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C : Le déplacement consécutif du contrôle de l’exécution vers la formation du contrat.

190. En se fondant sur l’obligation essentielle pour évincer les clauses limitatives de responsabilité, la jurisprudence a pris pour habillage juridique la notion de cause ce qui malheureusement a déplacé le contrôle, non plus sur l’exécution de la prestation comme cela était le cas pour la faute lourde (1), mais sur la formation du contrat (2).

1 : Le fondement de la faute lourde : un contrôle de la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité.

191. Lorsque la Cour de cassation se fondait sur la faute lourde pour évincer les clauses limitatives de responsabilité, elle rendait ses arrêts au visa de l’article 1150 du Code civil ce qui permettait, comme on l’a vu précédemment, de réaliser un contrôle en fonction de ce qui a été exactement fourni par le débiteur, une fois le projet mis à exécution. Cela était plutôt logique car c’est à cet instant seulement que l’on sait si l’objet s’est ou non réalisé.

192. Cette construction avait l’avantage de maintenir une véritable cohérence dans le fondement de l’éviction de la clause litigieuse car l’article 1150 du Code civil, qui traite de ces dernières, se situe dans une section IV traitant des dommages et intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation. Or la faute lourde, c’est à dire la déviation, se produit en exécutant le contrat. Ainsi, la faute lourde est peut être une notion dont les contours restent flous. Néanmoins, elle présente l’avantage d’élaborer une construction logique. Par ailleurs, la faute lourde, étant étudiée au moment de l’exécution du contrat, avait pour réel intérêt d’élaborer une analyse circonstanciée. Néanmoins, en se fondant sur l’obligation essentielle, l’approche s’en trouve radicalement changée.

2 : Le fondement de l’obligation essentielle : un contrôle de la validité de la clause limitative de responsabilité.

193. La jurisprudence Chronopost a consacré un changement radical d’approche. En visant l’article 1131 du Code civil, la Cour de cassation se situe inévitablement au niveau de la formation du contrat. Ainsi, le contrôle des clauses limitatives de responsabilité est devenu un contrôle de validité et non un contrôle de leur mise en œuvre comme c’était traditionnellement le cas avec la faute lourde . Certes, la faute lourde n’était, pour certains, qu’un faux semblant depuis qu’on l’avait objectivée, et l’arrêt Chronopost n’aurait fait que mettre en lumière ce que l’on faisait depuis longtemps dans l’ombre : désactiver les clauses touchant une obligation essentielle. Certes, cette affirmation contient une part de vérité, mais elle passe sous silence l’approche extrémiste élaborée par les arrêts Chronopost. Bien que l’arrêt du 18 décembre 2007 ainsi que l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 novembre 2008 semblent revenir de ces dérives, cependant, il convient de remarquer qu’ils n’invitent à exercer cette modération que par rapport à l’équilibre global du contenu du contrat alors que l’ancienne jurisprudence, qui se fondait sur la faute lourde, procédait différemment en modérant le contrôle en fonction de l’étendue et de la nature de l’inexécution constatée, ainsi que des conséquences concrètes du manquement pour le créancier .

194. C’est ainsi que l’on peut regretter ce que l’on peut appeler une dérive, car l’on se prive d’éléments d’analyse très pertinents pour déterminer si le jeu de la clause est ou non légitime. En effet, l’analyse du seul contenu du contrat interdit une approche vraiment circonstanciée et, en quelque sorte, fausse le regard des juges en les contraignant, comme nous l’avons dit précédemment, à voir un déséquilibre contractuel là où, dans les faits, il n’y en a pas forcément.

§2 : Des reproches à relativiser.

195. Certes, les critiques que nous venons de voir sont fondées. Néanmoins, il est nécessaire de les relativiser car le recours à la notion de l’obligation essentielle n’est pas dépourvue de tout sens et de toute utilité. En effet, elle permet, d’une part, de faire partie des rares moyens de lutte contre les clauses abusives entre professionnels étant donné que la législation spécifique aux clauses abusives ne leur est pas applicable (A). D’autre part, l’obligation essentielle présente l’avantage d’être utilisée comme un instrument de contrôle de cohérence du contrat (B).

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