Bien que les lignes directrices aient servi de point de départ juridique et politique, la Commission s’en est éloignée à certains égards. Deux écarts sont particulièrement importants.
En premier lieu, nous l’avons brièvement vu, cela concerne la base légale de la Communication , le passage de l’article 107.3(C) – « les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques(…) » – à l’article 107(3)B -« aide pour remédier à une perturbation grave de l’économie ». Quels sont les avantages d’un tel changement ?
Cette nouvelle base légale a des effets politiques pratiques (73) : cela permet de reconnaitre les particularités du secteur bancaire ; ce que n’admettaient ni le traité CE, ni les lignes directrices. De plus, les États membres avaient d’ores et déjà entamé une série d’interventions systémiques qui ne pouvaient rentrer dans le cadre de l’article 107.3(c), l’application rigide des lignes directrices sur le sauvetage et la restructuration risquait de mettre la Commission dans la position politique délicate de déclarer des aides incompatibles alors qu’elles étaient déjà mises en place.
Un autre intérêt de l’article 107.3(c) réside dans sa nouveauté, cet article était resté largement non testé (utilisé seulement deux fois avant la première communication de crise). Dans la mesure où aucune interprétation n’avait déjà été établie à son égard, il constituait un instrument malléable et donc une base légale flexible sur laquelle s’appuyer. C’est ainsi qu’un universitaire décrivait l’article 107.3(b) comme la capacité pour la Commission de créer instantanément des règles applicables aux aides d’état (instant state aid law) (74).
Le deuxième écart considérable par rapport aux lignes directrices établies concerne la procédure. Les lignes directrices de 2004 utilisaient une version légèrement modifiée des règles de procédures standard telles qu’elles sont prévues dans le règlement 659/99 (75). L’aide devait entre autre être notifiée, et le gouvernement ne pouvait la mettre en place qu’à l’issue d’un examen préliminaire.
Dans des circonstances normales, cet examen peut durer jusqu’à deux mois. Etant donné la détérioration extrêmement rapide de la situation économique, un tel délai n’était ni économiquement efficace, ni politiquement acceptable. C’est pourquoi , dans la communication bancaire, la Commission a largement modifié son emploi du temps, en considérant que dès lors que les « États membres informent la Commission de leurs intentions et notifient leurs projets d’aide en fournissant un maximum d’informations et le plus vite possible », celle-ci garantirait l’adoption rapide des décisions « si nécessaire dans les 24 heures et au cours d’un weekend » (76) . Effectivement, dans les semaines qui ont suivi la chute de Lehman Brothers, la Commission a approuvé de nombreuses mesures de sauvetage dans un temps record : une journée pour approuver les liquidités d’urgence accordées à Fortis, moins d’une semaine pour le plan de sauvetage de NordLB, à peine deux jours pour le régime de garantie finlandais, de même pour celui anglais …
La Commission a, sur la base de la communication bancaire, largement soutenu les aides accordées par les états membres. Depuis l’automne 2008, dix-huit régimes de garantie ont été autorisés et ultérieurement renouvelés, pour un montant total équivalent à 3026 milliards d’euros (77). De nombreuses garanties ad hoc revenant à 402,8 milliards d’euros ont également été autorisées. Les systèmes de garantie ont en général été accordés pour des périodes de six mois, renouvelables sous certaines conditions (78)
Il semble que de tels dispositifs aient été un instrument efficace de lutte contre la crise financière car ils ont rassuré les marchés financiers, par un effet d’annonce quant à l’engagement des gouvernements de soutenir les établissements bancaires ; néanmoins il est légitime de s’interroger sur les risques posés sur la concurrence à long terme et notamment des questions dérangeantes peuvent émerger. La Commission a-t-elle réellement pu s’assurer de la compatibilité d’une aide en l’espace de deux jours alors qu’il lui faut habituellement au minimum un mois ? Aurait-elle in fine cédé face aux influences étatiques et non étatiques ?
73 DOLEYS Thomas p.11, op. cit.
74 KOENIG, Chritian, « “Instant State Aid Law‟ in a Financial Crisis, State of Emergency or Turmoil? » European State Aid Law Quarterly, Volume 4, p. 627-629, 2008.
75 Règlement (ce) n° 659/1999 du conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE, JO L 083 du 27/03/1999.
76 « communication concernant le secteur bancaire » §53 op. cit.
77 Voir annexe I répartition du volume des aides selon leur type.
78 Pour les conditions de renouvellement et l’avenir des régimes de garantie autorisés, voir partie II)E) : Un regard vers l’avenir: prolongation du cadre temporaire jusqu’au 31 décembre 2011.
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