L’une des particularités des oeuvres d’art contemporain, est qu’elles sont souvent fruit du
travail d’artistes vivants et qui exercent encore leur art. En leur qualité d’auteur, les artistes
disposent de certains droits patrimoniaux sur leurs oeuvres. Parmi ceux-ci, le droit moral qui
peut constituer un obstacle de taille lors de la restauration d’une oeuvre endommagée lors d’un
sinistre. Comme le note le professeur François Duret-Robert, la notion d’oeuvre de l’esprit
telle que définie par le législateur, « consacre le lien entre l’oeuvre et son créateur(60) ».
Ce lien sacré ne s’éteint pas malgré la vente du support matériel. L’artiste conserve ce que le
législateur a appelé le droit moral de l’auteur sur son oeuvre. Une idée confirmée par Claire
Paix, directrice de la branche risques spéciaux de la compagnie Albingia : « Le marché le
plus sensible est sans doute l’assurance des oeuvres d’artistes contemporains où le droit
moral est incontournable. L’approche peut être délicate, en souscription comme en
indemnisation par la nature même de ces oeuvres (installation, vidéo, photographie,
techniques mixtes…etc). Nos interlocuteurs dans ces cas-là, sont à la fois le détenteur de
l’oeuvre (propriétaire ou dépositaire), mais aussi l’artiste ou ses représentants légaux(61). »
1-Les caractéristiques du droit moral de l’auteur :
Le droit moral n’est pas un droit de la personnalité classique, puisqu’il n’existe que par le
biais de l’existence d’une oeuvre d’art. Selon l’article L 121-1 du code de la propriété
intellectuelle : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est
transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur. L’exercice peut être conféré à un tiers
en vertu de dispositions testamentaires »
En tant que droit inaliénable, il ne peut faire l’objet d’aucune cession. La conséquence
principale est que toute clause de renonciation sera considérée comme nulle. L’insaisissabilité
du droit moral ne fait pas obstacle à la saisie d’un tableau ou d’une oeuvre par des créanciers,
mais il fait obstacle à la divulgation de l’oeuvre au public. Ici c’est la divulgation au public qui
est assimilée au droit moral de l’artiste. L’imprescriptibilité, confère quant à elle la perpétuité
de l’exercice de ce droit par l’artiste.
Malgré ces attributs, le droit moral est susceptible d’abus et c’est ce qui intéresse
particulièrement le droit des assurances. Si lors d’un sinistre partiel, l’assureur se doit de
prévenir l’artiste afin d’envisager la méthode de restauration la plus adaptée et la plus
conforme au souhait initial de l’artiste, celui-ci pourra faire valoir son droit moral sur son
oeuvre dans une certaine limite. La jurisprudence a ainsi estimé, que le doit moral n’était pas
un droit discrétionnaire, et qu’il devait être conforme à la finalité du droit. Par un arrêt du 14
juin 1991, la Cour de cassation estime que la résolution unilatérale d’un contrat de cession par
l’auteur pouvait constituer un abus, dès lors que l’exercice du droit moral était motivé par des
raisons financières et non pas animé par des raisons d’ordre intellectuelles(62). Nous pouvons
déduire de cet arrêt, qu’un assureur confronté à un artiste qui s’opposerait à la restauration
d’une oeuvre d’art dont il serait l’auteur, pourrait passer outre si l’exercice de ce droit relevait
d’un abus caractérisé, étranger à la finalité artistique. Malgré cette possibilité, il ne fait pas de
doute, que l’artiste pourrait « renier » son oeuvre ce qui aurait des conséquences préjudiciables
sur sa valeur, aux yeux du marché.
2-Les attributs du droit moral de l’auteur :
Il existe quatre composantes principales du droit moral d’un artiste sur son oeuvre, le droit à
divulgation, le droit au respect de l’oeuvre, le droit au repentir et le droit au nom. Dans le
cadre de notre étude, c’est le droit au respect de l’oeuvre qui retiendra notre attention et dans
une moindre mesure le droit à divulgation.
Le droit à divulgation est défini par l’article L 121-2 du code de la propriété intellectuelle,
qui dispose que « l’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre ». La question s’est ainsi
posée dans le cadre d’une affaire opposant le peintre Camoin et une maison de ventes aux
enchères. Le peintre avait déchiré ses propres toiles avant de la jeter dans une poubelle. Un
particulier les découvrant, avait procéder à une restauration, puis les avait revendues.
Quelques temps après l’acheteur les présente à une vente aux enchères. Camoin s’était alors
opposé à la vente sous prétexte qu’il n’avait pas donné son accord à la divulgation de ces
peintures. La cour d’appel de Paris avait donné raison au peintre en se basant sur la violation
du droit moral du peintre(63). Seul l’auteur est maître de la divulgation, sans limitation. Il a un
pouvoir de vie et de mort sur son oeuvre. Lui seul a le pouvoir d’agréer son oeuvre.
Le droit des assurances sera par nature plutôt confronté à l’obligation au respect de l’oeuvre.
Plus particulièrement en cas de dommage partiel touchant à l’oeuvre. Le droit au respect de
l’oeuvre est le corollaire du droit de divulgation. L’oeuvre d’art bénéficie d’une intangibilité
totale et absolue. La question que devra résoudre l’assureur en cas de restauration, est de
savoir s’il peut accepter une modification de celle-ci. Le droit des biens s’oppose ici au droit
moral. En droit des biens, le propriétaire dispose de l’usus, du fructus et de l’abusus. Or en
matière d’oeuvre d’art, l’abusus est limité par le droit moral. Le propriétaire ne peut pas
légalement détruire une oeuvre qui lui appartient. On peut en déduire, qu’une restauration non
acceptée par l’artiste, porte de la même manière, atteinte au droit de l’artiste sur son oeuvre.
On pourrait croire que faire appel à l’artiste ou à ses représentants légaux permet d’éviter les
contentieux en cas de sinistre, en confiant la restauration aux personnes exerçant le droit
moral de l’auteur. Pourtant une anecdote vient relativiser cette solution. Une oeuvre de Barett
Newman, intitulée « Who is afraid of red » est lacérée par un déséquilibré alors qu’elle est
exposée au Stedelijk Museum d’Amsterdam. L’artiste étant décédé, le musée d’adresse à sa
femme qui souhaite confier la restauration à l’ancien assistant du peintre à New York.
L’oeuvre est alors réparée, et renvoyée à Amsterdam. Après quelques observations, on se rend
à l’évidence, que la toile a été entièrement repeinte et on pas restaurée. L’assistant a beau nier,
l’évidence saute aux yeux, la toile a perdu toute valeur artistique, puisqu’elle a « changé
d’auteur ». L’oeuvre sera finalement détruite(64).
3-La protection de l’artiste, l’assurance du droit de suite :
En cas de sinistre, le propriétaire n’est pas le seul à subir un préjudice. Avec le droit de suite,
l’artiste et ses héritiers, bénéficient de la possibilité de récupérer un pourcentage de 3%, sur
chaque transaction portant sur son oeuvre. Le droit de suite, prévu par l’article L 122-8 du
code de la propriété intellectuelle, a été élaboré spécialement pour les artistes qui réalisent
des oeuvres sur un support unique (tableau, sculpture…etc.), et qui n’ont pas les mêmes
possibilités de rémunération que les artistes travaillant sur des supports multiples (cinéma,
chanson…etc.) qui sont intéressés par la diffusion ou l’adaptation de leurs oeuvres.
Le droit de suite est un droit particulier qui se distingue des autres droits patrimoniaux. C’est
un droit éventuel, car il suppose la revente de l’oeuvre. C’est un droit inaliénable, mais qui ne
connaît pas de sanction pénale. Il bénéficie à l’artiste et ses héritiers, mais il exclut les
légataires universels. Enfin il s’applique à toutes les transactions, y compris celles réalisées en
ventes aux enchères. Son taux de 3% était uniforme, depuis la loi du 11 mars 1957. Face au
mécontentement de certaines professions, une directive européenne N°2001/84/CE du 27
septembre 2001, généralise le droit de suite à tous les états membres, en apportant quelques
modifications. La loi du 1er août 2006, dite Loi DADVSI(65), modifie de manière substantielle
le droit de suite, notamment au niveau des taux applicables. Les taux sont dégressifs en
fonction du prix de la transaction. Pour les oeuvres de moins de 50 000 euros, le droit de suite
s’élève à 4%. A contrario pour les oeuvres dont le prix dépasse 500 000 euros le droit de suite
tombe à 0.25%, dans la limite de 12 500 euros. On le voit, ces pourcentages peuvent
représenter de fortes sommes pour un artiste. Par conséquent un sinistre touchant une de ses
oeuvres, peut l’empêcher de bénéficier de ces dispositions.
Hiscox a ainsi prévu une garantie « droit de suite » qui bénéficie à l’artiste sans aucune
cotisation de sa part. Il s’agit de permettre une indemnisation de la « perte de chance » de
percevoir cette rémunération. Selon Stéphane Ory, responsable des risques spéciaux France :
« Nous sommes convaincus que l’ensemble des acteurs du marché de l’art participent à son
développement. Il n’y a pas d’oeuvre sans artiste. C’est pourquoi Hiscox a tout naturellement
choisi d’inclure l’artiste dans l’indemnisation de ses clients.». Ce type de produit répond à un
double besoin, celui de fournir le plus de garanties possibles aux investisseurs du marché de
l’art, ainsi que sécuriser l’ensemble des éléments du marché. La compagnie anglaise va même
plus loin en prévoyant une indemnisation supérieure aux conditions prévues par la loi de
2006, comme le confirme Stéphane Ory : « Avec nos nouvelles polices d’assurance Risques
Spéciaux pour les professionnels de l’art, Hiscox va au-delà des dispositions législatives. La
directive européenne fixe le pourcentage revenant à l’artiste dans une fourchette allant de
0,25% à 4% du prix de la vente avec un plafond du droit de suite à 12 500 €. Nous avons
choisi d’indemniser les artistes sur une base forfaitaire de 4 % du montant réglé du sinistre
avec un maximum de 12 500 € par oeuvre et ce pour toutes les assurances souscrites depuis
janvier 2006 (sans aucune cotisation de l’artiste)(66) ». Comme dans tous les marchés
assuranciels, celui des oeuvres d’art est propice à l’élaboration de nouveaux produits. En tant
que précurseur, Hiscox affirme sa spécialisation et apporte des solutions pour réduire la
volatilité inhérente à ce marché.
60 Droit du marché de l’art, François Duret-Robert, Ed. Dalloz, p33
61 La revue du courtage, N°869, mai 2011
62 Cour de Cassation, 14 mai 1991 JCP 91 II N°21760
63 Cour d’appel Paris, 6 mars 1931 Dalloz périodique II P. 88
64 « Restauration contemporaine, restauration de l’art contemporain », CeROArt en ligne, 2/ 2008, mis en ligne
le 20 août 2009.
65 Loi relative au Droit d’Auteur et aux Droits Voisins dans la Société de l’Information du 1er août 2006
66 www.hiscox.fr/courtage/Default.aspx?tabid=631