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B/ La capacité financière insuffisante du marché de l’assurance construction

ADIAL

Toujours selon le « rapport MERCADAL », la gestion en capitalisation est
source de difficultés pour l’assurance construction française. Cette méthode de gestion,
rendue obligatoire par l’instauration d’une double obligation d’assurance dommages
ouvrage et responsabilité civile décennale, a été instaurée par la loi de finances
rectificative du 28 juin 1982 et progressivement précisée par la jurisprudence. Les
difficultés d’évaluation du risque décennal géré en capitalisation, conjuguées aux
imprécisions des textes et à un climat fortement concurrentiel qui a pesé sur les tarifs,
ont fait que les premières années de l’assurance construction gérée en capitalisation se
sont traduites par un fort déficit pour les assureurs. On évalue à 3,2 milliards d’euros le
déficit cumulé sur les années 1983 à 1999.
Ce n’est qu’à partir de 1995 qu’un redressement tarifaire a été enclenché, pour
prendre en compte les décisions des tribunaux. Cette politique tarifaire a permis de
parvenir à des résultats techniques proches de l’équilibre depuis 2000.

Mais cet équilibre du système reste très chancelant et trop dépendant du niveau
des produits financiers sur les provisions qui jouent un rôle important dans les résultats
de la branche (1% de baisse du taux de rémunération des placements oblige à augmenter
les tarifs de 10%). Le raz de marée mondial provoqué par la « crise des subprimes »
devrait obliger les assureurs construction à une gestion encore plus rigoureuse dans les
mois à venir.
Hormis les techniques de gestion des primes, le coût de fonctionnement du
système d’assurance construction français est également très coûteux. Si l’assurance
dommages ouvrage joue correctement son rôle de préfinancement dans des délais
raisonnables, sa mise en oeuvre est très chère et dérive vers une assurance tous risques
de la construction57.
Ainsi, le développement des déclarations de sinistres, dû notamment au
consumérisme, entraîne un accroissement des frais de gestion et d’expertise. Alors que
près d’un sinistre construction sur deux n’a pas de suite, ces sinistres, qui donnent lieu à
un coût de réparation nul, n’en représentent pas moins une part très importante du coût
administratif de la branche. A chaque sinistre correspondent des charges de
fonctionnement ou de personnel, nécessaires pour se prononcer sur sa couverture
éventuelle.
La Convention de Règlement de l’Assurance Construction (CRAC) quant à elle
a, sans contestation possible, permis de diminuer les frais d’expertise et de limiter très
fortement le contentieux entre les assureurs dommages ouvrage et les assureurs de
responsabilité décennale. Mais elle a eu pour conséquence, en l’absence de recours
contre les responsables pour les tous petits sinistres, inférieurs à 1 500 euros, de reporter
sur l’assurance des maîtres d’ouvrage la charge forfaitaire qui en résulte.
Autre élément du problème financier, la capacité d’assurance du marché peut
s’avérer insuffisante pour les chantiers les plus importants.
Par exemple, certains sinistres récents ont incité assureurs et réassureurs à la
prudence. L’effondrement du terminal 2E de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en
mai 200458 et la décision prise la même année de reconstruire complètement, avant
même leur achèvement, les trois bâtiments de l’hôpital privé Jean Mermoz à Lyon, qui
présentaient d’importantes malfaçons, sont deux illustrations récentes de sinistres
graves dans le domaine de la construction. Les seuls coûts de démolition/reconstruction
sont évalués à 150 millions d’euros dans le premier cas59 et 17 millions d’euros dans le
second60.
Il est probable que ces sinistres auront incité les entreprises d’assurance construction à
redoubler de prudence dans la souscription des risques importants.
L’assurance des « grands chantiers » fait également appel à des montages
spécifiques dont la mise en place demeure complexe.
La police d’abonnement61 souscrite par les constructeurs au titre de leur
responsabilité décennale comporte systématiquement une limite de garantie par chantier
(8 millions d’euros pour les entreprises d’exécution et 1 à 3 millions d’euros pour les
entreprises de maîtrise d’oeuvre). S’ils interviennent sur des chantiers dépassant ces
montants, ils risquent alors de se voir appliquer la « règle proportionnelle de capitaux »
prévue à l’article L. 121-5 du Code des assurances62 et donc, de n’être que partiellement
indemnisés en cas de sinistre.
Pour ces « grands chantiers », une couverture complémentaire des constructeurs est
alors nécessaire. Une seule police est souscrite, généralement par le maître de l’ouvrage,
pour couvrir les différents constructeurs au-delà de leurs limites propres de garantie et
jusqu’au coût total des travaux. Ces polices complémentaires de groupe ou d’ouvrage
interviennent en « différence de limites » par rapport aux polices souscrites
individuellement par chacun des intervenants sur le chantier. Ce type de police a
progressivement remplacé les Polices Uniques de Chantier (PUC) qui regroupaient
l’assurance dommages ouvrage et responsabilité civile décennale dans un contrat
unique, mais déresponsabilisaient les constructeurs puisque l’assureur unique devait de
toute façon payer sans recours possible63. Pour les chantiers qui ne dépassent pas les
capacités du marché, la police complémentaire de groupe constitue donc un outil
particulièrement adapté.
Toutefois, pour les chantiers complexes d’un montant élevé, tels que les grands
hôpitaux, le coût de la couverture complémentaire de groupe peut être élevé. Pour les
ouvrages d’un coût supérieur à 250 millions d’euros, il est actuellement presque
impossible pour les maîtres d’ouvrage et les constructeurs de s’assurer pour la totalité
des dommages potentiels à l’ouvrage.
Par ailleurs, au-delà d’un plafond fixé à environ 250-300 millions d’euros, les capacités
disponibles en réassurance ne permettent pas aux constructeurs, même par le biais d’une
police complémentaire de groupe, de s’assurer à hauteur du coût total des travaux. Dans
une telle situation et face à l’absence d’offre suffisante, l’issue ne peut être qu’un
blocage, temporaire ou définitif, des projets les plus ambitieux en terme de capitaux et
de technologies.
Une liste si complète des difficultés rencontrées par le système français
d’assurance construction réserve un horizon bien obscur à l’assurance du risque
innovant. Pour autant des solutions existent, en terme juridique et financier, pour lever
ces blocages et assurer des techniques nouvelles de plus en plus nombreuses.

55 DEFRANCE Gérard, Les acteurs se mobilisent pour la qualité, L’argus de l’assurance, n°6964,
10 février 2006.
56 La qualité au coeur de la chaîne de construction, 20 mesures pour un cercle vertueux !, Bâtiment
actualité n°4, 21 février 2006.
57 Cf. supra.
58 Le 23 mai 2004, quelques semaines après son inauguration, le bâtiment s’était effondré sur une
trentaine de mètres provoquant la mort de quatre voyageurs étrangers, et en blessant six autres.
59 lemoniteur-expert.com, dépêche du 11 mai 2006.
60 Document de référence déposé auprès de l’Autorité des Marchés Financiers le 24 mars 2006 par la
Générale de santé. Il y’est précisé que « les experts ont (…) proposé de retenir comme coût de démolition
complète des ouvrages et de reconstruction à l’identique la somme de 17,2 millions d’euros à la date
d’arrêt du chantier ».
61 Police ayant pour objet de couvrir l’activité de l’assuré qui réalise régulièrement des travaux de
construction. Elle s’oppose à la police souscrite par chantier, si l’entreprise n’exécute que ponctuellement
des travaux de construction.
62 Cet article dispose que « s’il résulte des estimations que la valeur de la chose assurée excède au jour
du sinistre la somme garantie, l’assuré est considéré comme restant son propre assureur pour l’excédent,
et supporte, en conséquence, une part proportionnelle de dommage, sauf convention contraire ».
63 Dans le système de la PUC, le chantier assuré sortait totalement de l’abonnement du constructeur ;
c’était dès lors l’assureur de la PUC qui faisait son affaire de recouvrer les franchises des constructeurs et
non leurs assureurs habituels, et la sinistralité des grands chantiers n’entrait pas dans les historiques
enregistrés par ces derniers.

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