1. Peut-on auditer la santé ?
Nous avons vu les exemples de cabinet de conseil spécialisé en santé. Mais de quel « conseil » s’agit-il réellement ? Quelles sont les missions réalisées dans ces entreprises privées au sein du secteur public. Et quels avantages ont les diplômés de GEC qui décident de devenir consultant dans ce milieu ? Le monde du conseil et de l’audit n’est pas uniquement réservé aux profils commerciaux : beaucoup d’ingénieurs ou de professionnels de santé sont également consultant dans ces cabinets de conseil. En revanche certaines GEC proposent des parcours de spécialisation en audit ou en conseil (au même titre qu’un spécialiste en marketing ou un spécialiste en Ressources Humaines) et forment de futurs consultants.
Les cabinets de conseil en santé (tels que définis dans la partie précédente) envoient leurs consultants dans des missions très diverses où ils sont au contact d’acteurs divers : leurs interlocuteurs sont par exemple des médecins, des infirmières, des président de communauté de communes, des représentants d’Agence Régionale de Santé, des directeurs d’hôpitaux etc.
Voici ci-dessous des exemples de réelles missions d’accompagnement réalisées par des consultants français (Lieux, année, Thématique) :
– Groupe Hospitalier Paris St Joseph (2012)
Audit du bloc opératoire et des services de réanimation en vue d’une amélioration organisationnelle
– Centre Hospitalier Régional Universitaire de Besançon (2012)
Regroupement de l’ensemble des blocs opératoires en un site unique
– Hospices Civils de Lyon (2012)
Audit du bloc opératoire et des services de soins de l’hôpital Pierre Wertheimer (neurologie)
– La Chapelle St Luc (Aube) (2010)
Etude de faisabilité d’une Maison de Santé Pluridisciplinaire
– Hôpital Saint-Joseph, Paris (2007)
Dimensionnement des flux logistiques du futur hôpital
– Centre Hospitalier de Chambéry (2011)
Organisation des tournées logistiques pour la Blanchisserie Inter-Hospitalière
Voici un témoignage de Laurence Hérin, consultante dans un cabinet de conseil ayant participé à ces missions : “S’engager en tant que consultante en santé, c’est faire le choix d’une carrière dans le domaine de la santé et de s’impliquer avec conviction au coeur des nouvelles problématiques et des défis que le monde hospitalier se doit de relever. Animée par des projets aussi complexes que passionnants, je suis persuadée que nous pouvons faire de grandes choses, à notre manière et toujours en équipe, mais également, avec l’optique constante d’essayer d’améliorer le confort du patient.”
Le rôle du consultant (diplômé de GEC) est d’apporter sa vision globale sur une problématique et faire preuve de pragmatisme afin de mettre en place un plan d’action et des recommandations auprès de l’établissement qui l’a sollicité. Dans des missions de réorganisation, ou encore de logistique, des compétences techniques sont requises, notamment la maîtrise fine d’Excel pour l’analyse de données de systèmes d’informations des établissements de santé. (Ex : données de toutes les entrées et sorties en salle de bloc opératoire sur une année). Il faut un esprit d’analyse et des capacités de synthèse. Mais il faut avant tout faire preuve de beaucoup d’humilité et d’écoute auprès des personnels soignants qui vivent au quotidien les problématiques organisationnelles des hôpitaux ou cliniques dans lesquelles ils travaillent.
Voici des exemples de missions confiées à Me Céline Baud , ancienne élève de GEC employée actuellement par L’ANAP :
– Projet de déploiement de la gestion des lits sur 150 établissements de santé : Accompagnement de 150 établissements sur la thématique gestion des lits sur 3 ans (coaching, partage d’expérience, suivi du projet (élaboration d’un plan d’action et mise en oeuvre etc.)
– Projet de biologie territoriale : Construction d’une démarche et outils pour aider les laboratoires de biologie médicale dans leur coopération. Projet en 4 phase : Retour d’expérience sur des coopérations existantes avec publication d’un guide ANAP, Aide à la décision : construction d’outil pour les aider à choisir le scénario cible de coopération, Accompagnement à la mise en oeuvre avec des fiches thématiques pratiques, Accompagnement à la mobilité du personnel)
– Cercle performance Comptabilité analytique hospitalière : Regroupement d’une trentaine de contrôleur de gestion (CHU, CH) pour échanger sur la compta analytique. Objectifs : publier 2 guides, l’un sur les outils de gestion et l’autre sur le dialogue de gestion à l’hôpital (toujours sur des fiches thématiques et kit outils associés)
Auditer la santé est le fait de répondre aux problématiques des établissements de santé qui (pour les établissements publics) via des appels d’offre sur les marchés publics font appel à des cabinets experts. On peut en effet « auditer » la santé, dans le sens ou un regard extérieur sur des sujets maîtrisés peut changer l’activité de façon significative. Voici quelques exemples de mission concrète ou des soignants donnent leur avis sur la venue de consultants extérieurs :
Une cadre IADE (Infirmière Anesthésiste Diplômée d’Etat) témoigne « il est important de confronter les chiffres au ressentis des gens. J’ai moi-même effectué un master en gestion du changement au CNAM. On a beaucoup de méthode de l’industrie à transposer à l’hôpital public. Il faut une rationalisation. Si c’était mon entreprise, mon argent, je ne gérerais pas le personnel de la même façon. Par exemple le mercredi sur la salle de bloc opératoire je mets une IADE de 8h à 18h alors qu’il y a eu réellement besoin d’elle que de 12h à 19h » Il y a des stratégies de management à appliquer ou à essayer d’adapter aux établissements de santé sans pour autant chercher les mêmes objectifs. Ce témoignage est caractéristique de situations de plus en plus complexes en termes de gestion de personnel et d’organisation. Cette soignante précisait qu’il existe le GPEC(5) pour les entreprises privées et se demande par exemple pourquoi il ne pourrait pas être appliqué à l’hôpital.
Les activités de soins au sein des établissements de santé sont très rarement encadrées par des personnes compétentes en matière de management au sens couramment admis en École de Commerce. Ces profils sont le plus souvent localisés au sein des Directions, mais rarement à un niveau proche de l’opérationnel. Projets d’investissement, de travaux et budgets de consommables mis à part, la notion de coût est d’ailleurs une notion très largement absente du fonctionnement opérationnel quotidien, le management au niveau opérationnel se cantonnant majoritairement à organiser la présence du personnel et à régler les problèmes de fonctionnement quotidien.
Pour autant, une compétence de management au sens « large » ne serait absolument pas nécessaire à temps plein au niveau d’une unité de soins par exemple, ce type de compétences n’étant pas nécessaire au fonctionnement au jour le jour de cette unité.
C’est dans ce contexte que les « managers » trouvent toute leur légitimité dans le cadre d’interventions de type « mission de conseil » : la compétence managériale est alors mobilisée sur un projet identifié, au cours d’une période limitée et permet une remise à plat pour que le fonctionnement opérationnel puisse repartir sur des bases efficientes. A ce titre l’intervention du consultant reste elle-même efficiente, puisque payer à temps plein des compétences particulières non-nécessaires au fonctionnement courant serait inefficient.
Un autre exemple est celui de nombreux hôpitaux qui font appels à des cabinets de conseil pour de la logistique. On peut entendre au sein même de service hospitalier : « On n’a aucune visibilité sur nos stocks ». Ceci peu s’expliquer pour plusieurs raisons comme le manque d’organisation ou parfois le manque de personnel. Voici un schéma représentant l’impact de la gestion de l’approvisionnement sur l’ensemble du fonctionnement d’un établissement.
On constate que plus la stratégie d’un établissement se focalise et se spécialise dans la gestion des approvisionnements et de la logistique, plus la performance de l’établissement est élevée. Cela parait logique, mais il faut savoir mettre en place ces stratégies logistiques.
Ces problématiques que rencontrent les établissements de santé sont souvent des problématiques auxquelles savent répondre des diplômés de GEC qui ont pu être amené dans leur parcours à gérer des stocks, ou encore à organiser des ressources humaines dans des entreprises privées.
2. Les atouts des « commerciaux » face à de nouveaux enjeux
Il faut que ces diplômés adaptent leurs compétences. Car même s’ils ont vu en entreprise des méthodes, des fonctionnements, ou encore des modèles organisationnels, il sera impossible de les appliquer à la lettre dans un hôpital public. En revanche leur oeil extérieur et leurs compétences générales d’adaptabilité pourront permettre l’optimisation d’utilisation de certains outils pour améliorer les performances de certaines activités et le service aux patients. Les missions se déroulent dans tous types d’établissements de santé et pourtant les consultants ne sont pas tous des anciens professionnels de santé, ils peuvent venir de GEC et leur efficacité n’en est pas moins altérée.
« L’hôpital commence à fonctionner comme une entreprise, on demande à certains chirurgiens de réaliser des objectifs » (témoignage d’un professionnel de santé) On essaie d’optimiser les parcours de soins. Les patients ne rentrent plus la veille pour certaines interventions, pour réaliser des économies sur la fonction hôtelière hospitalière. L’entreprise apporte des outils de gestion, les diplômés de GEC ayant travaillé en entreprise et devenant consultant au sein de cabinets de conseil en santé peuvent mettre à profit ces outils sur un environnement différent. La cadre IADE citée ci-dessus formée au CNAM vente également la méthodologie de certains outils dont elle a reçu la formation (matrice, critères évaluations, etc.). D’autres soignants comme par exemple un chef de service de bloc opératoire stipule qu’ils ont besoin de regards extérieurs, d’analyses des chiffres, de mise en place d’outils de mesure afin de se rendre compte de la cohérence entre l’activité et les moyens mis en oeuvre pour la réaliser. Là est le rôle des diplômés consultants. Etre consultant dans ce domaine est extrêmement enrichissant et professionnalisant. Si l’on reçoit en amont une formation au monde médical (termes, organisation et fonctionnement), et que l’on fait preuve d’humanité, les résultats peuvent être probants : augmentation de l’activité de bloc opératoire (augmentation du TROS), diminution de temps d’attente aux urgences, économies financières grâce à une meilleure gestion de stocks etc.
Un des enjeux majeurs du monde de la santé est l’enjeu financier. Face aux tentatives du gouvernement de diminuer la dette de la sécurité sociale, les challenges à réaliser peuvent s’avérer complexes. La crise favorise-t-elle l’arrivée de diplômés de GEC dans le monde de la santé ?
Plus que la crise ce sont les changements qui favorisent l’arrivée de managers ou de besoins en « gestion » de la santé. L’exemple de la T2A est probant.
L’arrivée de la tarification à l’activité a entrainé la création de nouveaux besoins, il fallait donc des contrôleurs de gestion pour gérer ces nouveaux aspects. Les managers en général savent manier les outils de pilotage (financiers) et la crise (pas forcément traversée par le monde de la santé) favorise la rationalisation. Mais n’oublions pas que pour le secteur public, il s’agit d’un univers rempli de beaucoup de procédures et il y a encore un grand pas à faire avant d’arriver à la rationalité.
Les opportunités professionnelles dans le secteur de la santé sont nombreuses, il faut savoir à quel niveau on décide d’y rentrer. Si l’on veut être en lien très fort avec des professionnels de santé, dans ce cas il vaut mieux privilégier le domaine du conseil/audit. Si l’on souhaite garder l’univers de l’entreprise privée tout en travaillant dans un secteur parallèle au monde de la santé avec des postes dits plus « communs » comme chef de produit marketing ou contrôleur de gestion, il faudra privilégier la voie classique en sortie d’école vers des entreprises de matériel médical ou de services en lien avec le monde hospitalier. (Industrie pharmaceutique, fabricant ou distributeur de dispositif médical, prestataire de service hôtelier et/ou logistique pour des établissements de santé etc.)
5 GPEC : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, c’est une démarche à long terme de gestion anticipative et préventive des ressources humaines, qui se traduit notamment par une orientation des équipes vers les emplois de demain et la recherche d’un véritable équilibre, en perspective avec la stratégie de l’entreprise, entre besoins à venir et ressources humaines.