LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’à la suite de l’intervention pratiquée, le 16 juin 1999, par M. X…, chirurgien, pour résoudre une hernie inguinale, M. Y… a souffert d’une atrophie douloureuse du testicule droit nécessitant l’ablation de cette glande, effectuée, le 8 novembre 1999, avec pose d’une prothèse, par un autre chirurgien, M. Z… ; qu’en raison du déplacement de la prothèse, ce chirurgien en a posé une seconde, lors d’une nouvelle intervention en date du 20 décembre 1999 ; que cette seconde prothèse ayant éclaté, le 4 mars 2000, lors d’une partie de tennis, M. Y… a subi une nouvelle intervention pour la retirer, le 17 mars 2000 ; que les époux Y… ont assigné M. X…, l’assureur de celui-ci, la Mutuelle d’assurance du corps de santé française (MACSF), M. Z… et le fabricant de la prothèse, la société Laboratoire Eurosilicone, en réparation de leurs préjudices ; que l’arrêt déclare M. X… responsable, pour manquement à son obligation d’information envers M. Y… à l’origine de la perte d’une chance, de moitié des conséquences dommageables de l’intervention initiale et des interventions subséquentes, déclare M. Z… et la société Eurosilicone responsables in solidum de la totalité des conséquences dommageables de la défaillance de la seconde prothèse à l’origine de sa rupture et les condamne in solidum à réparer les préjudices, en précisant que, dans leurs rapports entre eux, M. Z… et la société Eurosilicone seront tenus à parts égales ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que M. X… et la société MACSF font grief à l’arrêt de déclarer M. X… responsable, pour manquement à son obligation d’information envers M. Y… à l’origine d’une perte de chance, de moitié des conséquences dommageables de l’intervention initiale du 16 juin 1999 et des interventions subséquentes et, en conséquence, de le condamner in solidum avec son assureur, la MACSF, à verser certaines sommes aux époux Y…, en réparation de leurs préjudices respectifs, alors, selon le moyen, que le médecin n’ayant pas recueilli le consentement libre et éclairé de son patient doit être condamné à réparer, non l’entier dommage corporel subi par ce dernier, mais la perte de chance d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé ; que, toutefois, le patient ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre d’une perte de chance, lorsqu’il est avéré que l’acte médical était nécessaire ou ne présentait pas de meilleure alternative, de sorte qu’il l’aurait quand même accepté s’il avait été correctement informé ; qu’en revanche, indépendamment de toute atteinte corporelle causée par l’acte médical non consenti, le non-respect du devoir d’information cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice que le juge ne peut laisser sans réparation, mais qui ne saurait être constitué par une perte de chance d’éviter le dommage ; qu’en confirmant néanmoins la décision des premiers juges, qui avaient condamné M. X… à indemniser M. Y… au titre d’une perte de chance d’éviter le dommage, après avoir pourtant constaté qu’au regard de la nécessité de l’intervention, M. Y… avait uniquement subi un préjudice moral, la cour d’appel a violé les articles 16 et 16-3 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain et l’article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l’arrêt énonce que, s’agissant d’un droit personnel, détaché des atteintes corporelles, accessoire au droit à l’intégrité physique, la lésion de ce droit subjectif entraîne un préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle ; que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel, qui n’a pas retenu la perte de chance, indemnisée par le tribunal, a évalué le préjudice moral qu’elle réparait à hauteur des indemnités fixées par les premiers juges au profit de M. Y… ; que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en cause cette évaluation souveraine, ne peut être accueilli ;
Mais, sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu l’article 1147 du code civil, ensemble les articles 1386-1 à 1386-18 du code civil portant transposition de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 modifiée ;
Attendu qu’en considération des objectifs et de l’économie de cette directive et de l’interprétation qu’en a donné la Cour de justice de l’Union européenne en énonçant que ladite directive déterminait celui qui devait assumer la responsabilité qu’elle instituait parmi les professionnels ayant participé aux processus de fabrication et de commercialisation et n’avait pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà des points qu’elle réglemente, la responsabilité des prestataires de services de soins, qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux et dont les prestations visent essentiellement à faire bénéficier les patients des traitements et techniques les plus appropriés à l’amélioration de leur état, ne relève pas, hormis le cas où ils en sont eux-mêmes les producteurs, du champ d’application de la directive et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ;
Attendu que, pour condamner M. Z… in solidum avec la société Eurosilicone à indemniser les époux Y… de leurs préjudices respectifs, l’arrêt retient que, tenu d’une obligation de sécurité de résultat quant aux choses qu’il utilise dans la pratique de son art, le seul fait de l’éclatement de la prothèse à l’occasion d’un sport qui n’est pas défini comme dangereux ou comportant des risques d’atteinte physique anormaux ou encore dont la pratique était déconseillée pour les porteurs d’une telle prothèse, suffit à engager sa responsabilité en l’absence d’une cause d’exonération ayant les caractéristiques de la force majeure ;
Qu’en se déterminant ainsi, après avoir retenu que M. Z… n’avait pas commis de faute, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application et les autres par fausse application ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare M. Z… responsable in solidum avec la société Eurosilicone de la totalité des conséquences dommageables de la défaillance de la seconde prothèse à l’origine de sa rupture et le condamne en conséquence, in solidum avec ladite société, à payer certaines sommes aux époux Y…, l’arrêt rendu le 8 février 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;
Et vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Rejette les demandes formées contre M. Z… ;
Condamne la société Eurosilicone aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille douze.