Dès la mise en œuvre du processus de privatisation au Cameroun, les autorités publiques ont décidé de privatiser 30 entreprises sur les 171 (Tsafack Nanfosso, 2004) qui existaient, mais seulement 24 d’entre elles ont été effectivement cédées à cette date. Le tableau suivant récapitule cette situation.
Tableau 24 : Les 24 entreprises effectivement privatisées
Source : Tsafack Nanfosso (2004), Nzomo et Nzongang (2007) et CTPL
Trois observations peuvent être faites à la lumière de ce tableau :
• Tous les secteurs d’activités ont été engagés lors du processus ; le secteur primaire, secondaire et tertiaire.
• 78,2% des capitaux sont en majorité étranger ceci suppose une forte absence d’une politique de nationalisation qui sauvegarde les intérêts du pays
• Le pourcentage d’étrangers dans la répartition du capital des entreprises privatisées s’est accrû. En effet, on constate la présence des repreneurs locaux dans trois entreprises seulement, les autres étant les Etat Unis, l’Allemagne, la Suisse, la France, l’Inde, l’Afrique du sud et le Maroc.
Concernant les entreprises à privatiser, si l’on se base sur les trois listes préalablement établies par l’Etat l’on dénombre un total de 35 entreprises inscrites. En complétant la SCM, la BICIC, la SOCAR et la SONEL qui ont fait l’objet de listes à part, l’on comptabilise finalement 39 entreprises. Les 24 entreprises privatisées mentionnées dans le tableau ci dessus, toutes proportions gardées, mettent donc en évidence un taux de réalisation des privatisations de 61,54%. Ce qui reste bel et bien dans le sillage du constat fait par Tsafack-Nanfosso (2004) indiquant un taux de réalisation de 60%, à une époque où certaines privatisations comme celle de la SNEC n’étaient pas encore effectives.
Le constat que nous pouvons d’ores et déjà faire c’est que les entreprises qui avaient été désignées comme devant faire l’objet d’une privatisation, ne le sont pas encore toutes. A ce jour, est encore attendue la privatisation des société comme la Société Camerounaise des dépôts Pétroliers (SCDP), la Cameroon Télécommunication (CAMTEL), mais aussi celle de la Cameroon Airlines Corporation (CAMAIR-CO), compagnie d’aviation de transport créée le 11 Septembre 2006 par le président de la république lorsque que l’Etat a décidé d’abandonner le monopole qu’il exerçait sur la CAMAIR. Il faut dire que l’offre de l’adjudicataire provisoire de la CAMAIR-CO, First Delta Air Services, qui était de 7 milliards de FCFA a été jugée minable par de nombreux membres du gouvernement et donc, la décision finale viendra du chef de l’Etat.
Ces 24 entreprises privatisées peuvent être regroupées en différents secteurs d’activité dans le but de connaitre le secteur ayant été le plus privatisé. Le graphique ci-dessous nous éclaire sur cette situation.
Figure D1 : Etat des privatisations dans les différents secteurs d’activité
Source : l’auteur à partir des données de la CTPL
A la lumière de ce qui précède et à travers la figure D1, l’on peut remarquer que le secteur secondaire est celui qui contribue le plus à la liste des entreprises privatisées avec 46% des cessions, ce qui peut paraître surprenant puisqu’à l’origine, ce secteur ne représentait que 33% des entreprises à privatiser (c’est-à-dire 13 entreprises sur 39). Ceci témoigne d’un fort taux de réalisation des privatisations dans le secteur secondaire (11/13 soit 84,6%) comparativement aux deux autres secteurs lesquels ont une proportion de (5/8 soit 62,5%) le secteur primaire et (8/18 soit 44,5% ) pour le secteur tertiaire. L’on note par conséquent que le secteur tertiaire qui apportait au départ la plus grande contribution dans la liste des entreprises à privatiser ne réussit finalement à concrétiser que très peu de privatisations. Cette situation est la résultante d’au moins deux réalités :
– la première tient au fait que le secteur tertiaire regorge non seulement de « poids lourds» de l’économie camerounaise notamment de par leur chiffre d’affaires (Devey, 2009; Zoé, 2010), mais aussi de sociétés de service public ce qui émousse d’autant l’empressement des pouvoirs publics à procéder à leur privatisation.
– la seconde réside dans le fait que bon nombre de sociétés du secteur tertiaire qui étaient inscrites sur la liste des privatisations ont été mises en liquidation ou ont tout simplement disparu .
On ne saurait terminer le bilan des privatisations sans mentionnées les stratégies de privatisation les plus utilisées au Cameroun. La figure suivante récapitule cette situation.
Figure D2 : Récapitulatif des techniques de privatisation utilisées au Cameroun
Source : Nzomo et Nzongang (2007) et CTPL
A la lumière de ce graphique, il en ressort que :
La cession d’actions est la technique de privatisation la plus utilisée au Cameroun avec un taux de 41%. C’est une procédure souple et rapide très utilisée dans les pays en développement et les pays de l’Europe de l’Est. Elle est utilisée dans deux cas : pour constituer un actionnariat stable ou pour pallier l’absence ou l’insuffisance de marchés financier locaux. C’est la technique privilégiée par la France dans toutes les privatisations par le marché financier. Le Maroc a adopté le même schéma dans la privatisation de nombreuses grandes entreprises, notamment la SNI en 1994, la banque BCM, la SOFAC et la CTM-LN en 1993.
La cession d’actifs vient en deuxième position avec un taux de 27%. Tout comme la cession d’actions, elle est la formule rapide et souple la mieux adaptées aux privatisations difficiles. Elle est souvent retenu dans les pays en développement et les pays en transition de l’Europe de l’Est pour les entreprises de grandes tailles qui ont très peu de chance de trouver un acquéreur disposé à les acheter en l’état et avant fragmentation. Elle est également utilisée dans les opérations de liquidations créatrices qui consistent à apurer le secteur public de ses éléments les moins rentables. La Tunisie est le pays du Maghreb qui a le plus utilisé la cession d’actifs comme mode de transfert dans 90% des opérations réalisés à fin 1993, soit 27 entreprises.
Anthony Boardman et Aidan Vining (1989) à travers leur analyse théorique et leur expérience pratique confirment l’utilisation de ces deux premières techniques dans les pays développés. En plus des avantages précédents, ces deux modes ont l’avantage de transférer le risque économique, commercial et financier (les risques opérationnels) au secteur privé, en particulier le risque de mobiliser les ressources et de réaliser les investissements, lui donnant ainsi toutes les incitations à rechercher l’efficacité dans la production et l’allocation des ressources. Ces schémas offrent en effet de meilleures garanties pour effectivement permettre au secteur privé de réaliser des investissements nécessaires au développement de l’entreprise. Ainsi, lorsque les conditions s’y prêtent ces modes de privatisations doivent être privilégiés et utilisés de manière systématique.
Le leasing et la location en troisième place avec un taux de 18% confirme l’analyse de Vuysteke (1988) pour laquelle les contrats de crédit-bail peuvent apparaître comme les panneaux publicitaires d’un futur transfert, car ils peuvent explicitement faire référence à une possibilité ultérieure de rachat de l’entreprise ou de ses actions par l’entrepreneur. Ainsi, la durée du contrat pourrait permettre à l’entrepreneur de juger de la viabilité de l’entreprise et de formuler une proposition de rachat, ayant une meilleure connaissance de la situation financière de l’entreprise et de ses potentialités.
En ce qui concerne le contrat de gestion, d’affermage, et de concession, ils occupent chacun une petite partie dans les opérations de privatisation soit 5% pour tous les trois. Berg et Shirley (1987) ont constaté que le recours à ces procédures qui présentent des avantages certains de flexibilité est « Étonnamment faible ». Les raisons essentielles qui expliquent le recours limité à ce type de procédures semblent être pour l’Etat le manque de maîtrise de la définition des clauses contractuelles et les difficultés de contrôles de l’application des contrats et, pour l’investisseur privé, la réversibilité de la privatisation (non-renouvellement du contrat par l’Etat).
L’inconvénient majeur du contrat de gestion réside dans l’absence des risques assumés par l’operateur privé. Ainsi celui-ci n’a pas d’incitation à atteindre l’efficience en production ; les pertes provenant de l’exploitation de l’entreprise sont supportées par le propriétaire à savoir l’Etat d’autant plus que la redevance payée à l’opérateur privé n’est pas liée à sa performance en tant que gestionnaire.
La faiblesse principale de l’affermage réside dans le fait que le financement et la réalisation des investissements de réhabilitation, de renouvellement, de modernisation et d’extension des actifs restent toujours dévolus à l’Etat. Ainsi les pouvoirs publics se retrouvent à utiliser les ressources financières provenant soit de la taxation, soit de l’emprunt ou à donner leur garantie pour assurer le développement des activités de l’entreprise.
Enfin, pour ce qui est de la concession, l’operateur privé est obligé de respecter un certain nombre d’engagement sous peine de sanction.