Les Dents de la mer a marqué toute une génération de spectateurs mais a également introduit une nouvelle manière de faire des films répondant au nom de blockbuster(224). Ils s’agit de longs métrages au budget très conséquent et dotés d’une très grosse promotion. Le but premier est de faire le plus gros revenu possible en attirant un maximum de spectateurs lors de ce qui se veut comme un événement. En parallèle à ce changement est apparu un nouveau phénomène : le merchandising dans lequel figurent les produits dérivés. Sous formes de jouets, jeux vidéo, livres, vêtements et autres objets, ces produits dérivés sont à leur tour une sorte d’extension du film concerné. Ceux-ci se sont imposés dès la sortie de Star Wars(225), trois ans après Les Dents de la mer. Dès lors, les produits dérivés ont pris une place de plus en plus importante et suscitent aujourd’hui un réel engouement de la part du public. Lucas avait vu juste en signant son contrat qui lui donnait 40% des résultats net du box-office et le rendait propriétaire de tous les droits des produits dérivés(226). La négociation s’est faite car personne ne pensait vraiment que le film pouvait fonctionner. Les studios se sont bien trompés et aujourd’hui encore, George Lucas gagne toujours des millions de dollars chaque année grâce aux produits dérivés. Sur la seule année 2010, les figurines en plastiques ont rapporté 510 millions de dollars(227). Il s’agit d’un succès phénoménal.
Les produits dérivés peuvent donc être une véritable source de profit pour peu que l’univers soit assez riche pour en proposer. Il est ainsi courant de voir de nombreux de ces produits accompagner les blockbusters. Associés à différents partenaires qui construisent ou distribuent ces objets, il est facile de faire la promotion des films dans de nombreux magasins tout autour du monde. La saga Cars en est un parfait exemple. En juin 2011, les produits dérivés du film de Pixar mettant en scène les voitures parlantes avait déjà rapporté 10 milliards de dollars(228) et ce, depuis 2006. Un très gros succès dû à la très grande variété de produits dérivés créés pour l’occasion. Jouets, livres, jeux vidéo, posters, céréales, gâteaux, vêtements et autres trottinettes sont disponibles dans de nombreux magasins, notamment des grandes surfaces et sont, de ce fait, très visibles. Grâce à cela, la promotion du film est aidée par les produits dérivés et inversement.
Cars ne représente cependant qu’une des différentes branches des Disney Consumer Products composés de sept catégories : Cars, Disney Chanel, Disney Fairies, Disney Princess, Mickey Mouse, Toy Story et Winnie the pooh. Disney touche ainsi à tous les publics et plus particulièrement les différents enfants. Les plus petits sont intéressés par la collection à l’effigie de Winnie L’ourson et les filles sont ravies de porter les robes des princesses Disney.
Les garçons, quant à eux, préfèrent jouer avec les voitures de Cars. Cars est d’ailleurs un très gros succès et fait partie des jouets les plus demandés par les enfants comme le dévoilent Disney Consumer Products et Disney Store dans le Most Wanted Holidays Toys de Noël 2011(229) dont voici les cinq premiers :
• Animator’s Collection Princess Toddler Dolls (Disney Store)
• AppMATes(TM) Mobile Application Toys (Spin Master)
• Cars 2 Bomb Blastin’ Mater (Mattel)
• Cars 2 Remote Control Vehicles (Disney Store)
• Princess 5-in-1 Wardrobe Set (Disney Store)
Entre les indémodables princesses Disney figurant à la première et cinquième position, se trouvent trois produits Cars. Tous sont des jouets à l’effigie des héros du film avec lesquels il est possible d’interagir.
Illustration 21 : un exemple de l’utilisation des Appmates.
Ainsi, avec les AppMATes(230), il suffit de poser ses voitures sur sa tablette iPad après avoir téléchargé l’application correspondant et ainsi permettre aux enfants de diriger les personnages dans l’univers du film. Le Bomb Blastin’ Mater (231) est aussi un véhicule mais celui-ci a la particularité de bouger les lèvres et les yeux tout en parlant. Le Remote Control Vehicles (232) , pour sa part, est une voiture télécommandée. Trois jouets qui se rapprochent fortement de leur version cinématographique aussi bien au niveau de l’aspect que des possibilités. C’est probablement ce que recherchent les enfants, revivre dans leur chambre ce qu’ils ont vécu au cinéma ou en vidéo.
Le premier point important est représenté par les personnages, toujours plus nombreux suite après suite. En plus de Cars, Toy Story est le parfait exemple de cette méthode mercantile cachée. Ainsi, dans leurs suites respectives, de nouveaux personnages sont présentés, mention spéciale pour le troisième épisode des aventures de Woody le cowboy et des nouvelles péripéties de Flash McQueen. Le nombre de personnages a décuplé. Dans Toy Story 3, les quelques survivants des épisodes précédents se retrouvent ainsi dans une garderie remplie de jouets et potentiellement nouveaux personnages tandis que Cars 2 amène le spectateur aux quatre coins du globe lui faisant découvrir toutes sortes de nouveaux véhicules vivants. La particularité de ces deux films est que les personnages sont facilement reproductibles en figurines par leur apparence de jouets ou de voitures. Les enfants peuvent posséder chez eux exactement les mêmes personnages que ceux présents dans les films surtout pour Toy Story.
Illustration 22 : le jouet et le personnage du film sont exactement les mêmes.
Toy Story est le lien parfait entre le cinéma et les produits dérivés car les héros sont des jouets. Parmi eux, des jouets déjà existants dont Monsieur Patate, Barbie ou encore le téléphone parlant Fisher-Price. Mais les figurines mondialement connues doivent partager la vedette avec de nombreux jouets conçus spécialement pour le film. Parmi eux, les deux héros : Buzz L’Éclair et Woody le cowboy. Alors que ce dernier est un jouet en peluche surmonté d’une tête en bois, le deuxième est une figurine articulée de nouvelle génération avec tout un attirail de fonctionnalités dont des ailes rabattables et un rayon laser. Le film est vite devenu une vitrine pour les enfants en créant des jouets de qualité. Buzz, par son côté futuriste, est vanté dans une pub diffusée dans le film. Il est le jouet à posséder absolument, celui-là même capable de rendre les autres jouets jaloux. Dans le deuxième volet, les personnages à la recherche de Woody entrent dans un magasin de jouets et tombent dans un rayon rempli de Buzz L’Éclair encore emballés. La chose est impressionnante d’autant plus que le film se passe cinq ans après son prédécesseur. Buzz est toujours un incontournable dans la réalité comme dans la fiction.
DreamWorks a fait de même en 1998 avec Small Soldiers(233), film de guerre dont les soldats sont des personnages en plastique. Ici, cependant, le film est une commande, celle de de Hasbro qui a signé un contrat avec DreamWorks, Coca-Cola et Burger King(234). Il s’agit d’une alliance stratégique destinée à promouvoir les jouets alors en fabrication. Alors que Burger King a misé sur plusieurs millions de dollars afin de mettre les personnages dans ses menus enfants, Joe Dante fait un film classé PG-13(235) soit déconseillé à de jeunes enfants de moins de 13 ans. Le public n’est évidemment pas le même et le réalisateur de Gremlins(236) a du retourner certaines scènes et en supprimer d’autres. Finalement, Burger King accepte le classement et revoie sa gamme de jouets. Pourtant, le film a du mal à trouver sa place entre un public d’enfants qui trouve le film trop violent et un public d’adultes qui le voit comme trop enfantin(237). Ce qui aurait pu devenir un gros coup marketing n’a été finalement qu’un échec commercial. Alors que dans Toy Story, les jouets sont sympathiques, dans Small Soldiers, ils se révèlent effrayant quand ils prennent la parole. La grosse campagne marketing destinée aux enfants s’est finalement soldée par un échec. Les jouets ne correspondaient à aucune cible.
Pixar, pour sa part, présente ses produits dérivés en premier lieu dans ses films. Par exemple, dans la publicité mettant en avant Buzz l’Éclair dans le premier épisode, on tombe dans une mise en abîme dans laquelle les personnages, aussi bien que les spectateurs, voient la même publicité. Quand cette « fausse » publicité fait prendre conscience à Buzz qu’il n’est qu’un jouet parmi d’autres, son statut change, la faisant passer de héros de fiction à figurine créé à la chaîne. L’effet est autre sur les humains, réels et fictifs, qui désirent posséder ce jouet. Même les autres jouets sont jaloux des possibilités offertes par Buzz l’Éclair. Le concept de produit dérivé est ici abordé avant d’être amplifié dans le deuxième volet quand Woody fait une découverte existentielle à son tour. En effet, le cowboy a été le héros d’une ancienne série télévisée en noir et blanc et découvre tout un tas de produits à son effigie. Pour lui, être décliné en produits dérivés dont des yoyos, lampes et autres disques vinyles, est une très bonne chose. Les produits dérivés sont la représentation d’une oeuvre dont le succès est ou a été présent. Ici, les produits dérivés de la série télé fictive Western Woody sont l’équivalent des produits dérivés Toy Story qu’on fait passer pour des objets collectors.
Woody, à l’instar de Buzz, est à son tour en pleine crise existentielle et doit faire un choix. Le premier est de rester dans un musée sous forme de produit rare destiné à être admiré par plusieurs générations d’enfants qui se succèderont et ne pourront pas jouer avec lui. Le second choix est de retourner chez son propriétaire, Andy, qui s’occupera de lui. Le musée n’est pas sans rappeler le cinéma. Woody est en vitrine mais paraît inaccessible or, quand il reprend, lui aussi, son statut de jouet pour enfant, il sort de la vitrine du musée et donc de l’écran de cinéma pour être abordable et accessible au plus grand nombre.
Toujours dans Toy Story 2, les personnages principaux en mission rentrent dans un magasin de jouets dans lequel se trouvent des rayons entiers de Buzz l’Éclair. Bien évidemment, après avoir vu le film, les enfants voudront leur Buzz l’Éclair ou un autre personnage du film. Disney y a donc pensé et propose à la vente tous les personnages du film. Il est également intéressant de noter que pour le troisième épisode, de nombreux nouveaux jouets ont été créés et présentés au comptegoutte de façon à les mettre en avant pendant plusieurs jours en attendant la présentation d’un nouveau personnage. Cela a pour but de donner envie de voir le film mais aussi d’acheter ces personnages. Cet aspect de produits dérivés est beaucoup moins présent dans les productions DreamWorks en raison d’un manque de personnages en rapport. Il y a bien quelques uns de ces produits cachés dans certaines scènes comme des peluches mais rien de réellement concret.
Les enfants sont évidemment les premiers visés dans cette mise en place de produits dérivés. Mais plus que les personnages, ce sont toutes sortes d’autres produits qui sont tirés de film. Car Toy Story 3, en plus d’être un succès au box-office mondial avec plus de 1 milliards de dollars(238), a été encore plus lucratif au niveau de ses produits dérivés avec 2,4 milliards de dollars générés(239). Ceux-ci sont un moyen inestimable de gagner beaucoup d’argent. Cars en est l’exemple le plus probant. Cars 2 est d’ailleurs soupçonné par certains journalistes d’avoir été réalisé afin de proposer toujours plus de produits dérivés(240). Il n’existe aucune réelle réponse bien entendu cependant, la mise en forme du film peut laisser présager cela.
Premièrement, l’histoire se déroule dans plusieurs grandes villes mondiales et propose donc de nombreux personnages en rapport à chaque pays avec leur propre style. Le côté film d’espionnage fait ensuite également partie de cette méthode de merchandising. Ainsi, le James Bond sur quatre roues possède de nombreuses modifications à son véhicule dont des armes tout comme Martin qui hérite lui aussi d’un grand attirail durant son périple. Des jouets tirent donc partie des spécificités propres à chaque personnage pour ainsi plaire aux enfants.
C’est donc tout un attirail de ces jouets qui sont disponibles et n’attendent qu’à trouver des propriétaires.
Pour qu’il existe des produits dérivés et afin de pouvoir les distribuer, il faut des partenaires. C’est pourquoi, Disney-Pixar et DreamWorks signent de nombreux contrats avec de grandes marques. Ils peuvent ainsi s’étendre sur tous les territoires et proposer des dizaines, voire centaines, de produits à l’effigie de leurs personnages. Ainsi, DreamWorks et Pixar signent fréquemment avec de grandes marques comme Burger King et Wal-Mart par exemple. Il s’agit d’être présent dans la grande distribution et d’atteindre un maximum de personnes dont un public familial en priorité. Cependant, Pixar dispose d’un certain avantage face à son concurrent. En effet, les produits dérivés Pixar sont, grâce à Disney, présents dans les nombreux Disney Store autour du monde et qui ne cessent de se multiplier. Ainsi, en 2012, de nouveaux Disney Store reprenant le design des Apple Store sortent dans douze nouveaux pays dont un premier en Chine(241). Il existe également de nombreux points de vente dans de grandes villes mais également dans tous les parcs à thèmes Disney. Il devient donc très facile de trouver des produits dérivés de la société sans compter les magasins des nombreux partenaires dans le monde dont les marques Simba Toys(242), Toys ‘R’ Us ou même Fnac, Virgin et Carrefour pour la France(243). DreamWorks, pour sa part, possède seulement des points de vente dans les parcs Universal Studio présents uniquement en Asie et Amérique du Nord et des magasins spécialisés également.
Le merchandising est donc un élément essentiel pour les studios mais Disney est celui qui s’en sort le mieux avec un total de 28,6 milliards de dollars encaissés en 2010 pour tous les Disney Consumer Product(244) dont 2 milliards gagnés avec la franchise Cars(245). La même année, ce chiffre atteignait tout juste 3 milliards de dollars pour DreamWorks Animation(246).
Ce dernier n’est en effet concentré que sur la production de films et doit se contenter de s’associer à des partenaires pour proposer des produits là où Disney peut se distribuer luimême la majeure partie du temps. Par exemple, pour Gang de requins, DreamWorks s’est associé avec Burger King afin de proposer dix jouets à l’effigie du film(247). En 2004, c’étaient plus de sept milles restaurants Burger King qui étaient présents aux États-Unis. Mais ce n’est pas tout, Coca-Cola, Pillsbury, Betty Crocker, Hewlett-Packard ou encore Krispy Kreme ont également participé à la promotion du film(248). Au final, les studios savent exactement comment faire la promotion de leurs films mais Pixar dispose d’une longueur grâce à Disney et son ancienneté qui lui a donné assez d’expérience et de temps pour être visible partout.
Entre parcs d’attractions, chaînes télévisées ou boutiques spécialisées, il est difficile de passer à côté des nouvelles productions Pixar. DreamWorks Animation semble tout de même en avoir conscience et décide à son tour de conquérir un territoire. Cela peut durer plusieurs années mais l’objectif est en marche. Concernant l’utilisation des nouveaux médias cependant, les deux studios sont à égalité. Internet et les nouveaux écrans étant des médias modernes, chacun a pu prendre le train en marche afin de venir attirer de nouvelles tranches d’âge. Point de différence donc si ce n’est qu’ils attirent de cette manière toujours plus de monde.
224 Tom Shone, Blockbuster, How the jaws and Jedi generation turned Hollywood into a boom-town, p. 28.
225 George Lucas, Star Wars, Episode IV : un nouvel espoir, 1977.
226 http://www.youtube.com/watch?v=dPJ2gQdKXqk. Consulté le 16 avril 2012.
227 George Szalai, « ‘Star Wars’ had record toy revenue for a non-movie year in 2010 », The Hollywood Reporter. 4 février 2011.
228 Gary Foster, « Disney Consumer Products poised for incremental retail sales growth with new Disney baby store & rich franchise investment », Business Wire. 9 juin 2011.
229 « Disney announces top ten “most wanted holidays toys“, Business Wire, 18 octobre 2011.
230 http://www.appmatestoys.com/. Consulté le 1er avril 2012.
231 http://shop.mattel.com/product/index.jsp?productId=11212941. Consulté le 1er avril 2012.
232 http://www.disneystore.co.uk/vehicles-rc-toys-toys-disney-pixar-cars-2-twin-remote-controlcars/mp/37632/1000263/. Consulté le 1er Avril 2012
233 Joe Dante, Small Soldiers, 1998.
234 http://www.thefreelibrary.com/Burger+King+Corp.+Announces+Deal+With+DreamWorks.-a019863996.Consulté le 18 avril 2012.
235 Wayne Friedman, « Burger King execs upset at ‘Soldiers’ PG-13 rating », Chicago Sun-Times. 14 juillet 1998.
236 Joe Dante, Gremlins, 1984.
237 Bill Krohn, Joe Dante et les Gremlins de Hollywood, p. 112.
238 http://boxofficemojo.com/movies/?id=toystory3.htm. Consulté le 3 février 2012.
239 Georg Szalai, « Disney was top licensor in 2010 with $28,6 billion in retail sales », The Hollywood Reporter, 17 mai 2011.
240 Dawn C. Chmielewski, Rebecca Keegan, « Merchandise sales drive Pixar’s “Cars“ franchise. », Los Angeles Times, 21 juin 2011.
241 http://www.businesswire.com/news/home/20120117005339/en/Disney-Store-Expands-Newly-Designed-Store-Concept-12. Consulté le 2 avril 2012.
242 http://www.business-standard.com/india/news/cars2-joy-ridesimba-toys/438902/. Consulté le 18 mars 2012.
243 Jason Wiels, « “Cars“ : les produits dérivés carburent au rayon jouet », La Tribune, 27 juillet 2011.
244 Op. cit., Georg Szalai, « Disney was top licensor in 2010 with $28,6 billion in retail sales », The Hollywood Reporter, 17 mai 2011.
245 Georg Szalai, « Disney: ‘Cars‘ has crossed $8 billion in global retail sales », The Hollywood Reporter, 14 février 2011.
246 Op. cit., Georg Szalai, « Disney was top licensor in 2010 with $28,6 billion in retail sales », The Hollywood Reporter, 17 mai 2011.
247 Robert Marich, Marketing to moviegoers: a handbook of strategies and tactics, p. 107.
248 Ibid., p. 108.