1.1. THE BEAT GENERATION
« Beat, the unspeakable visions of individual. » (1)
Jack Kerouac
Lorsque nous employons des termes génériques pour nommer des courants artistiques contemporains, nous sommes souvent confrontés au doute s’il s’agit d’en définir les frontières. Qui pourrait avec exactitude délimiter le cadre impressionniste en peinture, qui pourrait établir une frontière infranchissable entre musique rock et musique punk, ou encore entre le cinéma avant-gardiste et le vidéo art. Bien souvent ces appellations sont le fait de critiques cherchant à établir des oppositions claires entre différents artistes afin de mieux les confronter aux yeux du public et, parfois, de créer une rivalité superficielle visant à mieux se faire connaître eux-mêmes par les mécanismes de polémique et de médiatisation. S’il est un fait qu’un cadre référentiel, composé d’une idéologie et de codes en détenant les bases, existe pour la plupart des mouvements artistiques que nous connaissons, bien malin serait celui qui pourrait en définir des frontières claires et intangibles.
Dans le cadre de la Beat Generation, c’est un journaliste qui en fut à l’origine avant que ces auteurs eux-mêmes n’en corrigent la définition, refusant de se rassembler sous une bannière qui de par sa croissance va attirer de plus en plus de personnes n’ayant pas la même philosophie de vie ni la même philosophie artistique que la leur. Car le terme « beat » n’a pas de réelle définition. Pour ces créateurs, il est perpétuellement en mouvement, redéfini, renégocié à la fois esthétiquement, philosophiquement et spirituellement au cours du temps.
Au départ, il signifiait « vagabond » et provenait de la simple envie d’un groupe d’étudiants universitaires de ne plus rester figé dans le carcan protecteur des études et de se confronter au monde au lieu de perdre leur temps sur les bancs de l’université. Et c’est précisément cette confrontation à la société, à la vie, qui fit évoluer constamment les auteurs de la Beat Generation et la définition de leurs propres envies. Se retrouvant face au monde, ils se considérèrent d’abord comme des gens modestes, sans attache matérielle ou familiale, des personnes simples allant d’expérience en expérience.
Puis, alertés par la détresse récurrente qu’ils rencontrèrent lors de leurs errances, confrontés quotidiennement au « way of life » américain dicté par le gouvernement et, surtout, pris d’une soif de culture grandissante de jour en jour, à travers des auteurs contestataires tels que Lautréamont, Céline, Blake, Artaud, Whitman…, quelques personnes élargirent significativement le champ de réflexion de ce mode de vie en un lieu d’ouverture à toutes formes de nouvelles idées, un lieu qui prône l’humilité comme élément fondateur de la réceptivité à une « vision ». Il s’agissait de surpasser l’Ego et de s’ouvrir au Monde.
C’est par cette volonté d’expérimenter le monde à travers l’errance, au rythme de la vie, que le terme « beat » sera assimilé à la pulsion rythmique du jazz puisque le jazz est lui-même le fruit d’une improvisation, d’un rythme de vie qu’adopte une tranche de la population marginalisée.
Cette « vision » se veut à la fois singulière, psychologique, spirituelle, esthétique et contestataire. Il s’agit en réalité de retrouver l’être humain dans sa définition la plus noble.
Cette quête s’incarnera derrière trois grandes figures : Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs. Ils seront chacun, à leur manière, des précurseurs d’un mode de pensées différent, mais sont reliés par la notion pure de liberté. Kerouac dira en 1948 « qu’il s’agit par le quotidien d’apercevoir le visage de Dieu, une illumination »(2), tout en étant également très conscient de la réalité sociale, comme le dit un de ses amis poètes, John Clellon Holmes, pour qui il faut « être, d’une façon non dramatique, au pied de son propre mur »(3). Ici se trouve l’un des paradoxes essentiels de la Beat Génération qui ne cessera d’osciller entre glorification de l’expérience quotidienne et quête spirituelle singulière. Mais quelle que soit l’expérience, elle est toujours liée à celui qui en emprunte la voie et celui-ci est libre d’envisager le monde selon sa propre intériorité, en dehors de toute volonté imposée. L’être doit faire confiance en ses propres capacités, en sa singularité. L’Homme doit se retrouver en dehors de tout système social.
Il n’est dès lors pas surprenant de voir que ces auteurs veulent s’exprimer cinématographiquement par le biais de l’autobiographie et de la performance pour traduire leur intériorité. De la même manière, ils envisagent le langage cinématographique, et artistique dans sa globalité, comme issu d’un ressenti personnel et non d’un schéma tracé par son passé historique. Cet attachement correspond à une démarche généralisée dans le domaine de l’art qui n’est autre que le reflet d’une société qui se sent prise au piège par les pouvoirs politiques. Il s’agit alors de décloisonner l’art de toutes ses règles formelles et de la censure.
1.2. CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE
« In the U.S. you have to be a deviant or die of boredom »(4)
William Burroughs
Les auteurs de la Beat Generation apparaissent après la Seconde Guerre mondiale. À cette époque de grande peur s’est succédée une nouvelle ère dominée par d’autres problématiques politiques, liées à la guerre froide en général, comme la paranoïa du communisme et de l’armée rouge (« the rade scare »), issue du Maccarthisme, ainsi que de la chasse aux sorcières ou encore de l’invention de la bombe atomique. L’Amérique est en perpétuel état d’alerte et le peuple pense pouvoir entrer à nouveau en guerre à tout moment.
De ces tensions internationales naît une nouvelle génération de jeunes gens qui ne se sentent pas en phase avec les objectifs gouvernementaux que cela soit dans les affaires externes comme dans la gérance interne très conservatrice et consumériste de leur pays. Ils s’opposent progressivement à la culture dite « mainstream » mise en place à travers des valeurs américaines telles que le patriotisme, l’impérialisme, le capitalisme, le matérialisme, la compétition, l’ascension sociale, le respect des normes de la famille et des institutions. Ils se révoltent contre la conformité sociale et son système victorien où un couple hétérosexuel doit comporter un père qui travaille lorsque la mère garde les enfants à la maison. Ils clament une autre manière de penser, une autre conscience politique issue de nos visions personnelles refoulées par l’ordre social, par le sens commun véhiculé par les politiques, par la religion,
par le système industriel et par la télévision.
Avec plus de force encore, ils s’opposent aux inégalités entre classes sociales, à l’homophobie, aux clivages raciaux, à l’antisémitisme ambiant, en pleine époque de fondation de l’état d’Israël, et au racisme noir encore très fort présent.
Les différentes institutions se trouvent donc confrontées à une nouvelle génération de jeunes refusant le contrôle social et refusant aussi d’être mis en marge de la société. Ils veulent se faire entendre.
Frédéric Robert, dans « Révoltes et utopies, la contre-culture américaine »(5), explique que l’acte fondateur de la culture beat, là où tous ces jeunes se trouvèrent une identité commune, sera la « Six Gallery Reading » (1955, San Francisco) qui était une manifestation publique de performances artistiques pour jeunes poètes. Plusieurs auteurs, dont principalement Allen Ginsberg, avec son poème « Howl » (1955), impressionnèrent les foules par la vitalité de leurs écrits aux formes méconnues, libres de tous codes esthétiques et vivement contestataires envers le mode de vie américain. « Howl » deviendra d’ailleurs le manifeste historique d’une esthétique révolutionnaire nouvelle. Il ancra la jeunesse dans une époque qu’elle désire provoquer par le cri afin de sortir de son mutisme. Cet élan, directement appuyé par l’arrivée des livres de Kerouac, « Sur la route » (1957) et de Burroughs, « Junky » (1953), prend alors son essor pour durer jusqu’au début des années septante. De nombreux auteurs tels Cassady, Corso, Kaufman, Ferlinghetti et bien d’autres encore vont se greffer à ce souffle de liberté nouveau, de spiritualité et d’épanouissement individuel à l’encontre de la classe bourgeoise et bien évidement de la nation de « l’ordre ».
À partir de ce moment là, tous vont se référer à la phrase de Burroughs dans « Minute to Go » : « Nothing is true, everything is permitted »(6) qu’il utilisera à maintes reprises dans tous ses écrits. Ainsi, ils manifestent leurs envies d’émancipation par des actes radicaux ; drogues, alcool, liberté sexuelle, volonté de créer le désordre public, explorations religieuses et mystiques dans toutes les cultures, voyages… L’autobiographie artistique, de par le voyage initiatique qu’ils empruntent, devient la forme d’art dominante pour ses écrivains et poètes.
Elle incarne bien à la fois la routine quotidienne de personnes marginalisées, en lutte contre un système, et la recherche d’une expérience illuminée et glorieuse afin de valoriser à nouveau l’âme humaine. Ainsi, les poètes suivent la dénonciation de Kerouac à l’égard des dirigeants contemporains : « Ils sont la folie absolue et la fantastique horreur de New York avec ses millions et ses millions d’êtres humains qui se battent indéfiniment entre eux pour un dollar »(7). A ce système du capital, ils y opposent l’être humain dénudé de toute structure sociale.
Comme l’écrit Frédéric Robert : « entre révoltes et utopies, la Beat Generation s’est efforcée de redessiner un paysage culturel américain considéré par ses partisans comme étant aseptisé, stéréotypé et austère, en lui donnant plus de relief, plus d’âme, plus de couleurs, plus de bruits, plus de drogues et plus de sexe, malgré certaines critiques inévitables provenant d’une Amérique bien-pensante, réfractaire à ce type de pratiques »(8)
Mais, la Beat Generation n’aspire pas qu’à une simple mutinerie sociale et culturelle, elle aspire également à une renaissance spirituelle. Elle veut atteindre un univers plus profond que celui de la revendication. Ce qui fera donner un énième sens au terme « beat » celui de « beatific »(9). Après être passé par la représentation du vagabondage, puis d’un rythme improvisé de jazz comme mode de vie, le terme s’élargit donc à l’expérimentation introspective dans le but de trouver par le singulier ce qui relève de la totalité, l’essence même de la vie, et de libérer l’Homme de sa structure sociale.
Toutes ces oppositions au système en place ne vont pas se faire sans réaction. La première sera de catégoriser les auteurs beat d’artistes de la contre-culture c’est-à-dire comme un front commun, issu du milieu underground, contre la culture établie et véhiculée par le gouvernement et les grandes sociétés de production. Bien qu’eux-mêmes affirment s’opposer à la culture dominante, cette classification radicale est une manière de les marginaliser, de les rendre dangereux aux yeux du grand public, les associant aux drogués, brigands et autres meurtriers dont a peur une large tranche de la population. C’est également une manière claire de leur fermer la porte au niveau de la production et ainsi, en les considérant comme dangereux, de n’avoir aucun financement, ou aucune affiche, à partager avec eux. Dès lors, les artistes de la Beat Generation doivent se débrouiller entre eux, sans financement ni visibilité, mais avec leur force de conviction et la volonté de ne jamais céder aux approches alléchantes de l’opposant. Cela implique une lutte sans relâche contre la censure et une lutte pour être diffusé qui parfois les mènera jusqu’en prison afin de faire taire leurs opinions.
Lors de l’arrivée de la génération hippie dans les années soixante, les marques et multinationales tentent même de récupérer la main en instrumentalisant ces mouvements à travers la publicité. Ils « achètent » d’une certaine manière les contestataires les plus fragiles.
Frédéric Robert cite comme exemple la marque Pepsi ou les jeans Lévi Strauss reprenant l’image vintage véhiculée par les hippies en les mettant en scène dans des publicités utilisant des événements comme Woodstock. Les marques souhaitent être assimilées au souffle de liberté de l’époque et vont ainsi, petit à petit, se remettre en selle.
« Like the new poet, the new film-maker is not interested in public acceptance. The new artist knows that most of what’s publicly said today is corrupt and distorted. He knows that the thruth is somewhere else, not in the NY Times and not in Pravda. He feels that the he must do something about it, for is own conscience, that he must be rebel against the tightening web of lies.” Jonas Mekas(10)
1.3. DE L’AVANT-GARDE AU BEAT CINEMA
« We were realy outsiders »(11)
Robert Frank
Si les poètes de la Beat Generation se sont intéressés au cinéma, c’est parce qu’ils ont perçu, à travers l’avant-garde cinématographique, la possibilité de s’exprimer avec une grande liberté. En effet, depuis les années 1920, cette avant-garde travaille sur toutes les formes que le cinéma peut engendrer et en fait un laboratoire d’expérimentations visuelles. Ce laboratoire avant-gardiste n’a aucune limite et les oeuvres peuvent aussi bien laisser penser à une approche documentaire sensorielle de la vie qu’à de l’art plastique où seule l’abstraction est mise en relief. Il s’agit dans tous les cas de questionner le rôle de l’imagerie, de sa présence grandissante et de ses différentes manières de la formuler.
Avec ces avant-gardistes, les auteurs beat vont s’inspirer de leur savoir-faire pour creuser encore plus loin leurs propres envies de singularité. Ils vont dès lors transposer leur volonté esthétique existante en littérature vers le cinéma et décider de mettre l’accent sur leurs aspects autobiographiques, leurs envies de spontanéité, leurs obsessions de dévoiler un monde réel émancipé alors que les cinéastes de l’expérimentation pure, plus vidéastes que poètes, resteront beaucoup plus attachés à la manipulation abstraite de la matière visuelle. Les poètes privilégieront la place de l’homme dans le monde. Même lorsqu’ils décideront de réaliser des expérimentations sur la seule structure du langage cinématographique, ils le feront dans le but de mettre l’homme en relation avec le monde qui l’entoure de manière directe et non par le biais d’une abstraction visuelle dominante. Ils chercheront constamment à mettre l’homme au premier plan et non le cinéma.
Néanmoins, il est impossible de créer une frontière nette entre auteurs de la Beat Generation et auteurs de l’avant-garde en général. Leurs expérimentations respectives constituant des champs esthétiques qui, de par la liberté qu’ils s’accordent, s’imbriquent et se séparent constamment. La démarche de ce mémoire se propose donc bien plus d’en analyser le contenu, d’en interroger le rôle à travers les images, que d’en délimiter les contours ou une quelconque frontière.
Le Beat Cinema prend donc son essor dans la deuxième partie du vingtième siècle. Les années 50 sont une période de transition en cinéma où le « Tout-Hollywood » vacille avec l’avènement de la télévision. Pour répondre à cette nouvelle technologie, les maisons de production, qui ont vu la fréquentation des salles diminuer de manière drastique, décident de mettre à l’écran des films qui doivent être les plus spectaculaires possible et par conséquent très coûteux. Hollywood tente de regagner le coeur de ses spectateurs, on leur offrant du nouveau, du spectaculaire comme l’apparition du cinémascope, les péplums, les westerns et les comédies musicales.
Dans ce contexte, les clivages sociaux, sexuels et raciaux de l’époque qui n’épargnent pas le cinéma, éternel reflet en même temps que créateur de la société, vont être peu abordés.
Les maisons de production hollywoodiennes, trop fragilisées, ne veulent pas prendre le risque de bouleverser leur manière de fonctionner et préfèrent asseoir avec sûreté leur position dans un grand spectacle fictionnel proposé comme, par exemple, « Singin’ in the rain » (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly, ou encore « The Robe » (1953) d’Henry Koster, un péplum connu comme étant le premier film en cinémascope.
Dans « screening the beat, media culture and the beat sensibility »(12), Donald Bogle, historien du cinéma, constate que l’évolution des moeurs se répercute dans le cinéma des années 50, mais de manière très discrète au niveau hollywoodien. En 1952, Ethel Waters est une des premières actrices noires à pouvoir incarner un rôle dans une superproduction américaine « The members of weeding » de Zinneman et Kramer. Sydney Poitier, Dorothy Dandrige et Harry Bellafonte en feront de même. Mais, Bogle ne peut que constater le caractère limité de ces rôles et le relatif échec de ces films noyés dans la masse des films hollywoodiens. De plus, les producteurs n’auront de cesse de focaliser les films sur des problèmes périphériques comme ceux de couple, d’amour, ou de tout autre chose pouvant attirer l’attention et éviter de mettre en avant la gêne même de la société de l’époque ; la différence de couleur. Le cinéma est à l’heure du spectacle et non de l’analyse sociale pour des entreprises qui trouvent petit à petit un second souffle et tentent d’asseoir une nouvelle fois leur pouvoir de contrôle sur la production cinématographique. Les problèmes raciaux ne sont donc pas vraiment abordés, mais les questions apparaissent et ce début d’incendie fait qu’elles se poseront réellement dans les années soixante.
Les premiers films où se développeront quelques prémices du cinéma beat, et plus largement d’une société en rébellion, sont « The wild one » (1953) de Laslo Benedek et « Rebel without a cause » (1955) de Nicholas Ray, ayant respectivement pour acteur Marlon Brando et James Dean. Dans ces films l’esthétique et l’impertinence beat n’existent pas encore, mais l’envie de liberté criée par leurs auteurs, et la jeunesse s’y présentant, répond aux ambitions des membres de la Beat Generation. On y pressent les symboles d’une génération anarchique contre le système social dans son entièreté, une génération qui ne veut plus se laisser faire, une génération de têtes brûlées. Dans « screening the beat, media culture and the beat sensibility », David Sterritt dit : « Ce qui fut bon signe c’est que le public répondit présent à ces films en allant même jusqu’à se poser la question « what have we done to deserve this ? »(13) Au-delà de la qualité esthétique de ces films, ou des rapports qu’ils peuvent entretenir avec le cinéma beat, une brèche était ouverte dans l’esprit des spectateurs.
En parallèle à la production cinématographique, et depuis bien longtemps, les artistes constituant l’avant-garde américaine ont pour point commun la volonté d’être en dehors du vaste répertoire des codes de la société à travers la peinture, les performances, les arts plastiques, le vidéo art, la musique. Ils se constituent en un grand mouvement contestataire à la fois sur le plan artistique que social et politique. Ils vont alors explorer des espaces communs et leur envie de révolte se généralise à tous les artistes contemporains si bien qu’ils s’imposent à la société des patrons qu’ils le veuillent ou non. Une avant-garde très étendue est en train de naître par la force de son unification et le but même de ce mouvement général est de ne pas attendre que toutes les conditions soient réunies pour se confronter à l’inconnu. Cette volonté d’anticipation, et des sacrifices possibles qui lui sont liés, va énormément plaire aux auteurs beat, connus pour leurs écrits subversifs depuis le début des années 50, et qui n’attendent que de pouvoir affirmer leur révolution.
On trouve alors des artistes peintres qui laissent libre cours à leur intériorité et séduisent les critiques, comme les foules, à l’instar de Jackson Pollock et de Jean-Michel Basquiat, premier peintre connu de couleur. Ils rejoignent ainsi les obsessions de Jack Kerouac et ses confrères pour qui l’art est avant tout l’expression instantanée de son intériorité, une introspection reliée aux dépassements des normes esthétiques et sociales. De même, d’autres artistes plasticiens vont travailler sur le concept de hasard comme Nikki de Saint-Phale, César, Armand,… très vite ils aborderont le hasard mécanique comme William Burroughs le préconise dans ses expérimentations sur le langage. Ces peintres vont populariser à leur manière l’idée de ne plus être dans une représentation du monde, mais de proposer une vision qui révèle l’univers à la fois intérieur et extérieur de l’être humain. Ainsi, un jeu d’influence réciproque se met en place et, très vite, avant-gardistes et auteurs beat vont s’unifier pour collaborer sur plusieurs projets et idées en gardant chacun leur identité propre.
Ce rassemblement va se réaliser à travers deux concepts très importants dans l’art contemporain et qui, même s’ils existent déjà en art plastique, vont se généraliser : l’oeuvre ouverte et l’oeuvre ouverte en mouvement. Ces deux aspects sont importants car ils questionnent le cloisonnement esthétique de l’art. Comme le souligne Umberto Eco dans son livre « L’oeuvre ouverte »(14), toute oeuvre d’art implique une communication. Elle projette un message doué de différentes possibilités interprétatives en fonction du récepteur et de sa culture personnelle. On peut dire qu’il existe dans l’oeuvre d’art une pluralité de signifiés formés par un signifiant, cette structure étant établie par l’artiste de manière stable. Du point de vue du récepteur, l’oeuvre peut donc toujours être perçue de manière différente sur base de l’idée créatrice de l’auteur.
Si l’on peut appliquer ce principe de la pluralité interprétative à toutes les oeuvres d’art depuis toujours, de nouveaux artistes vont en faire le principe de l’oeuvre elle-même, le but de leur création. Ainsi, par des procédés tels que le hasard, l’indétermination des résultats, ils vont obliger le récepteur du message, et eux-mêmes, à se confronter à cette ambiguïté d’un signifié qui n’est jamais le même pour personne. Pour ce faire, ils vont se mettre eux-mêmes en jeu au milieu de leur oeuvre, dans l’instantanéité de la création, si bien que chaque choix qu’ils opèrent reconfigure l’oeuvre. Bien évidemment, la structure définitive de l’objet est significative d’une volonté artistique de départ puisqu’elle est issue de choix préalables posés par l’artiste, mais l’auteur au moment de la réalisation de l’oeuvre se trouve face à une multitude de possibilités créatrices qui vont réaliser l’oeuvre de manières différentes en fonction de ses choix du moment. Eco dit : « l’oeuvre est ouverte au sens où l’est un débat : on attend, on souhaite une solution, mais elle doit naître d’une prise de conscience du public. L’ouverture devient instrument de pédagogie révolutionnaire ».(15)
C’est au récepteur à interpréter librement ce que l’artiste insinue par cette instantanéité au niveau de la signification de l’oeuvre elle-même, autant qu’au niveau de la signification du processus de création de cette dernière. Les tableaux de Jackson Pollock sont des oeuvres ouvertes dans le sens où le peintre par des pulsions physiques se laisse aller, lors de ses « drippings », à la mécanique du hasard. C’est le choix préalable de la couleur et de l’énergie corporelle qu’il va transmettre à l’oeuvre qui en détermine la base du hasard. Depuis ces données de base, l’auteur invente alors, par procédé d’improvisation, une oeuvre qui se forme différemment à chaque seconde. Nous sommes donc ici face à une oeuvre qui ne souhaite plus figurer le monde selon un procédé esthétique établi à l’avance, mais qui se livre au monde pour se créer en son sein et non en être l’observatrice comme le désirent les auteurs beat.
Puis, apparaît le concept d’oeuvre ouverte en mouvement : « Elle rend possible une multiplicité d’interventions personnelles, mais non pas de façon amorphe et vers n’importe quelle intervention. Elle est une invitation, non pas nécessitante ni univoque mais orientée, à une insertion relativement libre dans un monde qui reste celui voulu par l’auteur… L’auteur offre à l’interprète une oeuvre à achever. »(16) En ce sens, on comprend que l’oeuvre ouverte en mouvement est une proposition à faire l’oeuvre avec l’auteur. Il l’oriente par ses choix instantanés, mais nous amène en plus à y participer. À cet égard, on peut citer le fameux « 4’33’’» (1952) de John Cage ou l’artiste, accompagné d’un orchestre, se met à son piano et ne joue pas une seule note pendant tout le temps de réalisation de l’oeuvre. Les bruits d’un public qui tousse, qui râle, qui sort de la salle ou qui applaudit deviennent alors actes participatifs de l’oeuvre, aussi bien que les propres bruits corporels de son auteur. De même, Yoko Ono dans sa performance « Cut piece »(1964) amène le public, dans le silence, les uns après les autres à découper un bout de ses vêtements alors qu’elle reste impassible. Le public décide de la nudité de Yoko Ono et de l’atmosphère que l’oeuvre est en train de créer, alors qu’elle décide de son propre comportement en réaction à ces choix.
Ces concepts, d’oeuvres ouvertes et d’oeuvres en mouvement, s’ils se généralisent dans les arts plastiques de l’avant-garde américaine, vont également toucher la part cinématographique de cette avant-garde. Le recours à la spontanéité, à l’improvisation, à l’introspection, au montage aléatoire, au cut-up d’images, à la projection de film avec spectateurs interactifs…, sont autant de procédés qui tirent l’oeuvre filmique vers ce principe contemporain de l’oeuvre ouverte et que les auteurs du cinéma beat vont utiliser. En quelque sorte, cette évolution dans la conception artistique est une libération de l’art et de l’artiste.
Elle offre la possibilité de ne plus figer l’oeuvre et, donc, de lui permettre de sortir de son cadre référentiel habituel. On pourrait ici établir un parallèle avec les premières oeuvres d’art qui « quittaient » la toile ou en dépassaient les limites. Ce dépassement du référentiel culturel amène à envisager une société en mouvement qui, elle-même, se sent des envies d’émancipations, des envies d’ailleurs. Cette société est prête à révéler le monde différemment, à envisager d’autres modes de pensées et à reprendre en main l’outil visuel.
En effet, les avant-gardistes vont monter au front contre la prolifération d’images qui arrivèrent au milieu du 20e siècle, avec l’apparition de la télévision et des caméras de surveillance. Pour eux, le corps cinématographique est utilisé en tant qu’instrument de domestication au lieu de remplir sa fonction fondamentale d’instrument de critique du rôle de l’artiste. Il ne permet plus de révéler le monde, mais l’enferme. Après le Siècle des lumières, l’artiste se doit de ne plus être au service du pouvoir et d’approfondir les idéaux de libération, même si cela doit passer par l’affirmation du caractère asocial, insensé ou inutile de son oeuvre. Dans son livre, « Cinémas d’avant-garde », Nicole Brenez exprime la direction qu’ont pris ces films : « Un film n’est pas révolutionnaire parce qu’il traite de la révolution, mais parce qu’il révolutionne quelque chose dans le monde : une situation concrète, l’organisation des idées, la résignation à une limite, le Zeitgeist (l’esprit du temps) »(17).
On comprend dès lors que le film ne peut, par son langage dit classique, atteindre un tel dessein et qu’il est impératif pour les auteurs cinématographiques de se poser les questions du langage en ce qu’il a de subversif. De nombreux auteurs ont rappelé ce principe fondamental, et l’un des textes les plus connus reste celui de Julo Le Parc, intitulé « La guérilla culturelle » (1968), où il met en place toutes les urgences à combattre ce qui est trop profondément établi que pour que cela ne nous interpelle encore. Cette « guérilla culturelle », ainsi que tous ces élans contestataires, rejoignent l’idéologie de la Beat Generation et les indications de William Burroughs dans sa « Révolution électronique » (1970) où il pose les bases de la déconstruction du langage écrit tel que l’on nous l’a soumis et propose de nous réapproprier ce langage.
Derrière la bannière de la lutte pour la liberté culturelle et, par conséquent individuelle, le cinéma va s’avérer être le centre même des plus grandes expérimentations comme l’écrit Nicole Brenez dans son livre « Traitement du Lumenprolétariat par le cinéma d’avant-garde » : « Vis-à-vis de ce fonctionnement symbolique, que fait le cinéma d’avantgarde, par opposition au cinéma de la domination chargé d’assurer la bonne marche du contrôle social ? Il refuse l’aveuglement, l’angle mort,… Il récuse les définitions et les découpages légués par l’ordre qu’il conteste. Il refuse une supposée « bonne distance » avec son sujet, avec son problème. Il pulvérise les distinctions mutilantes entre rationalisation et émotion. Il trouve mille façons de crier, mille façons d’argumenter en images et en sons, mille façons de penser la cruauté sociale. Il travaille. »(18)
Ces multiples manières d’essayer d’émanciper le cinéma vont conforter les auteurs de la Beat Generation dans leur quête puisqu’ils sont aussi empreints d’envie de liberté, de spontanéité et d’expérimentations. Ils passent alors au cinéma, aidés de vidéastes, et sont très vite soutenus par une personne influente, dans le milieu cinématographique underground, Jonas Mekas, poète et réalisateur qui explore et expose le cinéma indépendant américain. Il ne faut pas ici entendre personne « influente » par « capable de produire », mais par ayant la volonté, à travers des mouvements, des manifestations, des magazines, de faire connaître le travail de ces auteurs au plus grand nombre. On peut notamment citer le journal « Film Culture » ou son association « The Film-Makers Cooperative ». Dès lors qu’apparaissent toutes ces revendications, toute cette pluralité d’artistes, la force symbolique de la poésie beat est renforcée et leur attribue un pouvoir d’action et d’écoute. Ce pouvoir ne trouve pas sa source dans la seule rencontre avec Jonas Mekas et les avant-gardistes. Les auteurs de la Beat Generation sont alors des écrivains, et des poètes, reconnus dans le monde artistique.
1.4. CONTRE LE CONTROLE
« Contre la ruine du monde, il n’y a qu’une défense : l’Art et la Création »(19) Collectif beat
Comme dit précédemment, les auteurs beat nourrissent le paradoxe d’être ancrés dans la réalité présente, tout en cherchant l’expérience psychique par les drogues, les illuminations, la spiritualité et la magie. Ils cherchent un « ailleurs » qui se situe entre l’expérience philosophique et la réalité plus sévère de la rue. Ils n’hésitent donc pas à opérer ce rapprochement en mettant en jeu leur propre corps. Ils se veulent matière première de leur art en tant que propre observateur de leur réalité singulière. William Burroughs dans un de ses nombreux essais, cité ici par Gerard-Georges Lemaire, en décrit bien l’essence :
« Un écrivain ne peut décrire qu’une seule chose : ce que ses sens perçoivent au moment où il écrit… Je suis un appareil d’enregistrement… Je ne prétends pas imposer une « histoire » une « intrigue » une « continuité »… Dans la mesure où je parviens à effectuer un enregistrement direct de certains aspects du processus psychique, je puis avoir un rôle limité… je ne suis pas un amuseur public… Patrouiller est, en fait, ma principale préoccupation… Si rigoureux que soient les niveaux de Sécurité, je suis toujours simultanément à l’extérieur, à donner des ordres, et à l’intérieur de cette camisole de force en gélatine qui s’étire et se déforme pour toujours se reformer en vue de chaque mouvement, chaque pensée, chaque impulsion, tous et toutes marqués du sceau d’un juge étranger… »(20)
On comprend ici le rapport qu’entretient l’écrivain à son corps, enveloppe matérielle dans laquelle il vit ses propres expériences psychiques et par laquelle il rencontre le monde. Cette position étant définie, il ne lui reste qu’à se trouver une « identité » esthétique pour s’exprimer à travers l’oeuvre artistique. Dès le départ, il est évident pour les fondateurs de la Beat Generation que leur mission est de rendre l’art à l’art, l’art à la vie. Il s’agit de décloisonner l’art afin qu’il reprenne son souffle originel. Il faut le sortir du carcan commercial dans lequel il est enfermé. Mais, pour ces auteurs, cela ne revient pas à créer un nouveau mouvement empruntant des bases linguistiques similaires aux autres en y ajoutant une touche d’espoir et de liberté. Ils veulent aller beaucoup plus loin dans cette renaissance de l’art, cela en questionnant le langage lui-même. Burroughs décide alors de mettre en péril les bases communes à toutes formes d’arts depuis plusieurs siècles ; la logique de l’enchaînement linguistique, dans un passage de « La révolution électronique » (1970), cité par Lemaire :
« L’être humain est l’otage d’une dépendance absolue qui n’est pas sans rappeler celle du drogué à l’égard de la drogue. Le langage sécrète une «algèbre du besoin» qui provoque sans férir un asservissement physique et moral et une dégradation de l’esprit. Pour sortir des chaînes du langage, il n’est d’autre issue que de rejeter la prédominance de la règle aristotélicienne de l’identité : les falsifications dans les langages syllabiques occidentaux sont en fait de véritables mécanismes à virus »(21)
Burroughs s’inscrit ici dans la démarche d’Alfred Korzybski, scientifique de renommée, rejetant le principe d’Aristote pour lequel le rapport de cause à effet agirait pour tout et en tout. En effet, Aristote excluait toutes formes poétiques autres que celles ayant une intrigue causale, aussi cohérente que possible, et se déroulant selon cette logique depuis la situation de départ jusqu’à sa fin. Kenneth White, poète essayiste, s’appuiera sur la « méthode extensionnelle » de Korzybski dans le livre de celui-ci, « Science and Sanity : An Introduction to Non Aristotelian Systems and General Semantics » (1958), pour expliquer :
« Science and Sanity constitue un jalon important dans le mouvement épistémologique moderne […], on y voit à la fois une critique du système aristotélicien (base non seulement du système universitaire, mais de la pensée en général), une analyse de son substrat étiologique et pathologique, et l’émergence d’une méthode non linéaire. Le système aristotélicien y est dénoncé comme imposant des contraintes à la potentialité créatrice. Les vieilles dichotomies qui règlent le mécanisme de la pensée et qui in-forment (en le déformant) le discours intellectuel […] y sont désintégrées, désagrégées, et de nouvelles formulations sont mises en place, permettant l’entrée dans un champ nouveau.[…] En insistant sur les réactions vivantes du système nerveux, la «sémantique générale» de Korzybski dépasse ce que l’on comprend d’ordinaire sous le terme de «sémantique» (et de sémiologie). » (22)
Les auteurs beat se trouvent là face à une vaste entreprise, celle de détruire le contrôle que nous imposent les formes du langage par leur rigidité aristotélicienne et vont s’y atteler dans tous les domaines de l’art. Bien qu’ils aient tous une approche différente de l’art, les performances poétiques et littéraires de Ginsberg, les romans de Kerouac et Burroughs vont apporter de nouvelles manières de formuler le langage sans se référer à la causalité. Cette prise de conscience n’est pas le fait seul de la Beat Génération. Bien avant elle des auteurs tels qu’Artaud, mais surtout Arthur Rimbaud, s’étaient positionnés en leader d’un renouveau linguistique, mais ne furent pas suivis dans leur folle entreprise à une époque beaucoup plus rigide pour franchir cette étape. Rimbaud écrit dans « Alchimie du verbe » en 1873 :
« À moi. L’histoire d’une de mes folies. Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne. J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, efrains niais, rythmes naïfs. Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements. J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges »(23)
Ici, Rimbaud crie sa volonté d’inventer un nouveau langage loin des veilles traditions. On peut le remarquer à sa versification osée. Il essaye de trouver une forme de libération personnelle, une rupture avec la réalité telle qu’elle est préconçue. Il renie ce qu’il sait déjà et veut atteindre ce qu’il ne sait pas, ou plutôt ce qu’il ne sait pas savoir alors qu’il le sait. Burroughs parlera souvent de ce fait pour intriguer le spectateur à s’ouvrir à ses expériences.
L’une des premières techniques pour ce faire va être celle de l’improvisation incarnée à travers les romans de Jack Kerouac et très fortement inspirée par l’improvisation en Jazz de musiciens tels que Charlie Parker ou encore par la suite en be-bop. A l’instar de l’écriture automatique qui était au stade expérimental dans le domaine des arts plastiques et effleurée par les dadaïstes, Burroughs se plaignant du fait que l’écriture avait 50 ans de retard sur les arts plastiques, Jack Kerouac entreprit d’écrire ses romans d’une traite sans jamais rien en corriger. En « lâchant » littéralement les mots, Kerouac essaya de se libérer le plus possible de la culture qui est ancrée en lui depuis qu’il est né. De ce marathon littéraire découlent un rythme, un langage, une structure bien plus syncopée et moins narrative qu’à l’habitude, une poésie musicale qui tend vers l’interprétation libre :
« The entire beat movement was based on kerouac’s estimate of be-bop as an improvised spontaneous forme» Ginsberg (24)
Cette métaphore de l’improvisation spontanée du trompettiste signifie également une aventure singulière, une expérimentation esthétique personnelle et donc une sensibilité centrée sur le moment présent, sur l’éphémère de l’existence. Cette dualité entre la spontanéité de l’artiste, sa singularité dans le monde présent et l’aspect zen transcendantal qu’elle incorpore est une résultante de la dualité réel/spirituel de la Beat Generation et colle donc parfaitement à leurs envies revendicatrices envers la société en place.
Le public va répondre favorablement à cette recherche d’authenticité esthétique et psychologique, à cette recherche de spontanéité. En effet, en plein essor de l’ère industrielle, de la télévision, de la reproduction mécanique dans différents secteurs dont l’industrie du disque, les productions artistiques sont plus figées et laissent moins de place à l’initiative individuelle. La musique en fait l’expérience en rentrant chez les gens. Elle y perd la singularité d’une représentation et cette incursion dans les foyers oblige les artistes à rejouer les mêmes morceaux afin que les gens reconnaissent les standards vendus. Ainsi, une frange de la population cherche une approche plus intime de l’art, non pas simplement corporellement, mais également humainement, l’envie d’être face à un moment, une vérité unique. Le be-bop va rendre cette forme de noblesse à la musique et d’autres formes d’art en feront de même. Un exemple est celui de l’apparition des « jam-sessions » où divers artistes se réunissent en une improvisation collective de partage dans l’éphémère de la création.
Il s’agit donc, avec cette nouvelle conception de l’art rejetant le système d’Aristote, de repenser les frontières de la représentation, le cadre social artistique en proposant un art de la liberté contre la censure et l’emprisonnement. Il s’agit d’être singulier, visionnaire. Il leur faut lutter contre toutes formes d’obéissances, contre toutes tentatives de contrôle. Et ce contrôle passe en premier lieu par les mots, comme nous l’avons vu, symboles du système causal et de la linéarité par leur suite logique d’organisation. Ainsi, le hasard, la spontanéité et les drogues permettent de se dégager de ce carcan aristotélicien et d’accéder à une autre forme de langage, ayant sa propre part de subjectivité, mais ouvrant à un ailleurs loin du système en place. Là est leur philosophie commune dans un mouvement qu’ils ne veulent pas figer. Ils ont pour but unique de renouveler le langage artistique en une nouvelle forme et, ainsi, de se soustraire au contrôle normatif imposé par la production de l’époque et à laquelle sont soumis les spectateurs. Dans cette entreprise, nous verrons que William Burroughs est allé le plus loin avec des techniques liées aux mécanismes de l’imprévisibilité tels le cut-up ou le fold-in.
Toujours dans l’optique de renouveler la société et de faire confiance à sa singularité, les poètes beat transgressent l’homogénéité artistique en touchant à tous les arts et en désacralisant la place de l’artiste proposant que tout un chacun est un artiste lui-même. L’interdisciplinarité montre que l’être est artiste par naissance et qu’il ne tient qu’à lui de partir à la recherche de son expression quelqu’en soient les moyens. Il n’y a pas de tout puissant créateur. C’est ainsi une manière de lutter contre la hiérarchisation des classes sociales. Chaque figure beat a aussi bien peint, écrit, fait du cinéma que travaillé dans de petits boulots ou enseigné à l’université… L’artiste unique et tout puissant n’existe pas. De cette diversité naissent de multiples collaborations allant jusqu’à faire participer les spectateurs eux-mêmes à leurs créations comme pour les oeuvres ouvertes en mouvement.
William Burroughs écrira dans un de ses nombreux essais, « Les voleurs » (1978), que l’art est au peuple et qu’il faut absolument en désacraliser la valeur. Pour lui tout être humain est un artiste et inversement :
« Sortez de la honte et allez dans les musées, les bibliothèques, les monuments architecturaux, les salles de concert, les studios d’enregistrement. Tout appartient au voleur inspiré et consciencieux. Tous les artistes de l’histoire, des peintres des cavernes à Picasso, tous les poètes et les écrivains, tous les musiciens et les architectes offrent leur marchandise, l’importunant comme les vendeurs à la sauvette. Ils le sollicitent depuis l’esprit ennuyé des écoliers, depuis les prisons de la vénération inconditionnelle, depuis les musées morts et les archives poussiéreuses. Les sculpteurs tendent leurs bras de calcaire pour recevoir la transfusion régénérante alors que leurs membres blessés sont greffés sur Mister America. Mais le voleur n’est pas pressé. Il doit s’assurer de la qualité de la marchandise et de son adéquation à son dessein avant qu’il lui confère l’honneur et la bénédiction suprêmes de son vol. Les mots, les couleurs, la lumière, les sons, la pierre, le bois, le bronze appartiennent à l’artiste vivant. Ils appartiennent à qui veut l’utiliser. Pillez le Louvre ! À bas l’originalité ! le moi servile et stérile qui emprisonne autant qu’il crée. Vive le vol – pur, éhonté, total. Nous ne sommes pas responsables. Volez tout ce qui se présente. »(25)
En clair, la génération beat a pris les rênes d’une rébellion systématique et complète contre le système américain tel qu’il existait. Ils ont remis en cause tout ce qui était considéré comme bien fondé et rejeté toute l’hypocrisie imprégnant un système, qu’ils jugeaient injuste et rigide, celui de « l’American way of life » en préférant la spontanéité au cloisonnement, l’énergie à une société endormie et corrompue. Cela au risque de se faire littéralement éliminer par les grandes puissances productives et instances politiques ainsi que par les forces de police. Toute cette répression ayant pour unique but de les rendre dangereux aux yeux d’un grand public déjà troublé par la nature même de leur expérimentation et la substance de leurs oeuvres.
« Being beat and Creation means the absence of ambition directed towards obtaining money. Pratically all people spend their days in the active poursuit of money. Those few who ignore this trend are given a special grace, the freedom of the mind which enbles them to create and receive the joy. » Ron Rice(26)
1.5. AUTEURS
« The world is holy ! The soul is holy ! The skin is holy ! Everything is holy ! » Allen Ginsberg(27)
On dénombre énormément d’artistes ; écrivains, poètes, peintres, performeurs, musiciens, cinéastes, comédiens… se regroupant autour des trois grandes figures de la Beat Generation que sont Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs. Ils se nomment : Grégory Corso, Harry Smith, Neyl Cassady, Jean Genet, Peter Orlovsky, Robert Frank, Ron Rice, Anthony Balch, Brion Gysin, Peter Whitehead, Alfred Leslie, Jonas Mekas, Lawrence Ferlinghetti, Claude Pelieu, Patti Smith,… Une fois encore, ces auteurs participèrent à toutes les formes d’arts sans s’ancrer au sein d’une seule discipline. Rétrospectivement, la Beat Generation a fini par exister, mais cela si l’on n’essaye pas de les délimiter en un groupe où régnerait une cohésion parfaite. Leurs oeuvres sont diverses et parfois très différentes. Néanmoins, tous sont emprunts d’un caractère fort et revendicateur, d’une énergie sans borne pour traverser le monde, mais aussi les barrières sociales en soulevant des foules, d’une capacité à réinventer l’art et son langage, d’une volonté à ne jamais se laisser dicter un comportement automatique et d’un grand respect pour l’être singulier.
Malheureusement, cette pluralité d’auteurs sera à double tranchant. Bon nombre d’artistes se pareront de l’appellation « beat » alors qu’ils n’étaient pas en phase avec le mouvement. Ce qui devait être un mouvement regroupé autour du concept de liberté devint un mouvement exploité pour toutes les causes et réussites personnelles car il offrait une visibilité.
De même, je n’utiliserai pas ici le terme très connu de « beatnik », censé désigner les auteurs de la Beat Generation, mais étant un dérivé commercial issu de la presse et de jeunes revendicateurs voulant rebondir sur la vague beat en l’associant au terme « spoutnik ».
Kerouac dira qu’il n’avait jamais adhéré à cette partie de la jeunesse étudiante. Pour lui, ce n’était qu’un tas de personnes fainéantes, sans idée, qui se disaient « russian spieces » mais n’avaient jamais rien produit. Il fut tout aussi dur à l’égard de la génération hippie. Par ailleurs, l’amalgame qui taxerait les auteurs beat de communistes de la première heure est totalement faux. Ces auteurs ne se sont jamais engagés pour un parti politique, et s’il est un fait qu’ils partageaient plusieurs des notions humanistes que prônait une certaine gauche, ils n’agissaient en rien politiquement, étant les porte-paroles de leur seule singularité. Ce sont avant toute chose des artistes poètes. Pour les pères fondateurs de la Beat Generation, il ne s’agit pas de parasiter le système ou d’être un simple corps revendicateur. Il faut aller plus loin en proposant de réelles solutions par le travail artistique. Il faut réinventer le langage et non se contenter de le contester.
Au regard de la pluralité des oeuvres constituant le mouvement Beat, et de la complexité liée aux oeuvres et à la vie de chaque auteur pris individuellement, il est peu pertinent de les décrire tant il y a dire et contredire. Voici donc une très brève description des trois auteurs fondateurs de la Beat Generation. Cette description est totalement incomplète, mais vise simplement à mettre en exergue les plus grandes particularités de ces auteurs, car nous les retrouverons souvent dans les films de la Beat Generation, que cela soit comme concepteur ou comme acteur. Ils font partie intégrante du mouvement cinématographique nommé le « beat cinéma » et leurs caractéristiques intrinsèques y sont incorporées.
Jack Kerouac (1922-1969)
Kerouac est l’inventeur de l’esthétique de la « prose spontanée », de l’authenticité, connue à travers des oeuvres comme « Sur la route » (1957), « Les clochards célestes » (1958) ou « Le vagabond solitaire » (1960) et énormément de poèmes.
Il écrit des romans principalement autobiographiques où on le suit à travers ses différents voyages en Amérique à la rencontre des gens qu’il a pu croiser. C’est un grand admirateur du Jazz et de Be-bop qui tend à la spontanéité créatrice. Lorsqu’il écrit, il en suit les rythmes, la cadence, les syncopes et évidemment les improvisations. Truman Capote dira négativement à son égard « qu’il n’écrit pas, il tape à la machine »1. Cette technique se rapproche des dadaïstes et de l’écriture automatique à la différence que Kerouac, pour empêcher sa conscience de lier les mots selon ses prédispositions culturelles, s’efforce à penser en images, biaisant ainsi le flux de réflexion passant du cerveau au stylo. Pour lui cette technique spontanée, sorte de grand marathon extatique, le met en contact direct avec son âme en le plongeant dans son inconscient. C’est une manière de retourner le monde à l’envers, un retour à une vie libre sans restriction, une vie profane, que certains diraient blasphématoire, parce que trop familière et libérée par rapport aux codes sociaux stricts et rationnels.
Bakhtin, dans le livre de David Sterrit « Screnning the beats, media culture and the beat sensibility »(29), comparera Kerouac à Rabelais dans son envie de destruction du monde qui se présente à lui. Envie qu’il veut atteindre par la spiritualité, mais paradoxalement aussi par l’alcool et les drogues. Kerouac, au prix de la liberté, sentira à ses pieds d’autres chaines dont celles de la mélancolie et de la solitude, destruction du corps et de l’esprit. Il s’agit bien là du corps grotesque rabelaisien que Bakhtin définit comme « a pregnant death », un corps en mouvement, en construction et en destruction, un corps qui absorbe le monde et se fait absorber par lui. Un corps qui n’est jamais prêt ou achevé.
Outre son mode de vie et sa technique d’écriture, ce corps qui absorbe et se fait absorber mit au monde une production boulimique de textes si bien qu’il n’a jamais su les réunir pour les publier. Il collecta notamment un nombre immense de rêves retranscrits par écrit qu’il tenta de consigner dans « Le livre des rêves » (1977) en un roman, mais ne put le faire que de manière très incomplète et décousue. Dans le domaine de l’inconscient, il s’intéressera aussi beaucoup à la culture bouddhique et toute sa mythologie y percevant une assise pour penser « autrement ». De même, il y développera un parallèle entre les rîtes liés aux « guérisseurs » de l’âme et les performances poétiques.
Niveau cinématographique(30), Kerouac apprécie le cinéma car il représente pour lui le concept d’impermanence selon lequel rien ne dure sauf le changement lui-même. En effet, à l’intérieur d’un montage, chaque image pousse l’autre à venir remplir une case dans un cadre spatio-temporel et ainsi de suite jusqu’à ce que le montage s’arrête et donc le film avec lui.
Il développe alors un parallèle direct avec ses écrits où les mots se suivent naturellement et où la spontanéité rend impossible la possibilité de discriminer les éléments présentés, de s’y arrêter et d’y réfléchir jusqu’au bout de l’élan créateur. Il perçoit ses improvisations comme un flux mouvant de la pensée à travers un continuum d’espace-temps qui lui permet de surpasser les codes du langage comme s’il était en orbite autour de son esprit et il va performer ces improvisations dans le cinéma.
Il voit donc un lien direct entre le flux d’images d’un film et le flux de son processus mental et le cinéma comme un espace à l’intérieur duquel il peut s’incorporer par ses propres improvisations corporelles et vocales, brouillant les cartes entre le créateur et l’oeuvre.
Allen Ginsberg (1926-1997)
Allen Ginsberg est un poète qui dépeint avec beaucoup de candeur la vie, mais sans l’édulcorer. Il est notamment l’auteur de « Howl » (1955), « Kaddish » (1961), « The Ballad of the Skeletons » (1996) et de très nombreux poèmes.
C’est un homme empreint d’une très grande culture glanée lors de longs voyages en dehors de son territoire et de découvertes profondes de toutes les spiritualités de notre monde (Amérique du Sud, Inde, Japon, Europe de l’Est, Algérie…) revenant chaque fois au sein de son pays qu’il aime. Un homme à la fois sage et en révolte, à la fois ailleurs et ici. Quelqu’un qui repousse les frontières physiques, psychiques, psychologiques et légales de son époque. Il sera d’ailleurs souvent la grande figure contestatrice contre les agissements du gouvernement américain en citant des poèmes au caractère aussi fin que cru. Une grande particularité est qu’il y mêlait l’intime, la sexualité, l’autobiographique, l’érotisme, l’onirique, à la dénonciation de la société américaine, des guerres, des injustices et des interdits. C’est cette association inédite qui permet à sa poésie de sortir du langage causal.
Dans « the Beat Generation », Gérard-Georges Lemaitre écrit : « La contamination permanente et inextricable entre ce qui appartient au domaine du privé et ce qui ressort du domaine de l’histoire, du fonctionnement de la société et des mass médias, en somme du spectacle hallucinant du monde, le pousse à concevoir un monde poétique neuf qui se présente comme un périple échevelé et cauchemardesque à travers les aspects les plus divers et les plus déconcertants de la conscience moderne »(31).
L’essentiel de son oeuvre fut censuré pendant de longues années. Et lui même fut expulsé de plusieurs pays où il était de passage soit pour crimes liés à la possession de drogue, soit pour les émeutes qu’il y déclenchait.
Son charisme sans égal, et sa grande consommation de drogues, lui permirent à la manière d’une rock star de présenter des performances poétiques d’une intensité frénétique incomparable si ce n’est peut-être chez l’une de ses influences, Antonin Artaud. D’après Gérard-Georges Lemaitre : « Il peut associer le souffle lyrique, la litanie des mantras, l’écho des chants hébraïques, et aussi les mélopées et les scansions heurtées du Jazz… Il propose un voyage ou le réel, l’imaginaire, le sacré, le profane et le rêve, le sublime et le trivial s’épousent étroitement et participent d’un mouvement de l’esprit… La disharmonie universelle (le grand désordre du présent) par l’opération de sa poésie, qui n’idéalise ni n’enjolive rien, se change néanmoins en une harmonie paradoxale… »(32)
Son approche mystique, issue du bouddhisme, est pour lui en parallèle avec le système cinématographique dont il sera toujours fasciné et où il s’investira beaucoup. En effet, pour lui, les états de multiplicité (le vaste) et de singularité (l’immédiat) du cosmos sont l’écho de la diversité d’images d’un film et de l’impression générale que celui-ci tente de convertir dans l’esprit du spectateur image par image. De même, les états de formes (le visible) et de vide (le rien) sont l’écho des images exposées et instants noirs lors du passage de l’obturateur. Enfin, les états de réalité et d’irréalité sont répercutés dans l’effort du cinéma à fixer la matérialité de l’existence tout en gardant sa qualité de fugacité(33). Ainsi, il retrouve dans le cinéma un des principes premiers du bouddhisme en la vacuité du monde, là où le vaste n’est rien sans l’infime, l’existence rien sans le vide et inversement.
William Sedward Burroughs (1914-1997)
William Burroughs est un auteur mêlant aspects scientifiques, autobiographiques et fictionnels avec une ironie glaciale. Il a écrit des oeuvres telles que « Le festin nu » (1959), « La machine molle » (1961), « Le ticket qui explose » (1962) et de nombreux essais et poèmes sur le langage et le fonctionnement social. La plupart de ses oeuvres sont des écrits d’anticipation. Burroughs est également adepte du punk et de la rupture. Il a aussi peint de nombreux tableaux et réalisé plusieurs performances.
Il a beaucoup voyagé entre l’Amérique, la France, l’Angleterre, l’Argentine, l’Algérie où il vécut longtemps. Il s’est énormément inspiré de ce qu’il a pu vivre à travers ces multiples périples. Comme cité ci-dessus, Burroughs compare la fonction d’écrivain à celle d’un enregistreur qui relate les faits s’exposant à lui, mais en laissant ses sens en découvrir la véritable nature. Il mêle ainsi la réalité objective à l’imaginaire perceptif. Il donne à voir ce que l’on ne sait pas que l’on sait déjà. Il va chercher la vérité sous-jacente et inconsciente à ses expériences et le relate dans l’un de ses essais : « Je ne suis pas « je suis » mais rien qu’un espion dans le corps de quelqu’un d’autre simulant ces jeux de sable enfantins dans la prairie près de l’église de Santa Rita… Les auteurs doivent éprouver et subir toutes les conditions qu’ils n’ont pas imaginées. Si bien que : « en écrivant, j’agis à l’instar d’un cartographe, d’un explorateur des zones psychiques… »(34)
Sa méthode d’investigation est scientifique. Il explore le monde à l’aide de toutes les avancées technologiques, dont le cinéma, et se confronte aux mensonges du langage, à ses limites, et le déstructure à travers toute une panoplie de techniques mécaniques comme le cutup, le fold-in, le grid, la permutation. Ces méthodes agissent comme des trompe-l’oeil puisque les mots apparaissent alors comme un bloc de texte normal mais à la lecture s’avèrent de fausse continuité et brisent l’idée de cohérence issue de la linéarité. Pour Burroughs, la liberté totale pour un auteur n’existe jamais et seule la machine peut lui offrir un détachement sans concession vis-à-vis du langage. Cela ne sous-entend pas que toute son oeuvre soit hasard puisqu’il est l’actionnaire de cette mécanique même de l’imprévisibilité. Nous reviendrons sur le principe du hasard au moment de nous confronter aux films ayant le concours de William Burroughs. Mais il faut savoir qu’il refuse toute forme de structure et écrit un vaste « intertexte » déterritorialisé comme son « interzone » où tous les possibles se regroupent. Il cherche sans relâche tout ce qui peut être issu de l’univers nagual, de l’imprévisible, de l’incontrôlable.
Par ailleurs s’il voit les écrits, le livre sacré, le langage comme des éléments de contrôle ultime, il ne ferme pas les yeux sur l’évolution du monde moderne et mène la même lutte envers les nouvelles techniques de communication comme la télévision et le cinéma. Il les perçoit comme tout aussi puissantes et même plus, puisqu’elles ont la capacité de s’attaquer à la population qui ne lit pas, de s’imposer plus facilement à elle.
Pour lui, ces moyens de communication, qu’ils soient écrits ou autres, sont les éléments qui créent le temps. En effet, sans héritage écrit ou visuel, il n’y aurait pas d’histoire et donc pas de notion du temps passé et futur. Ainsi, l’homme est inscrit dans ce filet temporel tendu par le langage et duquel il ne peut se défaire par culture et par peur de la mort, autre argument du temps. Notre seul moyen d’évoluer est de se libérer du temps et donc de détruire la force de contrôle qu’a le langage sur nos êtres : « L’artiste a besoin de toute urgence d’inventer des moyens de défense contre la manufacture du temps. Il doit être un scribe révolté, quelqu’un qui embrasse le savoir (Au commencement était le Verbe) et qui à force de le réduire en pièces brise les Tables de la Loi ».(35) Ainsi, l’homme, qu’il considère en état de néoténie, pourra atteindre la prochaine étape de son évolution, à savoir, celle de partir dans l’espace, où le temps terrien n’existe pas.
1 STERRIT D., 2004, p.xii
2 SEARGEANT M., 2008, p.11
3 CLELLON HOLMES J., 1952, article via http://www.litkicks.com/Texts/ThisIsBeatGen.html
4 BURROUGHS W., 2001, p.38
5 ROBERT F., 2011, pp.122 à 124
6 BURROUGHS W., 2005, p.829
7 GUIGOU E., 2007, article via : http://www.karimbitar.org/elizabethguigou
8 ROBERT F., 2011, pp.11
9 SERGEANT J., 2008, p. 10
10 SERGEANT J., 2008, p. 11
11 SERGEANT J., 2008, p. 70
12 STERRIT D., 2004, pp. 7 à 14
13 STERRIT D., 2004, p. xi
14 ECO U., 1965, pp. 9 à 12
15 ECO U., 1965, p. 25
16 ECO U., 1965, p. 34
17 BRENEZ N.,2007,p.11
18 BRENEZ N.,2007,p.24 à 25
19 GUIGOU E., 2007, article via : http://www.karimbitar.org/elizabethguigou
20 BURROUGHS W., 2002, p.9
21 BURROUGHS W., 2002, p.18
22 WHITE K., 1989,pp.24 à 25
23 RIMBAUD A., 1981, p.155
24 SERGEANT J.,2008,p.10
25 BURROUGHS W., 2008, p.120
26 SERGEANT J.,2008,p.10
27 GINSBERG A., 1955,poème “Howl !” via : http://sprayberry.tripod.com/poems/howl.txt
28 GROBEL L., 200, p.32
29 STERRIT D., 2004, pp.27 à 37
30 STERRIT D., 2004, pp. 48 à 53
31 LEMAITRE G.G., 2005,p.11
32 LEMAITRE G.G., 2005,p.11
33 STERRITT D., 2005, pp. 54 à 56
34 BURROUGHS W., 2008, p.331
35 BURROUGHS W., 2008, p.21