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B : L’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 : un fondement explicite.

ADIAL

105. L’arrêt Chronopost du 22 octobre 1996 a marqué la volonté des juges de cesser de justifier l’éviction des clauses limitatives de responsabilité par l’affirmation qu’un manquement du débiteur à une obligation essentielle serait constitutif d’une faute lourde. Cependant, la cour ne s’est pas dispensée pour autant de tout fondement. En effet, elle vise l’article 1131 du Code civil et donc la notion de cause. Ainsi, après avoir précisé le sens et la portée de cet arrêt (1), nous analyserons les prolongements jurisprudentiels (2).

1 : Le sens et la portée de l’arrêt.

106. Avant d’étudier précisément le sens et la portée de cet arrêt, il est nécessaire de revenir sur les faits. La société Banchereau avait confié à deux reprises à la société Chronopost un pli contenant une soumission à une adjudication. Ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau assigna cette dernière en réparation de ses préjudices. Pour s’opposer à cette demande, la société Chronopost invoqua la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au remboursement du prix du transport, soit 122 F. La Cour d’appel de Rennes débouta alors la société Banchereau en retenant que, si la société Chronopost n’avait pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’avait cependant pas commis de faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat. Cependant, dans un arrêt du 22 octobre 1996 , la Cour de cassation censura cette décision car « en statuant ainsi, alors que le spécialiste du transport rapide garantissait la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé l’article 1131 du Code civil ».

107. Cet arrêt d’importance admet donc que la notion d’obligation essentielle engendrée par le contrat permet de ne point faire produire d’effet à une clause limitative de responsabilité. La Cour de cassation a choisi de se situer au cœur même du contrat, en l’envisageant à travers son obligation fondamentale, et de s’attaquer à la validité même d’une clause qui, à l’évidence, porte atteinte à la force obligatoire de la loi que les parties ont choisi de se donner. Le raisonnement suivi par la haute juridiction est que l’obligation souscrite par le client de payer un prix plus élevé qu’à l’ordinaire trouve sa cause dans celle du transporteur d’acheminer le pli avec célérité, dans un court délai qui a été déterminant de son consentement et que, dès lors, la cause qui réduit pratiquement à rien son indemnisation en cas de retard anéantit tout à la fois la cause même de son engagement et ses légitimes prévisions. Elle ne peut dès lors trouver application sous peine d’une dénaturation de la loi contractuelle .

108. Cet arrêt présente une relative nouveauté qui consiste dans la mention de l’obligation essentielle du transporteur pour préciser la contrepartie. Si auparavant, l’obligation essentielle était utilisée par le truchement de la faute lourde, l’arrêt Chronopost innove en émancipant l’obligation essentielle de la faute lourde et en lui donnant un nouveau fondement : la cause.

109. On ne peut que constater l’abondance exceptionnelle des commentaires de cet arrêt. Celui-ci est intéressant à la fois en lui-même et en raison de la très importante controverse doctrinale à laquelle il a donné lieu , provoquant un nouvel épisode de la querelle des anciens et des modernes . En effet, le nouveau fondement de l’obligation essentielle a donné naissance à un débat. L’article 1131 du Code civil assigne à la cause une double mission. Elle sert à vérifier, d’une part, dans un souci de protection sociale, la licéité du contrat, et d’autre part, dans un souci de protection individuelle des contractants, que l’engagement de chaque partie a bien une contrepartie. C’est de la deuxième fonction dont il était question et qui donné lieu à débats.

110. Les anciens avaient une conception classique de cette fonction, c’est à dire que la notion de cause est entendue strictement. Elle s’identifie à la cause de l’obligation, à la cause objective. Ainsi, dans les contrats synallagmatiques, la cause de l’obligation de chacune des parties réside dans l’objet de l’obligation de l’autre . Pour ces auteurs, à considérer les conditions générales du contrat, Chronopost a souscrit une obligation de résultat en ce qui concerne son engagement de transporter les objets confiés et une obligation de moyen s’agissant du délai d’acheminement, car il s’oblige seulement à « déployer tous ses efforts pour livrer ses clients dans les délais ». Il en résulte, comme le précise Monsieur le professeur Daniel Cohen , que la « cause existait manifestement et la cour d’appel n’avait nullement violé le texte susvisé (article 1131 du Code civil) : à l’obligation pour la société cliente de payer le prix convenu, correspondait corrélativement l’obligation pour la société Chronopost d’assurer le transport des plis et la clause d’indemnisation n’avait nullement pour objet de libérer la société de messagerie rapide de son obligation ». La même analyse se retrouve dans le commentaire de Monsieur le professeur Alain Sériaux ou encore de Monsieur le professeur Christian Larroumet , ce dernier estimant que « ce n’est pas parce que la responsabilité de Chronopost est limitée au montant du prix perçu que le cocontractant est engagé sans contrepartie ou sans contrepartie suffisante. La limitation de responsabilité ne dispense pas le débiteur de son obligation. La preuve en est que s’il commet une faute d’une certaine gravité (dol ou faute lourde), il sera responsable sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la limitation ».

111. Cette analyse n’a pas été celle des modernes qui déplorent que la cause, dans ce cas, ne joue qu’un rôle insignifiant. Monsieur le professeur Denis Mazeaud se félicite « de ce que la cause acquiert une dimension subjective qui conduit à l’appréhender comme l’instrument de contrôle de l’utilité, de l’intérêt du contrat en considération desquels le contractant s’était engagé ». Or, en l’espèce, le contrat dans lequel était stipulée la clause litigieuse avait engendré à la charge de la société Chronopost une obligation de ponctualité, « obligation essentialisée par la volonté des parties parce qu’elle était, d’une part, placée au cœur de la stratégie commerciale et publicitaire du transporteur et, d’autre part, déterminante du consentement ainsi que de l’importance de l’engagement souscrit par l’expéditeur » . Toute l’économie du contrat s’articulant autour de cette obligation de ponctualité, la clause limitative de responsabilité tendait, en réduisant la sanction de l’inexécution de l’obligation fondamentale contractée par Chronopost à une « peau de chagrin », à faire « dégénérer l’obligation essentielle de ponctualité en une simple illusion pour le créancier » .

112. Face à cette controverse, si l’on étudie les arrêts postérieurs, la Cour de cassation a clairement pris parti en faveur des modernes.

2 : Les prolongements jurisprudentiels.

113. Malgré la controverse doctrinale, la solution énoncée en 1996 a reçu des applications diverses. Comme le précise Monsieur le professeur Jacques Ghestin , les commentaires dont a fait l’objet le premier arrêt Chronopost lui ont donné une large diffusion, ce qui a incité les plaideurs à s’en prévaloir, provoquant consécutivement plusieurs décisions des tribunaux.

114. L’arrêt Sécurinfor, rendu par la Chambre commerciale le 17 juillet 2001 , en est un bon exemple. L’affaire concernait un contrat de maintenance informatique commercialisé par une société qui s’était engagée à intervenir sur le site dans le délai de « 48 heures chrono » et avait failli à cette obligation. La Chambre commerciale a jugé que « la cour d’appel…a fait l’exacte application de l’article 1131 du Code civil en retenant, pour écarter la clause limitative de responsabilité dont se prévalait la société securinfor, qu’une telle clause revenait à priver d’effet l’obligation essentielle souscrite par cette société ». A l’image de l’arrêt Chronopost, c’est bien parce que l’obligation essentielle, contrepartie convenue de l’obligation du client, était rendue illusoire par l’effet de la clause, que celle-ci, sur le fondement de l’article 1131 du Code civil, devait être éliminée.

115. Par ailleurs, un intéressant arrêt de la cour d’appel de Toulouse, en date du 23 octobre 2001 , montre l’étendue potentielle du champ d’application de la solution énoncée dans l’arrêt Chronopost de 1996. En effet, la cour d’appel a jugé que devait être réputée non écrite la clause des conditions générales qui mettait à la charge du client d’une entreprise de forage de puits « de vérifier la profondeur de l’ouvrage ». Elle a relevé pour cela que « l’obligation principale du contrat…est la réalisation d’un forage de 12 mètres de profondeur » et que l’entreprise, « professionnelle du forage, ne peut soutenir qu’elle peut être exonérée de son obligation de résultat parce qu’il appartenait à sa cliente, « totalement profane en la matière et ayant recours aux services d’un professionnel, de vérifier la profondeur de l’ouvrage ». A partir de ces observations, la cour d’appel s’est expressément référée à l’attendu de la Chambre commerciale du 22 octobre 1996 en citant entre guillemets les motifs de l’arrêt Chronopost. Elle énonce que en l’espèce, « la clause insérée dans les conditions générales du contrat est en totale opposition avec l’obligation de résultat née du contrat et mise à la charge de la CSF de creuser un forage d’une profondeur définie », justifiant que cette clause soit « réputée non écrite ». Ainsi, l’arrêt Chronopost de 1996, épuré de ce qui faisait la particularité de l’espèce, est vulgarisé et transformé en principe de portée générale et abstraite. En conséquence, cette solution serait susceptible de multiples applications .

116. Par la suite, la Cour de cassation a confirmé son analyse. A de multiples reprises, prenant appui sur l’article 1131 du Code civil, elle a écarté des clauses limitatives de responsabilité, au motif qu’il résulte du comportement imputable au débiteur « un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à leur application » . Cela est particulièrement limpide dans un arrêt du 30 mai 2006 (Chronopost 5) . Nous n’apporterons pas plus de développement sur ces arrêts, au combien importants, car ils ferons l’objet de plus amples commentaires au cours du devoir.

117. L’arrêt de 1996 ayant fait tâche d’huile, la notion d’obligation essentielle se trouve très officiellement affranchie de la notion de faute lourde, celle-ci n’ayant consécutivement qu’une utilité relative.

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