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Chapitre 2 : L’aspect contradictoire de la loi Badinter : une protection optimale des victimes non conductrices, au détriment des conducteurs

On ne peut que soulever le grand paradoxe de la loi du 5 juillet 1985. En effet, si celle-ci a voulu garantir une indemnisation quasi-automatique des victimes non conductrices, et qu’elle y est parvenue, c’est en négligeant les conducteurs, qui se sont trouvés écartés du système. Par conséquent, les conducteurs ne bénéficient que d’une indemnité contractuelle en cas de faute de leur part ou lorsque leur véhicule est seul impliqué dans l’accident de la circulation.

Section 1 : Les faiblesses du dispositif impliquant une différence de traitement entre les différentes victimes

Cette différence de traitement entre les différentes victimes s’exprime de deux manières. D’une part, en ce qui concerne la faute opposable, dont le degré de gravité exigé pour exclure l’indemnisation diffère selon la qualité de la victime. D’autre part, alors que la victime non conductrice est toujours indemnisée dès lors que l’évènement, en l’occurrence, un accident de la circulation, est constaté, la victime conductrice ne bénéficiera pas de l’application de la loi lorsque son véhicule est seul impliqué dans l’accident.

Paragraphe 1 : Une multiplication des régimes d’indemnisation révélant des inégalités entre les victimes quant à leur faute

L’article 2 de la loi Badinter dispose que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er ». Cet article dénote le caractère autonomiste de la loi. D’une part, il détermine le défendeur à l’action, à savoir le conducteur ou gardien. D’autre part, on en déduit que ces personnes doivent répondre des dommages dont elles ne sont pas responsables ni la cause puisque celle-ci ne peuvent s’exonérer par la preuve de la force majeure ou le fait du tiers comme en droit commun. Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 1985, les victimes d’un accident de la circulation ne peuvent donc voir leur droit à indemnisation exclu lorsque l’accident est dû à un cas de force majeure.

Cette disposition, favorable aux victimes, s’applique quelle que soit leur qualité. Il en va différemment s’agissant de leur faute.

A- La faute de la victime non conductrice

On peut distinguer deux catégories de victimes qui n’ont pas la qualité de conducteur : il s’agit des non-usagers d’un véhicule terrestre à moteur et des passagers transportés. Les non-usagers sont les piétons, cyclistes et rollers. Les passagers transportés sont des utilisateurs du véhicule terrestre à moteur mais à la différence du conducteur, ils n’en ont pas la maîtrise. En vertu de ce rôle passif, on les assimile donc aux piétons et autres victimes protégées.
En ce qui concerne la faute de la victime, le régime mis en place par la loi est assez complexe. Celle-ci institue en réalité une multitude de régimes particuliers qu’il convient d’aborder.

D’après l’article 3 de la loi Badinter, les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident.(71). La faute de la victime n’est donc pas de nature à affecter son droit à réparation des atteintes à sa personne. Cette dernière est par conséquent entièrement rétablie dans ses droits même si sa situation avait été favorisée par la jurisprudence DESMARES.

Par ailleurs, il s’agit d’une consécration légale de l’arrêt DESMARES, le régime d’indemnisation étant celui du tout ou rien : la victime est toujours indemnisée, sauf si elle commet une faute inexcusable. Dans ce cas, elle ne perçoit aucune indemnité pour son préjudice. Cette solution n’a rien de choquant.

Il semble nécessaire en effet, « de maintenir une politique de prévention des accidents en conservant une place à la responsabilité individuelle pour les comportements les plus répréhensibles(72) ». La victime doit donc avoir un comportement digne, et respectueux à l’égard de la société, si elle souhaite solliciter une protection de sa part.

Le degré de faute exigé varie selon la situation de la victime. Certaines, parce qu’elles sont plus vulnérables, ne peuvent se voir reprocher une faute inexcusable, mais seulement une faute intentionnelle. Il s’agit de la catégorie des victimes super protégées âgées de moins de 16 ans, ou plus de 70 ans, ou lorsqu’elles sont atteintes d’un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80%. Pour celles-ci, l’alinéa 3 de l’article 3 prévoit que leur faute inexcusable ne peut leur être opposée mais seulement la recherche volontaire du dommage subi, c’est-à-dire leur faute intentionnelle. En pratique, elle se limite aux rares hypothèses de suicide. Il est logique de maintenir l’exclusion de leur indemnisation en cas de faute intentionnelle car le dommage qui en résulte n’est plus un accident au sens de la loi Badinter. Il convient de préciser que la faute intentionnelle est également opposable aux victimes non conductrices qui n’ont pas de statut particulier, même en l’absence de faute inexcusable.

Cette disposition marque le souhait du législateur d’accorder une protection supplémentaire aux victimes plus faibles, par leur âge (les personnes âgées, ou les enfants de moins de 16 ans qui ne pas toujours discernant et peuvent être distraits) ou par leur état physique ou mental.
Ceci est justifiable puisqu’à l’époque, la jurisprudence retenait régulièrement une faute à leur encontre. Le législateur a donc souhaité éviter ce genre de décision injuste. Pour cette catégorie de victime, on peut également penser que, compte tenu de leur situation, celles-ci ne sont pas amenées à conduire, et sont donc des agents passifs de la circulation à titre permanent.

B- La faute de la victime conductrice

S’agissant du conducteur, l’article 4 de la loi Badinter précise que « la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ». Tous les conducteurs sont concernés sans distinction et les personnes les plus vulnérables ne bénéficient pas d’un statut plus favorable. Le régime applicable n’est pas celui du tout ou rien : en effet, il est bien précisé que sa faute limite, auquel cas le conducteur ne bénéficie que d’une indemnisation partielle, ou exclut l’indemnisation des dommages. Sa faute simple peut donc lui être opposée, comme c’était le cas avant la jurisprudence Desmares. Pour le conducteur victime, c’est donc un retour au droit commun.

Sur les recours entre les coauteurs de l’accident, le fondement de l’action récursoire est particulièrement controversé, celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’un traitement par la loi Badinter. Certains considèrent que le droit commun devrait s’appliquer à ce stade alors que d’autres affirment que le recours doit se faire nécessairement sur le fondement de la loi en raison de son caractère autonome. Lorsque plusieurs véhicules sont impliqués, la charge définitive de l’indemnisation est répartie comme en matière de responsabilité du fait des choses. On relève ainsi trois situations, qu’il convient d’énumérer. Dans un arrêt de 1998, confirmé à de multiples reprises depuis(73), la Cour de cassation considère que « le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, impliqué dans un accident de la circulation et condamné à réparer les dommages causés à un tiers ne peut exercer un recours contre un autre conducteur impliqué que sur le fondement des articles 1382 et 1251 du code civil ».

On relève trois situations en pratique lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident.
La première est celle où deux conducteurs ont chacun commis une faute. Dans cette hypothèse, le poids de la réparation est réparti entre eux compte tenu de la gravité des fautes respectives et de leur rôle causal(74). Le conducteur débiteur ne peut répéter contre les autres coauteurs que les parts et portions de chacun d’eux.

La deuxième est celle où le conducteur est seul fautif. Dans ce cas, celui-ci ne peut exercer aucune action récursoire contre un autre conducteur impliqué qui lui n’aurait pas commis de faute. Même si sa faute ne présente pas les caractères de la force majeure, celui-ci verra son droit à indemnisation réduit, voire exclu, selon la gravité de la faute.

Enfin, la dernière situation est celle où plusieurs véhicules sont impliqués et que les circonstances de l’accident demeurent inconnues, faute de témoin fiable. La cause de l’accident ne peut ainsi être imputée à la faute de l’un des conducteurs victimes. Par une double application de l’article 4, chaque conducteur est donc indemnisé intégralement à défaut de la preuve de leur faute respective. On en revient donc à la solution déjà admise antérieurement en vertu de l’article 1384 alinéa 1er. La seule chose qui diffère est que chaque conducteur ne peut se voir opposer la force majeure ou le fait du tiers.

Il arrive que le dommage subi par la victime soit imputable à un second fait générateur de responsabilité, détachable de l’accident de la circulation. Les victimes sont alors tentées d’exercer leur action vers l’auteur du second fait générateur plutôt que vers le conducteur du véhicule. Le cas le plus illustratif est celui des victimes de contaminations issues de transfusions sanguines rendues nécessaires par l’accident de la circulation, qui agissent en principe exclusivement contre l’Etablissement français du sang, sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat. Chacun, le conducteur et l’EFS, est alors tenu à l’indemnisation du préjudice en proportion du degré de sa faute.

On constate que, quelles que soient les circonstances, le conducteur est pénalisé. En effet, dans la mesure où l’appréciation de la faute est laissée au juge, dès lors qu’il a commis une faute, la procédure est particulièrement longue dans la mesure où la notion est laissée à l’appréciation des juges. Cela implique donc nécessairement une procédure judiciaire. De plus, quand bien même celle-ci n’aurait pas commis de faute, elle doit attendre la fin de l’enquête judiciaire pour prouver sa totale innocence et bénéficier ainsi de l’ensemble des avantages de la loi. Le processus s’avère donc particulièrement long.

Par ailleurs, s’agissant de la charge de la preuve de la faute, elle pèse sur le défendeur(75). En l’absence de preuve d’une faute du conducteur, lorsque les causes de l’accident sont restées inconnues, le propriétaire d’un des véhicules doit indemniser intégralement le propriétaire de l’autre.

C- Autres régimes

L’immunité octroyée aux victimes non conductrices ne bénéficie cependant qu’aux victimes directes de l’accident. Pour les victimes par ricochet, l’article 6 dispose que « le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limites ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages ». Par conséquent, une victime qui a moins de 16 ans, et qui est superprotégée par la loi, ne sera pas indemnisée intégralement pour son propre préjudice par ricochet si la victime principale est un conducteur.

Il convient de préciser que s’agissant des dommages matériels en revanche, la faute de la victime, quelque soit sa qualité, peut lui être opposée(76). L’objectif de la loi Badinter est en effet d’indemniser les victimes des préjudices corporels prioritairement. La catégorie des dommages aux biens est cependant réduite : seuls les dommages matériels sont concernés et non les préjudices économiques tels que les pertes de revenus(77). Ainsi, sont considérés comme des dommages aux biens les dommages aux véhicules, ou aux effets personnels. Par ailleurs, sont étendus à la notion de préjudice corporel les fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale. En pratique, cette disposition n’est pas sévère pour les victimes non conductrices. En effet, en cas d’accident de la circulation, les dommages matériels que peuvent subir ces personnes se limitent à leurs effets personnels. Or, elle est la preuve encore une fois que la loi Badinter leur ait particulièrement destinée puisque si les dommages matériels sont peu élevés pour les victimes non conductrices, ils le sont en revanche pour les conducteurs qui, la plupart du temps, subissent des dommages conséquents à leur véhicule.

L’autre limite à l’autonomie de la loi Badinter est révélée lorsque la victime, conducteur ou gardien du seul véhicule, se trouve seule impliquée dans l’accident. Cette conséquence place donc le conducteur dans une situation délicate, puisqu’il ne peut alors bénéficier des avantages de la loi.

Paragraphe 2 : Le conducteur victime, « parent pauvre » de la loi Badinter

A- Les limites du champ d’intervention de la loi Badinter

Le système instauré par la loi Badinter n’est pas fondé sur les règles de la responsabilité. Le terme n’est d’ailleurs jamais mentionné dans ses dispositions. Pour autant, si la loi ne vise pas expressément un responsable, l’article 2 précise que la victime peut agir en réparation contre le conducteur ou le gardien du véhicule terrestre à moteur.

De cette disposition, on retiendra que la victime doit nécessairement exercer une action à l’encontre d’une autre personne pour obtenir réparation de son préjudice. Le défendeur étant le gardien ou le conducteur du véhicule terrestre à moteur. Cela exclut les piétons, cyclistes, passagers, même s’ils sont responsables et qu’ils ont provoqué un accident de la circulation, ainsi que le propriétaire, qui n’a pas toujours la garde du véhicule.

En réalité, ces personnes ne sont pas considérées comme des responsables de l’accident mais plutôt comme des auteurs du droit à indemnisation de la victime. Pour déterminer si le conducteur est le débiteur, le législateur a eu recours à la notion de l’implication de son véhicule terrestre à moteur dans l’accident. L’implication a donc une double fonction : plus qu’une condition d’application de la loi, il s’agit également d’une condition de l’indemnisation des victimes. Ainsi, elle permet de désigner le débiteur de l’indemnisation, soit le conducteur ou le gardien et son assureur.

La démarche du législateur se conçoit parfaitement. En effet, comme nous l’avons fait remarquer, celui-ci a calqué les règles de détermination de l’auteur du droit à indemnisation sur celles de l’assurance obligatoire de responsabilité civile automobile qui couvre indifféremment le conducteur et le gardien. Ainsi, l’action de la victime n’est recevable qu’à l’encontre des personnes qui sont soumises à l’assurance obligatoire des véhicules terrestres à moteur. Or, sur la base de cette règle simple, un certain nombre de situation discriminatoires entre les victimes conductrices et les autres en résultent.

Le conducteur du véhicule seul impliqué dans l’accident

Lorsque le conducteur est victime d’un accident dans lequel il est seul impliqué, il ne peut revendiquer à son profit la loi du 5 juillet 1985(78). La Cour de cassation le rappelle régulièrement, en retenant que « la loi de 1985 ne peut être invoquée lorsque le véhicule terrestre à moteur, dont la victime était le conducteur, est seul impliqué dans l’accident »(79). Par ailleurs, quand bien même la loi Badinter serait applicable, son préjudice ne serait pas indemnisé par son assurance automobile en responsabilité civile(80). Pour illustration, la Haute juridiction a pu juger qu’une femme heurtée par son propre véhicule, alors qu’elle en avait la garde et qu’elle était descendue pour refermer la porte de son garage, ne peut être indemnisée par son assureur responsabilité civile automobile(81). Il faut donc nécessairement un tiers responsable pour que la victime puisse obtenir un droit à réparation en vertu de la loi du 5 juillet 1985. Or, en France, un accident sur cinq se produit sans tiers en cause(82). Cette décision, bien que sévère à l’égard de la personne du conducteur, est juridiquement cohérente puisque celui-ci ne peut être responsable envers lui-même. Par ailleurs, le bénéficiaire d’une assurance de responsabilité ne peut être l’assuré. Néanmoins, cela est injuste pour le conducteur qui, même s’il est le seul impliqué, n’est pas toujours responsable de l’accident. Imaginons le cas d’une personne victime d’un malaise, qui perd le contrôle de son véhicule. Il en va de même en cas de collision avec un animal sauvage, tel qu’un sanglier. Les conséquences peuvent être dramatiques. Dans ce cas, ni lui, ni sa famille ne peuvent être indemnisés. Le passager quant à lui sera couvert par l’assurance du conducteur et bénéficiera de la loi Badinter.

Le conducteur victime d’un accident causé par un tiers non conducteur

Même en présence d’un tiers responsable, le conducteur ne bénéficie pas nécessairement des avantages de la loi. C’est le cas notamment en cas de collision avec une victime non conductrice, piétonne ou cycliste qui n’est pas soumise à l’obligation d’assurance automobile. Dans la mesure où le piéton n’est pas un gardien, ni un conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, le conducteur victime ne peut invoquer la loi Badinter à son profit pour obtenir réparation. Le piéton n’en est pas pour autant déresponsabilisé : le conducteur pourra tenter d’exercer une action en réparation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile de l’article 1382(83) ou de l’article 1384 lorsqu’il s’agit d’un cycliste. En revanche, du côté du piéton, en vertu de l’autonomie de la loi Badinter consacrée par la jurisprudence et rappelée de manière constante, celle-ci lui est applicable dès lors que les conditions sont réunies(84).

Ainsi, pour un accident dont les circonstances sont identiques pour chacune des parties, la jurisprudence fait une application distributive des règles du droit commun, pour le conducteur, et de la loi Badinter pour le piéton. Ceci n’est pas sans conséquence puisqu’alors que le piéton bénéficie des dispositions favorables de la loi pour obtenir réparation de son préjudice, le conducteur quant à lui devra rapporter les conditions de la responsabilité prévues à l’article 1382 du Code civil, à savoir une faute de la part du piéton. C’est le cas lorsque celui-ci n’a pas respecté le Code de la route(85). L’inégalité de traitement entre les deux types de victimes est incontestable. Au-delà de l’étendue de leur droit à indemnisation qui diffère sur bien des points dans les régimes de la loi Badinter et du droit commun, le piéton bénéficie de la procédure transactionnelle contrairement au conducteur qui devra la plupart du temps assigner le piéton en justice. Or, chacun sait que cette procédure est longue et coûteuse.

Par ailleurs, il convient d’évoquer la situation où un véhicule terrestre à moteur entre en collision avec un train ou un tramway. D’après l’article R110-1 du Code de la route, « sont exclus de la catégorie des véhicules terrestres à moteur, les véhicules qui circulent sur des voies propres ». Par conséquent, dès lors que les chemins de fer sont sur des voies séparées de celles où circulent d’autres catégories de véhicule, la loi ne leur ait pas applicable. Cela ne pose pas de difficultés jusqu’ici, puisqu’en principe, les véhicules automobiles et trains circulent sur des voies différentes. Les collisions sont donc peu probables.

En revanche, les accidents survenant à un passage à niveau sont fréquents. La Cour de Cassation, dans cette hypothèse, fait une surprenante distinction. En effet, la responsabilité de la SNCF reste engagée sur le fondement du droit commun alors que l’action exercée contre le conducteur ou gardien est régie par la loi du 5 juillet 1985 du code civil(86). L’automobiliste, pour obtenir réparation de son préjudice, devra exercer son action en vertu de l’article 1384 alinéa 1er. Il en va de même pour les accidents de tramways.

Geneviève Viney(87) a dénoncé cette situation discriminatoire à l’égard des victimes extérieures entrées en collision avec le train, ou le tramway, alors que « ce type d’accident relève également du risque de la circulation routière ». Selon elle, il n’est pas justifiable de traiter différemment les victimes extérieures des passagers du train ou tramways qui bénéficient du régime spécial d’indemnisation de la loi Badinter.

Il convient néanmoins d’insister sur la sévérité des décisions jurisprudentielles pour admettre l’exonération de la SNCF pour force majeure, fait d’un tiers, ou encore faute de la victime. A tel point qu’en pratique, le régime est semblable à celui de la loi Badinter. En outre, une proposition de loi visant à renforcer le droit des victimes d’accidents ferroviaires a été transmise au Sénat en février 2010. Elle prévoit notamment de supprimer l’exclusion des chemins de fer et tramways, ce qui permettrait aux victimes de tels accidents de bénéficier de la loi Badinter.

Cela étant, le gardien étant considéré comme l’un des débiteurs par la loi, le conducteur peut intenter son action en indemnisation à l’encontre du gardien du véhicule.

B- Le maintien de l’action du conducteur exercée à l’encontre du gardien

Cette option n’est possible que si les qualités de gardien et de conducteur ne coïncident pas sur la même tête. Il convient de définir brièvement chacune des deux notions.

La notion de gardien avait été utilisée bien avant la loi Badinter de 1985 dans le cadre du régime de la responsabilité civile du fait des choses.
Le conducteur, comme toutes les notions novatrices de la loi, n’a pas été défini par le législateur. La jurisprudence a pu préciser que le conducteur est celui qui, au moment de l’accident se trouve dans son véhicule et en contrôle la marche(88), le gardien étant celui qui dispose du pouvoir d’usage, de contrôle et de direction sur le véhicule(89). Le propriétaire du véhicule est présumé être le gardien. Par ailleurs, en principe, le conducteur est à la fois gardien du véhicule. En effet, bien souvent, c’est le conducteur propriétaire du véhicule qui est impliqué dans l’accident. De manière constante, la jurisprudence exclut dans ce cas l’application de la loi du 5 juillet 1985 lorsqu’il est seul impliqué dans l’accident.(90)

Néanmoins, en pratique, on relève des situations dans lesquelles il ne s’agit pas des mêmes personnes. Prenons le cas où une personne conduit un véhicule dans lequel se trouve le gardien, passager. Le conducteur perd le contrôle de son véhicule, qui percute une barrière de sécurité. Il subit un préjudice, tout comme le gardien. En ce qui concerne le gardien, ce dernier étant un passager transporté, il peut agir contre le conducteur sur le fondement de la loi Badinter(91).

En outre, le passager est un tiers dans l’assurance de responsabilité civile automobile. S’agissant du fondement de l’action du conducteur contre le gardien, la jurisprudence avait dans un premier temps considéré que le droit commun de la responsabilité civile devait s’appliquer. Cette décision, source d’inégalité entre le conducteur et le passager était particulièrement sévère et injuste pour le conducteur. Par la suite, la Cour de cassation s’est assouplie en affirmant qu’en cas d’accident de la circulation dans lequel un véhicule est seul impliqué, le conducteur peut exercer son action contre le gardien sur le fondement de la loi Badinter(92).

La question de savoir si le conducteur avait ou non la qualité de gardien au moment de l’accident est donc d’un intérêt crucial lorsque le véhicule est seul impliqué dans l’accident. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 novembre 2009 en est une illustration. Il s’agissait d’un conducteur victime d’un accident de quad loué auprès d’une société de location. La 2ème chambre civile considère ici qu’en vertu du contrat de location, la garde du véhicule avait été transférée au conducteur, le rôle du loueur étant limité au choix du circuit et à l’accompagnement de l’excursion. Ainsi, elle prive le conducteur du quad d’exercer une action en réparation sur le fondement de la loi Badinter contre la société de location. Cette décision est contestable. En effet, il aurait été possible d’admettre que la société de location, malgré le contrat, avait conservé la garde du quad et ce pour deux raisons :

D’une part, le conducteur était inexpérimenté, ce dont on peut en déduire qu’il n’avait pas le contrôle de son véhicule.
D’autre part, d’après l’arrêt, « l’accompagnateur avait décidé du circuit et disposait de la faculté de choisir la vitesse et, en toute hypothèse, d’arrêter le groupe de quads ». En se comportant comme l’organisatrice de l’excursion, la société de location avait donc conservé les pouvoirs de direction et de contrôle du quad.

Cette décision ayant une conception stricte du pouvoir de maîtrise du véhicule est par conséquent relativement sévère à l’égard de la victime puisqu’elle la prive de tout recours en indemnisation. En effet, les tribunaux ont pu, dans des situations similaires, considérer que si la victime était le conducteur du véhicule, elle n’était pas nécessairement le gardien. Pour illustration, la Cour de cassation a considéré qu’il n’y a pas transfert de garde lorsqu’un garagiste fait essayer une voiture à un client(93). Dans le même sens, dans le cas où le préposé qui agit dans le cadre de ses fonctions était amené à utiliser un véhicule de la société, le propriétaire, à savoir l’employeur, demeure le gardien, que celui-ci soit passager ou non dans ledit véhicule(94).

Ainsi, le préposé conducteur peut agir directement contre son employeur, pour obtenir réparation de son préjudice, en bénéficiant de l’application de la loi.
S’agissant d’un véhicule volé et seul impliqué dans l’accident, il aurait été étrange de faire peser à la charge de l’assureur du propriétaire l’indemnisation des dommages que pourrait subir le voleur sur le fondement de la loi Badinter. De manière surprenante, c’est pourtant ce qu’avait retenu la Cour de cassation dans un arrêt du 17 novembre 1993(95). Néanmoins, la loi du 31 décembre 1993 est venue apporter quelques précisions en modifiant l’article L211-1 du code des assurances qui précise désormais « qu’en cas de vol, les contrats ne couvrent pas la réparation des dommages subis par les auteurs, coauteurs ou complices du vol ». Par conséquent, le voleur ne peut plus invoquer la loi à son profit.

Du côté de la victime non conductrice, celle-ci peut agir contre le conducteur mais aussi contre le gardien, lorsqu’ils ne sont pas la même personne, ce qui double ses chances d’être indemnisée, contrairement au conducteur.

Lorsque l’on s’attache à étudier les conditions et le régime d’indemnisation de la loi Badinter, on s’aperçoit qu’il est difficile de l’analyser sans faire référence à l’assurance. Le caractère hybride de la loi, à la fois fondé sur la responsabilité et l’indemnisation automatique tient notamment au fait qu’il n’y ait qu’une assurance responsabilité civile automobile obligatoire. Par conséquent, dans l’hypothèse d’un accident sans tiers responsable, ou d’une faute, la victime conductrice ne bénéficie ni des avantages de la loi, ni de l’assurance responsabilité civile, sauf dans le cas où elle aurait souscrit une assurance de personne type individuelle conducteur.

Section 2 : Les mécanismes d’indemnisation des victimes, une réparation insuffisante du préjudice corporel subi par le conducteur

Toute victime bénéficie d’une protection sociale minimale de la part des organismes auxquels elle cotise. Depuis la loi de 1999 portant réforme de la Couverture maladie universelle, les exclus du système de cotisations obligatoires bénéficient du remboursement des frais médicaux. Cette indemnisation est versée quelles que soient les circonstances, qu’il y ait un tiers responsable ou non.

Au titre de l’indemnité complémentaire, la victime d’un accident de la circulation, qu’elle ait la qualité de piéton ou cycliste, bénéficie de l’assurance responsabilité civile du responsable sauf en cas de faute inexcusable. Si l’auteur du dommage n’est pas assuré, celle-ci peut toujours actionner le Fonds de garantie automobile.

Les choses sont plus délicates en ce qui concerne le conducteur victime. En cas de collision avec un autre véhicule, en principe c’est l’assureur responsabilité civile de chacun des véhicules qui sera chargé d’indemniser l’autre. La grande exception est une faute commise par la victime conductrice, qui aura vocation à limiter ou exclure son droit à indemnisation.

D’où l’intérêt pour le conducteur de souscrire une assurance individuelle accident, lorsque son véhicule est seul impliqué, ou lorsque celui-ci a commis une faute susceptible de limiter ou exclure son droit à indemnisation.

Paragraphe 1 : Le préjudice des lésés garanti par l’assurance responsabilité civile de l’auteur du dommage

Il s’agit d’une garantie minimale d’un contrat d’assurance automobile, obligatoire depuis la loi du 27 février 1958(96).
Selon la loi du 5 juillet 1985, la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, doit exercer une action en indemnisation à l’encontre du conducteur ou du gardien(97). Par conséquent, ce dernier a tout intérêt à s’assurer, afin de garantir sa solvabilité en cas d’accident.

L’assurance responsabilité civile a pour objet la réparation d’un dommage corporel, matériel ou immatériel que l’assuré a causé à autrui. En principe, ont la qualité d’assuré le souscripteur du contrat, le propriétaire du véhicule (qui n’est pas toujours le souscripteur), le conducteur, et depuis la loi Badinter, le conducteur même non autorisé. Avant cette loi, les contrats d’assurance stipulaient toujours qu’était assuré le conducteur autorisé. Or, cela était injuste pour les victimes d’accidents de la circulation en cas de prêt en cascade. Cela concerne les hypothèses où par exemple, un père prête son véhicule à sa fille, qui le prête à son copain, qui lui même cause un accident très grave. Comme ce dernier n’était pas autorisé, l’accident n’était pas garanti. Pour éviter cet abus, la loi Badinter a permis d’assurer le conducteur même non autorisé. Cela signifie que l’on assure également le voleur en responsabilité civile. Les assureurs ont alors trouvé une parade ingénieuse : prévoir une suspension des contrats 30 jours après la déclaration de vol. Or, si le sinistre intervient pendant les 30 jours, le voleur peut encore le déclarer à l’assureur. Ce qui renforce le droit à indemnisation des victimes, qui sont à l’abri d’une éventuelle insolvabilité du voleur. Les passagers ont également la qualité d’assuré. Par conséquent, en cas d’accident provoqué par l’ouverture brutale d’une portière, ou encore par le jet d’une canette par la fenêtre, celui-ci sera couvert par l’assureur et la victime pourra être indemnisée.

D’une manière générale, le gardien a qualité d’assuré.

En assurance responsabilité civile, l’indemnité est versée aux tiers. La victime qui a qualité d’assuré ne peut en bénéficier. Depuis la loi du 7 janvier 1981, les membres de la famille du conducteur ou de l’assuré sont des tiers, ce qui permet d’indemniser le conjoint ou les enfants transportés(98).
Par ailleurs, en ce qui concerne les exceptions de garantie, l’assurance responsabilité civile automobile étant obligatoire, les règles ne sont pas les mêmes que dans une assurance facultative. Les seules exclusions sont d’ordre légal, telles qu’une faute intentionnelle de l’assuré, et ne sont pas opposables aux victimes. Les franchises sont rares et ne sont pas opposables non plus, de même que la déchéance. En revanche, dès lors que le contrat est annulé ou résilié, la non garantie est opposable à la victime.

Enfin, d’un point de vue pénal, le défaut d’assurance est un délit sévèrement sanctionné par l’article L324-2 du code de la route. En effet, le fait de mettre ou de maintenir en circulation un véhicule non assuré, y compris par négligence est puni d’une amende de 3750 euros. Ce défaut d’assurance peut résulter de la non-souscription, du non-paiement de l’assurance mais aussi d’une exclusion de celle-ci ce qui est le cas la plupart du temps pour une suspension du permis de conduire.

S’agissant des victimes, l’indemnisation sera exclue en cas de faute inexcusable, cause exclusive de l’accident commise par la victime non conductrice. En revanche, lorsque la victime est un conducteur, sa faute simple pourra limiter ou exclure son droit à indemnisation.

L’assurance responsabilité civile, parce qu’elle est légale, constitue donc une sécurité pour les victimes d’accidents. Cette garantie est la plus favorable pour elles, l’indemnité n’étant limitée ni par les plafonds et règles des organismes de sécurité sociale, ni par les clauses des contrats d’assurance. Cela dit, celle-ci ne peut jouer lorsque la victime a commis une faute inexcusable, s’il s’agit d’un piéton, ou simple s’il s’agit d’un conducteur.

Paragraphe 2 : L’intervention du fond de garantie doté d’une compétence limitée

Le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages crée en 2003(99), a entre autre pour mission d’assurer l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation dont les auteurs n’étaient pas assurés ou non identifiés(100). Basé sur une logique de solidarité nationale relative, il est financé exclusivement par les assureurs et les assurés, et est placé sous la tutelle du ministère de l’économie.

Son domaine d’intervention est plus large que celui de la loi Badinter. En effet, il peut également résulter d’un dommage causé accidentellement par des personnes circulant sur le sol, dans des lieux ouverts à la circulation publique, tels que les vélos, rollers ou trottinettes. En outre, le fonds de garantie peut intervenir même en cas d’accident ayant pour cause une faute volontaire, à la condition qu’elle ne soit pas intentionnelle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu d’intention de causer le dommage. Par ailleurs, son intervention est subsidiaire, lorsque les indemnités ne peuvent être prises en charge à aucun titre que ce soit.

S’agissant de la qualité de la victime, toutes sont bénéficiaires sans distinction, qu’elles soient victimes directes ou secondaires. En effet, pour ces dernières, elles peuvent saisir le fonds de garantie en cas de décès de la victime principale.

Pour en bénéficier, la victime doit simplement justifier qu’elle est française, ressortissante d’un Etat de l’Union Européenne, qu’elle réside en France ou que son pays a conclu un accord de réciprocité.

La compétence du fonds de garantie est cependant limitée pour les dommages matériels. Ainsi, l’indemnisation est exclue lorsque la victime est propriétaire du véhicule impliqué dans l’accident. Or, bien souvent, le conducteur victime est propriétaire de son véhicule. Par conséquent, alors que la victime non conductrice et non propriétaire pourra obtenir l’indemnisation de son préjudice matériel, le conducteur s’en trouvera privé alors que le montant des dommages est en principe plus élevé, compte tenu du coût du véhicule. Par ailleurs, un propriétaire d’un véhicule volé impliqué dans un accident ne pourra saisir le fond de garantie.

S’agissant du responsable, la victime doit prouver sa responsabilité, même si celui-ci est inconnu, ou son non assurance lorsqu’il est identifié.
Enfin, le Fonds de garantie des assurances obligatoires prévoit une réparation intégrale lorsque la victime a subi des dommages corporels. En revanche, pour les dommages matériels, là encore, sa compétence est limitée. Il n’intervient que si la victime apporte la preuve qu’elle a également subi des préjudices corporels et l’indemnisation des dommages aux biens est plafonnée à un millions d’euros par évènement, ce qui n’est tout de même pas négligeable.

Le Fonds de garantie des assurances obligatoires intervient en cas de collision avec un animal sauvage. Néanmoins, depuis la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, les conducteurs ne peuvent plus compter sur celui-ci pour obtenir l’indemnisation des dommages matériels à leur véhicule lorsqu’ils résultent d’accidents de la route causés par la faune sauvage. La seule possibilité pour le conducteur est alors de se tourner vers son assureur personnel. Cette disposition aggrave par conséquent la situation du conducteur victime. En revanche, elle ne concerne pas les dommages corporels que peut subir le conducteur du fait d’un accident causés par un animal sauvage. Dans ce cas, le Fond de garantie des assurances obligatoire peut être saisi en cas d’hospitalisation de plus de 7 jours suivie d’une incapacité temporaire de travail d’au moins un mois ou d’incapacité permanente partielle égale à au moins 10%. Les passagers quant à eux restent couverts et indemnisés par la garantie responsabilité civile de l’assurance automobile du conducteur. Les dommages matériels causés par un animal domestique dont le propriétaire n’est pas assuré restent indemnisables.

Cette réforme sévère à l’égard du conducteur a été jugée nécessaire dans la mesure où les dépenses dues aux accidents causés par des animaux sauvages sont trop lourdes. La totalité de ce type d’accident a représenté 34 millions d’euros en 2009 ce qui est égal au montant des contributions perçues. Cette dépense représente à elle seule plus de 20% des dépenses du fond de garantie. Par ailleurs, le nombre de dossiers traités en la matière est considérable : en 2009, 65000 dossiers de collisions de ce type ont été traités. Si une réforme était nécessaire, elle n’en demeure pas moins dure pour les conducteurs victimes.

Hors les cas où un tiers serait à l’origine de l’accident de la circulation, le fonds de garantie n’est donc pas compétent pour indemniser le conducteur.
Par ailleurs, la Cour de cassation a récemment rappelé que le Fonds de Garantie des Victimes d’Attentats et de Terrorisme ne peut intervenir pour l’indemnisation du conducteur victime d’un accident dans lequel il est seul impliqué(101). L’article 706-3 du Code de procédure pénale prévoit que « toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits, volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne », notamment lorsque ces atteintes « n’entrent pas dans le champ d’application du chapitre premier de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 ». En l’espèce, le conducteur d’un quad, victime d’un accident dans lequel il était seul impliqué avait été privé de l’application de la loi Badinter, ayant été considéré comme le gardien dudit véhicule. Souhaitant réparer son préjudice, celui-ci avait saisi la CIVI afin d’obtenir une indemnisation du fonds de garantie des victimes d’attentats et de terrorisme. La Cour de cassation a rappelé que l’infraction, volontaire ou non, nécessite l’intervention d’un tiers, excluant ainsi la possibilité pour le conducteur d’un véhicule seul impliqué dans l’accident dont il est victime, d’actionner le FGVAT.

Paragraphe 3 : La garantie individuelle du conducteur : une garantie contractuelle

Cette garantie est une assurance personnelle, qui est amenée à jouer lorsque le conducteur a commis une faute qui limiterait son droit à indemnisation par l’assureur responsabilité civile, ou dans le cas où il serait seul impliqué dans l’accident. Il s’agit d’une garantie facultative, ce qui signifie que le conducteur n’est pas obligé de la souscrire.

Peu de français savent qu’un contrat d’assurance automobile, même en tous risques, ne protège pas intégralement le conducteur lors d’un accident dont il est responsable. On se retrouve donc parfois dans une situation paradoxale selon laquelle le véhicule, objet de toutes les attentions est mieux assuré que le conducteur. Afin de combler les lacunes juridiques relatives à l’indemnisation des conducteurs, les assureurs ont proposé des garanties contractuelles diverses. La plupart du temps donc, le conducteur ne bénéficiera que d’une garantie contractuelle.

La garantie individuelle du conducteur n’est pas incluse dans les contrats automobiles de base, et de manière surprenante, même en cas d’assurance tous risques. Une étude a été menée par le groupe l’Equité, dont les conclusions ont été rapportées par Marie-Christine Dejean, responsable services supports, des partenariats et vente à distance de l’Equité(102). Au cours de cette étude, 28 contrats d’assurance proposés par les principaux assureurs du marché (dont Axa, Covea, Groupama) ont été analysés, dont 13 en automobile, 3 couvertures individuelles accident non incluses dans l’automobile et 12 garanties des accidents de la vie. En premier lieu, il en ressort que la majorité des assureurs ont choisi d’inclure la garantie individuelle conducteur dans leur contrat d’assurance automobile. C’est la garantie des accidents de la vie. Cette inclusion est favorable au conducteur : même non informé du caractère facultatif de cette garantie, celui-ci en bénéficie par une inclusion automatique dans son contrat. Ce qui permet d’éviter un trou de garantie lorsque celui-ci a commis une faute, ou encore lorsqu’il est seul impliqué dans son dommage. Par ailleurs, l’inclusion est intéressante pour l’assureur qui ne risque pas d’oublier de la proposer et qui est ainsi couvert contre toute responsabilité en cas de manquement à son devoir de conseil. Cependant, certains assureurs continuent de proposer cette garantie en option uniquement. C’est la garantie individuelle accident.

D’un point de vue générale, le défaut d’assurance du conducteur ne pose plus de difficulté aujourd’hui. En 1998, seuls 43%(103) avaient souscrit une assurance complémentaire pour couvrir l’indemnisation de leur préjudice en cas de faute, ou lorsqu’aucun autre véhicule n’était impliqué dans l’accident(104). En 2009, le taux de couverture de l’assurance du conducteur ou « individuelle conducteur » intégrée au contrat automobile s’élève à 93%.

La garantie intervient dans deux types de circonstances. En cas de blessures subies par le conducteur, elle vise à couvrir les préjudices physiques, tels que la douleur, préjudice moral ou esthétique, les préjudices financiers ou les conséquences d’incapacité physique permanente ou temporaires, totaux ou partiels. En cas de décès, l’indemnité est versée à la famille de la victime, en compensation du préjudice moral et économique qu’elle a subi (frais d’obsèques, diminution ou perte de revenu supportée par la famille).

Néanmoins, à l’inverse de l’assurance responsabilité civile automobile, la garantie individuelle du conducteur n’étant pas obligatoire, les assureurs sont libres, en vertu de l’article 1134(105) du Code civil d’en fixer le contenu. Par exemple, ils sont libres de déterminer quelle est la personne assurée au titre de la garantie individuelle conducteur. La majorité des offres du marché couvrent le souscripteur propriétaire du véhicule et tout conducteur autorisé par le souscripteur propriétaire, ce qui inclut le conjoint, mais aussi les enfants mineurs conduisant un véhicule à son insu, ou les apprentis dans le cadre de la conduite accompagnée. Cependant, force est de constater que la notion de conducteur est entendue de manière plus restrictive par certains assureurs qui exigent sa désignation aux conditions particulières.

Il en va de même concernant la notion d’évènement garanti. Il s’agit, dans la majorité des contrats d’assurance, d’un accident, à savoir « évènement soudain, imprévu, extérieur et non intentionnel de la part de la victime, constituant la cause du dommage ». Dans un sens plus favorable à l’assuré, l’étude constate que plus de 25% des contrats examinés ne se limitent plus à cette définition de l’accident, ni à celle retenue par la loi Badinter. En effet, certains garantissent également l’indemnisation des dommages corporels résultant d’incendie, d’explosion, d’évènements naturels, vols ou tentative de vol du véhicule avec violence, mais aussi ceux intervenant lors de la réparation ou dépannage du véhicule.

Concernant les limites d’indemnisation, là encore, elles varient d’un assureur à l’autre. La plupart des contrats d’assurance prévoient une franchise relative qui constitue un seuil en dessous duquel l’indemnisation n’est pas possible. En principe, elle est de 10%, d’AIPP(106). Or, 90% des accidents entrainent une incapacité inférieure à ce taux. Par conséquent, 90% des accidents sont écartés. S’agissant des plafonds d’indemnisation, c’est à la dire, la somme maximum que l’assuré va toucher, ceux-ci sont presque toujours inférieurs aux indemnités allouées en droit commun. Sur ce point, on constate là encore des disparités importantes entre les assureurs. Par exemple, lorsque la garantie est incluse, certains prévoient un plafond de 150000 euros alors que d’autres le fixent à 800000 euros. En option, la moyenne des offres se situe entre 500000 et 600000 euros. Certains assureurs proposent des montants d’indemnisation insuffisants par rapport à la gravité des dommages, alors que d’autres subordonnent à l’application de la garantie des conditions rigoureuses. Il n’est pas nécessaire cependant que le plafond soit très élevé. Etienne Bonnet, responsable technique des produits auto et moto chez Axa France, explique que « certains contrats peuvent prévoir des plafonds d’indemnisation à 1 millions d’euros. Il faut être vigilant car l’indemnisation forfaitaire n’atteint réellement ce plafond qu’en cas de perte d’autonomie quasi-totale, et qui reste très rare ».

Sur les prestations, leur nature peut varier selon les contrats. La plus courant est la prestation forfaitaire, avec le versement d’un capital établi en fonction de la gravité des dommages corporels. Mais le contrat peut également prévoir une indemnisation selon le droit commun qui permet d’indemniser l’ensemble des préjudices subis.

L’assureur en garantie individuelle n’est pas soumis à la procédure transactionnelle prévue par la loi Badinter. La Cour de cassation a eu l’occasion de le préciser, notamment dans un arrêt du 15 mars 2007(107) dans lequel elle rappelle que « lorsque la loi du 5 juillet 1985 n’est pas applicable, cette offre n’a pas lieu d’être ». Ce qui est là encore source d’inégalités entre les victimes non conductrices dont l’indemnisation leur est versée rapidement et les victimes conductrices qui dépendent du bon vouloir de l’assureur. Il convient toutefois de préciser que des conventions ont été conclues entre les compagnies d’assurance afin de faciliter le règlement des sinistres en promouvant les accords d’indemnisation entre les victimes et assureurs des dommages matériels et corporels.

Enfin, lorsqu’une personne physique ou morale assujettie à l’obligation d’assurance s’est vue refuser la garantie par une entreprise d’assurance dont les statuts n’interdisent pas la prise en charge de ce risque, celle-ci peut saisir le Bureau Central de Tarification. Cette autorité administrative indépendante a pour mission de fixer la prime moyennant laquelle l’entreprise d’assurance désignée par l’assujetti est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé.

Sa compétence pour intervenir pour des assurances obligatoires est limitative : en effet, sa saisine n’est possible que pour des assurances obligatoires qui concernent la responsabilité civile automobile, l’assurance construction, l’assurance des catastrophes naturelles ou encore l’assurance de la responsabilité civile médicale. Par conséquent, la garantie individuelle du conducteur n’étant pas obligatoire, le conducteur qui se voit refuser la souscription d’une telle assurance ne bénéficie pas de l’action du Bureau central de tarification. Or, cette hypothèse n’est pas rare, notamment à l’égard des jeunes conducteurs ou des personnes dotées d’une sinistralité importante.

Si elle est précieuse en l’absence de tiers impliqué(108), l’indemnisation du conducteur est souvent incomplète et dépend des garanties souscrites dans le contrat. Il est regrettable que la population française ne soit pas suffisamment informée que le système d’indemnisation actuel engendre d’importantes injustices. En définitive, seul est indemnisé le conducteur qui a des moyens suffisants pour pouvoir bénéficier d’une bonne garantie.
Le conducteur est donc la victime sacrifiée par le dispositif Badinter. L’inégalité de traitement entre les différentes victimes, instaurée par le législateur est amplifiée avec l’interprétation jurisprudentielle des notions centrales de la loi.

71 Article 3 loi 5 juillet 1985 : Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident. ,Les victimes désignées à l’alinéa précédent, lorsqu’elles sont âgées de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80%, sont dans tous les cas indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis. Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage qu’elle a subi.

72 F.Terré, Ph Simler et Y.Lequette, Droit civil : les obligations PUF 1980
73 Cass, civile 2ème, 26 octobre 2006 , n°05-19.022
74 Cass, civile 2ème, 24 octobre 1990, n°89-15.205, NPT, JCP 1990, IV,416.
75 Cass, civile 2ème, 24 juin 1987, Bull civ II n°136
76 Article 5 loi 5/07/1085 : la faute commise par la victime a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages aux biens qu’elle a subis. Toutefois, les fournitures et appareils délivrés sur prescription médicale donnent lieu à indemnisation selon les règles applicables à la réparation des atteintes à la personne.
77 Cass Civ 2ème 24 janvier 1990 JCP G 1990, II, 21581
78 Cass, civile 2ème, 12 mai 1986 n°85-13.760
79 Cass, civile 2ème, 7 décembre 2006, n°05-16.720
80 Article R 211-8 du code des assurances : « l’obligation d’assurance ne s’applique pas à la réparation des dommages subis par la personne conduisant le véhicule, lorsqu’ils sont transportés dans le véhicule, par le conjoint, les ascendants et les descendants des personnes et dont la responsabilité est engagée du fait du sinistre ».
81 Cass, civile 2ème, 13 juillet 2006, n°05-17.095
82 Pleins phares sur l’actualité du conducteur,Jurisprudence Automobile n°825, janvier 2011, p.20
83 Cass, civile 2ème 4 mars 1992, D.1993.396 : « la responsabilité d’un piéton, pour les dommage qu’il cause à l’égard du conducteur victime, est régie par les article 1382 et suivant du code civil. Plus récemment, civile 2ème, 15 mars 2007 n°06-12.680
84 Cass, civile 2ème, 4 février 1987 D.1987.187 : « l’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, à l’exclusion de celles des articles 1382 et suivants du Code civil ».
85 Cass.Crim, 2 novembre 2005, JA 2006, p.482
86 Cass, civile 2ème 17 mars 1986 n°84-16.011
87 Loi Badinter : le Bilan de 20 ans d’application, Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Brun et Patrice Jourdain, L.G.D.J Institut André Tunc 2006
88 Cass, civile 2ème, 14 janvier 1987 n°85-14.655
89 Chambres réunies, 2 décembre 1941 Franck
90 Cass, civile 2ème, 19 novembre 1986, n°85-13.760, Bull civ II n°156
91 Cass, civile 2ème 6 mars 1991, n°89-15.697, Bull civ.II, n°370
92 Cass, civile 2ème 2 juillet 1997, n°96-10.298
93 Cass civile 2ème, 14 octobre 1971, Bull civ II n°278
94Civile 2ème, 11 avril 2002
95 Cass civile 2ème, 17 novembre 1993 n°91-15.867
96 Loi n°58.208
97 Article 2 Loi Badinter : Les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article premier.
98 Article R324-1 du code de la route : Les membres de la famille du conducteur ou de l’assuré, ainsi que les élèves d’un établissement d’enseignement de la conduite des véhicules terrestres à moteur agréé, en cours de formation ou d’examen, sont considérés comme des tiers au sens du premier alinéa du présent article.
99 Avant cette loi, il s’agissait du Fonds de garantie automobile, crée en 1951
100 Article L421-11 du code des assurances : le fond de garantie est chargé de l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules dont la circulation entraine une obligation d’assurance, et qui ont leur stationnement habituel en France ou sur le territoire de l’Union Européenne
101 Civile 2ème, 10 novembre 2009
102 Source : dossier jurisprudence automobile, la couverture des préjudices corporels du conducteur : un marché encore hétérogène. n°825 – janvier 2011 la couverture des préjudices corporels du conducteur : un marché encore hétérogène.
103 Sources : l’Argus de l’assurance
104 Enquête APSAD 17 juin 1999
105 Article 1134 code civil : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
106 Atteinte Permanente à l’Intégrité Physique et Psychique
107 Cass, 2ème chambre civile, 15 mars 2007, Jurisprudence automobile, avril 2007
108 Maître Jehanne COLLARD Maître Romy Lafond, Victimes défendez-vous, le guide des accidentés, édition Flammarion février 2007

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