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B La formation d’une communauté de voisinage

En France, les conflits entre propriétaires de fonds voisins ont été une importante question posée aux tribunaux quelques années seulement après la promulgation du Code Civil napoléonien . Leur apparition sur la scène judiciaire a rapidement montré le silence du Code Civil sur les solutions juridiques applicables dans le contexte d’une société française commençant à entrer de pleins pieds dans la voie de l’industrialisation. Ces conflits entre propriétaires de fonds voisins ont ainsi contraint les tribunaux à inventer des solutions juridiques qui n’étaient pas prévues dans le Code Civil, voir que ce dernier ne rendait pas aisées à mettre en forme. C’est donc dans un contexte de révolution industrielle que la jurisprudence et la doctrine ont contribué à l’élaboration de la notion de « troubles de voisinage ».

La France fût, pendant longtemps, un pays profondément rural comparé aux autres pays européens et notamment l’Angleterre où l’industrialisation rapide avait fait pratiquement disparaître le monde des petits paysans dès la fin du XVIIIe siècle. Jusque dans les années 1930, la majorité de la population française vit à la campagne et est composée en grande partie d’agriculteurs . Le Second Empire est une période de prospérité dans les campagnes : la croissance urbaine ouvre de nouveaux débouchés aux produits agricoles et l’industrialisation absorbe l’excédent de main d’œuvre. La fin de l’Empire et la crise économique des années 1880 se traduisent, par contre, par la chute des cours des produits agricoles et la ruine des exploitations les plus petites, qui sont, de loin, les plus nombreuses. Beaucoup de petits propriétaires sont contraints de se louer comme journaliers, domestiques ou valets de ferme. D’autres quittent la terre, attirés par les salaires urbains plus élevés. C’est la grande phase de l’exode rural : dès 1870, on enregistre cent mille départs par an, et bientôt le double . Ainsi, avec le développement, la transformation, de même que le progrès technique que la société a subit jusqu’aux jours actuels, il y a eu, la création de troubles de plus en plus fréquents et divers : bruits, odeurs, fumées, poussières et, d’une façon générale, plus de phénomènes de pollution de tous genres . La mission du juge dans ce domaine a été d’assurer un véritable modus vivendi entre propriétaires voisins et de trouver un compromis entre les prérogatives de leurs droits respectifs. Le but ayant toujours été ici de rétablir l’équilibre qui a été rompu entre les propriétés voisines, compte tenu des charges de voisinage. Il faut insister ici sur l’éminente dignité de la personne humaine et sur son aspiration à une certaine qualité de vie.

De nombreuses tentatives de définition du « voisinage » ont été proposées. Par exemple, de manière simple, le terme « voisinage » peut être entendu comme un ensemble abstrait : « c’est l’ensemble des voisins ». Aussi, de manière plus complexe, « le voisinage peut désigner « l’ensemble des voisins personnes physiques qui le composent, ainsi que les relations entre les voisins, c’est à dire les conditions de vie avec ses semblables ». La théorie jurisprudentielle ne s’applique donc pas à n’importe qui. Elle concerne les parties au conflit de voisinage créé par le trouble, c’est-à-dire les personnes ayant la qualité de « voisin ». Ce deuxième critère est de nature à caractériser la spécificité de la théorie des troubles de voisinage et à en préciser le champ d’application. D’abord elle s’applique aux relations entre propriétaires voisins mais aussi à tous ceux que les circonstances de l’existence ont amenés à vivre proches les uns des autres . Le recours à cette théorie des troubles de voisinage est considéré par la jurisprudence comme un facteur d’équilibre social.

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