Dans le cas où l’oeuvre a été confiée à un tiers pour les besoins d’une exposition ou d’une
vente, se pose la question de l’indemnisation du bien détérioré perdu ou dérobé. Comme nous
l’avons vu, certaines assurances proposent des contrats couplés « assurance de responsabilité
civile professionnelle et assurance d’objets confiés », qui s’adressent aux personnes
susceptibles de recevoir la garde d’une oeuvre d’art, pour une période limitée, en vue de sa
vente ou de son exposition. En cas de sinistre, c’est la question de l’évaluation qui va être
posée, notamment quand une oeuvre a été déposée dans les locaux d’une société de ventes aux
enchères.
Le tribunal de Paris a retenu à plusieurs reprises le principe selon lequel, l’indemnisation ne
devait pas nécessairement se faire sur la base du prix de réserve(50). Il faut préciser ici que le
prix de réserve se définit comme le prix minimal en dessous duquel l’oeuvre ne sera pas cédée.
Ce prix relève d’un accord entre le propriétaire et la maison de vente. Il influe directement sur
le prix de l’estimation, puisque la fourchette basse de cette dernière ne peut pas être inférieure
au montant du prix de réserve, conformément à l’article L 321-11 du code de commerce.
Selon le tribunal de Paris, le prix de réserve malgré l’accord conclu entre le vendeur et le
commissaire-priseur, ne constitue pas la preuve d’un accord sur la valeur réelle de l’oeuvre.
Par conséquent le montant de l’indemnisation sera celle fixée par l’expert judiciaire, quand
bien même celle-ci serait inférieure au prix de réserve fixé avant la vente.
La perte de chance. Dans un raisonnement similaire, la cour de Paris a jugé que le prix de
réserve s’avérait trop élevé par rapport à la valeur réelle de l’oeuvre mis en vente. Malgré le
consentement du professionnel de l’art, le propriétaire n’est pas fondé à demander une
indemnisation supérieure à la valeur réelle de son oeuvre déterminée par l’expertise judiciaire.
Dans cette affaire, il s’agissait d’un vase Gallé de style Art Nouveau volé lors de l’exposition
avant la vente. Le prix de réserve avait été fixé à 60 000 francs, soit le prix que réclamait son
propriétaire en guise d’indemnisation. Masi selon les experts, la valeur de l’objet ne pouvait
dépasser les 25 000 francs compte tenu des prix du marché. La Cour estimait que « le
préjudice résultait du fait de la disparition du vase, de perte d’une chance de le vendre au
prix de 60 000francs au moins(51) ». La cour pose cependant une condition, celle d’avoir une
« chance réelle et sérieuse » de vendre l’objet à ce prix. En l’espèce les juges ont estimé qu’il
n’apportait aucune preuve de l’existence de cette « chance ». Nous le voyons, l’indemnisation
repose sur l’estimation faite par l’expert judiciaire. Dans le cadre de l’art contemporain, la
preuve de la valeur d’une oeuvre à un moment précis peut être particulièrement difficile à
apporter. La perte de chance aura d’autant plus de mal à être démontrée que la valeur d’une
oeuvre varie fortement.
Deux situations peuvent être dégagées. Soit l’oeuvre disparaît entièrement suite à un vol ou un
sinistre, soit elle se trouve endommagée. Dans le premier cas, l’expertise peut se révéler
problématique car aucun élément matériel ne pourra venir appuyer l’expertise. C’est la
question de l’authenticité qui se trouve alors au coeur du débat. Le prix d’une oeuvre étant
principalement déterminé par son degré d’authenticité. Ainsi une toile du peintre de l’école de
Barbizon, Narcisse Diaz, devait être mise en vente, pour une valeur estimée à 15 000 euros,
avant de disparaitre. Or l’expert qui avait vu l’oeuvre avant le préjudice, dans de mauvaises
conditions, n’avait pu en garantir l’authenticité et l’avait évalué aux alentours de 150 euros.
Le tribunal décidera d’accorder une indemnisation d’un montant de 1500 euros au titre du
préjudice subi par le propriétaire(52). Dans le second cas, puisque l’objet reste à la disposition
des experts, son authenticité est plus facilement vérifiable, même si la perte de chance est
toujours difficile à évaluer dans le cadre des ventes aux enchères.
Afin de limiter le risque d’une remise en cause de l’authenticité d’une oeuvre, on
recommandera à chaque propriétaire de procéder à une expertise préalable qui, si elle
n’assurera pas d’une indemnisation identique à la valeur réelle, permettra d’établir une base
d’indemnisation la plus proche possible de la valeur espérée.
50 TGI Paris, 1er chambre, 24 février 1993 Juris Data N°043428
51 CA Paris, 1er chambre, 31 janvier 2000, Gazette du Palais 2000, P.757
52 TGI Paris, 1ere chambre, 30 novembre 1982, journ C P 1982 p.172