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B : Un régime paradoxalement favorable au débiteur.

150. La solution semble trop sévère pour le créancier alors que c’était ce dernier que les auteurs et les juges voulaient pourtant protéger contre les clauses limitatives de responsabilité. En effet, il en ressort une impunité probatoire du débiteur (1), ce qui a consécutivement développé un courant doctrinal souhaitant une protection du créancier contre le risque de la preuve (2).

1 : L’impunité probatoire du débiteur.

151. Comme le précise Monsieur le professeur Yves-Marie Laithier avec une pointe d’ironie, « le régime est relativement favorable au transporteur, notamment parce qu’il appartient à la victime de rapporter la preuve d’une faute lourde. Chronopost et autres transporteurs seront donc bien inspirés de garder le silence sur les causes de leur défaillance, moins les circonstances de l’inexécution seront connues, moins la victime aura de chance de pouvoir établir l’existence d’une faute lourde ». Monsieur le professeur Patrick Paulin ajoute qu’ « une prime est ainsi donnée à la négligence ou à la mauvaise foi du prestataire, indifférent au sort de la marchandise ou refusant de donner des informations, sachant qu’elles se retourneraient contre lui ».

152. Ainsi, le créancier, à qui incombe la charge de la preuve, serait pratiquement dans l’impossibilité d’établir la gravité du comportement du débiteur faute de pouvoir, dans le cas de l’affaire Chronopost, prouver la cause du retard ou de la perte des objets confiés si le transporteur ne fournit aucune explication. L’expéditeur serait, en effet, bien en peine d’établir un fait précis révélant la gravité de la défaillance du débiteur si les circonstances de l’inexécution demeurent indéterminées ou si le transporteur, seul à les connaître, garde le silence sur celles-ci . On peut donc observer que la Cour de cassation qui, en 1996, avait cherché à protéger les utilisateurs des services de transports rapides, opérait avec la jurisprudence de la Chambre mixte un spectaculaire revirement de situation aboutissant à consacrer une véritable « irresponsabilité de fait » du transporteur.

2 : La volonté doctrinale d’une protection du créancier contre le risque de la preuve.

153. Ce régime envers le créancier semble extrêmement sévère, et cela d’autant plus que les clauses limitatives de responsabilité présentent un caractère dérogatoire, ce qui pourrait parfaitement justifier un aménagement de la charge probatoire.

154. Si certains auteurs souhaitent exiger du débiteur qu’il fasse la preuve de son absence de faute lourde, d’autres espèrent, et cela semble moins radical, que l’on puisse attendre du débiteur qu’il facilite la preuve des circonstances de l’inexécution. La bonne foi dans l’exécution du contrat pourrait servir de « paravent juridique » à cette répartition du risque de la preuve, au moins lorsque le doute quant à l’origine de l’inexécution est imputable à la faute du débiteur. Selon Monsieur le professeur Olivier Deshayes , le raisonnement serait le suivant : Le débiteur défaillant n’invoque pas de bonne foi la limitation conventionnelle de responsabilité lorsque par son fait les circonstances de l’inexécution sont demeurées inconnues ou en d’autres termes, en cas de doute sur les circonstances de l’inexécution, le débiteur peut être privé du droit d’invoquer la clause limitative de responsabilité sur le fondement de la mauvaise foi s’il apparaît que ces doutes lui sont imputables.

155. D’autres auteurs encore, estiment que les juges vont trop loin en privant le créancier de la faculté de se prévaloir de l’anormalité, pourtant flagrante, de l’inexécution de l’obligation essentielle. Selon ces derniers, il serait opportun d’apprécier l’inconduite du débiteur suivant des critères différents, et avec une sévérité variable, en fonction du type de contrat et d’opération en cause, mais aussi en fonction des équilibres économiques à préserver et, bien évidemment, selon le droit applicable.

156. Enfin, certains auteurs souhaitent tempérer cette impunité probatoire par une compréhension large de la faute lourde dans son acceptation subjective . D’une part, sans faire une place trop importante au caractère essentiel de l’obligation, il pourrait tout de même être tenu compte de celui-ci dans l’appréciation de la faute et de sa gravité. D’autre part, l’inaptitude du débiteur pourrait, lorsque la cause du retard n’est pas connue, être déduite de la particulière anormalité de l’inexécution aux vues des conditions d’exécution.

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