Le livre de Salman RUSHDIE sur Le Prophète MUHAMMED, Les Versets Sataniques soulève non seulement des vagues et passions mais réveille notamment de vieux démons que l ’on avait omis depuis les Lumières. Ce livre crée un véritable débat médiatique, en deçà cependant de la crise diplomatique qui secoue et l ’Europe et l ’Islam. La traduction et la parution du livre en France ouvrent aussi le débat entre les opposants à la publication du livre, pour des raisons morales et éthiques propres à leur religion, contre les défenseurs de la libre expression, le droit au savoir et à la connaissance, c’est à dire les défenseurs de la Libre pensée qui tiennent pour chef de file VOLTAIRE. Pour étudier la position du journal L ’Humanité, il faut replacer l’affaire dans le contexte de crise diplomatique qui va donc influencer la prise de position du journal et qui sera la prise à partie des communistes français.
En cela, trois points me semblent essentiels à traiter.
Dans un premier temps, il nous sera pas moins nécessaire de mettre en corrélation le communisme et la religion, plus particulièrement l’Islam et le socialisme, qui nous permettra d ’envisager la ligne de conduite prise par le quotidien communiste.
Ensuite, nous survolerons les pages du journal. Nous traiterons aisément de la spécificité de cet engagement, défense du pauvre et de l ’opprimé, combat contre la haine et l ’exclusion. On dénote en somme une vision manichéiste du monde et de la société française, lutte du bien contre le mal, de la lumière contre l ’obscurantisme religieux. Ceci se révèle être une entrave à l ’épanouissement des libertés de l’homme.
Enfin, Les Versets Sataniques vont vite envenimer les relations diplomatiques entre Téhéran et Londres, ce qui se traduira, de par la Fatwa notamment, d’un véritable malaise qui opposera et confrontera une intelligentsia occidentale à l ’Iran, à l ’Ayatollah KHOMEINY, à l’intégrisme religieux, à l’islamisme.
L’enjeu diplomatique va rapidement se traduire en enjeu politique car l’Occident, les Européens ont longtemps cru que les populations immigrées musulmanes se vouaient à un loyalisme sans faille aux directives des pays d ’exil, ou aux pays musulmans. Dès lors, l ’enjeu politique peut être de taille : comment ne pas frustrer la communauté musulmane de F rance, qui est majoritairement de nationalité française, donc un électorat potentiel, et s ’opposer dans un même temps à l’Ayatollah KHOMEINY ?
A / ISLAM-SOCIALISME.
Quelle fût l ’attitude du journal à l ’annonce du communiqué concernant la fatwa à l’encontre de l’auteur des Versets Sataniques ?
Cette question revient à se demander quelle fût (ou / et quelle est encore) la position de L’Humanité face à l ’Islam qui n’est pas qu’une religion mais une civilisation, une culture, une philosophie, une idéologie, avec son système d ’institutions, de valeurs auxquelles le socialisme universel s’est vu confronter ?
Le comportement du parti communiste français et de l’humanité à l’égard de l’Islam ne se conçoit que dans un vaste ensemble qui lie le communisme et la religion, traduit par une longue histoire conflictuelle qui oppose Le Prophète à Marx. Ajoutons qu ’il faut spécifier le rapport communisme-Islam, de par le fait que nous ayons plusieurs communismes, comme plusieurs islams ainsi que plusieurs situations géopolitiques dans le monde, nous pouvons affirmer que la confrontation communisme-Islam passe d ’abord par un rejet du fait religieux par le communisme dans un premier temps, puis réciproquement le religieux va juger le communisme. Soulignons pour exemple l’encyclique Divini Redemptoris (1) du 19 mars 1937 de PIE XI, qui est l ’expression et le point d ’aboutissement d’une longue réflexion sur le communisme. Ce document condamne bien l’idéologie communiste. Le Pape reproche aux «communistes athées», « intrinsèquement pervers » de faire entrevoir une « idée de fausse Rédemption », de dépouiller l ’homme de sa conduite morale. La condamnation occupe une place brève dans l ’encyclique, mais le Pape prend acte d ’une situation de complète rupture. Nous noterons donc un rejet mutuel, l ’un la jugeant athée et matérialiste, l ’autre répondant par une phrase qui résume ce qu’il pense du fait religieux :
«La religion est l’opium du peuple» (2)
En cette fin du XXème siècle, l ’effondrement du modèle communiste en Europe orientale et dans les pays arabo-musulmans propose une conclusion sans doute provisoire, au gigantesque affrontement qui a opposé depuis la fin de la guerre 1914-1918, les démocraties libérales aux totalitarismes. Cette période «sans doute provisoire» selon BERSTEIN (3), a conduit à émettre l ’hypothèse que ce champ libre laissé par le communisme a permis la montée en puissance d’un Islam comme idéal idéologique politique et religieux. L ’Islam fût longtemps conçu comme le garant d ’un ordre social parce qu ’on y notait un fervent ciment. On y voyait un facteur de solidarité, la religion maintenait la cohésion des sociétés. C ’est aussi la doctrine d’AFGANI (4) sceptique en matière de religion, de tendance profane et humaniste. Il part du principe que le but de l ’homme es t de s’acquérir ce qui est beau et désirable. La politique tend vers le même but. L ’Islam, en employant ses propres moyens essaie d’apporter ce qui est nécessaire pour nourrir «l ’imagination de la masse».(5)
AFGANI savait aussi qu ’il y avait d ‘autres idéologies ou croyances pour accompagner le but de l ’homme, c ’est à dire d ’entrer en possession de ce qui est beau et désirable. Deux idéologies retiennent son attention :
– le nationalisme
– le socialisme.
Pour Afgani, la foi excessive, l ’aura religieuse misent dans la « toute puissance de la politique » (6) pour engendrer de la prospérité publique et du bonheur personnel.
Ce rapprochement entre Communisme et Islam est aussi le fruit d ’un appel de Lénine et de Staline aux musulmans de Russie et d ’Orient, en Décembre 1919 pour lutter contre le colonialisme. Le congrès de Bakou en juillet 1920 est le premier signe de l ’intérêt affiché par l’Union Soviétique pour le proche et le Moyen-Orient.
En 1924, le P.C.P( Parti Communiste de Palestine) est reconnu par l’International Communiste. Le Comité exécutif de L ’Internationale Communiste recommande au parti de soutenir le mouvement national de la population arabe contre l ’impérialisme britannique et le sionisme. On y retrouve un peu l ’élan qu’avait pris le sultan GA LIEV, marxiste et communiste : « Il voyait moins dans la lutte des classes d ’appoint entre le capitalisme et le prolétariat au sein des nations industrielles, qu’entre les européens et le monde oriental qu ’ils exploitaient, colonisaient et opprimaient ». Jusqu’en 1928, le sultan GALIEV organisa activement «chez les musulmans soviétiques la résistance politique et doctrinale à l ’élément européen dominant dans le parti communiste d ’Union Soviétique» (7). Nous noterons que plusieurs expériences de ce genre ont échoué et ont conduit à croire qu ’Islam et communisme ne devaient pas être compatibles. Nous passerons d’un rejet de l ’Islam par le communisme à un rejet du communisme par l’Islam.
Nous illustrerons ce rejet par l ’article du Mardi 6 juin 1989 intitulé: « L’espoir des jeunes communistes », qui fait part aussi bien de la joie de la mort de l ’Ayatollah le 5 juin 1989 et de l ’espoir pour la reconstitution de leur pays. A cet égard MARMAR, la responsable du parti Toudeh, ne cache pas son opinion : «Ce que nous ne voulons plus, continue-t-elle, c’est un régime théocratique» (7).
L’affaire des Versets atteint son paroxysme en France avec la manifestation à Paris du 26 février 1989. Il s ’agit d’une manifestation « intégriste » selon le quotidien qui témoigne d ’un certain malaise social. Maxime RODINSON (8) s ’interroge d’ailleurs à ce sujet sur le recours à l ’Islam comme force conservatrice de résignation sociale qui ne pourrait être contournée que par un aggiornamento, par une synthèse organique des valeurs religieuses traditionnelles et des préceptes novateurs d ’organisation et de morale sociale. Le recours à la religion ne sera donc qu ’un moyen d ’uniformiser, de dynamiser, de créer et de consolider un groupe, une classe sociale.
Dans l ’entretien de Maxime RODINSON avec Michèle MULLER, du 22 février 1989, article intitulé : «Vivre l ’esprit critique» paru dans L’Humanité, nous retiendrons que l ’auteur synthétise, qu ’il résume l’affaire à la synthèse de deux ensembles (9). Selon lui, à la base de l’affaire RUSHDIE, c ’est un choc idéologique, l ’affrontement entre deux logiques : l ’une religieuse, l ’autre politique ; l ’une occidentale, l’autre orientale. Ces deux mêmes logiques se sont ensuite inscrites dans l’esprit collectif des occidentaux après la conférence de Yalta et de la division du monde en deux ensembles idéologiques et politiques. RODINSON reprend exactement le même schéma sans tenir compte des disparités géographiques, économiques et politiques qui varient d’un pays musulman à un autre. Des disparités qui vont d’ailleurs s’affirmer avec le flot médiatique et retentissant des Versets Sataniques, puisque tous les pays arabes majoritairement musulmans n ’ont pas suivi ou réitéré l ’appel au meurtre de KHOMEINY.
Nous pouvons rappeler aussi, d ’une part, que le socialisme a toujours fasciné et passionné les intellectuels et les hommes d ’état musulmans, mais que d ’autre part, ils sont pratiquement uniformes sur la condamnation du marxisme matérialiste et athée (10). Nous sommes loin d ’une chasse aux sorcières et du maccarthysme américain, mais nous avons quelques exemples de sentences prononcées à l ’encontre d ’intellectuels ou artistes musulmans remplissant les conditions de propagande communiste. Prenons pour exemple le poète turc Nazim HIKMET, condamné à 56 ans de prison en 1925 et 1928.
Il faudrait ajouter aussi que tout en suivant les enseignements de MARX et de LENINE, les communistes ont souvent cherché une légitimité dans l’Islam, et dans son histoire (10).
Cependant, il existe certains points de divergence comme l’égalitarisme social. Pour les communistes, l ’abolition de la propriété privée est la menace de toutes les inégalités et les injustices sociales, ce qui s ’oppose donc à la justice sociale de l ’Islam, reconnaissant et approuvant la propriété privée, allant même jusqu’à la protéger.
Il est vrai que le socialisme a séduit et on assiste à un véritable ralliement, après la décolonisation, de plusieurs pays qui se sont réclamés du socialisme à l ’instar de l ’Algérie. Mais c ’est l ’Egypte nassérienne qui a été la première à l ’appliquer et qui, à bien des égards, a servi de modèle. Tous ces régimes ont en commun :
la condamnation du matérialisme et de l’athéisme (a) le rejet de la théorie de la lutte des classes car tous les citoyens de (b) la nation arabe , doivent et peuvent bénéficier du progrès et du développement.
.la recherche d’une légitimité islamique. (c) La plupart des expériences socialistes du Maghreb et du Moyen-Orient ont tourné court… Peut-être sous les pressions internationales, la mondialisation de l ’économie, les crises pétrolières. En effet, à cet égard le président Chadli BENJEDID a fait approuver en 1989, une constitution diamétralement opposée à celle de BOUMEDIENE de 1976 : abandon du socialisme et du parti unique. L ’échec et l’effondrement du communisme dans les pays arabes ont eu pour conséquence sur l’échiquier mondial, de la part du communisme, non plus une volonté d ’universalisme et de séduction, mais une impression de prise de recul. C’est l’impression qui ressort du journal L’Humanité concernant la politique du Moyen-Orient sauf pour la Palestine, cause que le journal a épuré. Entendons nous bien :
lorsque nous parlons d ’impression, il s ’agit de prendre en compte la séquencité de la thématique « islam » à travers diverses affaires, en l’occurrence ici celle des Versets Sataniques. C ’est la montée en puissance de l ’Islam dans ce quart de siècle, cet Islam qui se positionne sur le plan international et national puisqu ’il est la deuxième religion de France. C’est dans cette situation de puissance montante qu’il faut l ’entrevoir et que le discours journalistique va se bâtir. L’Humanité est consciente aussi qu ’elle partage avec l ’Islam la volonté de combattre les méfaits de la pauvreté, de la maladie, de l’ignorance et des intérêts égoïstes. Ce sont ces interactions entre l’idéologie communiste (la ligne directrice du journal s ’inscrit dans la suite du programme communiste français) et l ’Islam dans le monde, plus précisément les relations entre le parti communiste français et l’Islam en France dont nous venons de voir que le point de vue du journal variera surtout en fonction de l ’affaire et des relations internationales.
B / L’HUMANITE DENONCE L’OBSCURANTISME RELIGIEUX.
Pourquoi L’Humanité s ’engage-t-elle dans l ’affaire RUSHDIE au risque de déplaire à certains de ses lecteurs ? C’est que le journal, par la polémique et le débat sur le thème qu ’a produit l ’annonce de l’appel au meurtre de KHOMEINY, a conduit une intelligentsia française, c ’est à dire des artistes, des universitaires, des philosophes, des scientifiques, etc… à réagir, à contester ce qu ’ils nomment « une entrave à la liberté d ’expression ». Dès lors, le journal suit le raisonnement suivant : si on condamne Les Versets Sataniques, on condamne la liberté d ’expression et de publication, donc un jour ou l ’autre, on pourra être passible d ’une même condamnation. C’est pourquoi le journal se sent lui-même agressé. L’Humanité se range du côté de RUSHDIE, non pas par approbation des idées de l ’auteur, ni même par opposition à l ’Islam ou aux musulmans de France mais plus par rejet de l ’obscurantisme religieux.
Dans l ’article du 18 février 1989, «Le prétexte du Coran», Michèle MULLER stipule que la Fatwa de l ’Ayatollah KHOMEINY n ’a, d’une part, aucune valeur obligatoire pour les croyants et qu ’elle peut être annulée par une fatwa contradictoire. D ’autre part, elle précise que l’appel au meurtre est un acte et une mesure moyenâgeuse, elle parle de «marche-arrière» et de «retour à l ’Inquisition». Ce que les philosophes des Lumières et les penseurs de la Rév olution avaient tendance à appeler et appellent toujours l ’obscurantisme. Les connotations péjoratives que l ’on s ’efforce de donner à l ’image de l’Islam, demeurent depuis longtemps dans les consciences collectives de tout un chacun ; une conscience qui renferme l’époque des croisades, avec toute sa littérature imaginaire décrivant les Sarrasins, les «hordes mahométanes» à l ’instar de ce que décrit CHATEAUBRIAND au XIXème siècle dans ses Mémoires d’Outretombe,
on les a souvent décrits comme étant de «rudes guerriers tirant leur force du message coranique, qui pour l ’essentiel se résumerait à offrir le paradis à tout combattant mort en conquête dans la voie de Dieu».
Un autre article du Comité Europe (11) : « Contre l’intolérable » du 21 avril 1989, comparant l ’acte de KHOMEINY aux pires moments de l’Inquisition, veut aussi témoigner de son soutien au journal L’Humanité tout en y faisant part de son inquiétude face à la recrudescence des fanatismes. Le journal légitime sa position en montrant le point de vue d ’autres revues, reflétant le même avis sur le rejet, c ’est à dire le combat contre l ’intolérance et l ’intégrisme. L’Humanité entre dans l ’affaire RUSHDIE par une autre porte que celle de la spiritualité, de la question morale et éthique, de la remise en question du texte sacré, loin de l ’aspect théologique et philosophique. Bref, le quotidien s ’en tient à la portée juridique et constitutionnelle, à laquelle cette affaire touche : c ’est à dire à la liberté d ’expression et de justification chère aux médias qui ne se cachent pas de l’avoir gagnée durement.
Le journal dans son ensemble, compare l ’acte de condamnation, l’appel au meurtre de l ’Ayatollah KHOMEINY à un acte de barbarie forcément mauvais et d ’autant plus si cela émane d ’instances religieuses. En effet, cela nous plonge dans cette période sombre de l’histoire du Moyen-âge que le quotidien communiste qualifie « d’obscurantisme ».
Le Petit Robert définit comme tel : l ’obscurantisme est «ce qui consiste à empêcher la diffusion des connaissances, des cultures, des progrès scientifiques généralement pour des motifs religieux». Par opposition au Siècle des Lumières correspondant à une période de crise européenne, l ’obscurantisme est une réponse en France à une crise religieuse, l ’église catholique se trouvant divisée dans le conflit du quiétisme qui opposait FENELON et BOSSUET, conflit des gallicans et des ultra-mondains sur les pouvoirs respectifs du roi et du Pape, conflit entre le pouvoir et les jansénistes. Nous sommes dans une période de «mal-croire» (Lucien FEBVRE) ou le credo est en péril, le diable rôde, le diable est partout, et pour exorciser le mal, on brûle des livres et des pseudo-sorcières. C ’est également l’époque o ù l ’on croyait que pour conjurer les différents fléaux (famines, maladies, épidémies…) dus à une hypothétique colère divine, on multipliait les processions de flagellants, les massacres de femmes et de juifs, cela engendrés par des comportements qui relèvent de l’hystérie collective.
Peut-on comparer ces hystéries collectives qui induisent un besoin de morts pour anesthésier leur peur avec la manifestation de Paris? L’Humanité titre le 27 février 1989 «Manifestation intégriste à Paris», et retitre en page intérieure «L ’arme de la haine». Il va requalifier la manifestation d’«intégriste» le 2 mars 1989 suite au renoncement de la chanteuse Véronique SANSON qui s’était vue menacée pour avoir évoqué le nom d ’ALLAH dans une de ses chansons. L ’article dénonce les menaces et les dangers qui peuvent planer sur les artistes à cause des religions.
Nous notons cependant une contradiction dans le positionnement du journal ou alors une divergence des points de vue. Cela peut-être pour objectiver sa position. Bref, le quotidien affirme que fatwa va à l’encontre des règles et devoirs préconisés dans le Coran.
L’article déjà cité, intitulé « L’anti-Coran », réfute l’idée selon laquelle l’appel au meurtre est légitimé dans le Coran. L ’argument de L’Humanité est ici justifié si l ’on reprend l ’interdiction du meurtre promulgué par l ’Islam. « C’est pourquoi nous avons prescrit pour les enfants d ’Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur Terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie d ’un homme, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes » (13).
Cependant, s ’il est reconnu « ennemi de l ’Islam » par les Mollahs selon Maxime RODINSON (14), alors l ’acte de KHOMEINY est légitimé, car « l’insulte du Prophète doit être en principe mise à mort ». L ’auteur, ici, va plus loin dans le récit historique et événementiel qu ’il fait de l ’Islam : une religion volontairement figée pour faire face aux agressions du monde extérieur et aux progrès. La religion serait ainsi un fardeau pour l ’homme, et se détacher de ce poids lui permettrait de mieux évoluer, car nous ne serions pas ralentis par des contraintes morales et éthiques. Bon nombre de chercheurs ont essayé de comprendre le « pseudo-immobilisme » de l’Islam. Louis GARDET, notamment, y voyant une certaine frustration : « le monde musulman ne se sentirait-il pas frustré d ’être resté en retrait de l ’histoire et de n ’avoir pas participé à la fête des changements ? (15). Il est clair que, comme dans toutes les religions, à des moments précis de l ’histoire, des groupes plus ou m oins extrémistes refusant toute évolution, allaient même jusqu’à vivre de la façon la plus rudimentaire afin d ’imiter la vie du Prophète. Toutefois, nous observons dans l’Islam deux courants :
1 – les modernistes, qui sont pour une adaptation de l ’Islam au 21ème siècle, pensent que l’Islam doit aider à mieux vivre son temps et non pas à alimenter un passé lointain. Ils optent pour une réouverture des textes sacrés, l’ijtihad (16) ;
2 – les traditionalistes , eux, sont pour une lecture suivie du Coran et « un refuge frileux dans le passé (17).
C’est ce dernier courant que L’Humanité condamne. Ces musulmans sont cependant loin d ’être des intégristes ou encore des terroristes. Ils rêvent seulement d ’un Etat islamique idéalisé sur le modèle de la cité de Médine. Il ne faudrait pas à ce titre en faire pour autant des obscurantistes, car ce serait effacer, en Iran par exemple toute attitude mentale de recherche scientifique, de créativité et d’innovation.
A plus grande échelle, dans le monde musulman, l ’Islam a toujours été la Religion par excellence de la lutte contre l ’ignorance. Rappelons à ce sujet la charte du culte musulman en France du 10 Décembre 1994, celle-ci prescrit dans l ’article 7 : « L’Islam encourage la science, honore les savants et combat l ’ignorance… »,
suivi de l ’article 8 : « L’Islam est depuis toujours une religion de la connaissance. « Cherche le savoir du berceau jusqu’au tombeau »
avait dit le Prophète (SAWS).
La polémique sur les versets controversés nous plongent dans la controverse. Le journal L’Humanité condamne l ’appel au meurtre, la barbarie de l ’acte, montrant ou essayant de prouver à ses lecteurs, par l’intermédiaire de la démonstration de Maxime RODINSON que la fatwa est une émanation justifiée de l ’Ayatollah, et que donc tant que la religion aura le pouvoir de condamner un homme ou une oeuvre, cette religion restera un danger pour l ’homme. Nous replongeons ainsi dans l ’imaginaire des luttes contre la sorcellerie du Moyen-âge et nous n ’hésitons pas à prononcer des mots qui effraient et qui retentissent comme une alerte à la bombe dans le psyché collectif. Le Djihad (18), tiré de l ’article du 24 février 1989 « Chantage aux otages», relate l ’appel du Djihad islamique depuis Beyrouth demandant à suivre l ’appel de KHOMEINY dans sa lut te contre le sionisme et l ’impérialisme américain. Dans son sens universel, le Djihad, dont le nom dérive de la racine JHD, signifie à l ’origine « faire des efforts ». Ce qui est fort différent de « guerre sainte » faisant de Islam, la religion du glaive, définition couramment employée occultant sons sens profond et spirituel.
Le Djihad, selon Seyyed HOSSEIN NASR, est un combat à la fois intérieur et extérieur, qu ’il nous décrit dans L’Islam traditionnel face au monde moderne , Edition L’âge d ’homme, 1993. En son sens le plus extérieur, le Djihad est venu à exprimer la défense du « Dâr al Islam », c’est à dire le monde islamique contre l ’invasion et l’intrusion de forces non musulmanes. Mais au retour de ces premières guerres qui étaient de la plus grande importance par la survie de la communauté religieuse nouvellement fondée, le Saint Prophète prit parole à cet égard et dit à ses compagnons qu’ils étaient revenus de la petite guerre sainte, c ’est à dire la bataille intérieure contre les forces qui empêchent l ’homme de vivre selon la norme théomorphique, primordiale voulue par Dieu. Les appels aux guerres saintes ont retenti tout au long de l ’histoire, et furent réitérés dans la seconde moitié du XXème siècle pour aider à la décolonisation, puis à l’encontre de la création de l ’état d’Israël, jusqu’à l ’appel lancé par Saddam HUSSEIN pendant la guerre du Golfe.
Ces « fous de Dieu », comme les a surnommés L’Humanité, qui se définissent à travers des personnages emblématiques tels que KADHAFI ou KHOMEINY ont servi cette image déjà floue que l ’Occident avait et que le quotidien communiste français « obscurcit » désormais. Nous pouvons noter que la fatwa lors de l ’affaire RUSHDIE est un appel au meurtre mais à considérer comme une arme défensive, de protection. Comme pour l’idée de Djihad, il ne s ’agit pas toujours d ’une question religieuse légitimant un acte politique et diplomatique, mais plutôt de la tentative d’une société dans laquelle la religion garde toute son importance de se protéger contre une conquête menée soit par des forces économiques, militaires ou des idées dont la nature lui est étrangère. Ainsi donc , il y a la double fonction du Djihad, lutte contre l ’ennemi de la religion et lutte contre l ’ignorance. Cette ignorance demeurant un ennemi de l ’Islam. Chaque musulman est en lutte en son for intérieur, et par conséquent, il est à la quête du savoir, il ne cherche nullement à détruire ou tuer la pensée humaine afin de glorifier les « évidences divines » et de ne pas les remettre en question, mais bien au contraire le musulman est voué à une démarche intellectuelle et rationnelle. Encore une fois, nous sommes loin de l ’obscurantisme religieux que condamne L’Humanité.
C/ L’HUMANITE : OBLITERE PAR L’ENJEU DIPLOMATIQUE
1 / La révolution islamique en Iran
a / Les origines du renouveau de l’Islam
L’Islam, comme la religion chrétienne, a connu au cours de son histoire plusieurs schismes, aboutissant au développement de tendances différentes en son sein. La religion musulmane connaît un nombre assez impressionnant de «sectes» (attention à ce mot : dans le cas présent, il signifie tout simplement : «tendance» dans la religion musulmane). Deux grandes tendances prédominent pourtant :
– la tendance sunnite : elle regroupe l ’immense majorité des musulmans.
– la tendance chiite : le terme chiite signifie «factieux, sectaire». Ce terme péjoratif fut donné aux chiites par les sunnites. Cette tendance est beaucoup plus radicale dans l ’interprétation du Coran que les sunnites. Les chiites représentent aujourd ’hui environ 10% des musulmans. Ils sont surtout nombreux en Iran. Or c ’est d’Iran que va venir le changement des années 1970.
Les origines de l ’intégrisme islamique (aussi appelé par certains spécialistes «islamisme radical » (19)) : on peut marquer comme point de départ du renouveau islamique , la guerre des Six jours. En effet, la défaite croissante des armées arabes a marqué aussi l’échec de la vision nassérienne du monde arabe moderne. Nasser en effet, préconisait un réveil du monde arabe en tentant de concilier la tradition et le modernisme à l’occidentale. La défaite militaire de 1967 est alors perçue par certains comme une défaite des idées de Nasser . De ce fait, en 20 ans, on voit se développer un courant traditionaliste rejetant la culture occidentale et prônant un retour strict aux préceptes du Coran. Ce courant est très actif au sein de la communauté chiite, principalement en Iran et cela depuis le X ème siècle. Conscient que cet appel au meurtre n’émane que d’un homme qui ne fait :
pas l’unanimité politique dans son propre pays a) ne représente que 10 % des musulmans dans le monde b) Le journal L’Humanité déclare que la promulgation de l ’Ayatollah n’a pas lieu d ’être, compte tenu qu ’elle est contredite par l ’Ayatollah Mehdi ROUHANI (représentant chiite en Eur ope). En effet, il se détache des prises de position de KHOMEYNI, notamment en condamnant l ’appel au meurtre contre l ’écrivain britannique, dans l’article de Françoise-Germaine ROBINE du 5 Juin 1989 :Une Dictature orpheline .
Cependant, la position du chef de la communauté chiite en Europe condamne aussi la publication du livre dans un article du 19 Juillet 1989 : Les Versets sataniques en vente en France. L ’Ayatollah juge l ’oeuvre blessante pour les sentiments d’environ un milliard de musulmans. ROUHANI représenterait dès lors le point de vue d ’une grande majorité de musulmans en France concernant cette affaire. La révolution islamique en Iran. b) En Février 1979, la révolution éclate en Iran. Le Shah (l ’Empereur) doit prendre la fuite. Il va se réfugier aux Etats-Unis. Cette révolution aboutit à la mise en place d ’une république islamique, le pouvoir étant entre les mains de religieux chiites, avec à leur tête KHOMEYNI. Cette république islamique est un régime inédit dans l’histoire :
– tous les postes clefs sont occupés par des religieux
– à l ’intérieur, KHOMEYNI impose un retour aux valeurs traditionnelles (retour à la justice médiévale : loi du talion, obligation pour les femmes de porter le voile…)
– à l ’extérieur, développement et exportation de la révolution islamique. A ce titre, l ’Iran soutient au Liban le groupe terroriste du Djihad Islamique.
C ’est une organisation intégriste pro-iranienne rassemblant des extrémistes chiites libanais. Cette organisation est responsable des attentats les plus meurtriers au Liban (notamment en 1983, le double attentat de Beyrouth contre le QG des Marines américains). Quant à l ’affaire RUSHDIE, le 24 février 1989, L’Humanité confirme que le Djihad Islamique suit l ’appel au meurtre et « appelle les fidèles et croyants du monde entier à suivre l ’appel de KHOMEYNI dans sa lutte contre le sionisme et l ’impérialisme américain » (20). L’arrivée de KHOMEYNI à la tête de l ’Iran marque un grand tournant dans les affaires du Moyen-Orient, en compliquant encore une situation qui était loin d’être facile auparavant. Ce régime islamique développa vers les pays voisins une intense propagande. On assista donc au début des années 80 à un développement rapide de l’islamisme radical, à la formation de groupe terroristes fanatisés par la parole de KHOMEYNI, décidés à lutter jusqu ’à la mort contre « les deux satans » : Israël et l’Occident.
Au-delà de la crise religieuse. c) L’article signé Michel MULLER du 27 Février 1989, Un Crime politique, marque la procédure entamant la rupture entre Téhéran et Londres. Rupture qui ne prendra effet que le 7 Mars, à la suite du projet de loi voté en Iran demandant la cessation des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne. Cette crise cache l ’enjeu économique qui lie les deux pays. En effet, la production de pétrole dans les années 50 en Iran est sous le contrôle de la compagnie Anglo-Iranian. En Mai 1951, le premier ministre du Shah Mohammed MOSSADEGH nationalise la compagnie. Cette situation entraîne une grave tension entre les deux pays. Cependant, un accord est conclu entre le gouvernement iranien et les compagnies pétrolières : 50 % des exportations reviendront à l ’Iran. Nous pouvons tirer trois conséquences de ces événements qui ont marqué le début d ’une nouvelle ère :
– les pays producteurs de matière première ou énergétique prennent conscience de l’avantage qu’il peuvent tirer de la situation ;
– l’Occident, gros consommateur de matière première commence à prendre conscience que la docilité des pays producteurs n’est plus ce qu’elle était ; dans un contexte d ’économie monde, les pays occidentaux commencent à apprendre à dialoguer avec les pays arabo-musulmans.
Loin de n ’être qu’un enjeu diplomatique ou religieux, l ’affaire prend une ampleur économique et politique en France, ce que déplore ouvertement L’Humanité dans plusieurs articles.
2/ Le P.C.F. ne veut pas diviser son électorat en se positionnant sur la publication des versets sataniques
Selon l ’article de M.MULLER du 27 février 1989, « L’arme de la haine, » KHOMEYNI est décrit comme un fanatique dont le seul but n’est pas guidé par des convictions religieuses mais par des ambitions politiques. Le premier élément que l ’on peut tirer de cet article , est que le journal cherche à discréditer les mesures prises par l’ayatollah, afin que celui-ci ne soit pas pris en considération par la communauté musulmane de France.
Le journaliste cherche certainement ici à mettre en porte à faux l’influence supranationale de l’IRAN, celle-ci est loin d’être justifiée puisque la soi-disante influence des pays arabo-musulmans sur la communauté islamique en France ne s’est pas opérée ces dix dernières années ( nous l’avons constaté avec l’appel au meurtre de KHOMEYNI qui n ’a été entendu que par un groupuscule de fanatiques , de même lors de l ’appel au petit djihad par SADDAM HUSSEIN pendant la Guerre du Golfe qui n ’a en rien perturbé la sécurité de l ’Etat. Le deuxième élément que nous pouvons tirer de cet article , est que l ’auteur cherche certainement à conforter la population française pour ne pas créer un climat de haine ou de rejet de la communauté musulmane en France : rejet qui serait profitable au F.N. C ‘est pourquoi L’Humanité fait très tôt la distinction entre les « fous de dieu », c’est à dire les intégristes et le reste des musulmans en France.
Il est évident que nous entrons dans le champ politique avec L’Humanité , un peu moins lorsque nous parlons de l ’affaire RUSHDIE. Cependant le journal y dénonce une reprise et une dérive politique dangereuse dans un article du premier Mars 1989, « Intolérance à la une » . En effet le quotidien craint que l ’affaire ne profite à l ’extrême-droite de Jean-Marie LEPEN , nous constatons dans cet article une mise en garde quant à la médiatisation et la politisation des Versets Sataniques . Le journal s ’afflige du « spectacle » opéré autour de l ’affaire, s ’indignant du face à face télévisé qui opposa GABTENI (le responsable de la manifestation de Paris) à GALLOU (un des responsables du F.N).
Le quotidien prend conscience que cette affaire peut servir pour légitimer les thèses de l ’extrême-droite. C’est peut-être à ce titre que le journal ne veut pas entrer dans un débat politique, dans le sens ou l’on nous donna pas la position des membres du Bureau. La prise de position a porté uniquement sur la liberté d ’expression et de publication . La coloration politique que nous donne l ’organe du P.C.F est son opposition au F.N , dans le sens o ù celui-ci ne recule devant rien pour satisfaire son électorat et mettre en place un climat d’insécurité qui lui sera profitable lors des élections.
De plus le quotidien du Parti Communiste Français cherche à réconforter son assise électorale (si cette affaire avait une quelconque influence sur les futurs élections ?), par une sorte d’enquête plébiscitant de la même manière son engagement. Les résultats de cette enquête furent publiés dans L ’Humanité Dimanche du 6 Mars 1989, l ’article : une majorité des français sont pour la publication des versets sataniques , nous donne les chiffres suivants :
– 9% des français sont contre la publication du livre
– 89% sont favorables à sa publication.
– 51% des français sont pour l’interdiction des associations appelant au meurtre de l’écrivain Britannique
On notera que L ’Humanité a été affectée par la manifestation de Paris dans laquelle certains islamistes scandaient : « A mort RUSHDIE » ; cela n ’est pas extraordinaire de la part du journal car nous entrons avec celui-ci dans le champ politique, la presse d’extrême gauche privilégie en effet l ’événement social (crises, grèves, manifestations…) contrairement à La Croix , o ù là on entre dans le champ ecclésial, l ’événement religieux sera mis à l ’ordre du jour. Chaque journal, chaque genre de journal peut être considéré comme une attente d ’événement, dessinant autour de lui un champ événementiel. L’Humanité nous dit que la presse communiste française ne veut pas faire de Salman RUSHDIE, un nouveau DREYFUS.
On a dès lors une préprogrammation de l’affaire de par la nature même du journal .Il n ’y a donc plus d ’impératif déontologique et objectif qui caractérise normalement l ’information, le journal, en effet, est pour la publication du livre, ce qui l ‘oppose à une bonne partie de la communauté musulmane de France. Le journal condamne sans aucune mesure la fatwa de 1.
KHOMEYNI, mais dans aucun article il ne cherche à juger ou critiquer l ’oeuvre de Salman RUSHDIE. Nous pouvons justifier cette absence par le fait que le quotidien n ’est pas un critique littéraire cependant, il entre dans le champ religieux par l ’intermédiaire de Maxime RODINSON pour nous éclairer sur l ’obscurantisme religieux. L’Humanité est à la recherche d ’une certaine neutralité, ne faisant pas des extrémistes de la manifestation, une généralité.
André LAJOINIE à ce sujet affirmera dans l ’article du 2 Mars 1989 « RUSHDIE : Moscou veut calmer la tension », « nous ne confondons pas ces extrémistes avec les musulmans, nous ne sommes pas disposés à faire le jeu de LEPEN ». A la lumière de cet article, nous noterons que L ’Humanité nous éclaircit sur son point de vue :
(1) La Russie cherche le dialogue avec le Moyen-Orient et non pas des ruptures diplomatiques, cela se confirmera par la grève du 22 Juin 1989 (21). L’Humanité avance ici un éventuel rapprochement entre l’Iran et l ’Union Soviétique. Nous sommes face à un appel de Moscou qui opte pour un apaisement des relations entre Téhéran et l’International Communiste.
Le PCF confirme sa lutte contre l ’obscurantisme religieux (2) médiéval que fait rappeler cet appel au meurtre en qualifiant les défenseurs de la fatwa d ’« extrémistes ». André LAJOINIE met en avant l’idée qu’il n’est pas contre la religion mais qu ‘il lutte contre le fanatisme religieux.
Enfin, nous noterons, que le PCF ne veut pas faire des Versets (3) sataniques un débat politico-médiatique : « Nous ne sommes pas disposés à faire le jeu de LEPEN ». Même si le journal s ’oppose aux idées du FN, il n’en est pas moins pour autant du côté de la majeure partie des musulmans de France.
L’affaire RUSHDIE va reprendre de l ’élan avec le double-meurtre du 29 Mars 1989 à la mosquée de Bruxelles. Il s ’agissait du recteur Abdullah Adel et de son bibliothécaire Saleh el BEHIN. L es autorités, la presse française ainsi que la presse internationale émettent l’hypothèse selon laquelle les assassins seraient liés à l ’affaire RUSHDIE, suite à la prise de position de Abdullah Adel lors d ’une déclaration télévisée, il avait jugé le livre blasphématoire et diffamatoire en citant : « il faut faire la différence entre une société islamique et une démocratie occidentale o ù chacun a le droit de s’exprimer comme il le souhaite ». Dans un article de F-G. ROBIN, Un crime politique, le journaliste dénonce l’envergure et la dimension politique que Les Versets de l ’écrivain britannique prennent en Europe et en France. A cet égard, le journal, émettra trois hypothèses concernant les assassins et les commanditaires de ce double-meurtre :
(1) L’Humanité croit vraisemblablement que l ’extrême droite serait à l’origine des assassinats. On retrouve ici une constante de la nature même du journal qui se définit justement par opposition au FN de Jean-Marie LE PEN. N ’y voit-on pas une manoeuvre du quotidien 101 pour faire planer le doute sur les factions politiques à tendance raciste ayant des implantations européennes jugées dangereuses et hostiles à la paix ? Image du complot et de l ’organisation aux multiples tentacules : voilà ce qu ’essaie de dresser pour nous L’Humanité ?
Cependant, F-G. ROBIN n’épargne pas les griefs qui opposent les (2) représentants et porte-parole de la communauté musulmane en Belgique. La journaliste prend donc en considération les vices de la nature humaine et y voit un crime de jalousie.
Enfin, la journaliste termine son analyse en n ’omettant pas de (3) supposer que le meurtre a aussi pu se jouer à l’échelle internationale. Etant Saoudien, l’Imam de Bruxelles devenait de ce fait un opposant à l’Ayatollah KHOMEYNI. Vision à relativiser car tous les Saoudiens ne sont pas opposés à tous les Iraniens. Il existe en effet quelques divergences d’ordre religieux entre les deux pays, chacun cherchant à augmenter sa sphère d ’influence dans le monde arabo-musulman, l’un se prévalant d ’abriter en son sein La Mecque , l ’autre se réclamant descendant du Prophète MUHAMMED. L ’Imam de Bruxelles devenait aussi et peut être un ennemi du régime iranien parce qu’il s’opposa à l ’appel au meurtre de l ’Ayatollah mais notons que d’autres Imams refusèrent de suivre la fatwa : Mehdi ROUHANI (représentant de l ’Islam chiite en France) ainsi que le recteur de la mosquée de Paris.
Pour clore ce chapitre, nous ajouterons que, sur le plan médiatique et pseudo-littéraire, il existe quelques articles d ’une certaine violence peignant un Islam figé, le définissant comme la religion de la fermeture, de la flagellation, de la main coupée. Ce qui crée justement et cultive une peur dans l ’inconscient collectif, dans le psyché occidental. Relativisons ici le rôle du journal dans cette affaire, quoiqu’engagé, il revient sur le jeu des miroirs déformants. Il ne tombe que dans des clichés et stéréotypes façonnés par des préjugés. Le journal ne part pas par exemple du principe que l’appartenance à la Umma ne revient pas à dire que le musulman appartient à la Umma entière. Le journal communiste identifie peut être le communiste français au musulman français. Le communiste tout comme le musulman appartient à un groupement national et international. Le communiste français a ses propres spécificités, son propre passé, sa propre histoire. L’Humanité veut ici montrer que le loyalisme des communautés ethniques religieuses ou politiques vouées à des instances supranationales et tant craint par les autorités, n’est pas toujours réellement fondé.
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