Depuis son apparition dans les années 1960, le recours à la perte de chance suit la « tendance dominante de la pratique jurisprudentielle qui étend assez largement le domaine de la faute indemnisable en prenant notamment en compte la gravité des conséquences de l’acte et qui réserve l’erreur non fautive à l’impondérable et à l’imprévisible, aux aléas indissociables de toute intervention médicale sur le corps humain » .
En réalité, le juge procède au rapprochement entre la gravité de la faute et la gravité du dommage subi par la victime : la gravité de la faute reflète un dysfonctionnement anormal intervenu soit au cours de l’activité médicale, soit dans l’organisation du service. Cette anormalité provient d’une erreur que le juge va estimer inexcusable ou inadmissible.
Finalement, la perte de chance telle que l’utilise le juge administratif dans la responsabilité hospitalière permet de sanctionner, la faute inadmissible ou inexcusable, sous la forme d’une réparation intégrale du préjudice d’une particulière gravité supporté par la victime. Dès lors, à l’inverse du droit privé, le juge administratif ne fait pas « abstraction du dommage concret [le décès ou l’aggravation de l’état du malade] pour lui substituer un diminutif abstrait de ce préjudice [la perte d’une chance de ne pas mourir ou de guérir] » .
Il est à noter que cette faute inadmissible est indépendante de l’ancienne qualification de faute lourde depuis l’abandon de ce régime de responsabilité en 1992 . Auparavant, le juge administratif avait recours à la perte de chance pour engager la responsabilité de l’administration sur le fondement tant de la faute simple que de la faute lourde.
Le plus souvent, la faute était une faute lourde dans l’acte médical. Ainsi, la perte de chance a facilité l’indemnisation des victimes d’erreurs de diagnostics notamment associées à une surveillance lointaine exercée sur le malade . Le Code de déontologie médicale prévoit que « le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées ». Elle a également permis l’indemnisation des victimes de gestes techniques notoirement défectueux (la méconnaissance des règles essentielles de la technique opératoire de cure d’un abcès fistulisé a compromis les chances que le patient avait d’éviter une section complète du sphincter anal ), ou encore d’un défaut surveillance (l’effet conjugué de négligence dans la surveillance du blessé, alors qu’il présentait des signes d’ischémie vasculaire, ainsi que le retard du transfert vers un service spécialisé, sont constitutifs d’une faute lourde et d’un mauvais fonctionnement, qui ont compromis les chances de l’intéressé d’éviter l’amputation d’une jambe ), ou de retard de soins (retard dans la mise en œuvre d’un traitement antibiotique, compte tenu des risques d’aggravation rapide de l’infection à streptocoques et de la température en clocher ).
La faute pouvait aussi être simple dans l’administration des soins ou l’organisation du service : manque de vigilance du personnel infirmier qui n’a pas prêté attention aux symptômes manifestés et à l’avertissement de la mère d’un enfant dont le fémur était fracturé et pour lesquels la technique d’extension a été à l’origine d’une ischémie, est constitutif d’une faute qui a compromis les chances qu’avait la victime d’éviter les interventions dont elle a dû faire l’objet et les séquelles de l’ischémie survenue . L’arrêt inaugural introduisant la notion de perte de chance en matière de responsabilité médicale en est une illustration.
Depuis l’abandon de la faute lourde en matière médicale, le juge administratif a essentiellement utilisé la notion de perte de chance de guérison ou de survie pour engager la responsabilité de l’hôpital public lorsqu’il relève, s’agissant d’un dommage particulièrement grave, une erreur flagrante de diagnostic et un retard dans la mise en œuvre d’un traitement approprié. L’arrêt du 19 mars 2003 illustre ce dernier mouvement jurisprudentiel à propos d’une erreur dans le diagnostic. Le préjudice retenu consiste en une perte de chance: « eu égard au caractère extrêmement aigu de l’évolution des déficits neurologiques observés chez l’intéressé, ce dernier n’aurait eu que des chances réelles mais limitées de récupérer si le diagnostic avait été posé de manière plus précoce ». Mais une telle perte ouvre droit à une réparation intégrale du préjudice.
Finalement, l’’appréciation du juge administratif est très minutieuse : une erreur de diagnostic n’est pas toujours fautive et n’engage pas systématiquement la responsabilité de l’hôpital. L’erreur doit être flagrante ou persistante : la responsabilité de l’hôpital a ainsi été reconnue pour avoir privé un patient d’une chance d’éviter un infarctus du myocarde alors que « l’état du patient était caractéristique de la douleur angineuse » .
Ces solutions s’inscrivent dès lors comme une suite logique de la jurisprudence inaugurée dans les années 1960 : seules les erreurs de diagnostic inadmissibles sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’hôpital, le caractère scandaleux de l’erreur étant fonction de l’ampleur des conséquences dommageables. La gravité de l’erreur de diagnostic ouvre alors droit à une réparation intégrale du préjudice corporel.
Il est nécessaire de préciser que le juge administratif a longtemps refusé de procéder à l’évaluation de la chance perdue, contrairement au juge judiciaire. En effet, dès lors qu’il existait une relation entre une faute inadmissible et un préjudice anormalement grave, la chance perdue était établie. L’incertitude du lien causal n’avait dès lors pas d’incidence sur l’étendue du droit à réparation.
Le 21 décembre 2007 : « la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue , le Conseil d’Etat a finalement décidé de faire prévaloir la logique judiciaire de la perte de chance au nom de la cohérence de la notion qui commande l’application d’un régime uniforme.
Cette création purement prétorienne toujours en évolution, est applicable à un nombre indéfini d’hypothèses, faisant d’elle, une notion éclatée.
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