Le droit antérieur à l’adoption de la loi était inadapté aux accidents de la circulation, et ne permettait pas aux victimes d’obtenir une réparation satisfaisante de leur préjudice corporel. Aussi, la loi Badinter a mis en place un système d’indemnisation à part entière, visant à protéger les individus contre un risque social conséquent.
Section 1 : le régime général des accidents de la circulation avant la loi Badinter : un système peu favorable à l’indemnisation des victimes.
Les accidents de la circulation étaient régis selon le droit commun. Ainsi, la victime pour être indemnisée, devait rapporter les conditions de la responsabilité civile difficiles à réunir en matière d’accidents de la circulation. Par ailleurs, une fois sa responsabilité engagée, l’auteur de l’accident pouvait encore s’exonérer, tant les moyens d’exonération étaient nombreux, et largement admis par les juges.
Paragraphe 1 : Le droit des accidents de la circulation régi par la responsabilité civile générale avant la loi Badinter
A-Un système peu adapté aux accidents de la circulation
Avant la promulgation de la loi du 5 juillet 1985, le régime lié aux accidents de la circulation dans lesquels étaient impliqués des véhicules relevait du droit commun de la responsabilité civile délictuelle de l’article 1382 du code civil et contractuelle lorsque la victime était transportée en vertu d’un contrat.
Le droit commun de la responsabilité civile traditionnelle est fondé sur un système de responsabilité pour faute. Celle-ci a une double fonction :
D’une part, réparer le dommage, et d’autre part punir le fautif. Comme le souligne le professeur Lambert-Faivre(13), les deux fonctions sont inséparables puisqu’à l’époque, en l’absence d’assurance, « c’est le montant de la réparation puisé dans le propre patrimoine du fautif qui le rachète de sa faute ».
Cela n’était pas favorable aux victimes. En effet, pour obtenir réparation de leurs dommages causés lors d’un accident de la circulation, celles-ci devaient rapporter les trois éléments constitutifs de la responsabilité à savoir une faute, un préjudice et un lien de causalité.
Par ailleurs, il était toujours possible pour le responsable de s’exonérer en prouvant qu’il n’avait pas commis de faute ou en invoquant l’un des trois moyens d’exonération tels que le cas de force majeur, la faute de la victime elle-même ou le fait d’un tiers.
La réparation de leur dommage était donc loin d’être facilitée, d’autant plus que bien souvent, le conducteur prenait la fuite pour échapper aux poursuites. Le droit des victimes se trouvait donc bafoué et la nécessité d’adapter le régime aux accidents de la circulation s’est très tôt fait sentir.
En effet, avec le développement des machines dans le monde ouvrier, et des moyens de transports, les accidents se sont corrélativement multipliés et il était encore très difficile pour les victimes d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice à la fin du XIXème siècle. Or, compte tenu de la puissance de ces machines, les préjudices liés aux accidents étaient dramatiques.
B- la construction jurisprudentielle d’une responsabilité du fait des choses
Les pouvoirs publics ne réagissant pas, la jurisprudence a donc progressivement consacré la responsabilité du fait des choses en se fondant sur l’article 1384 alinéa 1er(14), dans le but de faciliter l’engagement de la responsabilité de l’auteur d’un dommage suite à un accident impliquant des machines, dans le cadre des accidents du travail, ou des automobiles, dans le cadre des accidents de la circulation.
En effet, compte tenu de la démocratisation des automobiles, les juges ont pris conscience que la notion de faute constituait un véritable obstacle à l’indemnisation des victimes, d’autant plus que les accidents n’étaient pas toujours le fait d’une conduite irrégulière du chauffeur, et que bien souvent, ils étaient causés par des machines, sans faute de la part du conducteur. Or, à l’époque, sans l’existence d’une faute, la réparation n’était pas possible.
Dans un premier temps, dans le cadre des accidents du travail, les juges ont renversé la charge de la preuve de la faute du conducteur en posant une présomption de faute(15). C’était donc à ce dernier de démontrer l’absence de faute.
Dans un second temps, la Cour de cassation a consacré la responsabilité objective du fait des choses, dans son fameux arrêt Jand’ Heur(16). Cette décision avait été rendue à propos des accidents de la circulation. Fondée sur l’article 1384 al 1er, la haute juridiction estimait désormais que dès lors que le conducteur avait une chose sous sa garde et que cette chose était à l’origine du dommage, celui-ci était responsable, sans que la victime n’ait à prouver une faute.
La responsabilité civile en cas de dommage du fait d’une chose n’avait dès lors plus pour objet de punir le responsable mais surtout d’indemniser la victime. Le régime de réparation des préjudices liés aux accidents de la circulation était donc plus favorable aux victimes qui n’avaient plus qu’à prouver la réunion de deux conditions.
En premier lieu, celles-ci devaient démontrer que le conducteur avait bien la qualité de gardien du véhicule au moment des faits. Sur ce point, il convient de préciser que cette notion se caractérise par l’exercice d’un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle sur la chose(17). Le propriétaire était présumé être le gardien, et pouvait s’exonérer en prouvant un transfert de garde. Cette possibilité pour celui-ci de s’exonérer était essentiellement limitée aux hypothèses de vol du véhicule. Il était alors possible pour la victime d’agir contre toute autre personne en rapportant la preuve que celle-ci avait bien la qualité de gardien au moment des faits.
D’autre part, la victime devait, pour rechercher la responsabilité du chauffeur, prouver le lien de causalité entre le fait de la chose et le dommage, c’est-à-dire que le véhicule devait avoir été l’instrument du dommage. Sur le contenu de la preuve de cette seconde condition, la jurisprudence distingue deux situations.
Si le véhicule est en marche, et qu’il percute la victime, le rôle causal de la chose dans la survenance du dommage est quasi-certain et la victime bénéficie d’une présomption de causalité. Ainsi, celle-ci doit simplement prouver l’intervention matérielle du véhicule.
Lorsque le véhicule est en stationnement, ou n’entre pas en contact avec la victime, les choses sont plus complexes.
Cette notion de causalité a posé des difficultés dans le cadre des accidents de la circulation. Bien que le gardien du véhicule ne puisse plus s’exonérer par la preuve de l’absence de faute, celui-ci pouvait tout de même échapper à sa responsabilité en prouvant l’absence de lien de causalité entre le véhicule et l’accident. Nombreuses ont été les affaires où les victimes d’accident de la circulation s’étaient vues refuser l’indemnisation parce qu’elles n’avaient pas rapporté la preuve du lien causal de la chose dans la production du dommage.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a pu juger(18) que la veuve d’un conducteur décédé des suites d’un accident de la circulation ne pouvait être indemnisée parce qu’elle n’établissait pas que l’usure des pneus de l’autocar, entré en collision avec le véhicule, jouait un rôle causal dans l’accident.
La doctrine s’accorde pour dire que le système responsabilité civile de l’époque n’était pas adapté à l’indemnisation des préjudices des accidents de la circulation. A titre d’exemple, un piéton distrait qui traverse une route et qui amène un véhicule à faire un écart, qui lui-même renverse un cycliste, demeure seul responsable de cet accident. En revanche le conducteur est déchargé de toute responsabilité. Or, le préjudice subi par le cycliste est, pour l’essentiel, du à la force dégagée par le véhicule.
Marie-Pierre Camproux(19) estime que « la mise en jeu de la responsabilité civile est dans ce cas inéquitable pour le piéton considéré comme seul débiteur de l’indemnisation et pour la victime qui pourrait ne pas être totalement indemnisée en raison de la solvabilité limitée du piéton responsable et non assuré ».
Paragraphe 2 : des moyens d’exonération du conducteur largement admis à l’époque
Le système de l’époque fondé sur l’article 1384 al 1er du Code civil permettait largement au conducteur de s’exonérer de sa responsabilité. En effet, hormis l’hypothèse de l’absence d’intervention du véhicule dans la production du dommage, le régime de la responsabilité générale du fait des choses auquel étaient soumis les accidents de la circulation lui permettait d’invoquer le cas de force majeure, le fait d’un tiers ou encore la faute de la victime. Par conséquent, la victime, après avoir démontré la responsabilité de l’auteur du dommage pouvait toujours craindre de se voir opposer son droit à indemnisation.
En l’absence d’un régime spécifique des accidents de la circulation, le contentieux en la matière se fit de plus en plus important. Or, la jurisprudence qui jouait un rôle déterminant dans la construction du droit des accidents de la circulation était particulièrement critiquée par la doctrine, cette dernière dénonçant des décisions inégales, et injustes(20).
A- Des décisions injustes pour les victimes quant aux moyens d’exonération de l’auteur du dommage
S’agissant de la force majeure, ses critères de qualification sont les suivants : irrésistible, extérieur et imprévisible. Les juges se montraient durs à l’égard des victimes, en retenant tantôt une conception large, tantôt une conception stricte de chacun des éléments constitutifs de la force majeure. Cette jurisprudence instable et incertaine était source d’insécurité pour les victimes.
C’est notamment à l’égard du caractère imprévisible de la force majeure que la haute juridiction s’est montrée divergente. En effet, pour un même fait, celle-ci pouvait adopter des positions totalement différentes. Ce fut le cas à propos d’une nappe d’huile sur la route(21) ou pour du verglas(22). Elle a pu encore juger qu’un chien passant devant une voiture est imprévisible(23), alors qu’un chat qui passe devant un scooter ne l’est pas(24). Cette inconstance se retrouvait également pour les caractères irrésistibles et insurmontables de la force majeure.
Le droit à indemnisation des victimes était donc très disparate et dépendait ainsi du bon vouloir des juges. Par ailleurs, cette notion de force majeure étant définie de plus en plus largement, les assureurs se permettaient de refuser toute réparation à l’occasion d’accidents causés par exemple par la présence d’une flaque d’huile sur la route.
Les décisions concernant la faute de la victime, autre cause d’exonération du conducteur étaient tout autant choquantes.
Dans un premier temps, la jurisprudence a pu retenir que celle-ci devait nécessairement revêtir les caractères de la force majeure, permettant ainsi l’exonération totale du conducteur(25). Par la suite, elle a précisé qu’une faute simple de la victime qui ne présentait pas les caractères de la force majeure était suffisante pour exonérer partiellement le conducteur(26). Sa faute conduit à un partage des responsabilités. En conséquence de quoi, la personne lésée se voyait facilement opposer un droit à indemnisation. Certains assureurs avaient même pris l’habitude de refuser systématiquement une indemnisation intégrale en invoquant une faute d’imprudence, de négligence voire même une maladresse de la victime.
Cette situation était déplorable d’autant plus que la faute de la victime avait pris des proportions considérables. En effet, en conséquence de l’assouplissement des règles de la responsabilité, la jurisprudence et le législateur ont écarté l’exigence d’imputabilité de la faute à l’auteur du fait dommageable, qui était initialement retenue pour engager la responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. D’abord, une loi du 3 janvier 1968(27) a précisé que l’auteur du fait dommageable devait réparer le préjudice causé à la victime, même lorsque celui-ci est atteint d’un trouble mental. Par la suite, l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans son célèbre arrêt Derguini(28) a supprimé l’exigence de l’élément subjectif pour un fait commis par un enfant. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait considéré que la victime avait commis une faute et avait concouru à la réalisation du dommage. Par conséquent, son droit à indemnisation avait été réduit.
Les tribunaux ont donc encouragé les assureurs à réduire, voire refuser l’indemnisation en admettant facilement l’exonération partielle ou totale en raison des fautes commises par une victime y compris lorsqu’il s’agit d’une personne privée de discernement telle qu’un infirme, une personne âgée, ou un enfant(29).
Par ailleurs, un accident survenu dans des circonstances indéterminées dans lesquelles étaient impliqués deux véhicules entraînait l’indemnisation réciproque de chacune des parties par l’autre. En effet, les juges se fondaient tantôt sur une double application de l’article 1384 al 1er du code civil, tantôt sur l’article 1382 en retenant une faute de la part de chacune des parties.
Les décisions jurisprudentielles étaient sévères à tel point que fut admis que le simple fait non fautif de la victime pouvait exonérer partiellement le gardien(30).
Le professeur Lambert Faivre a dénoncé cette situation contradictoire en jurisprudence en précisant que « l’auteur du dommage responsable était doublement déresponsabilisé sur le plan civil par l’évacuation de sa faute et par le total transfert de l’indemnisation à la charge de son assureur. La victime de son côté était doublement responsabilisée par la prise en compte de sa faute et par la mise à sa propre charge de l’indemnisation correspondante »(31).
Cette critique du système de l’époque est légitime dans la mesure où la sévérité des décisions jurisprudentielles n’était pas opportune en vertu de la loi du 27 février 1958 qui a instauré l’obligation d’assurance automobile. Ce texte a pour but de garantir un soutien financier face aux pertes subies par un assuré, conducteur ou gardien, à la suite d’un accident de la circulation ayant causé des dommages corporels ou matériels aux victimes(32).
Il s’agit d’une avancée considérable dans l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation à l’époque. Avant l’adoption de cette loi, leur indemnisation était aléatoire et dépendait de la situation du responsable et de sa solvabilité. Or, leur préjudice ayant la plupart du temps un coût important, leur indemnisation ne pouvait être complète si le conducteur n’était pas assuré. Cela aboutissait donc à des situations injustes et inégales entre les victimes. Ces dernières pouvaient d’ores et déjà s’adresser au Fonds de Garantie Automobile(33), destiné à garantir la réparation de leur préjudice à la suite d’accident de la circulation. Néanmoins, son rôle est doublement limité. D’abord par son domaine, puisqu’il intervient uniquement lorsque les conducteurs son inconnus ou non assurés. Puis, par son financement qui repose sur un mécanisme relatif de solidarité nationale et qui n’a donc pas les capacités pour indemniser l’ensemble des victimes. Avec cette loi, on ne se place donc du plus du côté du conducteur pour indemniser la victime, étant donné que celui-ci est obligé de s’assurer.
En pratique, la loi était privée d’effet, compte tenu des solutions jurisprudentielles sévères à l’égard des victimes, qui d’une part ne reconnaissaient pas toujours la responsabilité de l’auteur du dommage, et d’autre part, permettaient facilement à celui-ci de s’exonérer. Or, en garantissant la solvabilité du conducteur par l’instauration d’une obligation d’assurance automobile, le droit à indemnisation des victimes aurait dû être quasi automatique.
Il convient de noter, par ailleurs, que le régime était le même pour toutes les victimes quelle que soit leur qualité.
Concernant les victimes principales, celles-ci bénéficiaient du même régime, sans distinction, qu’elles soient conductrices ou piétonnes, cyclistes, qu’il s’agisse de vieillard ou d’enfant.
Concernant les victimes secondaires, c’est le droit commun qui s’applique. Les ayants droits pouvaient donc exercer une action en réparation du préjudice de la victime principale. Quant aux victimes par ricochet, la Cour de cassation a admis en 1970 l’indemnisation de la concubine(34). Avant 1985, il n’est donc pas nécessaire que la victime par ricochet ait un lien de parenté avec la victime directe qui subit un accident de la circulation. Bien entendu, la victime indirecte devait prouver l’existence d’un préjudice propre du fait de l’accident qu’avait subi la victime principale.
B- Le revirement jurisprudentiel DESMARES, une provocation à la réforme
En raison des vives critiques doctrinales notamment celle de Boris Starck qui plaide en faveur d’une indemnisation quasi-systématique des victimes de préjudices corporels(35), et de la situation chaotique en matière d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, la haute juridiction, dans un arrêt de 1982 « Desmares »(36) adopte une position radicale concernant l’opposabilité de la faute de la victime. C’est le système d’indemnisation qualifié « du tout ou rien ».
Avec cette décision, la situation est claire : soit la faute de la victime revêt les caractères de la force majeure et dans ce cas l’auteur du dommage est totalement exonéré, soit celle-ci présente les caractères de la force majeure et ainsi son droit à indemnisation est total.
La victime d’accident de la circulation est donc pleinement rétablie dans ses droits. Une grande partie de la doctrine soutient cette décision dont André Tunc, fervent partisan qui soutient que cet arrêt est justifiable « dans un domaine où l’auteur d’un dommage causé par le fait d’une chose est couvert par une assurance »(37).
La Cour de cassation va plus loin, puisqu’elle impose aux juges du fond, lorsqu’ils sont saisis sur l’article 1382 et 1384 al 1er, de statuer sur le second en priorité. Il n’est donc désormais plus possible de prononcer un partage des responsabilités sur le fondement de l’article 1382 du code civil.
La situation ne pouvait rester en l’état, la jurisprudence Desmares se trouvant en marge du droit commun, de telle sorte que le législateur a pris conscience de la nécessité de légiférer en matière de droit des accidents de la circulation.
Section 2 : La loi Badinter, un régime dérogatoire au droit commun dans le but de faciliter l’indemnisation des victimes
Le régime instauré par la loi Badinter est un régime spécial, et dérogatoire au droit commun. La Cour de cassation rappelle régulièrement que ces dispositions sont d’ordre public(38), ce qui signifie que les juges du fonds doivent faire application de la loi, quand bien même celle-ci en serait écartée par les demandeurs(39).
La loi du 5 juillet 1985 poursuit deux objectifs : d’une part, améliorer la situation des victimes en leur permettant de trouver facilement un indemnisateur, d’autre part, accélérer leur indemnisation en évitant la voie contentieuse, par la mise en place d’une procédure transactionnelle réglementée.
Paragraphe 1 : les conditions d’application de la loi interprétées largement dans le but de faciliter l’indemnisation des victimes
Le domaine de la loi Badinter est étroitement lié à celui de l’assurance obligatoire. Cela est juridiquement cohérent, dans la mesure où il s’agit d’accorder un droit à indemnisation aux victimes d’accident de la circulation, en leur permettant de se retourner contre un débiteur solvable, à savoir l’auteur du dommage et son assureur. Or, la loi Badinter serait de nul effet si son domaine d’intervention ne permettait pas une prise en charge par l’assureur.
Inversement, comme on l’a vu précédemment, l’obligation d’assurance automobile est inefficace si les conditions de la responsabilité sont trop restreintes. En vertu de cette coopération entre les deux textes, le législateur finance par l’assurance automobile obligatoire le droit à indemnisation des victimes d’accident garanti par la loi Badinter. Les conditions d’application de la loi sont donc destinées à faire fonctionner l’assurance. Elles sont entendues largement au profit des victimes puisqu’il s’agit d’un droit dérogatoire au droit commun, détaché de toute responsabilité.
Ainsi, quatre conditions sont nécessaires à l’application de la loi Badinter : il doit s’agir d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur(40).
A- Un accident de la circulation
La notion d’accident
La notion d’accident pose peu de difficultés aujourd’hui. Il s’agit d’un évènement soudain et fortuit, c’est-à-dire imprévisible et indépendant de la volonté des parties. La jurisprudence le rappelle régulièrement, en excluant les dommages qui résultent d’infraction pénale intentionnelle(41).
Paradoxalement, cette solution est favorable aux victimes. En effet, si les violences volontaires étaient qualifiées d’accident, leur indemnisation serait incertaine et ce pour deux raisons.
En premier lieu, les assureurs de l’auteur du dommage volontaire refuseraient d’indemniser dans la mesure où le risque résultant d’une faute intentionnelle est toujours inassurable, conformément à l’article L113-1 du code des assurances.(42)
En second lieu, la victime ne pourrait pas se retourner contre le Fond de Garantie des Victimes d’Infraction car depuis la loi du 6 juillet 1990, ce dernier est compétent pour des infractions mais pas en cas d’accident de la circulation.
L’évènement garanti par la loi Badinter est donc un accident, et celui-ci doit intervenir sur une voie ouverte à la circulation. Les tribunaux ont une interprétation extensive de la notion de circulation.
La notion de circulation
La loi est applicable que le véhicule soit en mouvement ou immobile(43).De même, aucune distinction n’est faite selon que le véhicule est dans un lieu public ou privé. Pour illustration, il a récemment été jugé que constitue un fait de la circulation tout usage du véhicule à l’intérieur d’une propriété privée(44).
Par ailleurs, depuis la loi du 27 janvier 1993, lorsqu’un préposé est victime d’un accident de la circulation, qui constitue en même temps un accident du travail, celui-ci bénéficie de l’application de la loi Badinter. Cependant, la loi Badinter ne s’applique pas pour un accident survenu dans les dépendances de l’entreprise, ces dernières ne constituant pas une voie ouverte à la circulation(45).
Enfin, il a été jugé(46) que la loi s’applique également à l’incendie provoqué par une étincelle échappée du moteur d’un tracteur effectuant un travail agricole dans un champ, même s’il n’est pas établi qu’il était en mouvement. Récemment(47), la jurisprudence a confirmé l’application de la loi Badinter en cas d’incendie d’un véhicule dans un parking suite à la propagation de l’incendie d’un véhicule stationné à proximité. Cette solution est particulièrement favorable aux victimes qui n’ont pas à rapporter les conditions de la responsabilité de l’article 1384 alinéa 2 du code civil(48).
Néanmoins, la jurisprudence exige deux conditions pour considérer qu’il s’agit d’un accident de la circulation.
D’une part, il doit s’agir d’un fait de circulation ce qui entraine l’exclusion de plusieurs types d’évènements.
En premier lieu, il convient d’exclure les accidents causés par des véhicules-outils, instruments du travail, dès lors que ces accidents sont dus à un élément étranger à la fonction de placement.
En second lieu, sont exclues les compétitions sportives puisqu’il s’agit là non pas d’un accident de la circulation, imprévisible et soudain, mais d’un accident sportif auquel la victime a délibérément participé, et accepté les risques. Néanmoins, cela ne vaut que pour les concurrents de la compétition sportive(49) et non pour les spectateurs, pour lesquels la loi continue de s’appliquer(50).
D’autre part, et c’est aujourd’hui le critère essentiel, le lieu de survenance de l’accident ne doit pas être impropre à la circulation. La Cour de Cassation l’a exigé par un arrêt du 26 juin 2003(51) concernant un cyclomoteur qui était garé dans un parking d’immeuble, et pour lequel elle a jugé qu’il n’était pas soumis à la loi Badinter, le hall d’immeuble étant impropre à la circulation. Cela est logique dans la mesure où cette loi porte sur les accidents de la circulation, et qu’il faut un lien entre ces deux notions.
B- L’implication d’un véhicule terrestre à moteur, condition suffisante à la mise en cause de l’auteur du dommage la notion de véhicule terrestre à moteur
Si l’on se reporte aux définitions légales quant à la notion de véhicule terrestre à moteur(52), on peut en déduire qu’il s’agit de tout engin doté d’un moteur, et destiné au transport tel que le véhicule automobile, le cyclomoteur, la motocyclette, l’engin agricole et de chantier. Pour que la loi Badinter s’applique, le fonctionnement du moteur est indifférent(53). Par ailleurs, le fait que le véhicule terrestre à moteur soit soumis à une obligation d’assurance peut être considéré comme un critère de qualification par la jurisprudence(54).
La jurisprudence étend également le domaine de la loi aux accessoires du véhicule terrestre à moteur.
Sont donc exclus les moyens de transport non terrestres : maritimes ou fluviaux, aériens ou encore ceux qui ne sont pas destinés au transport tels que la tondeuse à gazon. Est également exclu tout véhicule dépourvu d’un moteur, tel qu’un vélo, une trottinette. Concernant les fauteuils roulants électriques, leur qualité de véhicule terrestre à moteur dépend de la vitesse à laquelle ils peuvent aller. En effet, lorsque la vitesse est inférieure ou égale à 6km/h, l’utilisateur est assimilé à un piéton et quand elle est supérieure à 6km/h, le fauteuil est assimilable à un véhicule terrestre à moteur tel qu’un cyclomoteur.
L’article L110-1 du code de la route exclut expressément les chemins de fer et tramways uniquement lorsqu’ils circulent sur des voies propres. Ce qui signifie que la loi s’applique à la circulation publique de ceux-ci(55).
Enfin, la dernière condition nécessaire à l’application de la loi Badinter, et essentielle, concerne l’implication du véhicule dans l’accident. Cette notion n’a auparavant jamais été utilisée dans le système juridique français. Or, en l’absence de définition légale, la jurisprudence a du la cerner.
La notion d’implication
Dès l’adoption de la loi, les juges ont eu une conception extensive de la notion d’implication. Rapidement, la Cour de cassation a distingué l’implication dans l’accident de la causalité du dommage qui est retenue dans le cadre de l’article 1384 alinéa 1erdu Code civil. En effet, il a été admis qu’un véhicule qui n’aurait joué aucun rôle causal dans la production du dommage puisse cependant être impliqué dans un accident(56).
Cela est favorable aux victimes puisqu’auparavant, celles-ci se voyaient déboutées de leur action contre l’auteur du dommage si le lien de causalité entre le véhicule et l’accident n’était pas rapporté. A titre illustratif, il convient de citer l’arrêt du 20 mars 1999(57) par lequel la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation casse la décision de la Cour d’appel qui déclare « seul responsable d’un accident le conducteur d’un cyclomoteur en considérant que la cause unique de l’accident avait été la maladresse et le défaut de maitrise de ce conducteur qui, après avoir perdu le contrôle du cyclomoteur, était venu percuter une automobile qui circulait en sens inverse parfaitement à sa droite, et à une allure très raisonnable alors que l’automobile était impliquée dans l’accident ».
Par ailleurs, l’implication du véhicule dépend des circonstances de l’accident. A l’instar de l’article 1384 al 1er du code civil, la jurisprudence a recourt au critère du contact matériel du véhicule dans l’accident.
Lorsque le véhicule est intervenu matériellement, l’implication est présumée et la victime doit simplement prouver qu’elle a été heurtée par le véhicule. Cette présomption d’implication a d’abord été retenue pour les véhicules en mouvement. Par la suite, elle a été étendue aux véhicules immobiles(58).
En revanche, en l’absence de choc du véhicule, la présomption d’implication disparait au profit de la preuve par la victime du rôle causal du véhicule dans l’accident. En effet, dans cette circonstance, le véhicule doit avoir joué un rôle perturbateur pour retenir son implication. L’implication est par exemple exclue lorsque le véhicule est à l’arrêt sur la voie médiane et que l’auteur de l’accident est simplement passé devant ce véhicule. L’exigence du rôle perturbateur du véhicule, en l’absence de contact matériel est valable qu’il soit en mouvement ou immobile(59). Cette notion est interprétée dans un sens largement favorable aux victimes et est parfois retenue de manière surprenante. Pour illustration, la Cour de cassation a retenu l’implication du véhicule « dont l’alarme sonore, en se déclenchant, a concouru directement, avec d’autres bruits, à l’affolement de chevaux qui ont, par la suite, heurté une voiture et blessé ses occupants(60). » Plus récemment, la haute juridiction a retenu l’implication d’un véhicule en panne, « stationné sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute et ayant nécessité la présence de la victime qui tentait de le dépanner(61) ». La victime avait été heurtée par un poids lourd qui n’avait pu être identifié. Cette jurisprudence marque incontestablement la volonté de trouver un responsable quoi qu’il arrive.
En cas de collisions successives, la technique adoptée par la Cour de cassation consiste à globaliser l’accident complexe. Elle estime que les voitures du premier accident sont impliquées dans les suivants. En effet, selon elle, « les collisions successives intervenues dans un même laps de temps et dans un enchaînement continu constituent le même accident(62) ». Par conséquent, il n’y a pas besoin de caractériser une faute du conducteur car tous sont tenus à réparation. Il s’agit là d’une présomption d’imputabilité : le conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident ne peut se dégager de son obligation d’indemnisation que s’il établit que cet accident est sans relation avec le dommage(63).
Ce type de décision est particulièrement favorable pour la victime, car elle permet d’augmenter le nombre de débiteurs à l’encontre desquels elle exercera une action en indemnisation. La notion d’implication est donc primordiale, celle-ci offrant des possibilités d’indemnisation bien plus large que celle de causalité. Par ailleurs, la coïncidence entre les domaines respectifs de l’implication et de l’assurance obligatoire permet de rendre débitrices les personnes qui ont un véhicule impliqué indépendamment de leur faute.
La loi Badinter a donc amélioré le sort des victimes en leur épargnant la recherche d’un responsable selon les conditions de droit commun. Par ailleurs, elle leur garantit une indemnisation satisfaisante en instituant une procédure réglementée.
Paragraphe 2 : Une indemnisation encadrée des victimes d’accidents de la circulation : la mise en place d’une procédure transactionnelle
L’un des grands objectifs de la loi Badinter est d’accélérer l’indemnisation des victimes, en leur épargnant une action en justice pour obtenir gain de cause, procédure particulièrement longue et couteuse, et en privilégiant la procédure amiable. Le dispositif Badinter a mis en place une procédure d’offre obligatoire d’indemnisation, qui s’impose aux assureurs, et qui ne doit pas être tournée par ces derniers en défaveur de la victime.
L’article L211-9 alinéa 1er du Code des assurances, issu de la loi, modifié par la loi de Sécurité financière du 1er août 2003, prévoit ainsi que « quelque soit la nature des dommages, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de proposer une offre motivée dans un délai de trois mois, à compter de la demande d’indemnisation, si la responsabilité n’est pas contestée et que le dommage est entièrement quantifié, ce qui suppose une consolidation ». Si le préjudice n’est pas consolidé, l’alinéa 2 impose à l’assureur de faire une offre d’indemnité à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans un délai maximum de 8 mois à compter de l’accident. A l’issue du délai de 8 mois, si l’assureur a été informé de la consolidation des séquelles de la victime, celui-ci doit émettre une offre. S’il n’en est pas informé, il doit alors émettre une offre prévisionnelle, complétée par une offre définitive dans les 5 mois suivants la consolidation.
Il est par ailleurs précisé que même lorsque l’assureur invoque une exception de garantie, qu’elle soit contractuelle ou légale, celui-ci doit tout de même faire une offre « pour le compte de qui il appartiendra ».
Tout est donc prévu pour que la victime puisse percevoir une indemnisation dans les meilleurs délais. Le débiteur de l’offre d’indemnisation est clairement l’assureur, ce qui redonne à la loi sur l’assurance responsabilité civile automobile obligatoire toute sa cohérence. Lorsqu’un seul véhicule est impliqué, il s’agit de l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur. En cas de pluralité de véhicules, et corrélativement de plusieurs assureurs, l’offre est faite par l’assureur mandaté par les autres. C’est la convention IRSA(64) qui a organisé les recours des assureurs entre eux en cas d’accident de la circulation, et qui prévoit que l’assureur mandaté est « celui qui encourt la plus grande part de responsabilité » appréciée selon le droit commun ou selon le barème des responsabilités.
Il convient de préciser que la victime n’est pas contrainte d’accepter l’offre faite par l’assureur, ce qui constitue une garantie supplémentaire.
Les victimes par ricochet sont également concernées par cette procédure transactionnelle, puisqu’il est expressément prévu qu’elles doivent présenter une demande à l’assureur contraint de leur répondre dans un délai de trois mois.
L’offre faite par l’assureur est de plus soumise à des conditions de fond et de forme. Outre les exigences quant à l’obligation d’information auxquelles l’assureur est soumis sous peine de nullité relative, celui-ci doit notamment indiquer l’évaluation de chaque chef de préjudice, les créances de chaque tiers payeur accompagnées de la copie des décomptes produits par ceux-ci, et les sommes qui doivent revenir au bénéficiaire. Ainsi, les compagnies sont contraintes d’opérer une ventilation entre les différents chefs de préjudices, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et ne sauraient se borner à proposer un chiffrage d’indemnisation global pour le sinistre corporel(65), qui serait toujours déprécié par rapport à la réalité du préjudice subi.
Concernant le contenu de l’offre d’indemnisation, elle doit comprendre la réparation du préjudice corporel, et du préjudice matériel lorsqu’il n’a pas fait l’objet d’un règlement préalable. Les préjudices patrimoniaux comprennent les frais engagés pour soigner tels que les frais d’hospitalisation, de chirurgie, pharmacie, mais aussi les frais destinés à compenser la perte de salaire et revenus que la victime aurait perçus si elle n’avait pas été accidentée ou encore les frais engagés en cas de recours à l’assistance d’une tierce personne. Parmi les préjudices extrapatrimoniaux, on peut trouver l’incapacité permanente partielle déterminée par le médecin qui est chargé d’examiner, l’indemnisation des souffrances endurées, et les autres préjudices d’esthétisme, d’agrément. S’agissant des préjudices subis par les victimes par ricochet, il s’agit principalement d’un préjudice moral, ou économique, tels que les frais d’obsèques, ou la perte de revenus, en cas de décès ou d’incapacité permanente de la victime principale.
La loi Badinter a mis en place un certain nombre de sanctions en cas de manquement de l’assureur à ces exigences.
D’une part, elle sanctionne son retard dans la présentation de l’offre par le paiement d’intérêts, fixés au double du taux de l’intérêt légal, sur le montant de l’indemnité offerte à la victime. Il en va de même en cas d’absence d’offre de la part de l’assureur.
D’autre part, afin de permettre à la victime de bénéficier d’une indemnité satisfaisante, l’article L211-9 alinéa 2 du Code des assurances précise que « l’offre doit comprendre tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages et aux biens lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’un règlement préalable ». En effet, l’assureur ne doit pas détourner la procédure d’offre obligatoire d’indemnisation imposée par la loi Badinter de 1985 de sa finalité : favoriser la meilleure indemnisation des victimes. Il existe donc des sanctions en cas d’offre manifestement insuffisante. L’assureur devra ainsi verser au fonds de garantie automobile une somme égale à 15% de l’indemnité allouée.
Une fois l’offre acceptée par la victime, celle-ci devient une transaction. Sur ce point, la Cour de cassation a récemment précisé(66) que « la loi du 5 juillet 1985 instituant un régime d’indemnisation en faveur des victimes d’accident de la circulation, d’ordre publique, dérogatoire au droit commun qualifie de transaction la convention qui se forme lors de l’acceptation par la victime de l’offre de l’assureur, et que cette transaction ne peut être remise en cause à raison de concessions réciproques ».
La victime dispose entre autre d’un droit de dénoncer l’accord transactionnel dans les 15 jours de sa conclusion par LRAR à destination de la société d’assurance. Cette faculté est d’ordre public, et l’assureur ne pourrait l’exclure.
En ce qui concerne les délais de paiement de l’indemnité, ceux-ci sont également encadrés par la loi. L’article L211-17 du code des assurances prévoit ainsi que le règlement doit être effectué dans le mois suivant le délai de 15 jours réservé pour une éventuelle dénonciation de la victime. L’assureur qui ne respecterait pas ce délai s’expose à une sanction pécuniaire. Il doit alors supporter le paiement d’intérêts sur les sommes non versées, au taux légal majoré de la moitié durant deux mois, puis au double du taux légal. Ce dispositif a donc pour but de dissuader les assureurs d’enfreindre la loi, et de protéger le droit des victimes.
Les juges sont intransigeants avec les assureurs, et veillent à ce qu’ils émettent une offre conforme aux exigences de la loi. Hubert Groutel(67) a ainsi critiqué la sévérité des décisions et considère qu’ils font une « application démesurée des sanctions ».
Malgré ces avancées considérables en matière d’indemnisation, force est de constater que la loi présente encore quelques insuffisances qui pourraient être comblées. Ainsi, le député Guy Lefrand, a-t-il déposé une proposition de loi le 10 février 2010 (68)visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation. Dans son rapport, le groupe de travail soulève trois problèmes majeurs.
En premier lieu, il constate qu’il ya de fortes disparités entre l’indemnité accordée par les tribunaux, et celle fixée par la voie amiable entre les assureurs et les victimes d’accidents de la circulation. Il constate également des écarts importants entre les décisions des différentes Cours d’appel chargées de déterminer le montant alloué en réparation du préjudice. Une victime par exemple sera mieux indemnisée par la Cour d’appel de Toulouse que par la Cour d’Appel de Lyon. Ces disparités sont dues à l’absence d’outil commun d’évaluation du préjudice entre les assureurs, les juges et les victimes, même si la nomenclature Dintilhac qui reprend l’ensemble des postes de préjudices a été largement répandue depuis 2007.
En deuxième lieu, le rapport dénonce le manque de respect du principe du contradictoire dans la procédure amiable, les outils pour garantir le respect des droits de la victime, mis en place par la loi Badinter étant insuffisants.
Enfin, il souligne les limites de l’expertise médicale actuelle quant à son indépendance, et les risques avérés de conflits d’intérêts entre les médecins conseils missionnés par les compagnies d’assurance, médecins experts judiciaires, et les médecins conseils désignés par les victimes.
Le rapport propose entre autre la création d’une base de données qui recenserait les transactions ainsi que les décisions judiciaires, à partir de laquelle serait mis en place un référentiel national indicatif des évaluations des indemnités allouées pour les préjudices corporels, accessible au public. Il propose également d’instaurer un barème unique officiel, et de renforcer le droit à information des victimes.
L’analyse des conditions d’application et de la procédure transactionnelle de la loi Badinter démontre qu’a été mis en place un véritable droit à indemnisation des victimes de dommages résultant d’accidents de la circulation. Désormais, toute victime d’un dommage corporel résultant d’un accident dans la réalisation duquel est intervenu un véhicule est indemnisée par l’assureur dudit véhicule, sans qu’il y ait lieu de rechercher une quelconque responsabilité. Ainsi, il ne s’agit plus d’une loi de responsabilité, comme l’indique son intitulé. L’assurance est au coeur du dispositif et l’indemnisation n’est plus canalisée sur le débiteur de la responsabilité mais sur le garant de l’indemnité.
Toutefois, cette situation favorable faite aux victimes ne profite qu’à une catégorie particulière : les usagers faibles, au détriment des conducteurs. En effet, demeure toujours l’idée d’un rattachement de la faute à la responsabilité civile(69). Chantal Russo(70) indique que « cette idée de rattachement s’est illustrée à travers le débat sur l’autonomie de la loi Badinter par rapport au droit commun de la responsabilité civile ».
13 Colloque sur la loi Badinter IAP, 1985
14 Article 1384 al 1er : On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde.
15 Arrêt Teffaine Cass.Civ, 16 juin 1896, Dalloz 1897, I 433
16 Arrêt Jand’Heur, Cass.Civ, 13 février 1930, GAJC 11ème éd.n°193 : « la présomption de responsabilité établie par l’article 1384 al 1er, à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruit que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable, sans qu’il suffise au gardien pour s’exonérer de toute responsabilité, de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue… »
17 Arrêt Franck Cass, 2 décembre 1941, S 1941, I p.217
18 Cass.civ. 2ème, 29 juin 1966, JCP 1967 II-1491 note Savatier.
19 Chronique Marie-Pierre Camproux « La loi du 05/07/1985 et son caractère exclusif »Recueil Dalloz Sirey, 1994, 15ème cahier
20 Terré ,Simler, Lequette Droit civil : les obligations
21 Cass.civ 2ème, 28 octobre 1965, Bulletin civil II n°804 : est imprévisible une nappe d’huile masquée par une flaque d’eau.
Cass.civ 2ème, 5 avril 1973, recueil Dalloz 1973 : est prévisible une nappe d’huile dans un virage signalé dangereux
22 Cass.civ 2ème 24 mai 1971, Gaz Pal 1971 : est imprévisible un verglas épais.
Cass.civ 2ème 30 juin 1971, Bulletin civil II n°270 p.170 : est prévisible le verglas signalé par la météo.
23 Cass.civ 2ème, 10 avril 1964 Bull civ II n°271
24 Cass.civ 2ème, 24 mars 1965 Bull civ II
25 Cass.civ 1ère 25 octobre 1983, Bull civ n°247
26 Cass, req., 13 avril 1934, gazette du palais 1934.1.861 : « la faute de la victime n’a plus qu’un effet partiellement exonératoire dès lors qu’elle ne revêt pas les caractères de la force majeure ».
27 Art 414-3 du code civil modifié par la loi du 5 mars 2007
28 Ass plénière Arrêt Lemaire et Derguini 9 mai 1984
29 Cass civ 2ème, 3 novembre 1971
30 Cass 20 janvier 1961, Bull Cass III n°60.
31 Colloque organisé par l’IAP, le 28 octobre 1985
32 Article L211-1 du Code des assurances : « toute personne physique ou toute personne morale autre que l’Etat, dont la responsabilité civile peut être engagée en raison de dommages subis par des tiers résultant d’atteintes aux personnes ou aux biens dans la réalisation desquels un véhicule est impliqué, doit, pour faire circuler celui-ci, être couverte par une assurance garantissant cette responsabilité, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».
33 Crée en 1951, devenu le FGAO ( Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires) en 2003.
34 Cass ch.mixte 27 février 1970, D.1970, Jur p.201
35« Les rayons et les ombres d’une esquisse de loi sur les accidents de la circulation », Revue trimestrielle de droit civil 1966.
36 Cass civ 2ème, 21 juillet 1982, arrêt DESMARES, GAJC 11ème éd n°205, D.1982, jur. 449 : «Seul un évènement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose instrument du dommage de la responsabilité par lui encourue par application de l’art 1384 al 1er que, dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’exonérer même partiellement ».
37 A.Tunc, la réforme du droit français des accidents de la circulation, 1985 p131.
38 Cass.civ 2ème, 20 janvier 2000, pourvoi n°98-13.871, NPJ, RCA 2000, n°118
39 Cass.civ 2ème, 11 juin 2009, pourvoi n°98-14.224, Bull Civ II, n°145, RCA 2009
40 Article 1er loi Badinter : « les dispositions du présent chapitre s’appliquent même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’accidents de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et tramways circulant sur des voies qui leur sont propres. »
41 Cass, chambre criminelle 23 mai 1991 : première décision, dans le même sens : Cass, chambre crim 31/06/2010
42 Article L113-1 alinéa 2 : « L’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
43 Civile 2ème 24 juin 1988 : la loi du 5 juillet 1985 est applicable à tout accident de la circulation dans la survenance duquel un véhicule terrestre à moteur est intervenu à quelque titre que ce soit.
44 CA Aix en Provence 18 mars 2010
45 Civ 2ème, 3 juin 2010
46 Cass, civ 2ème, 8 novembre 1995
47 Civ 2ème, 8 janvier 2009 n°08-10 074
48 Article 1384 al 2 code civil : Toutefois, celui qui détient à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des bien mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable ».
49 Civ 2ème, 4 janvier 2006 n°04-14 841
50 Civ 2ème, 10 mars 1988 n°87-11 087
51 Civ 2ème, 26 juin 2003, Bull Civ 2ème II n°206
52 Article L110-1 du Code de la route : tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur de propulsion, y compris les trolleybus et circulant sur la route par ses moyens propres, à l’exception de ceux circulant sur rail ».
Article L211-1 al 1er sur l’obligation légale d’assurance automobile : tout véhicule terrestre à moteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée ainsi que toute remorque même non attelée ».
53 Civ 2ème, 14 janvier 1987 : peu importe que le moteur du véhicule fonctionne ou non.
54 Civ 2ème 14 mars 1998 Bull Civ II n°65 : ne constitue pas un véhicule terrestre à moteur une voiture miniature, assimilable à un jouet et non soumise à l’obligation d’assurance. Civile 2ème, 1er novembre 2004, Dalloz 2005 Pan 1321 : « est un véhicule terrestre à moteur une tondeuse autoportée, dotée de quatre roues et d’un siège, et comme telle, assujettie à l’assurance automobile obligatoire ».
55 Civ 2ème, 12 mai 1993, Bulletin civil II n°170
56 Civ 2ème 6 novembre 1985 Bull Civ II n°166
57 Cass, civ 2ème, 20 mars 1989, Gaz Pal 1989.
58 Cass, civ 2ème, 25 janvier 1995, Bull Civ II n°67 : est nécessairement impliqué tout véhicule qui a été heurté, qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement.
59 Cass, civ 2ème 23 mars 1994, n°92-12.335, Bull. Civ.II n°100, p.57
60 Cass, civ 2ème , 13 juillet 2000, Bull Civ I n°126, D.2000
61 Cass, civ 2ème, 2 juin 2010, n°09-67.151
62 Cass, civ 2ème, 17 juin 2000, n°09-67.338
63 Cass, civ 2ème, 19 février 1997, Bull Civ II n°41
64 Convention d’Indemisation Directe de l’Assuré et le Recours entre Sociétés d’Assurance Automobile
65 Cass, civile 2ème, 9 mars 2000, n°98-14.813
66 Cass. 2ème Civ. 16 novembre 2006, n° 05-18631
67 Loi Badinter : le bilan de 20 ans d’application
68 PROPOSITION DE LOI VISANT A AMELIORER L’INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES CORPORELS A LA SUITE D’UN ACCIDENT DE LA CIRCULATION (N° 2055)
69 J.Carbonnier, « attachement religieux du primat de la faute », Droit civil, Tome IV, les obligation PUF 1996
70 « de l’assurance de responsabilité à l’assurance directe, contribution à l’étude d’une mutation de la couverture des risques », Nouvelles Bibliothèque de thèses, Dalloz, 2001, vol 9
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