Dans la foulée de la décision rendue par le BCT, un amendement sur la
législation des plafonds de garantie dans le cadre des garanties obligatoires en matière
de police responsabilité civile décennale était déposé au Sénat le 18 décembre 200698.
Examiné dans le cadre du projet de loi de finance rectificative pour 2006, il a été adopté
très rapidement pour devenir le nouvel article L. 243-9 du Code des assurances, une fois
la loi n°2006-1771 du 30 décembre 2006 publiée au JO du 31 décembre 2006.
OEuvre de Michel MERCIER, sénateur du Rhône, l’adoption de cet amendement
a suscité le tollé de la profession. Alors que les professionnels du bâtiment, et
notamment les assureurs construction, s’attendaient à ce que des solutions consensuelles
soient prises au vue de l’examen des conclusions remises dans le cadre du « rapport
DUMAS », le principe du plafonnement de l’assurance responsabilité civile décennale a
été adopté dans l’indifférence générale, pendant la « trêve des confiseurs » !
Le nouvel article L. 243-9 du Code des assurances prévoit désormais que « les
contrats d’assurance souscrits par les personnes assujetties à l’obligation d’assurance
de responsabilité en vertu du présent titre peuvent, pour des travaux de construction
destinés à un usage autre que l’habitation, comporter des plafonds de garantie ».
L’auteur de l’amendement indique que « cet amendement tend à assouplir les
obligations pesant en matière d’assurance sur les constructeurs appelés à mener des
travaux sur des ouvrages destinés à un usage autre que l’habitation ». Indépendamment
de toute problème d’assurabilité du risque innovant, il semble bien que cette disposition
ait été adoptée pour favoriser certains intervenants à l’acte de construire, en les
soulageant de contraintes assurantielles trop lourdes.
Suite à cette évolution, la loi autorise désormais les assureurs à plafonner les
garanties qu’ils délivrent dans le cadre de polices responsabilité civile décennale, sans
menace de sanction par les tribunaux. Mais, cette nouvelle réglementation n’est pas sans
risque.
En effet, le plafonnement de la garantie décennale vient rompre la chaîne de solidarité
qui existait jusqu’ici entre tous les acteurs d’un chantier et le maître de l’ouvrage, tant
en matière de responsabilité que d’assurance, obligeant chacun à hauteur du coût total
de l’ouvrage en matière de responsabilité, avec symétriquement la couverture
assurantielle correspondante. Dorénavant, l’indemnité versée par l’assureur du maître
d’oeuvre sera plafonnée par le montant prévue dans la police quand, pour le même
sinistre, l’assureur du maître d’ouvrage sera tenu de réparer l’entier préjudice ! On verra
plus loin que l’asymétrie des deux régimes a été résolue depuis l’instauration de la
possibilité de plafonner l’assurance dommages ouvrage.
Mais l’adoption de « l’amendement MERCIER » n’en constitue pas moins une source
d’insécurité pour les constructeurs eux-mêmes. Malgré le plafonnement de l’assurance
décennale obligatoire, ils demeurent toujours assujettis à une responsabilité intégrale qui
peut aller jusqu’à la prise en charge de la reconstruction complète de l’ouvrage. En cas
de recours à leur encontre, ils ne pourront disposer que de leur plafond d’assurance et ne
pourront plus, comme la jurisprudence de la Cour de cassation l’autorisait, invoquer son
illégalité et obtenir une couverture pour le tout. Les constructeurs responsables d’un
préjudice s’exposent donc au risque de devoir le rembourser sur leurs propres deniers,
sauf à obtenir de leur assureur un déplafonnement de leur police.
Sentant peut-être les difficultés du problème, le BCT allait renverser la position
prise dans sa décision du 7 décembre 2006, suite à un nouvel examen de l’affaire du
Musée du quai Branly demandé par le commissaire du gouvernement siégeant en son
sein.
Rendue le 6 février 2007, la décision du BCT, prenant en compte le fait
qu’aucune stipulation du marché public signé entre l’assujetti et le maître d’ouvrage ne
prévoyait de limitation de responsabilité au titre des articles 1792 et suivants du
Code civil, proclamait qu’il ne pouvait être question, en l’état du droit positif, que la
police devant être émise par l’assureur pour couvrir ladite responsabilité, puisse
comporter un plafond de garantie99. C’est donc une police sans plafond, émise selon les
conditions financières proposées par l’assureur, qui devait s’imposer.
Mais ce « revirement » ne concerne qu’une affaire en particulier, puisque le
mouvement de plafonnement des garanties décennales a été poursuivi par son
élargissement à l’assurance dommages ouvrage.
La loi n°2008-735 du 28 juillet 2008, qui vient de réformer le régime juridique
des contrats de partenariat100, instaure également la possibilité de plafonner le montant
de la garantie dommages ouvrage. La nouvelle réglementation étend le champ de
l’article L. 243-9 du Code des assurances, qui prévoyait le plafonnement de l’assurance
responsabilité civile décennale, pour qu’il produise ses effets à l’égard de l’assurance
dommages ouvrage. De cette sorte, tant les polices responsabilité civile décennale que
celles dommages ouvrage peuvent être plafonnées pour des ouvrages destinés à un
usage autre que l’habitation. In fine, un décret prévu pour l’application de l’article L.
243-9 doit préciser les modalités concrètes de plafonnement.
Son adoption ayant été retardée par la discussion du projet de loi réformant le
contrat de partenariat, le projet de décret fixant le montant du plafonnement de
l’assurance construction vient d’être transmis au Conseil d’Etat et devrait enfin paraître
dans les prochaines semaines101.
Concernant le montant du plafonnement, le projet de décret le fixe à hauteur de la
valeur de l’ouvrage déclarée par le maître de l’ouvrage, dans la limite de 150 millions
d’euros. Il est précisé que ce montant pourra être revu par arrêté ministériel.
Dans le même temps, le projet de décret donne une assise juridique aux polices
complémentaires de groupe, « afin d’inciter les maîtres d’ouvrage et entreprises à
souscrire ces contrats collectifs garantissant une couverture totale de l’ouvrage »,
explique-t-on à la sous-direction du ministère de l’Ecologie pour l’intégration des
démarches développement durable par les acteurs de l’économie. Le but recherché est
donc d’autoriser le plafonnement des assurances obligatoires pour favoriser leur
souscription, tout en encourageant le recours à des garanties complémentaires qui
couvrent le coût total du chantier et garantissent la sécurité de tous les intervenants.
De manière spécifique, le projet de décret tente par ailleurs de régler le cas des
ouvrages techniques et donc difficilement assurables. Il instaure un dispositif d’analyse
et de maîtrise des risques, conçu pour être mené de façon complémentaire au contrôle
technique obligatoire ou de façon autonome. Le contrôleur technique pourra
communiquer à l’assureur les résultats de l’analyse réalisée, pour lui permettre de mieux
évaluer les risques et les précautions prises, et d’affiner le montant des primes. Une
procédure spéciale devant le Bureau Central de Tarification (BCT) sera également mise
en place pour ces chantiers innovants. Maîtres d’ouvrage et assureurs pourront
transmettre au BCT les résultats de l’analyse pour éclairer sa décision.
Associée à l’instauration du plafonnement des garanties décennales, la prise en
compte des problèmes d’assurabilité du risque innovant en assurance construction est
assurée par l’évolution de la règlementation. Pour autant, l’assurance des chantiers
techniques, sensibles par essence, ne peut être facilitée uniquement par le plafonnement
des garanties décennales. Les capacités financières importantes du marché de la
réassurance prouvent bien que technicité et coût du risque construction constituent deux
éléments bien différents.
98 DESSUET Pascal, Un amendement législatif bien cavalier…, Revue de Droit Immobilier,
Janvier/Février 2007, p.66.
99 DESSUET Pascal, La légalisation des plafonds de garantie des polices RC décennales, Les trois actes
d’une mauvaise pièce…, Gazette du Palais, vendredi 23, samedi 24 février 2007, p.12.
100 Le contrat de partenariat permet à une collectivité publique de confier à une entreprise la mission
globale de financer, concevoir tout ou partie, construire, maintenir et gérer des ouvrages ou des
équipements publics et services concourant aux missions de service public de l’administration, dans un
cadre de longue durée et contre un paiement effectué par la personne publique et étalé dans le temps
(www.ppp.bercy.gouv.fr).
101 DELUZ Sophie, Assurance construction : le décret de plafonnement des polices devant le Conseil
d’Etat, www.lemoniteur-expert.com, 14 août 2008.
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