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Chapitre 2 : Collaborateurs ou concurrents ?

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« Aujourd’hui conscients du potentiel du tourisme culturel, les intervenants des mondes du tourisme et de la culture se heurtent au défi de l’action ; ils se questionnent sur le choix et la façon dont les actions porteuses devraient être mises en oeuvre au sein de leur organisation. Bien sûr, ces actions supposent une sensibilisation et une connaissance préalables pour favoriser une compréhension réciproque des besoins, des réalités et des enjeux de chacun des milieux participant à la rencontre entre la culture et le tourisme »(11)

2.1 Une faible compréhension mutuelle des acteurs

Développer des formes de coopération entre deux milieux aux dynamiques différentes, exige l’instauration d’un climat de confiance. Une étude de l’OCDE(12) (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) consacrée à l’impact de la culture sur le tourisme souligne les faiblesses de la coopération entre les parties prenantes du tourisme et de la culture. Ceci étant principalement dû à la présence d’intérêts antagonistes en termes de culture professionnelle et d’une méconnaissance du fonctionnement global des secteurs respectifs. D’autres auteurs spécialisés dans le domaine du tourisme culturel, regrettent également ce manque de communication entre les acteurs du tourisme culturel et les acteurs du tourisme en général. Cela, en dépit du fait que la filière du tourisme culturel soit bien reconnue comme une catégorie de niche touristique depuis plus de trente ans :

“We have been amazed in our world travel at how few tourism people attend cultural tourism conferences organized by the heritage sector and how few people attend similar conferences organized by the tourism sector. This lack of cross communication leads to a lack of cross fertilization of ideas and lack of understanding of the legitimate needs of each stakeholder. Ignorance breeds suspicion, which breeds mistrust”(13)

Ils constatent qu’il n’y a pas d’effort global de concertation entre les acteurs, manifestant un certain désintérêt les uns vis-à-vis des autres. Ceci montre que le désir de travailler ensemble, doit répondre à des motivations précises, à des objectifs et à des intérêts communs entre les deux secteurs. Il reste à prendre conscience des potentiels relationnels susceptibles d’exister. En effet, la filière culturelle actuellement la plus en relation avec le secteur du tourisme est celle du patrimoine et des musées. Car elle croise un nombre de compétences diverses, qui font coexister ce couple culturetourisme où la notion de visite touristique y est très prégnante, avec ce souci de préservation et de valorisation du patrimoine. Dans le domaine du spectacle, le tandem culture-tourisme est moins évident à concevoir. Par exemple, la fonction de gestionnaire d’un site touristique peut être rattachée à un poste de gestion d’un équipement culturel à vocation patrimoniale et/ou muséale. En revanche, il est nettement moins courant que cette même fonction puisse être associée à la gérance d’un équipement de diffusion culturelle (théâtre, salle de spectacles, etc.) où il est habituellement demandé que celleci soit liée à une spécialisation dans une discipline artistique, en plus des compétences managériales et gestionnaires requises.

Il existe donc une certaine appréhension à s’engager dans une démarche de travail collaboratif, à partir du moment où demeure cette idée que les objectifs stratégiques de chaque secteur ne puissent pas être en cohérence les uns avec les autres. Collaborateurs ou concurrents ? Telle est la question qui tentera ici de relever les principales difficultés et perceptions des acteurs respectifs, qui sont considérées être un frein à toute initiative de coopération.

2.2 But lucratif versus but non lucratif

Le secteur du tourisme est perçu au sens large comme une activité commerciale qui est davantage dominée par le secteur privé. Il est conduit politiquement vers des objectifs de développement économique, en raison de sa nature structurante qui fait intervenir un ensemble d’industries (hôtellerie, restauration, transport et loisirs) De ce fait, le tandem tourisme-culture peut opposer des buts symboliques à des buts commerciaux et renforcer un clivage entre objectif lucratif et éthique non lucrative. Si on compare de façon générale les arguments utilisés dans la recherche de financements pour un projet, le tourisme développera davantage des raisons économiques, tandis que la culture développera plus des motifs social et culturel.

2.3 La culture économique du spectacle

La compréhension des logiques d’organisation propres au secteur du spectacle peut être compliquée dans la mesure où dans cette branche, l’offre artistique crée sa propre demande. Alors que la logique originelle consiste à d’abord considérer les besoins du marché. De plus les structures du spectacle sont pour la plupart dans l’incapacité de contrebalancer des recettes d’exploitation issues des oeuvres à la hausse de leurs coûts structurels ou fixes. A cette situation globale de l’économie du spectacle, s’ajoutent des inégalités dans les différents métiers de ce secteur, aux degrés divers de rémunération et de précarité. La particularité professionnelle du monde du spectacle est d’être une activité temporaire dont la durée est dépendante de celle du projet artistique. Face à cette situation économique fragile, les professionnels du tourisme peuvent d’emblée s’interroger sur les raisons d’une collaboration avec des acteurs du spectacle (collaborer, pour quoi faire ?) d’autant plus si celle-ci s’opère dans un climat professionnel d’incertitude qui est une des spécificités du secteur d’emploi culturel.

2.4 La culture marketing du tourisme

Le secteur du tourisme est particulièrement reconnu pour l’efficacité de ses méthodes employées en marketing et en commercialisation de produits touristiques. Une méconnaissance générale du marketing peut faire l’objet d’un rejet chez certains professionnels du spectacle qui ne font pas la nuance entre différentes approches marketing et ne voyant que celle qui répond à une logique purement mercantile. Une certaine représentation symbolique du marketing amène en effet à considérer qu’un produit culturel orienté vers une logique de demande visant à satisfaire le consommateur, se ferait au détriment d’une vision artistique mise alors au second plan. L’art ne dérouterait plus mais il se conformerait à une homogénéisation culturelle. Cette vision du marketing fait apparaître qu’il n’y a également pas de distinction entre le marketing des entreprises commerciales à but lucratif et le marketing appliqué aux entreprises culturelles et artistiques.

2.5 Compétences culturelles versus compétences touristiques

Les cursus de formation universitaire dont sont issus les professionnels du tourisme et les professionnels du spectacle sont nombreux et impliquent des compétences diverses qui amènent à distinguer plusieurs profils :

– pour le spectacle vivant, les formations sont réparties entre deux grands champs que sont d’une part, les arts, les lettres et les sciences sociales, et d’autre part, la gestion, le management, la médiation et l’ingénierie appliqués au secteur culturel.

Exemples: Licence Administration et Gestion des Entreprises Culturelles ; Master Arts du Spectacle ; Master 2 Expertise & Médiation Culturelle, parcours « Direction de Projets Culturels »

– Pour le tourisme, les domaines d’études se répartissent autour des champs disciplinaires que sont le marketing, la gestion et le management, ainsi qu’autour du développement territorial et de l’ingénierie d’équipements touristiques.

Exemples: Master Management & Marketing des secteurs Voyage, Hôtellerie, Tourisme ; Master Management des Equipements Touristiques.

– Pour le secteur du tourisme culturel, il existe des formations spécialisées sur les domaines du patrimoine et de l’aménagement culturel.

Exemples: Master 2 Professionnel Histoire et Gestion du Patrimoine Culturel ; Master Professionnel Tourisme Culturel et Territoires : Ingénierie de Projet.

De façon générale, les compétences touristiques sont plus orientées vers le marketing, le commerce et la communication avec cet objectif principal de vendre une destination. A ce titre, ce secteur est réputé pour être à la pointe au niveau du développement et de l’utilisation des outils e-marketing. Les compétences artistiques et culturelles sont tournées quant à elles vers l’artistique, la créativité, la production et la diffusion des oeuvres. Les gestionnaires de la culture, doivent être capables de faire la synthèse entre des logiques administratives, artistiques et culturelles. En gardant à l’esprit que l’art renvoi à la production des oeuvres alors que la culture relève du rapport que les individus entretiennent avec la création, dans des espaces de diffusion des oeuvres.

Cette brève analyse des profils professionnels suppose l’existence de mentalités propres à chaque domaine. Celles-ci se révèlent par exemple, dans le choix de l’usage linguistique de certains termes pour désigner quelque chose de semblable.

2.6 Le rapport au consommateur

Des conceptions différentes du consommateur amènent les acteurs du tourisme et les acteurs de la culture à employer un langage spécifique à leur profession. Du côté de la culture, on utilisera les termes de « spectateurs », « publics », « habitants locaux ».

Tandis que du côté du tourisme, on parlera de « touristes », « clients » et « visiteurs ». Des professionnels du spectacle dont le travail de création et de diffusion s’inscrit dans un projet de territoire, sont davantage dans un rapport de proximité avec leurs publics à travers le tissage de liens sociaux. De ce fait, il leur est parfois difficile d’intégrer leur offre dans un contexte plus touristique, jugeant que le profil des clientèles touristiques ne corresponde pas à celui du public qu’ils visent, ne serait-ce qu’en raison de la barrière de la langue. Celle-ci est réelle en matière de spectacle vivant, notamment pour les pièces de théâtre. Toutefois, il arrive aussi que les touristes ne soient pas considérés comme faisant partie du public culturel. Le terme de « touriste » est parfois utilisé de façon péjorative et renvoi à l’image d’un colonisateur et perturbateur d’espaces culturels et touristiques. Il se voit être réduit au statut de consommateur, considéré uniquement à travers sa valeur marchande. A ce titre, Jean-Didier Urbain sociologue français spécialiste du tourisme, critique le fait que le touriste est en général un sujet méconnu et qu’il soit standardisé dans une conception économique au détriment de son être. Selon lui, l’exploration psychologique du touriste n’est pas suffisamment approfondie et cette lacune a pour effet de confondre le « phénomène touristique » au « touriste » (14). Il en résulte que les critiques qui peuvent être adressées au touriste en tant qu’individu nuisant par exemple aux ressources naturelles d’un site touristique, se confondent avec les reproches qui devraient être en réalité adressés aux acteurs professionnels du tourisme.

« Un des effets pervers de cette confusion, amalgamant cet homme à une industrie, a été sa réduction au statut de consommateur de mobilités, d’espaces et de lieux de nature et de culture, d’activités, de curiosités, de services et d’évènements, ce que fonde cette fois une idéologie du marketing, qui tend toujours à banaliser, voir à normaliser ou à standardiser l’état de touriste, et à dissoudre son identité, ses désirs, leur variété et leur mouvance, en les réduisant à une question de canalisation stratégique, d’attraction publicitaire et de manipulation par une offre réputée répondre à sa demande »(15)

11 Pascale Daigle, dir. Culture et Tourisme Au coeur de l’identité urbaine, colloque 13-14 novembre 2008, cahier du participant, Chaire de tourisme Transat de l’ESG UQAM, 2008, p43 <www.culturalamontreal.com/docs/Colloque2008_tourisme_et_culture.pdf>
12 OECD The Impact of Culture on Tourism, OECD, Paris, French translation of pp. 3-75, 2009, only available on Internet. <www.oecd.org/dataoecd/35/5/42040218.pdf>
13 Mc Kercher Bob, Du Cros Hilary, The partnership between tourism and cultural heritage management, 2002, p.13
14 606e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 10 janvier 2006, Jean Didier Urbain : « Le touriste : du sujet symptôme à l’homme qui rêve »
<http://www.canalu.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/le_touriste_jean_didier_urbain.1466>
15 Texte de la 606e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 10 janvier 2006, Jean Didier Urbain: « Le touriste : du sujet symptôme à l’homme qui rêve », p.4
<http://download.cerimes.fr/media/canalu/documents/utls/download/pdf/100106.pdf>

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