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B : La renaissance de la faute lourde en jurisprudence.

40. A l’image du phénix qui renaît de ses cendres, à partir du début du XXème siècle, on a assisté à une renaissance de la faute lourde comme concept distinct, mais toujours placé dans une grande promiscuité avec la faute dolosive par application de l’adage romain. En effet, la notion de faute lourde que l’on croyait quasiment abandonnée depuis 1804 a trouvé auprès de la jurisprudence un regain de faveur . Certes, la doctrine a montré un intérêt croissant pour la faute lourde, cependant, c’est la jurisprudence qui a véritablement développé la notion. La faute lourde est réapparue dans sa conception subjective telle qu’elle était entendue en droit romain (1). Puis, les juges ont décidé d’élargir la notion de faute lourde en lui intégrant parallèlement une conception objective (2).

1 : La faute lourde subjective.

41. L’approche subjective de la faute lourde a été la première retenue par la doctrine et surtout la jurisprudence. A travers un examen de cette dernière on peut constater que trois éléments sont pris en considération pour l’appréciation de la gravité de la faute à savoir, d’une part, l’ampleur de l’écart de conduite, et d’autre part, la conscience des risques de dommage, et enfin, la répétition des fautes .

42. Concernant tout d’abord l’ampleur de l’écart de conduite, il s’agit d’un comportement anormalement déficient, un écart entre le comportement que le débiteur a eu et le comportement qu’il aurait dû avoir. La Cour de cassation relève souvent l’incurie de la conduite du débiteur ou bien la gravité de la négligence commise au regard de son obligation . La faute y est souvent définie comme étant « la négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée » . Comme le souligne le Doyen Jean Carbonnier , les juges constatent fréquemment l’impéritie, c’est à dire le manque de capacité dans la fonction qu’exerce le débiteur . Pour justifier la qualification de faute lourde, les juges font souvent état des moyens qui étaient à la disposition du débiteur pour remplir son obligation. Si au regard des moyens, l’exécution était facile, la faute sera aisément qualifiée de lourde .

43. Concernant ensuite la conscience ou la connaissance qu’avait ou qu’aurait dû avoir le défendeur du risque qui s’est effectivement réalisé, on peut constater que les juges se réfèrent parfois à la probabilité du dommage . Il est à noter que la conscience des risques est appréciée, par les juges, in abstracto, c’est à dire qu’ils se contentent d’affirmer au regard des circonstances, que le débiteur aurait dû avoir cette conscience .

44. Concernant enfin la répétition des fautes, on peut remarquer que les juges prennent en compte la réitération d’erreurs, de maladresses ou de négligences qui, prises isolément, ne constitueraient pas une faute lourde mais qui sur le temps révèlent un comportement gravement défaillant .

45. Cependant, dans la deuxième moitié du XXème siècle, on a assisté à un mouvement d’objectivation de la faute lourde élargissant cette notion de manière significative.

2 : la faute lourde objective.

46. Au regard des décisions jurisprudentielles qui ont admis la faute lourde afin de neutraliser des clauses limitatives de responsabilité, on peut constater que l’inexécution qui était imputable au débiteur avait pour objet une obligation contractuelle considérée comme essentielle , fondamentale ou substantielle . En d’autres termes, elle occupait une place primordiale dans les préoccupations du créancier. Certains auteurs ont pu dire que « la faute est aisément considérée comme lourde si elle déclenche l’inexécution d’une obligation à laquelle le créancier attachait une importance particulière ».Cela est par exemple le cas en matière de transport avec la remise de marchandises au destinataire .

47. Par ailleurs, la jurisprudence a parfois retenu le caractère particulièrement strict de l’obligation inexécutée pour la qualifier la faute de lourde. Cela a par exemple été le cas lorsqu’une obligation de surveillance particulière pesait sur le débiteur .

48. L’existence de la faute lourde a aussi été déduite dans certains cas en comparant le résultat effectif et le résultat qui était attendu lorsqu’il existait entre les deux un écart considérable tel que le contrat apparaissait « vidé de toute substance » . Cela pouvait, par exemple, être dû à la fourniture d’une prestation tellement différente de celle qu’attendait le créancier qu’elle était aussi grave pour lui que l’inexécution totale .

49. Ainsi, l’appréciation de la gravité de la faute a dévié dans un sens de plus en plus objectif. La doctrine en a fait de même si bien que certains auteurs font d’ailleurs totalement abstraction des critères subjectifs de la faute lourde, ne faisant aucunement mention de la connaissance du risque de dommage et considérant dès lors la notion comme purement objective . L’objectivation a eu pour conséquence un véritable élargissement de la notion de faute lourde permettant aux tribunaux de retenir plus facilement le fondement de la faute lourde afin d’écarter les clauses limitatives de responsabilité. Cependant, il semble que la Cour de cassation ait mis un terme à cette tendance.

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