1°)Mondialisation ou moralisation ?
L’heure est elle à la morale ? De nombreux responsables politiques européens et économistes modérés semblent penser que oui. En effet, le cataclysme financier de cette fin d’année 2008 a provoqué la chasse aux dirigeants qui ont failli.
Notons qu’en France après l’affaire Kerviel, Daniel Bouton, président directeur général de la Société Générale, a du céder les commandes de son entreprise. Il en est allé de même pour Charles Milhaud, le dirigeant des Caisses d’Epargne, qui a également perdu sa place, à la suite de pertes estimée à 600 millions d’euros dues aux activités spéculatives de trois traders du groupe.
Dans les deux cas, le signal du départ est venu, non pas de procédures internes aux entreprises concernées mais d’une volonté politique affirmée venant de l’Elysée. Le président de la république affirmant ainsi son engagement dans la lutte contre les excès du libéralisme financier. Ce qui pose problème c’est moins le système capitaliste en lui-même, que l’absence de règles qui a permis à certains dirigeants avides de faire prendre à leur entreprise des risques inconsidérés.
A cet effet, le directeur du F.M.I , Dominique Strauss-Kahn a appelé début octobre à remettre de l’ordre dans la finance internationale en ces termes : « il faut changer le fonctionnement du système, il faut changer les règles du jeu, il faut changer la régulation. »
Vœux pieu ou lettre morte l’objectif politique prioritaire des instances internationales et des gouvernements sera de mettre en place des nouvelles règles de gouvernance qui permettront d’endiguer l’éventualité d’une nouvelle crise systémique.
L’économie de marché capitaliste ne peut fonctionner sans les apports de la finance afin de distribuer du crédit et de soutenir l’effort à l’investissement des entreprises. Mais la crise a fait ressurgir un besoin évident de régulation en la matière afin que la finance soutienne la croissance et améliore l’emploi. Les principaux chantiers de régulation doivent porter sur :
– la diminution des allocations de crédits à la spéculation financière en imposant aux banques des coûts supplémentaires quand leurs crédits prennent des proportions excessives dans tel ou tel secteur ;
– un meilleur contrôle au sein même des institutions de crédit. Ces dernières doivent être capables de fournir rapidement l’état de leur exposition totale aux risques pris ;
– l’encadrement strict des marchés de produits dérivés en faisant en sorte que toutes les opérations financières passent par le biais d’une chambre de compensation afin qu’elles y soient enregistrées et puissent faire l’objet d’un contrôle. Ce système n’est pas infaillible il faut le noter. Dans le cas de l’affaire Kerviel la chambre de compensation Eurex avait signalé à la Société Générale certaines opérations suspectes sans que cette dernière en tienne aucun compte ;
– l’encadrement des revenus et des primes alloués aux grands patrons ainsi que les bonus que touchent les traders, lorsqu’ils font gagner des sommes importantes à leurs investisseurs.
– Enfin la résolution du problème des paradis fiscaux responsables d’importantes pertes de recettes fiscales des États, et qui permettent aux établissements financiers de mener leurs opérations dans la plus grande opacité.
Afin de donner corps à ces aspirations, se sont développées ces derniers mois, au sein des entreprises, des pratiques qui visent à moraliser le système et qui tendent à créer une véritable éthique des affaires.
2°)Le développement d’une véritable éthique des affaires
Auparavant beaucoup de compagnies considéraient l’éthique des affaires seulement en termes administratifs de respect de normes légales et d’adhérence à des règles et procédures internes. Aujourd’hui la situation est différente et les entreprises ont du s’adapter. Une attention croissante est portée, à travers le monde, à la question de l’éthique des affaires et nombre de compagnies réalisent que si elles veulent réussir elles doivent gagner le respect et la confiance de leurs clients. Comme jamais auparavant l’on demande aux corporations d’améliorer leurs pratiques d’affaires afin de mettre l’accent sur leur conduite éthique et de respect des lois et règlements. Suite aux scandales de ces dernières années et à la crise de confiance qu’ils ont entraînée, il existe maintenant un désir profond de créer de manière durable une culture de l’éthique des affaires dans les secteurs publics et privés. Les compagnies autant que les individus se doivent d’être de plus en plus responsables et de répondre de leurs actions, en ligne avec la demande accrue des autorités publiques pour des critères plus élevés de responsabilité sociale.
Plus concrètement la problématique engagée sur l’éthique des affaires porte sur les questions de corruption, le notions d’entreprise citoyenne et de gouvernance d’entreprise. Elle interroge sur les problèmes d’organisation du travail, d’accords d’entreprise et de comportements des dirigeants sociaux vis à vis de la société dont ils sont responsables. Sa formalisation vise à bâtir une identité sociale en abordant les problèmes d’organisation avec les salariés. La conception française du « gouvernement des entreprises » (rapport Viénot 1995) se différencie de la conception anglo-saxone. Celle-ci consacre la primauté des actionnaires sur l’ensemble des différents acteurs. Celle-là considère que la mission du Conseil d’administration consiste à défendre en toutes circonstances l’intérêt de la société, qui ne peut se confondre avec celui des seuls actionnaires. L’entrepreneur dans ses choix est donc tiraillé entre deux types d’intérêts parfois antagonistes : l’intérêt des actionnaires qui fournissent le capital dont l’entreprise a besoin pour se développer et l’intérêt des salariés de l’entreprise qui eux fournissent le facteur travail. Ainsi a-t-on souvent vu privilégier les intérêts financiers et spéculatifs dans un souci de ménager les rapports avec les actionnaires de la société, les conséquences sociales de tels agissements étant de moindre importance. Les recommandations de l’OCDE en ce domaine sont les suivantes :
– Assurer le respect des droits des actionnaires ;
– Améliorer la transparence de l’information fournie par les entreprises ;
– Séparer les fonctions de président du Conseil d’administration et de directeur général ;
– Nommer au Conseil des administrateurs indépendants en nombre suffisant ;
– Créer des comités spécialisés.
On le voit bien, la notion de gouvernement d’entreprise a pour corollaire nécessaire la limitation des pouvoirs des dirigeants par la prise en compte d’un ensemble organisationnel nouveau en faisant intervenir l’ensemble des « parties prenantes ». Cette notion met clairement en avant la responsabilité morale des dirigeants. De fait, le gouvernement d’entreprise permet de contrôler que les objectifs poursuivis sont légitimes et que les moyens mis en œuvre pour les atteindre sont adéquats.
L’éthique des affaires semble donc conduire l’entreprise vers un nouveau conformisme, puisqu’il s’agit pour elle de se conformer à des normes. La politique de responsabilité sociale et environnementale se situe tant au plan opérationnel qu’au plan stratégique. La question de la légitimité du pouvoir d’entreprise se trouve dès lors au centre de tous les intérêts.
Cependant une entreprise qui s’en tiendrait à un strict alignement sur les éléments normatifs courrait effectivement le risque du conformisme. Or, la question de l’éthique dépasse cet ordre. Aujourd’hui, on attend de l’entreprise qu’elle développe une politique de responsabilité dynamique, en quête d’efficacité sociale et environnementale. L’éthique constitue toujours le cadre dans lequel s’affirme la personnalité et l’originalité de la société. Il appartient, désormais, à chaque entreprise d’être inventive pour construire une stratégie non-conformiste, dans le but de répondre à la problématique de sa responsabilité sociale.