Les chantiers du Musée des Confluences et du Centre Pompidou à Metz (cf.
image de synthèse ci-avant)110 constituent autant d’exemples de la difficulté de
réassurer, et donc d’assurer, des constructions innovantes.
A ce titre, il est apparu intéressant de recueillir l’avis d’un professionnel reconnu
dans le secteur de la réassurance construction. Roland SUDRES, Directeur du service
Construction d’Hannover Re, a accepté de se prêter au jeu et de répondre à plusieurs
questions concernant les difficultés rencontrées sur le marché de la réassurance pour
prendre en charge les risques inhérents à la construction d’ouvrages innovants.
Tout d’abord, Roland SUDRES réaffirme la distinction de base qui sous-tend le
marché de la réassurance. Les réassureurs acceptent sans problème de couvrir les
risques de « grands chantiers » dans la mesure où les capacités financières du marché de
la réassurance construction avoisinent les 250 à 300 millions d’euros. En revanche, les
chantiers innovants, même ceux n’engageant que peu de capitaux, posent plus de
problèmes. Les réassureurs refusent généralement d’assumer leur couverture car ils
n’ont pas d’expérience ni de recul sur la pérennité de technologies nouvelles, et ne
maîtrisent donc pas la potentialité de sinistres qu’elles sont susceptibles d’engendrer.
Concernant plus particulièrement le chantier du Musée des Confluences, le
réassureur précise que les matériaux constitutifs de l’ensemble ne sont pas
intrinsèquement innovants. Il s’agit là de béton, de ciment et de verre qui sont des
composants classiques des constructions modernes que les réassureurs, à force
d’expérimentations, connaissent bien et dont ils maîtrisent les enjeux en terme de
sinistralité.
Bien plus innovante est la structure d’ensemble du Musée des Confluences. Par sa
forme aérienne, le concept architectural transforme l’assemblage de matériaux
classiques en une forme originale et audacieuse.
L’ingénieur de formation111 précise alors que l’innovation dans une construction
peut se concrétiser à deux niveaux. D’une part, à travers les matériaux, composants de
l’ensemble immobilier, et d’autre part, à travers la structure architecturale générale du
bâtiment qui peut impliquer l’utilisation de techniques innovantes dans l’assemblage
des éléments qui la composent.
Roland SUDRES utilise ainsi l’exemple du développement des centrales nucléaires,
depuis les années 70, pour illustrer son propos. Le fonctionnement de telles centrales
implique l’utilisation de réfrigérants atmosphériques qui, sous la forme de grandes
cheminées, assurent la ventilation du circuit de refroidissement du réacteur nucléaire et
évacuent la chaleur qu’il génère transformée en vapeur d’eau. Avec le temps et
l’évolution des techniques, la taille de ces réfrigérants a progressivement augmenté,
allant jusqu’à causer l’écroulement de l’ensemble en Angleterre lorsqu’elle a atteint
60/70 mètres. Il s’est avéré que le désordre était dû à une trop grande souplesse du
matériau et n’avait pu être anticipé, faute d’employer une méthode de calcul adaptée.
L’adaptation de la technique a alors permis de surmonter le problème en ajoutant une
poutre métallique en haut de la structure pour stabiliser et rigidifier l’ensemble de la
forme.
Cet exemple montre bien que le risque innovant en matière de construction ne
peut être connu et anticipé qu’avec un retour d’expériences minimum.
L’enjeu essentiel de la connaissance des risques inhérents aux constructions
innovantes réside donc dans l’expertise, berceau de la connaissance et de la prévention
pour les assureurs.
A ce sujet, Roland SUDRES considère que le Pass’Innovation n’emporte pas de
révolution. C’est « mieux que rien » dit-il même, dans la mesure où le Pass’Innovation a
été conçu essentiellement pour l’expertise des matériaux. Concernant les formes et
structures d’ensemble de l’ouvrage, il n’y a pas de moyens d’expertise, celles-ci restant
souvent à la discrétion de l’architecte.
Il admet cependant que la procédure du Pass’Innovation est plus rapide que celle de
l’Avis Technique d’Expérimentation ou de l’Avis Technique. Le problème est pourtant
là : on veut faire toujours « plus haut, plus vite, plus fort mais moins cher » en matière
d’expertise. Malgré la volonté d’accélérer le processus, le risque demeure présent.
Les réassureurs sont donc souvent sceptiques à l’égard de ces nouvelles
procédures d’expertise. C’est la raison pour laquelle ils préfèrent généralement
missionner des experts qu’ils connaissent et dont ils apprécient la fiabilité du travail.
En tout temps l’innovation a pu poser problème.
Le béton armé, qui a aujourd’hui environ 100 ans d’existence, constitue une technique
expérimentée et aboutie dont assureurs et réassureurs connaissent parfaitement les
risques.
Actuellement, le développement d’aciers chinois pose problème. La probabilité de
risques qu’ils engendrent est en effet plus grande dans la mesure où les entrepreneurs
chinois ne maîtrisent pas encore toutes les subtilités de leur fabrication. Il faudra du
temps et plus de recul pour arriver à réduire la probabilité de sinistres qui leur est
attachée.
Le paroxysme du problème est atteint lorsqu’un chantier important implique
également l’utilisation de techniques innovantes. Les réserves financières importantes
du marché de la réassurance sont alors bien impuissantes pour pouvoir le régler. Roland
SUDRES confirme à ce titre que le plafonnement des garanties décennales obligatoires
est une fausse solution.
Certes le plafonnement de l’assurance des « grands chantiers » à 150 millions d’euros
imposera de trouver des garanties financières au-delà. Mais cela ne semble pas poser de
problèmes aux réassureurs qui disposent d’environ 250 à 300 millions d’euros de
couverture. Le dispositif initié par « l’amendement MERCIER » a par contre l’avantage
de favoriser l’assurance construction des « chantiers importants » : l’assureur refusant
sa garantie au-delà des 150 millions d’euros prévus, ne pourra être poursuivi devant le
Bureau Central de Tarification et couvrira le chantier qu’on lui soumet en toute liberté.
Néanmoins, « l’amendement MERCIER » ne résout pas le problème de l’innovation.
Les réassureurs devraient persister dans leur refus de couvrir les chantiers innovants,
aussi faibles soient-ils112, tant qu’ils n’auront pas une meilleure connaissance des
techniques utilisées pour la réalisation de tels ouvrages.
112 Il est arrivé que des chantiers évalués à environ 30 millions d’euros connaissent des problèmes
d’assurance parce que les entreprises de réassurance refusaient de couvrir les risques nouveaux qu’ils
impliquaient, dus aux techniques nouvelles utilisées.
Pour conclure, le Directeur du service Construction d’Hannover Re reprend
l’exemple du sinistre provoqué par l’effondrement du terminal 2E de l’aéroport Charlesde-
Gaulle à Roissy en 2004 (cf. image ci-dessous).
La voute du bâtiment supportant des contraintes verticales et horizontales, ces dernières
avaient été compensées par un échelonnement en hauteur d’arcs de cercle compensant
les forces générées par la structure. Sans surprise pour le professionnel interrogé, un
sinistre a suivi l’utilisation d’une méthode méconnue et peu classique.
110 Le Centre Pompidou de Metz est la première expérience de décentralisation d’un établissement public
culturel, le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou de Paris. Il devrait ouvrir ses portes au
printemps 2010 (www.wikipedia.fr).
111 Roland SUDRES a été formé à l’Ecole Spéciale des Travaux Publics, du Bâtiment et de l’Industrie.
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