1. Contexte réglementaire Bâle III
Les activités bancaires ont été soumises au cours de ces dernières années à une évolution profonde du cadre réglementaire. Ce durcissement réglementaire bancaire induit des changements dans les comportements bancaires et nous amène à nous interroger sur les réactions des banques et sur leur capacité d’adaptation à ce nouvel environnement. Il est donc opportun dans un premier temps d’examiner les fondements de la nouvelle réglementation bancaire (Bâle III) et son évolution. Ensuite, nous essaierons de présenter les principales conséquences sur les comportements bancaires et la question de la stabilité du système financier au sein de cet environnement mouvementé.
– Les nouvelles directives
La profondeur et l’ampleur de la crise de 2008 ont été accentuées par les déficiences du secteur bancaire :
o Un endettement excessif
o La qualité médiocre des fonds propres
o L’insuffisance des dispositifs de gestion de liquidité
o L’effet de levier : taille de bilan trop importante par rapport aux fonds propres
o L’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique.
Les règles qui composent Bâle III ont été éditées dans un contexte de crise, celles-ci sont destinées à approfondir les exigences de contrôle posées par les précédents accords de Bâle. A l’origine de ce mouvement de régulation, on trouve le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB), comité d’instances de contrôle bancaire établi par les gouverneurs des banques centrales du G10 en 1974. De nouvelles réflexions ont mené aux accords de Bâle III, adoptés en 2010 et dont l’application prévue était échelonnée de 2013 jusqu’à 2019 pour certaines de ses composantes.
En résumé, les accords de Bâle III visent à améliorer la capacité du secteur bancaire à absorber les chocs consécutifs à des tensions financières ou économiques et à réduire ainsi le risque de propagation à l’économie réelle.
Les réformes sont regroupées autour de 3 piliers :
Pilier I : l’exigence de fonds propres
Pilier II : la procédure de surveillance de la gestion des fonds propres
Pilier III : la discipline de marché (transparence des établissements bancaires)
Nous nous focaliserons principalement sur l’analyse des deux premiers piliers.
Capital et pondération des risques
Bâle III dans son premier pilier fixe le ratio de capital nécessaire dont doivent disposer les banques pour faire face aux risques de crédit (risques de défaillance des emprunteurs), de marché (variation des positions de marché due à des mouvements de taux de charge..) et au risque opérationnel (défaillance des hommes, des systèmes, fraudes, catastrophes externes…).
Le ratio de capital (appelé aussi ratio cook) = Capital / Risque pondéré des actifs
Ce ratio permet de déterminer le capital minimal pour absorber ces trois types de risques. Ce capital peut être augmenté d’un coussin de sécurité en cas de situations extrêmes. A contrario, une entité dite non-régulée n’a pas à justifier de ce montant de réserve minimum et bénéficie alors d’une plus grande flexibilité d’investissement.
Par exemple, si la banque prête 100€ à une entreprise, supposons que la pondération de ce crédit soit de 10%, les fonds propres requis au titre du risque de crédit doivent être de :
100€ * 100% * 8% = 8 euros
Une entité non régulée n’a donc pas à justifier de ces 8 euros de fonds propres disponibles.
Sous Bâle III, ce ratio doit être d’au moins 8% et même plus pour les grandes banques, appelées les banques systémiques, dont la faillite peut causer de graves dommages à tout le système financier et à l’économie réelle. L’objectif est d’établir une réserve de fonds propres plus importante afin de couvrir ce risque. Dans le cas où ce coussin est entamé en cas de stress (risque extrême), le régulateur peut demander à la banque de suspendre ses dividendes.
Réduction de la taille du bilan
Par le passé, aucune limite n’était imposée quant à l’étendue du bilan de la banque. De nombreuses banques faisaient état de solides ratios de fonds propres de base fondés sur le risque tout en parvenant à accumuler un fort effet de levier au bilan et au hors-bilan.
Bâle III parle à présent de ratio de levier, indépendant du risque qui sera défini pour compléter l’exigence de fonds propres fondée sur le risque. Pour limiter l’effet de levier, ce ratio n’est pas basé sur l’appréciation des risques mais plutôt sur la taille du bilan : un rapport entre le capital de la banque et le total de son bilan. Ceci a pour conséquence directe de limiter le volume d’activité des banques.
L’utilisation de ce ratio permettra de freiner le recours excessif à l’effet de levier (risque de marché) dans le système bancaire. Elle constituera, en outre, un garde-fou supplémentaire pour contrer les tentatives «d’arbitrage» des ratios de solvabilité (exigences de fonds propres fondées sur le risque). Cette nouvelle réglementation vise à conduire les banques à rejeter les activités les plus risquées ne faisant pas partie de leur métier de base. Toutefois, les banques pourraient être incitées à pratiquer d’avantage d’arbitrage réglementaire privilégiant des solutions de développement risquées afin de respecter les normes prudentielles.
Les normes comptables n’étant pas uniformisées à l’échelle internationale, le comité de Bâle s’engage pour équité, à adapter le calcul de ce ratio en fonction des différents régimes comptables.
Cette réglementation va provoquer une raréfaction de l’offre de produits liquides aux autres investissements (entreprise, ménage, banques centrales).
Garanties de Liquidité
La crise a démontré que les banques peuvent mourir d’asphyxie si elles ne trouvent plus sur le marché les ressources nécessaires à refinancer leurs activités. C’est pourquoi le Comité de Bâle mis en place des exigences minimales de liquidité ayant comme objectifs de renforcer la résistance des banques à d’éventuelles difficultés passagères d’accès aux financements. Ce ratio intervient avant même le risque de solvabilité.
Le ratio de liquidité à court terme (Liquidity Coverage Ratio : LCR) impose de détenir suffisamment d’actifs liquides de qualité pour faire face à de graves difficultés de financement à court terme, sur la base d’un scénario défini par le Comité de Bâle.
Le ratio de liquidité à court terme (LCR) mesure la capacité d’une banque à faire face à des sorties de cash sans intervention de l’autorité publique. La liquidité d’une banque dépend des flux de capitaux provenant de tous les paiements qu’elle effectue ou reçoit de ses clients et tierces parties. Ils comprennent également tous les dépôts reçus et tous les crédits accordés.
Ces flux de capitaux entrants et sortants doivent être en équilibre, ce qui n’est pas toujours évident : en effet, les banques ne parviennent pas toutes à garder en permanence un équilibre entre les dépôts qu’elles récoltent et les crédits qu’elles accordent à leurs clients. C’est pourquoi elles empruntent ou placent la différence sur le marché interbancaire. En établissant une nouvelle norme sur la liquidité, Bâle III entend imposer aux banques des réserves de liquidités qui doivent leur permettre d’absorber les tensions sur le marché interbancaire.
Le ratio de liquidité à court terme, impose aux banques de détenir un stock d’actifs liquides permettant de supporter une crise aiguë de liquidité à court terme (30 jours).
Enfin pour qu’un actif soit considéré comme liquide de « haute qualité », il doit respecter certains critères même dans un environnement stressé. Par exemple, une banque doit pouvoir facilement le vendre ou le mettre en repo pour se financer, facilitant dans un même temps le risque de contrepartie et dissuadant de mettre ne garantie des actifs peu sécurisés.
Qualité de la contrepartie
Face à la dégradation de la qualité de crédit des contreparties, qui a été une source importante de pertes pendant la crise, le Comité a décidé de relever les exigences de fonds propres réglementaires et d’améliorer la gestion du risque de contrepartie.
La banque sera contrainte de recourir à des stress scénarios pour déterminer les exigences de fonds propres en regard du risque de défaut et de calculer de nouvelles exigences afin se prémunir contre le risque d’une dégradation de la qualité de crédit d’une contrepartie (comme cela s’est produit par exemple pour les rehausseurs de crédit).
Les banques ainsi devront allouer des fonds propres pour se protéger contre la volatilité de la CVA (Credit Value Adjustment). Cette contrainte implique une raréfaction de l’offre de crédit pour les emprunteurs de mauvaise qualité.
Financement long terme
La norme du ratio de liquidité à un an, prévue pour 2018 déterminera dans quelle mesure les activités bancaires devront être couvertes par des financements disponibles et stables. Ce ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR) portera donc sur la liquidité à long terme et instaurera de nouvelles règles visant une affection équilibrée des dépôts en vue des crédits à long terme. Il vise à remédier à la présence d’asymétries de liquidité structurelles à plus long terme dans les bilans des banques. La raison sous-jacente est la suivante : une banque qui accorde des crédits s’engage en réalité à pouvoir collecter suffisamment de dépôts pendant toute la durée des crédits. Le ratio est conçu pour corriger les asymétries de liquidité : il incite les banques à recourir à des sources de financement stables à long terme. À cet égard, les produits proposés par la banque mais aussi les marchés sur lesquels elle opère jouent un rôle essentiel.
Cette réglementation implique une limitation de la transformation de marché pour les banques.
– Conclusion
Thierry Varenne de chez Bnp Paribas, déclare que : « BNP Paribas a été contrainte par la réglementation de doubler leur fonds propres, multiplier par quatre leurs réserves et diviser par deux leur levier et mettre en réserve une partie croissante de leurs bénéfices (75% de leurs résultats) ».
Les institutions financières comme BNP Paribas soulignent les dangers que feraient peser les nouvelles exigences mise en place par Bâle III. Le crédit serait limité et les possibilités de financement de l’économie (les prêts aux entreprises et particuliers) en seraient fortement réduites du fait des réserves en fonds propres exigées. Cet argument menace d’autant plus la compétitivité de la zone euro où les entreprises se financent majoritairement par l’intermédiation bancaire, contrairement aux entreprises américaines ayant d’avantage recours aux marchés. En suivant les nouvelles directives de Bâle III, les banques reviendraient à leurs activités traditionnelles de collecte d’épargne, octroi de crédit et gestion des liquidités.
2. Limites du système de financement traditionnel
Le financement par un recours au financement traditionnel reste aujourd’hui la principale source de financement de l’économie en Europe. Toutefois celui-ci étant de plus en plus enclin à de fortes contraintes réglementaires, il dispose de moins en moins de flexibilité pour répondre aux demandes plus spécifiques des investisseurs. Voyons dans quelles mesures le système traditionnel se limite.
– Demande accrue d’actifs sécurisés par les investisseurs
Le rapport du FMI sur le Shadow Banking publié par le FMI en 2012(2), met en valeur les évolutions des besoins de placement des investisseurs dans des actifs sûrs, à court terme, et le liquide. En effet, il mentionne que la titrisation avant la crise financière a permis de répondre à la demande d’actifs liquides sécurisés de la part des entreprises et les gestionnaires d’actifs. Avant cela la gestion de l’épargne se concentrait généralement sur les ménages et leur allocation de l’épargne à court terme pour les dépôts bancaires et de l’épargne à long terme pour les actions et les obligations (par le biais des fonds communs de placement, fonds de pension, compagnies d’assurance et autres gestionnaires d’actifs). Or ce rapport démontre qu’aujourd’hui, une importante part de la demande en instruments d’épargne émane des entreprises et sociétés de gestions d’actifs complexes.
Le rapport souligne l’appétence des investisseurs pour cette nouvelle forme de gestion de l’épargne : « l’épargne à court terme des entreprises mondiales a progressé de moins de 50 milliards de dollars en 1990 à plus de 1 200 milliards fin de 2010 ». En outre, cette gestion d’actifs complexe permet aux banques de transformer une partie importante de l’épargne à long terme des ménages en créances à court terme pour soutenir les stratégies d’investissement synthétiques (via des dérivées) et prêts de titres. Aux Etats Unis, les dépôts des entreprises et les gestionnaires d’actifs (institutionnels) ont été multipliés par 30 au cours de la dernière décennie venant à égaler les dépôts des ménages (figure 4).
– Incapacité des banques à garantir les dépôts de gros investisseurs
De plus en plus, les banques traditionnelles se révèlent comme un intermédiaire de gestion trop rigide pour les investisseurs connaissant un accroissement fort de leur trésorerie. Les garanties des espèces concernent principalement les comptes bancaires ; les comptes sur livret et les plans d’épargne logement. Le Fonds de Garantie des Dépôts garantit ces comptes à hauteur de 100 000 euros par déposant et par établissement bancaire. Ces garanties limitées contraignent les investisseurs à effectuer des dépôts auprès de plusieurs établissements bancaires. De nombreux investisseurs pour qui les garanties de dépôts sont insuffisantes, diversifient leurs solutions de gestion via des solutions alternatives offrant d’avantage de flexibilité.
– Impact de la titrisation sur la banque lors de la crise
Avant que la crise ne se déclare, la corrélation entre les risques a été ignorée. En effet le processus de titrisation par le tranching a conduit à une accumulation de «risques extrêmes».
Les agences de notation se sont vues évaluer des instruments structurés complexes comme “AAA” (qualité la plus élevée) alors que les investisseurs ont ignoré les expositions à des risques à faible probabilité. Lorsque le financement de marché s’est trouvé asséché, certaines banques détenaient d’importants volumes de produits complexes et peu liquides sans disposer d’un montant adéquat de fonds propres en regard du risque encouru. La titrisation a eu des effets particulièrement forts sur les banques, au cours de la crise, les banques ont subi des pertes sur titres de créances titrisées directes et les véhicules affiliés. Ces pertes ont été les principales faiblesses et défaillances des banques au cours de la crise, y compris pour d’importants établissements tels que UBS, RBS, Lehman Brothers et Bear Stearns.
Les accords de Bâle III dans le troisième pilier répondent à la nécessité pour les investisseurs d’être informé des risques de certains produits complexes. Par exemple, la banque devra faire preuve d’une totale transparence quant à la définition de son périmètre : séparation ou non des SPV de la banque.
Conclusion
Le financement traditionnel bien que majoritairement représenté en Europe s’avère insuffisant au financement de l’ensemble des agents économiques. En effet, ce système permet de répondre essentiellement aux investisseurs classiques les ménages et les entreprises. Suite à la crise financière, les autorités de régulation bancaire ont été contraintes de durcir les règlementations afin de contraindre les banques à d’avantage de prudence et reconquérir la confiance des investisseurs. Il semble que ces nouvelles réglementations rendent les banques moins compétitives et les amènent à vouloir contourner la loi et s’orienter vers un système non-régulé : l’arbitrage réglementaire.
2 Shadow Banking : Economics and Policy, December 4, 2012, Stijn Claessens, Zoltan Pozsar, Lev Ratnovski, and Manmohan Singh, International Monetary Fund.
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