la Cour d‟appel a violé l‟article 1134 du Code civil.
Décision attaquée : Cour d‟appel de Versailles du 10 avril 2008
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