62. La demande en justice, comme tout instrument juridique a des attributs et des modalités. La qualification de la déclaration de créance en demande en justice permet à la Cour de Cassation d’en déduire que la déclaration de créance dispose des mêmes attributs que la demande en justice concernant les pouvoirs du juge-commissaires et la diversité des demandes qu’il est possible de former (I) mais lui permet également de faire découler les règles du code civil relatives à la demande en justice sur la déclaration de créance (II).
I/ Conformité des attributs de la demande en justice du point de vue des pouvoirs du juge-commissaire et de la possibilité de former diverses demandes
63. La demande en justice revêt plusieurs aspects, notamment en ce qu’elle permet qu’une grande variété de demandes puisse être mise en oeuvre dans le cadre de la déclaration de créance (B), et également, en ce qu’elle limite les pouvoirs du juge d’exception, ce qui dans le cadre de la déclaration de créance, revient à limiter les pouvoirs du juge-commissaire (A).
A) Identité des pouvoirs du juge-commissaire avec ceux d’un juge d’exception
64. Dans le cadre de la vérification et de l’admission des créances, le juge-commissaire dispose d’une compétence exclusive qui interdit à tout créancier de poursuivre l’admission de sa créance devant un tribunal.
Et ce, même si le créancier cherche uniquement à obtenir paiement par le jeu de la compensation. En effet, seul le juge-commissaire est compétent en la matière.
65. Néanmoins, le juge-commissaire a des pouvoirs limités. En effet, il ne peut que déterminer l’existence, le montant et la nature de la créance, de sorte qu’il se trouve incompétent pour statuer sur la rupture d’un contrat ayant donné naissance à la créance ou sur sa validité(24), ou encore sur l’exécution défectueuse du contrat.
66. De même dans un arrêt de 2006(25), la Cour de Cassation a estimé que le juge-commissaire était incompétent pour apprécier l’inopposabilité d’un contrat de cautionnement à la société débitrice pour défaut d’autorisation du conseil d’administration.
67. Lorsque le juge-commissaire se trouve confronté à de tels arguments, il doit surseoir à statuer sur l’admission de la créance et il doit inviter les parties à saisir le juge compétent. Le juge-commissaire ne statuera donc sur la créance qu’après que les juges compétents auront donné leur réponse. Puis, le cas échéant, le juge-commissaire admettra la créance à hauteur du montant qui aura été arrêté par le tribunal compétent.
68. Cette limitation des pouvoirs du juge-commissaire semblent contredire la règle du code de procédure civile qui stipule que le juge de l’action est également celui de l’exception(26). En effet, par définition le juge de l’action connaît des procédures incidentes dès lors qu’elles présentent un lien de connexité avec la demande initiale.
69. Cependant, cette règle n’est pas absolue puisqu’elle ne vaut que devant le juge du droit commun et non devant le juge de l’exception. Or le juge-commissaire se trouve être une juridiction d’exception. Pour cette raison, la règle qui doit être respecté est l’interdiction de prorogation de compétence pour connaître des demandes incidentes devant une juridiction d’exception(27).
70. Dans un arrêt du 16 septembre 2008(28), la Cour de Cassation a estimé que « (…) le juge commissaire et la cour d’appel, statuant en matière de vérification des créances, sont compétents pour statuer sur la créance, dès lors que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat ne constitue pas l’objet du litige et que l’obligation de remboursement incombant à la société n’est pas discutable ; que la cour d’appel, qui ne s’est pas fait juge de l’exécution du contrat, mais s’est borné à vérifier l’existence et le montant de la créance, a légalement justifié sa décision ».
71. Ainsi la Cour réaffirme que l’étendue de la compétence du juge-commissaire n’a pas varié en matière de vérification des créances.
72. En ce sens, l’assimilation de la déclaration de créance à une demande en justice faite par la Cour de Cassation a permis de limiter les pouvoirs du juge-commissaire en sa qualité de juridiction d’exception. Et ce faisant, cela a permis d’accélérer la procédure collective et de désintéresser les créanciers plus rapidement.
B) Existence d’une variété des demandes dans le cadre d’une déclaration de créance comme pour une demande en justice
73. La déclaration de créance équivaut à une demande en justice, mais il y a plusieurs variétés de demandes. La déclaration de créance est considérée comme une demande initiale.
« La demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses prétentions. Elle introduit l’instance. »(29). La déclaration de créance tendant à faire reconnaître sa créance dans le but d’être payé constitue donc la demande initiale.
74. Néanmoins, il peut y avoir une déclaration de créance pour créance éventuelle, et dès lors il convient de faire une estimation maximum du montant qui pourra être dû afin que lorsque la créance sera certaine, son montant en soit fixer définitivement. Les créanciers concernés sont majoritairement les organismes fiscaux et sociaux qui déclarent tout d’abord leur créance à titre provisionnel et qui sont donc obliger de procéder ensuite à une déclaration à titre définitif.
75. Comme le rappelle Pierre-Michel LE CORRE, cette déclaration de créance complémentaire est une variété de demande dite « additionnelle » qui doit être présentée dans les délais de l’action, c’est-à-dire, dans le délai imparti aux créanciers pour déclarer leurs créances(30).
76. La demande additionnelle est une demande par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures, en y ajoutant ou en les augmentant(31). Cette demande doit présenter un lien suffisant avec les prétentions originaires(32) et doit être formée de la même manière que sont présentés les moyens de défense(33), c’est-à-dire par voie de conclusion.
77. C’est dans cette perspective que dans un arrêt de 2006(34), la Cour de Cassation a admis que l’URSSAF puisse rectifier son erreur purement matérielle consistant en une conversion de sa créance de francs en euros.
78. En faisant cela, la Cour de Cassation s’est inscrit dans un courant jurisprudentiel qui admet la déclaration rectificative lorsque la déclaration de créance comporte une erreur purement matérielle. Et cette déclaration rectificative est admise alors même que le délai de déclaration des créances est expiré(35).
79. Néanmoins cette exception est circonscrite à la commission d’une erreur matérielle, laquelle est définie comme la mauvaise traduction d’une pensée juste. En aucune façon la cour de Cassation ne pourra admettre une déclaration rectificative en raison d’une omission(36).
80. On voit bien ici que la qualification donnée par la Cour de Cassation a permis d’appliquer à la déclaration de créance le droit commun de la demande en justice. Ceci a permis que la déclaration de créance qui est une demande initiale puisse être assortie de demandes additionnelles et des rectifications d’erreur matérielles.
II / Application des règles du code civil relative à la demande en justice sur la déclaration de créance
81. Lors d’une action en justice, de nombreuses règles du code civil ont vocation à s’appliquer.
C’est le cas notamment en ce qui concerne la représentation du demandeur à l’instance dès lors qu’il ne fait pas lui-même les formalités et qu’elles ne sont pas réalisées non plus par un avocat (B).
D’autres principes propres à la demande en justice ont également vocation à s’appliquer à la déclaration de créance, par exemple la subrogation (A).
A)Exercice de la subrogation en cas de déclaration de créance
82. La subrogation est un mode de transmission des créances. Elle consiste à transférer à celui qui a effectué le paiement qui était dû au créancier les droits de celui-ci. La subrogation résulte tantôt d’une convention, on parle donc de subrogation conventionnelle(37), tantôt de dispositions légales, on parle alors de subrogation légale(38).
83. Le Code civil précise que la subrogation « a lieu tant contre les cautions que contre les débiteurs »(39). Le subrogataire (bénéficiaire de la subrogation), devient le créancier du subrogé en lieu et place du créancier initial (le subrogeant). Du fait de la subrogation, le subrogataire peut exercer à l’encontre du débiteur les droits et actions dont disposait le subrogeant.
84. En toute logique, puisque la déclaration de créance équivaut à une demande en justice, il est normal que la caution qui a payé le créancier se retrouve subrogé dans les droits de celui-ci et puisse donc bénéficier de la déclaration de créance qui avait été effectué par le créancier initial.
85. Dans un arrêt de 2009(40), la Cour de Cassation a estimé que lorsque le créancier a déclaré sa créance et qu’elle a été admise, alors la caution qui a payé le créancier bénéficie par subrogation de la déclaration de créance.
86. Comme François LEGRAND et Marie-Noëlle LEGRAND le soulèvent(41), cet arrêt distingue deux types d’actions : l’action personnelle et l’action subrogatoire.
87. Si la caution exerce une action personnelle, elle doit avoir déclaré sa créance qui est née au jour de la signature de l’acte de cautionnement. En revanche, si elle exerce le recours subrogatoire, la caution peut bénéficier de l’admission que le créancier avait obtenue après avoir déclaré sa créance.
88. De même, en principe, l’assureur qui a indemnisé son client suite à un sinistre devient créancier du responsable du dommage par l’effet de la subrogation et pourra lui réclamer le montant qu’il a versé à son assuré.
89. Un arrêt du 7 février 2012(42) transpose cette règle au droit des entreprises en difficulté. L’arrêt énonce que l’assureur est subrogé dans les droits et actions de son assuré et peut se prévaloir de la déclaration de créance à la procédure collective de l’auteur du dommage faite par ce dernier.
B) Représentation du demandeur : utilisation de la théorie du mandat
90. Un autre intérêt pour la Cour de Cassation de considérer qu’il y a une équivalence entre la déclaration de créance et une demande en justice réside dans la représentation au cours de l’exercice de l’action.
91. En France, « nul ne plaide par procureur » ! Cette maxime reprend bien ce qu’énonce le nouveau code de procédure civile qui prévoit que « les parties se défendent elles-mêmes. Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix. Le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial »(43).
92. De plus, le code de commerce prévoit que « la déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix »(44). Il en résulte qu’en combinant ces deux règles, si le créancier ne déclare pas lui-même sa créance, il devra fournir un mandat à son représentant non avocat.
93. Ce mandat sera différent selon que le représentant est un préposé ou un tiers. Le préposé est celui qui est tenu par un lien de subordination, et il n’aura donc pas à disposer d’un mandat ad litem, mais d’une délégation de pouvoir. Néanmoins, la délégation de pouvoir doit émaner des personnes qui ont le pouvoir de représenter la société.
94. En revanche, si la déclaration de créance est faite pas un tiers, alors l’exercice de ce droit d’action relève du droit du mandat. Le tiers devra disposer d’un mandat ad litem, ce qui signifie qu’il a « pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de procédure »(45).
95. Dans un avis, suite à un arrêt du 26 mars 2010(46), Madame PETIT précise que le mandat doit être écrit et que son existence ne peut se déduire des circonstances de la cause. Le mandat doit exister au moment de la déclaration, c’est-à-dire qu’il doit l’accompagner ou être produit au plus tard dans le délai de déclaration.
96. La raison découle de la notion même de demande en justice qui fait s’appliquer les règles du code de procédure civile, notamment celle qui prévoit que la personne qui entend représenter une partie doit justifier qu’elle en a reçu le mandat(47).
97. Cette position a été affirmé par la Cour de Cassation dans un arrêt de principe de l’assemblée plénière du 26 janvier 2001 : « Attendu que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice ; que la personne qui déclare la créance d’un tiers doit, si elle n’est pas avocat, être munie d’un pouvoir spécial donné par écrit ».
98. Cette solution a permis à la jurisprudence de considérer qu’un huissier(48), la secrétaire d’un avocat signant pour ordre(49) ou encore un avoué(50) qui déclarent la créance d’un tiers ne sont pas dispensé de justifier d’un pouvoir spécial.
99. Le cas de la déclaration de créance faite par la secrétaire de l’avocat permet d’insister sur la règle qu’a posée la Cour de Cassation(51), à savoir que la dérogation ne vaut pour aucune autre profession juridique ou judiciaire que celle d’avocat, et même lorsque c’est un avocat, la déclaration de créance ne vaut que si celui-ci signe personnellement es qualités. Le pouvoir attaché au mandat ad litem ne peut être délégué par l’avocat de sorte que la secrétaire de l’avocat ne saurait valablement signer pour ordre quand bien même elle est un préposé de l’avocat.
24 Cass, Com., 5 novembre 2003 – N°00-17.773
25 Cass, Com., 7 février 2006 – N°04-19.087
26 Art. 49 NCPC
27 Art 51 al 2 NCPC
28 Cass, Com., 16 septembre 2008 – N°07-15.982 ; Arlette MARTIN-SERF, « Déclaration et vérification des créances. Le juge-commissaire n’est pas juge de l’exécution d’un contrat mais doit se borner à vérifier l’existence et le montant de la créance déclarée », RTD Com. 2009, p 454
29 Art 53 NCPC
30 Pierre-Michel LE CORRE, « Déclaration des créances », Gaz. Pal. 20 janvier 2007, n°20, p 40.
31 Art 65 NCPC
32 Art 70 NCPC
33 Art 68 al 1 NCPC
34 Cass, Com., 7 novembre 2006 – N° 05-17.334
35 Cass, Com., 15 novembre 2005 – N°04-18.555
36 Cass, Com., 10 juillet 2001 – Caixabank c/ Duval et Laroppe ès qualités, 6 arrêts
37 Art 1250 C. Civ
38 Art 1251 C.Civ
39 Art 1252 C.Civ
40 Cass, Com., 12 mai 2009 – N°08-13.430
41 F. LEGRAND, M.-N. LEGRAND, “Ouverture du recours subrogatoire à la caution en cas de déclaration de créance par le créancier », Rev. Proc. Coll. N°1, janvier 2010, Comm. 16
42 Cass, Com., 7 février 2012 – N°10-27.304
43 Art 853 NCPC
44 Art L622-24 al 2 C.Comm
45 Art 411 CPC
46 Cass, Ass.plén., 26 mars 2010 – N°09-12.843, Avis de Madame PETIT, Premier avocat Général
47 Art 416 al 1 CPC
48 Cass, Com., 13 novembre 2002, Bull., 2002, IV, n°163
49 Cass, Com., 17 février 2009, Bull., 2009, IV, n°25
50 Cass, Com., 29 novembre 2005, Bull., 2005, IV, n°235
51 Alain LIENHARD, « Déclaration de créance, pouvoir de la secrétaire d’un avocat », D. 2009, p 627
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