Institut numerique

B : L’obligation essentielle : un instrument de contrôle de cohérence du contrat.

202. La notion d’obligation essentielle a aussi pour avantage d’être utilisée comme un instrument de contrôle de la cohérence du contrat tel que Monsieur le professeur Dimitri Houtcieff le préconise . En effet, l’obligation essentielle permet d’une part, de rétablir un équilibre contractuel (1), et d’autre part, de faire apparaître l’obligation de respecter un principe de cohérence dans le but d’éviter l’existence de contradictions au sein du contrat par le jeu des clauses limitatives de responsabilité (2).

1 : Le rétablissement de l’équilibre contractuel.

203. « Qui dit contractuel dit juste ». La formule du juriste Fouillée est célèbre, mais on peut douter, aujourd’hui, de sa pertinence . Le contrat n’est pas en soi la source d’obligations toujours justes parce qu’issues de la volonté de celui qui s’engage. Certes, le principe reste l’intangibilité du contrat. Cependant, il présuppose que les stipulations conventionnelles soient acceptables et que le contrat reste un minimum équilibré. Or il faut bien que le juge, à qui il incombe cette vérification, détienne les armes qui lui permettront de rétablir l’équilibre.

204. Ainsi, en estimant qu’une partie, par le biais d’une clause limitative de responsabilité, réduit à une peau de chagrin ses obligations, la Cour de cassation expose la notion d’obligation essentielle comme un élément qui permet au juge d’établir un rééquilibrage du contrat, et cela, dès le stade de sa formation puisque le fondement de cette notion n’est plus la faute lourde, mais la cause. Le recours à la notion d’obligation essentielle doit donc être apprécié aussi de manière positive. Elle est intéressante et suffisamment souple pour permettre au juge d’intervenir dans la relation contractuelle en ôtant les seuls excès manifestes .

2 : la cohérence comme non contradiction.

205. Comme de nombreux auteurs l’ont signalé, l’arrêt Chronopost fait incontestablement application d’un principe de cohérence défini par Monsieur le professeur Célice comme étant « une exigence absolue du droit, en sorte qu’une ligne de conduite étant choisie, il serait impossible d’en changer. (…)Transgresser le principe de cohérence, c’est se mettre inévitablement dans son tort. (…)Le régime qui s’applique à l’attitude est ainsi celui de la non-contradiction absolue, où OUI exclut NON définitivement et vice versa ».

206. Selon Monsieur le professeur Dimitri Houtcieff, le principe de cohérence serait le fondement exclusif de l’arrêt Chronopost . Ainsi, l’obligation essentielle mettrait en lumière ce principe comme instrument de respect des canons de la logique : il suffit de prendre acte de ce que le contenu du contrat ne contredit pas son but. Il faut juste déterminer la frontière à partir de laquelle la clause vide le contrat de sa substance et donc porte atteinte à l’obligation essentielle, ce qui permet de « stigmatiser une contradiction insidieuse influant sur la force obligatoire de l’engagement » .

207. On peut signaler que Monsieur le professeur Philippe Jestaz avait déjà observé de façon générale que, « l’obligation fondamentale évince les clauses qui lui sont contraires par sa force propre, sans le secours d’aucune règle particulière », ajoutant que « dans tous les cas, l’éviction de la clause contraire tient à ce que la volonté ne saurait se contredire elle-même », le juge se bornant « à constater qu’on ne saurait vouloir une chose et son contraire ».

208. Ainsi, malgré le fait que le recours à la notion de l’obligation essentielle fasse l’objet de critiques virulentes, on peut légitimement penser que l’idée selon laquelle doit être préservée un minimum de cohérence contractuelle justifie la jurisprudence spectaculaire qui pourchasse sans relâche les clauses qui font dégénérer les obligations en simple illusion pour le créancier et qui contredisent la portée de l’engagement du débiteur. Cependant, si les critiques sur le contenu de la notion d’obligation essentielle se doivent d’être relativisées au regard des possibilités qu’offre cette dernière, si l’on se penche sur sa sanction, à savoir l’éviction de la clause litigieuse qui porte atteinte à l’obligation essentielle, on ne peut que constater qu’elle fait l’objet de discussions qui ne vont pas toutes dans un sens favorable.

Retour au menu : LA FAUTE LOURDE ET LES CLAUSES LIMITATIVES DE RESPONSABILITE