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CHAPITRE 4: Suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou réalité ?

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Ce chapitre pose la problématique de l’autorité de la Constitution de 1987. Cette autorité oscille entre mythe et réalité. Dans un premier temps, nous donnons quelques raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution (section I). Dans un deuxième temps, nous essayons de démontrer que cette suprématie est hypothéquée, car juridiquement mal assurée (section II).

SECTION I.- QUELQUES RAISONS DE LA SUPRÉMATIE PRÉSUMÉE DE LA CONSTITUTION DE 1987

Une Constitution est en quelque sorte un code des Pouvoirs publics et une charte des libertés. De ce point de vue, Louis DUBOUIS et Gustave PEISER ont rappelé que « la Constitution est la Loi suprême de l’État(216). » D’ailleurs, Georges BURDEAU a estimé : « Que la Constitution soit écrite ou qu’elle soit coutumière, elle demeure la Loi suprême de l’Etat. »(217)

Un peu plus loin, Georges BURDEAU a aussi fait valoir que « la force qui s’attache aux dispositions constitutionnelles doit être envisagée à un double point de vue : elle leur vient en effet toujours de leur contenu et parfois de la forme dans laquelle elles sont édictées(218). »

Dans cette perspective, au regard de son contenu, la Constitution de 1987 paraît être la norme suprême de l’Etat. Cela permet de présumer sa suprématie matérielle (§ 1). De plus, son mode d’adoption et surtout sa procédure d’amendement consacrent une rigidité de la norme constitutionnelle. Cette rigidité permet de présumer une suprématie formelle de la Constitution (§ 2).

Par ailleurs, on a pu identifier une consécration implicite du principe de la hiérarchie des normes juridiques dans la Constitution de 1987. Au sommet de cette hiérarchie, les constituants de 1987 ont placé la Constitution. Cette dernière prescrit le principe de la légalité des règlements de l’Exécutif et de l’Administration et le principe de la constitutionnalité des lois, des conventions, traités ou accords internationaux (§ 3).

En conséquence, toutes ces raisons concourent à faire présumer l’autorité, donc la suprématie de la Constitution de 1987 sur les autres normes juridiques.

§ 1.- LE CONTENU DE LA CONSTITUTION

Selon les professeurs Louis DUBOUIS et Gustave PEISER : « La raison profonde de la supériorité de la Constitution tient à l’importance du contenu des règles constitutionnelles : organisation du pouvoir, consécration des droits et libertés fondamentales du citoyen(219). »

De son côté, le professeur Georges BURDEAU précise : « La Constitution doit sa supériorité surtout à son contenu(220). »

Pour sa part, le professeur Philippe ARDANT, faisant référence au contenu d’une Constitution a fait la remarque que voici : « La diversité est reine, mais un fonds commun aux Constitutions existe(221). » Pour lui, dans une Constitution, on trouve généralement et fondamentalement une Déclaration des droits, des principes d’organisation économique et sociale, des règles d’organisation et des procédures de fonctionnement des institutions, puis des dispositions diverses.
En effet, la Constitution de 1987 a un contenu similaire sinon identique au contenu indiqué par Philippe ARDANT :

– D’abord, la Constitution de 1987 s’ouvre par un Préambule et comporte une Déclaration des droits. D’ailleurs, la Constitution fait référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (DUDH) à la fois dans son Préambule et dans ses dispositions(222). De plus, elle fixe les droits civils et politiques du citoyen sans négliger les droits économiques et sociaux. De ce point de vue, la Constitution de 1987 peut être considérée comme une charte des libertés. Selon Philippe ARDANT : « Ces textes formulent la philosophie politique du régime, les valeurs dont il se réclame, et énoncent les droits et libertés des citoyens que le pouvoir s’engage à respecter(223). »

– Ensuite, les principes d’organisation économique et sociale dont parle Philippe ARDANT sont inscrits dans la Constitution de 1987 et prennent place prioritairement dans son Préambule.

Dans le Préambule de la Constitution de 1987, il est clairement indiqué : « Le Peuple haïtien proclame la présente Constitution. […] Pour constituer une nation haïtienne socialement juste, économiquement libre et politiquement indépendante. […] Pour fortifier l’unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l’acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l’information, à l’éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens. »

– Pour ce qui concerne les règles d’organisation et les procédures de fonctionnement des institutions dont fait mention le professeur ARDANT, elles forment en quelque sorte la toile de fond de la Constitution de 1987.

La Constitution de 1987 crée trois Pouvoirs dans l’Etat : le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Judiciaire(224). L’article 59-1 précise : « L’ensemble de ces trois (3) Pouvoirs constitue le fondement essentiel de l’organisation de l’Etat qui est civil. » De plus, à l’article 59, la Constitution dit consacrer le principe de la Séparation des trois Pouvoirs.

En outre, sur le plan local, la Constitution de 1987 crée des collectivités territoriales et en fait le cadre fondamental de la décentralisation qu’elle prône.

– En dernier lieu, pour le professeur ARDANT, les « dispositions diverses » que contient la Constitution précisent certains attributs de l’Etat et proclament des principes variés comme le nom de l’Etat, des dispositions relatives au drapeau, les langues, etc.

Là encore, la Constitution de 1987 donne le nom de l’Etat : « République d’Haïti » qu’elle veut être d’ailleurs démocratique(225). Elle donne les couleurs du drapeau : « le bleu et le rouge », le décrit et en fait l’emblème de la Nation(226). Elle fixe le Créole et le Français comme les deux langues officielles de la République(227). Elle donne l’hymne nationale (La Dessalinienne), l’unité monétaire (La Gourde)(228), etc.

En somme, on vient de voir que la Constitution de 1987, vu son objet, correspond bien à ce « fonds commun aux Constitutions » qui a pu être identifié par le professeur Philippe ARDANT.

Par conséquent, en raison de l’importance du contenu de ses règles, on peut déjà présumer une suprématie de la Constitution de 1987. D’ailleurs, les professeurs Louis DUBOUIS, Gustave PEISER et Georges BURDEAU ont estimé que le critère profond de la suprématie de la Constitution doit être recherché dans son contenu.

D’aucuns diraient qu’il s’agit d’une suprématie matérielle. Toutefois, le mode d’adoption et la procédure d’amendement de la Constitution de 1987 permettent encore de présumer sa suprématie formelle.

§ 2.- LE MODE D’ADOPTION ET LA PROCÉDURE D’AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION

Selon le professeur Georges BURDEAU(229) : « L’autorité renforcée que la Constitution doit à son contenu appelle logiquement à une consécration formelle. En ce sens déjà, la rédaction de la Constitution extériorise la puissance particulière qui s’attache à ses dispositions. » Plus loin, il avance que « pour rendre cette garantie plus efficace, on subordonne aussi sa modification au respect de certaines conditions de forme. »

Tenant compte de ce qui précède, il est à peine besoin de souligner que les conditions qui ont présidé à l’adoption de la Constitution de 1987 et celles exigées pour sa modification en font une Constitution rigide. D’ailleurs, à en croire Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, ce formalisme confère en principe à la norme constitutionnelle une force juridique qui la situe à la première place dans la hiérarchie des règles de droit(230).

En effet, la forme dans laquelle la Constitution de 1987 a été élaborée et adoptée obéit à une procédure différente de la procédure législative ordinaire. D’où, un critère permettant de présumer sa suprématie formelle.

En premier lieu, la Constitution de 1987 a été élaborée par un organe spécial : l’Assemblée Nationale Constituante. En second lieu, le texte constitutionnel a été soumis à référendum pour que le Peuple haïtien puisse le sanctionner. Effectivement, le Peuple l’a approuvé ; ce qui, en fin de compte, fait de la Constitution de 1987 l’œuvre du Peuple lui-même.

Or, le Peuple est le Souverain. Il est le pouvoir constituant originaire. Comment ne pas parler de la suprématie de l’œuvre du Peuple par rapport aux normes édictées par des organes qu’il institue ?

En outre, la rigidité de la norme constitutionnelle ne tient pas uniquement à sa procédure d’élaboration. Encore faut-il que sa modification obéisse à une procédure spéciale, plus rigoureuse que la procédure législative ordinaire.

En ce sens, la Constitution de 1987 prévoit elle-même, aux articles 282 et suivants, les modalités en vue de lui apporter des amendements. Cela laisse présager qu’elle prévoit sa modification par la mise en œuvre de la procédure spéciale qu’elle renferme. Par conséquent, cette procédure spéciale exigée par la Constitution pour sa modification peut être envisagée comme une conséquence de sa supériorité sur les autres normes juridiques.

Par ailleurs, la rigidité de la norme constitutionnelle comporte des degrés qui sont fonction de la plus ou moins grande difficulté de la procédure qui doit être suivie pour sa modification. Or, à ce sujet, on a déjà entendu plus d’une fois que la Constitution de 1987 est « verrouillée » tant il paraît difficile de la modifier par la mise en œuvre de la procédure spéciale qu’elle renferme.

En effet, les modalités suivantes sont fixées aux articles 282 et suivants de la Constitution de 1987, pour sa modification :

a) Le pouvoir de révision

Ce sont les parlementaires qui sont investis du pouvoir constituant dérivé encore appelé « pouvoir de révision ». Néanmoins, pour amender la Constitution, les parlementaires siègent dans une formation différente de celle prévue pour le vote des lois ordinaires : « …les Chambres se réunissent en Assemblée Nationale et statuent sur l’amendement proposé(231). »

b) Les étapes de la procédure

1. L’initiative

L’initiative constitutionnelle est partagée. Elle appartient concurremment au Pouvoir Exécutif et à chacune des deux Assemblées. Donc, un projet d’amendement peut être déposé au Parlement par le Pouvoir Exécutif. Sous l’impulsion de l’une ou l’autre des deux (2) Assemblées, une proposition d’amendement peut être aussi déposée.

2. La déclaration

La déclaration qu’il y a lieu d’amender la Constitution est faite par le Pouvoir Législatif, avec motifs à l’appui.

Le libellé de l’article 282 paraît donner un caractère discrétionnaire à cette prérogative du Parlement. En effet, ledit article dispose : « Le Pouvoir Législatif, sur la proposition de l’une ou l’autre des deux (2) Chambres ou du Pouvoir Exécutif, a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la Constitution, avec motifs à l’appui. »

On en déduit que même sur la proposition du Pouvoir Exécutif, par exemple, le Parlement pourrait décider de ne pas tenir compte de la saisine. En d’autres termes, le Parlement pourrait ne pas statuer sur le projet d’amendement de l’Exécutif à la dernière session ordinaire de la Législature, puisqu’il n’est pas tenu de le faire.

Par ailleurs, pour que la déclaration puisse être faite, l’adhésion de la majorité qualifiée (2/3) est exigée au niveau de chacune des deux (2) Assemblées. De plus, elle peut être faite uniquement au cours de la dernière session ordinaire de la Législature. Encore, fautil qu’elle soit publiée sur toute l’étendue du territoire.(232)

De surcroît, la déclaration du Pouvoir Législatif n’est qu’une déclaration d’intention(233), car on n’en est pas encore arrivé à l’amendement. Il y a nécessité de votes renouvelés et cela permet de provoquer des débats au niveau de la population. De plus, cela permet au Peuple de se prononcer en décidant de reconduire la majorité ayant fait la déclaration ou en votant une nouvelle majorité pour manifester son accord ou son désaccord.

En somme, la déclaration exige la volonté du Parlement, une majorité qualifiée, une période précise et une publication immédiate.

3. La décision

La décision d’amender la Constitution suppose que des élections législatives aient été préalablement organisées, puisque la Constitution, en son article 283, fait obligation aux Assemblées de se réunir en Assemblée Nationale pour statuer sur l’amendement proposé dès la première session de la Législature suivante, c’est-à-dire la Législature ayant suivi celle qui a fait la déclaration.

Pour l’adoption de la décision d’amender la Constitution, il est prévu :

– Une période spécifique : la première session de la Législature.
– Une formation spéciale : l’Assemblée Nationale.
– Un quorum précis : la présence des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux Assemblées.
– Un type de majorité : la décision d’adopter l’amendement proposé est prise par un vote à la majorité qualifiée (2/3) des suffrages exprimés.

c) Les limitations et les interdictions

L’article 284-2 de la Constitution de 1987 dispose : « L’amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu’après l’installation du prochain élu. En aucun cas, le Président sous le gouvernement de qui l’amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent. »

L’article précité fixe le moment de la mise en œuvre de l’amendement obtenu. Cependant, qu’adviendrait-il si le Chef de l’Etat sous la présidence de qui l’amendement a eu lieu redevient Président cinq (5) ans ou dix (10) ans après, par exemple ? Va-t-on suspendre l’amendement précédemment obtenu et mis en vigueur, puisqu’en aucun cas, le Président en question ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ? Nous voulons croire que le libellé de l’article en cause paraît avoir un caractère ambigu.

Par ailleurs, en plus du fait que le Peuple ne dispose pas de l’initiative constitutionnelle, l’article 284-3 de la Constitution interdit formellement tout référendum constituant.

Enfin, des limitations sont apportées à l’objet de l’amendement, en ce sens qu’ : « aucun amendement à la Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et républicain de l’Etat(234). »

§ 3.- LA CONSÉCRATION IMPLICITE DU PRINCIPE DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

Un système juridique est un ensemble organisé de règles de droit régissant une société.

Elles ne se retrouvent pas sur le même plan. Par conséquent, elles ne se voient pas attachées la même valeur juridique. D’où, une subordination entre normes supérieures et normes inférieures. Les normes inférieures doivent être conformes aux normes supérieures(235).

La hiérarchie des normes juridiques est une vision synthétique du droit mise au point par Hans KELSEN. Il s’agit d’une vision hiérarchique des normes juridiques. Selon cette théorie, toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé.

Il est admis que la Constitution écrite est la source première du principe de la hiérarchie des normes. C’est le cas de dire que ce principe trouve son fondement juridique dans la Constitution d’un Etat donné. Pourtant, si on cherche les termes « hiérarchie des normes juridiques » dans la Constitution de 1987, on ne les retrouvera point. Donc, le texte constitutionnel ne fait pas textuellement référence au principe de la hiérarchie des normes juridiques. Néanmoins, le principe en question est consacré implicitement dans la Constitution.

Comme on l’a vu un peu plus haut, le principe de la hiérarchie des normes juridiques suppose une différenciation de ces normes. Il aboutit à une suprématie de la Constitution et cette suprématie est garantie par un contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire, une vérification de conformité ou tout au moins de compatibilité des normes inférieures à la Constitution. C’est que cette hiérarchie n’a de sens que si son respect est contrôlé par un juge.

En d’autres termes, le principe est mis en oeuvre par un contrôle de conformité. Or, c’est précisément l’objet des articles 183 et 183-2 de la Constitution de 1987.

Par voie de conséquence, on peut avancer que le principe de la hiérarchie des normes juridiques n’est pas posé textuellement dans le texte constitutionnel de 1987. Toutefois, sa mise en oeuvre est organisée par les dispositions des articles 183 et 183-2 de la Constitution. D’où, sa reconnaissance et sa consécration tacite.

L’article 183 de la Constitution dispose : « La Cour de Cassation à l’occasion d’un litige et sur le renvoi qui lui en est fait, se prononce en sections réunies sur l’inconstitutionnalité des lois. »

On en déduit l’institution d’un contrôle juridictionnel de conformité des lois ordinaires à la Constitution. Donc, de toute évidence, cela suppose aussi que ledit article prescrit que les lois ordinaires doivent être conformes ou tout au moins compatibles à la Constitution. D’où, l’on peut supposer la supériorité de la Constitution sur la loi ordinaire. En d’autres termes, si l’on veut prendre ledit article au pied de la lettre, on peut avancer que la norme législative occupe un rang inférieur par rapport à la norme constitutionnelle.

De son côté, l’article 183-2 de la Constitution de 1987 dispose : « Les tribunaux n’appliquent les arrêtés et règlements d’Administration publique que pour autant qu’ils sont conformes aux lois. »

Ici, on en déduit l’institution d’un contrôle juridictionnel de conformité des règlements aux lois ordinaires. Donc, de toute évidence, ledit article prescrit que les règlements adoptés par le Pouvoir Exécutif ainsi que ceux adoptés par l’Administration publique(236) doivent être conformes ou tout au moins compatibles aux lois ordinaires. De là, on peut valablement supposer la supériorité des lois ordinaires sur lesdits règlements. En d’autres termes, la norme réglementaire occupe un rang inférieur par rapport à la norme législative.

Cela paraît d’autant plus vrai que la Constitution ne fait aucune place aux règlements autonomes, puisque la loi peut intervenir dans tous les domaines. Donc, les règlements auxquels fait référence le paragraphe précédant sont toujours des règlements d’application. Ils tirent leur fondement de la loi ; comment alors ne pas être conformes ou ne pas être compatibles à la norme à laquelle ils doivent leur fondement ?

D’ores, il est à peine besoin de préciser que le contrôle de constitutionnalité des lois organisé par l’article 183 de la Constitution de 1987 et le contrôle de légalité des règlements organisé par l’article 183-2 de ladite Constitution font tout de suite penser à une hiérarchie entre la norme constitutionnelle, la norme législative et la norme réglementaire. Dans la hiérarchie instituée entre ces trois (3) catégories de normes juridiques, la norme constitutionnelle est supérieure à la norme législative et cette dernière est supérieure à la norme réglementaire.

De plus, l’article 276 de la Constitution de 1987 dispose : « L’Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à la pressente Constitution. »

Le libellé de cet article montre bien le souci de préserver la supériorité de la Constitution même sur les instruments juridiques internationaux par la ratification desquels l’Etat décide de s’engager au plan international. C’est le cas de dire, suivant l’expression juridique consacrée, que les traités, conventions ou accords internationaux sont infraconstitutionnels.

Plus loin, la Constitution, en son article 276-2, précise : « Les traités ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires. »

On en déduit que la Constitution de 1987 accorde aux traités ou accords internationaux une valeur juridique égale à la norme législative. Il y a plusieurs raisons à cela :

1- D’abord, les traités ou accords internationaux ainsi que les lois ordinaires ont la même norme de référence : la Constitution. Les deux (2) groupes de normes juridiques doivent leur validité directement à la Constitution.

2- Ensuite, on ne peut pas se fonder sur le fait que l’article 276-2 de la Constitution précise que les traités ou accords internationaux ratifiés par Haïti abrogent toutes les lois qui leur sont contraires pour justifier leur supériorité prétendue sur les lois ordinaires. Cet argument n’est pas tenable, puisqu’en principe la loi nouvelle abroge la loi ancienne(237). D’aucuns diraient même qu’il s’agit là d’un principe cardinal en droit. En ce sens, même la loi ordinaire nouvelle abroge la loi ordinaire ancienne en cas de contrariété. Par conséquent, le pouvoir d’abrogation de la norme nouvelle n’est pas un critère de supériorité.

3- De surcroît, les traités ou accords internationaux ne sont pas supra-légaux, parce qu’il n’est indiqué nulle part dans la Constitution de 1987 que les lois ordinaires doivent leur être conformes. D’ailleurs, il n’est pas prévu un contrôle de conventionalité des lois, c’est-à-dire de conformité des lois ordinaires aux règles conventionnelles de droit international. Or, comme pour marquer une hiérarchie entre la Constitution, les lois ordinaires et les règlements, il est prévu un contrôle de constitutionnalité des lois et un contrôle de légalité des règlements.

En somme, même si on ne serait pas d’avis que le traité international est assimilé à la loi ou encore a même valeur juridique que la loi, on ne saurait toutefois nier l’affirmation de la supériorité de la Constitution sur la norme conventionnelle de droit international.

Or, pour l’essentiel, nous avons voulu surtout démontrer que la Constitution de 1987 institue tant soit peu une hiérarchie entre les normes juridiques et la Constitution est présentée comme la norme occupant le sommet de la « pyramide ». Elle est donc posée comme la norme suprême. La Constitution ne nie pas le principe de la hiérarchie des normes juridiques.

Elle l’a même consacré, ne fût-ce qu’implicitement. Le souci a été d’ériger la Constitution en norme suprême.

Cependant, un écart est observé entre la norme constitutionnelle et la pratique politique. En effet, la discontinuité institutionnelle qui marque la « pratique du régime » apporte une douche froide au principe de la hiérarchie des normes juridiques par la pratique des décrets. La Constitution de 1987 ne prévoit pas des cas où le Parlement ne fonctionnerait pas.

En revanche, comme on l’a déjà vu dans ce travail, la réalité politique montre toute autre chose. C’est qu’en l’absence du Parlement, le Pouvoir Exécutif est bien obligé de gouverner le pays ; il le fait par décret. Par contre, les décrets adoptés paraissent avoir valeur législative, puisque dans leurs dispositions abrogatoires, ils indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires(238). Or, les constituants de 1987 ont vite fait d’éliminer le procédé des décretslois(239).

Par voie de conséquence, sous le régime constitutionnel de 1987, le Pouvoir Exécutif n’est pas autorisé à adopter des normes à valeur législative. Seul le Parlement est appelé à voter la loi ; même le référendum législatif n’est pas prévu par la Constitution de 1987. Le Pouvoir Exécutif n’a le pouvoir d’adopter que des normes réglementaires d’application de la loi, donc subordonnées à la loi.

A la lumière de ce qui précède, quand le Pouvoir Exécutif adopte des décrets qui indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires, on peut avancer qu’il s’agit là d’un accroc à la hiérarchie des normes juridiques reconnue et consacrée par la Constitution de 1987. D’autant que la Constitution prévoit un contrôle de légalité des règlements ; ce qui place les règlements de l’Exécutif à un rang inférieur par rapport à la loi. Comment alors un règlement de l’Exécutif pourrait-il avoir la « vertu » d’abroger une norme qui lui est supérieure ? N’est-ce pas déjà ébranler la hiérarchie des normes de droit interne ?

Le problème est d’autant plus épineux que ces décrets n’ont pas toujours été rapportés par le Pouvoir Exécutif pour être par la suite présentés sous forme de projets de loi au Parlement quand celui-ci arrive à fonctionner. Au contraire, bien souvent, ils restent toujours d’application. De plus, cette situation devient tellement courante que l’on accuse une certaine propension à la considérer comme normale. D’où, déjà, un ébranlement, dans la pratique politique, de la hiérarchie des normes juridiques posée dans la Constitution de 1987.

SECTION II.- L’AUTORITÉ DE LA CONSTITUTION DE 1987 : UNE SUPRÉMATIE MAL ASSURÉE

On a vu dans la première section de ce chapitre des raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution de 1987. On a également fait observer, à la fin de ladite section, un écart entre la norme constitutionnelle et la pratique politique qui apporte déjà une douche froide, par la pratique des décrets, à la hiérarchie des normes juridiques au sommet de laquelle est placée la Constitution.

Cependant, la Constitution de 1987 comporte en elle-même des failles qui viennent compromettre, dans une certaine mesure, sa propre suprématie, puisque cette dernière est juridiquement mal assurée. Il ne suffit pas de clamer la suprématie de la Constitution, ni même de l’instituer. Encore faut-il que cette suprématie soit efficacement protégée.

En effet, la Constitution de 1987 accorde une puissance illimitée à la loi jusqu’à lui permettre de la concurrencer matériellement. Cette situation vient en quelque sorte épingler la suprématie matérielle de la Constitution (§ 1). De plus, on a pu constater l’inefficacité de la sanction de la suprématie de la Constitution à un triple point de vue (§ 2).

§ 1.- LA PUISSANCE DE LA LOI ET LA SUPRÉMATIE MATÉRIELLE DE LA CONSTITUTION

Si une Constitution tient sa supériorité formelle à son mode d’élaboration et à sa procédure de révision ; elle doit, en revanche, sa suprématie matérielle à son contenu, c’est-à-dire, son objet.

Dans cette perspective, on a déjà démontré que le mode d’adoption et la procédure d’amendement de la Constitution de 1987 consacrent sa suprématie formelle. De plus, il a été aussi démontré que le contenu de la Constitution de 1987 correspond bien, d’une manière générale, à ce qu’on trouve dans une Constitution. Donc, à lire même cursivement la Constitution de 1987, on peut être légitimement tenté d’affirmer avec véhémence et d’un ton doctoral qu’au regard de son objet, elle est la norme suprême de l’Etat.

En réalité, on ne peut pas d’emblée prendre le contre-pied d’une telle affirmation, car effectivement l’ensemble de la matière qui est abordée par la Constitution de 1987 est retrouvée, d’une manière générale, dans quasiment toutes les Constitutions écrites. En revanche, on ne peut non plus, d’emblée, abonder dans le sens de l’affirmation en question. En d’autres termes, il paraît risquer de se fonder sur la matière traitée par la Constitution de 1987 pour affirmer sa suprématie.

En effet, tout le problème réside dans le fait que la loi jouit d’une puissance illimitée. La Constitution de 1987 accorde à la loi une puissance telle que celle-ci peut matériellement concurrencer la Constitution.

Selon le professeur Philippe FOILLARD : « La Constitution est l’ensemble des règles qui définissent le statut des gouvernants (désignation et compétences) et les rapports des gouvernants et des gouvernés. »(240)

Pour leur part, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER avancent : « La Constitution rigide a toujours pour objet et pour contenu minimum d’instituer des autorités ou organes ou encore pouvoirs constitués et de répartir entre eux des compétences(241). » De ce point de vue, il revient à la Constitution d’instituer des autorités et de leur fixer des compétences. D’ailleurs, le professeur Georges BURDEAU n’a pas enseigné autrement lorsqu’il a avancé qu’ « il appartient à la Constitution de fixer les compétences des personnalités ou collèges auxquels il appartiendra de décider pour l’Etat. »(242)

Or, la Constitution de 1987 a, certes, mis en place des « pouvoirs constitués » auxquels elle a normalement accordé des attributions. Cependant, comme on l’a déjà vu dans ce travail(243), elle réfère en même temps à la loi pour étendre les attributions des organes qu’elle institue. Ce procédé fait problème, en ce sens que la loi peut venir interférer dans un domaine relevant normalement de la Constitution. S’il revient en principe à la Constitution de fixer limitativement les compétences des organes qu’elle institue pour éviter l’arbitraire des gouvernants, la Constitution de 1987 a étrangement innové en accordant à la loi ordinaire, en ses articles 93 et 97-3, le pouvoir de prolonger les attributions du Sénat et de la Chambre, deux organes pourtant chargés de voter la loi et institués par la Constitution elle-même. D’où, la suprématie matérielle que la Constitution doit, en principe, à son contenu est épinglée par cette puissance illimitée de la loi qui peut venir la concurrencer.

Il paraît utile ici de faire remarquer que ce type d’intervention du Législateur dans le domaine constitutionnel n’est pas sans danger. Sous prétexte d’accroître ses attributions, il peut être tenté de modifier, voire dénaturer la Constitution sans passer par les procédures contraignantes de l’amendement.

Néanmoins, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que voici : « la Constitution ne peut régler tout ce qui concerne les Pouvoirs publics. A côté de la Constitution, on trouve donc souvent des lois qui la complètent, la précisent, la prolongent. »

Un peu plus loin, il a également fait observer qu’en France, « c’est dans cette optique que la Constitution prévoit que des lois spéciales, dites lois organiques, interviendront pour la compléter, pour développer les règles d’organisation et de fonctionnement des Pouvoirs publics. »

Par contre, le professeur Philippe ARDANT a tout aussi fait remarquer que la Constitution prévoit limitativement les domaines dans lesquels une loi organique peut intervenir. De plus, il a avancé : «La loi organique ne doit pas réaliser une révision constitutionnelle déguisée, on ne doit pas utiliser cette procédure dans l’intention de tourner la Constitution. »(244) D’où, la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité de la loi organique avant sa promulgation.

A ce sujet, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER font aussi observer que les lois organiques, en France, sont adoptées ou modifiées selon une procédure particulière. Cette dernière est plus contraignante que la procédure législative ordinaire. Selon eux : « Le trait le plus marquant de cette procédure est l’examen par le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution de tout projet ou proposition de loi organique, c’est-à-dire sans qu’il ait été nécessaire de le saisir. Il s’agit évidemment d’empêcher que la loi organique, sous prétexte de compléter la Constitution, n’en remette en cause les principes. »(245)

En dépit des garde-fous mentionnés plus haut, la Constitution française de 1958 ne prévoit pas qu’une loi organique puisse venir prolonger la liste des attributions des organes du pouvoir politique, par exemple. Or, la Constitution haïtienne de 1987, en ses articles 93 et 97-3, prévoit que la loi peut accorder de nouvelles attributions aux organes qui sont pourtant chargés de la voter. Qui plus est, l’objet desdites attributions n’a guère été précisé et aucune procédure spéciale n’est prévue à cet effet. Or, le parlement a une parfaite maîtrise sur la procédure législative ordinaire. Par voie de conséquence, les deux (2) dispositions constitutionnelles en question n’ont rien à voir à la loi organique en France.

En effet, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que voici : « Sur le plan de la philosophie politique, se donner une Constitution, c’est admettre que le pouvoir n’est pas illimité, ses détenteurs acceptent de lui fixer des bornes. L’idée de limitation du pouvoir est à l’origine de l’élaboration des Constitutions. »(246)

De leur côté, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER ont fait valoir que « la Constitution est le fondement de la légitimité des gouvernants. Ceux-ci peuvent justifier leur pouvoir et leurs décisions par le fait qu’ils ont été désignés conformément à la Constitution et qu’ils exercent des compétences qui leur ont été attribuées par la loi fondamentale.»(247)

A bien comprendre les remarques et position évoquées aux deux (2) précédents paragraphes, la Constitution haïtienne de 1987 paraît faire fi des grands canons classiques du droit constitutionnel en référant à la loi pour fixer de nouvelles attributions à deux (2) organes du pouvoir politique qu’elle institue. Ce faisant, en plus de permettre à la loi d’empiéter sur son domaine sans même l’exigence d’une procédure spéciale, la Constitution de 1987 permet aussi à certains gouvernants de se fixer des compétences, or c’est la Constitution qui devrait fixer limitativement les pouvoirs des organes institués. Au lieu d’énumérer limitativement les compétences du Parlement, elle lui accorde « la compétence de sa compétence »,(248) c’est-à-dire la faculté de déterminer l’étendue et les limites de sa propre compétence.

Finalement, on l’aura vitement compris, cette puissance illimitée de la loi a fortement épinglé la suprématie matérielle de la Constitution de 1987, quand bien même que la loi ordinaire au contenu matériellement constitutionnel dont on parle aura été prise sur invitation du constituant. De ce point de vue, c’est le cas de dire que le critère matériel n’est plus un élément distinctif permettant de différencier la norme constitutionnelle et la loi ordinaire. Ajouter à cela, la sanction de la suprématie de la Constitution de 1987 se révèle inefficace à un triple niveau.

§ 2.- L’INEFFICACITÉ DE LA SANCTION DE LA SUPRÉMATIE DE LA CONSTITUTION

La sanction de la suprématie de la Constitution de 1987 est inefficace. La Constitution institue la constitutionnalité des lois, mais la garantit inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des conventions, traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas.
De plus, la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées n’est pas instituée, donc non garantie.

En effet, la Constitution de 1987 institue, à l’article 183, un contrôle de constitutionnalité des lois. Cependant, les mécanismes du contrôle n’empêchent pas qu’une loi du Législateur soit susceptible d’application même lorsque déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel. Il revient uniquement à l’auteur de la loi déclarée inconstitutionnelle par le juge, en l’occurrence le Parlement, de la faire disparaître de l’ordre juridique. Or, la primauté de la Constitution sur la loi suppose que cette dernière tire le fondement de sa validité dans la Constitution (A).

En outre, la Constitution de 1987 prescrit sa primauté sur les normes conventionnelles de droit international. Par contre, elle ne garantit aucunement cette primauté. En conséquence elle donne libre cours au Parlement qui peut sans contrainte ratifier une convention ou un traité international comportant des clauses contraires à la Constitution, puisque le juge constitutionnel n’est pas fondé à vérifier la constitutionnalité de ces normes (B).

De plus, les constituants de 1987 n’ont pas cru utile d’instituer et de garantir le principe de la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées. Or, il s’agit d’un instrument juridique d’une très grande importance qui, dans une certaine mesure, complète la Constitution. En ce sens, rien n’empêche aux parlementaires de défier la norme constitutionnelle et même de s’octroyer des pouvoirs que la Constitution ne leur avait pas accordés comme cela a pu être d’ailleurs constaté en France, sous la IIIe République notamment(249) (C).

A. L’INEFFICACITÉ DU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS

La constitutionnalité des lois c’est l’adéquation de la loi votée par le Parlement avec la Constitution du pays. Donc, le contrôle de constitutionnalité de la loi c’est la vérification de sa conformité ou de sa compatibilité à la Constitution.

Historiquement, c’est aux Etats-Unis d’Amérique que fut institué pour la première fois un contrôle de constitutionnalité, à la suite de la célèbre affaire Marbury v. Madison (1803). A cette occasion, la Cour Suprême des Etats-Unis statua incidemment sur la constitutionnalité d’une loi à propos d’un litige et décida de ne pas appliquer cette loi dans le procès en cours d’instance, puisque son absence de conformité avec la Constitution américaine de 1787 était établie.

Sous le régime constitutionnel de 1987, les lois votées par le Parlement peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Par contre, ce contrôle se révèle amplement inefficace. C’est que l’objectif de l’institution d’un contrôle de constitutionnalité des lois est de garantir la supériorité de la Constitution sur les lois. Une loi doit être conforme à la norme constitutionnelle car elle trouve le fondement de sa validité dans la Constitution. Une loi contraire à une disposition de la Constitution est irrégulière et n’a pas sa place dans l’ordre juridique hiérarchisé. Or, le type de contrôle institué par la Constitution de 1987 n’empêche nullement qu’une loi inconstitutionnelle fasse partie de l’ordre juridique. En conséquence, la Constitution de 1987 et les éventuelles lois inconstitutionnelles sont condamnées à cohabiter, nonobstant l’abrogation des lois dites inconstitutionnelles par le Parlement. D’où, l’autorité de la Constitution de 1987 sur les lois paraît un vain mot.

En effet, le régime constitutionnel de 1987 n’institue pas de Cour constitutionnelle non intégrée dans l’ordre judiciaire, contrairement à ce qui se fait en France, en Allemagne fédérale ou en Italie, par exemple(250). En Haïti, le contrôle de conformité d’une loi à la Constitution est réalisé par la Cour de Cassation selon les dispositions de l’article 183 de la Constitution et les articles 141 et suivants du décret du 22 Août 1995 relatif à l’organisation judiciaire, abrogeant étrangement la loi du 18 Septembre 1985 portant sur l’organisation judiciaire.

En vertu de ce qui précède, on l’aura vitement compris, le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, est concentré, puisque la Cour de Cassation est le seul juge constitutionnel ; elle juge en premier et dernier ressort. Le contrôle de constitutionnalité des lois est de type juridictionnel en ce sens que le recours en inconstitutionnalité est formé devant un organe juridictionnel, mais les tribunaux ordinaires ne sont pas pour autant compétents pour vérifier la constitutionnalité des lois.

En outre, le contrôle est concret. Le contrôle par voie d’action n’est pas prévu par la Constitution. Donc, un requérant ne peut pas directement demander à la Cour de Cassation de vérifier la conformité d’une loi à la Constitution ; il faut qu’il y ait un procès. Lors de ce procès, un requérant soulève l’inconstitutionnalité, c’est-à-dire le fait qu’il prétend qu’une loi est contraire à la Constitution et ne doit donc pas lui être appliquée.

Du reste, comme étant donné que, contrairement au modèle américain, le contrôle de constitutionnalité des lois n’est pas diffus, le tribunal saisi du litige principal ne statue pas lui-même sur l’inconstitutionnalité soulevée. Il sursoit à statuer et renvoie les parties par-devant les sections réunies de la Cour de Cassation. D’où, la Cour de Cassation, juge constitutionnel, fait le contrôle de constitutionnalité des lois par le biais du renvoi préjudiciel.

Puisque le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, est toujours concret, cela autorise n’importe quel justiciable, lors d’un procès, d’exciper que les dispositions que l’on entend lui appliquer ne sont pas conformes à la Constitution. En revanche, ce procédé est par essence aléatoire, puisqu’il ne peut pas être mis en œuvre en dehors d’une instance judiciaire.

Or, la Constitution de 1987 dispose en même temps que la loi peut accorder des attributions au Sénat et à la Chambre. Est-il toujours possible d’avoir un procès permettant aux organes du Pouvoir Exécutif, par exemple, de contester la constitutionnalité d’une loi attribuant des compétences au Sénat ou à la Chambre et qui ont été déjà attribuées au Pouvoir Exécutif ? Le citoyen qui n’est pas partie à un procès en instance, comment pourra-t-il avoir la possibilité d’échapper à une loi liberticide ?

Par suite, il va sans dire que le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, se fait a posteriori, c’est-à-dire en aval de la promulgation ; d’où, une insécurité juridique. Le citoyen est exposé. Il risque de voir appliquée contre lui une loi inconstitutionnelle si son défenseur en Justice, le cas échéant, n’a la moindre intelligence de soulever l’inconstitutionnalité de la loi.

En ce sens, tous les problèmes contentieux ne sont pas réglés avant l’entrée en vigueur de la loi.

En outre, le problème majeur résulte du fait que la loi déclarée inconstitutionnelle par la Cour de Cassation n’est pas pour autant rayée de l’ordre juridique. Cette loi sera seulement déclarée inapplicable au litige considéré, puisque l’arrêt de la Cour produit un effet inter pares, c’est-à-dire entre les parties. Le juge constitutionnel ne fait qu’écarter l’application de la loi dans un cas précis. Il s’ensuit qu’elle est toujours d’application dans tous les autres cas, si aucune inconstitutionnalité n’aura été soulevée.

Puisque le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, n’empêche pas qu’une loi inconstitutionnelle fasse partie de l’ordre juridique, l’on peut se demander à bon droit si la suprématie de la Constitution n’est pas un vain mot. D’autant que l’on sait qu’une loi ordinaire peut accroître les attributions du Sénat ou de la Chambre, les deux organes pourtant chargés de la voter.

En somme, l’article 183 de la Constitution de 1987 instituant le contrôle de constitutionnalité des lois vise à garantir la suprématie de la Constitution. C’est en quelque sorte une limite apportée à la loi. Cependant, le modèle de contrôle institué n’empêche pas en même temps que cette limite soit dépassée, puisque même lorsque déclarée inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour de Cassation, la loi reste encore en vigueur autant que le Parlement le veuille. Par conséquent, elle est toujours susceptible d’être appliquée.

La Constitution permet au Parlement d’accroître ses pouvoirs par la loi, alors que même si cette loi arrive à être déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel, elle continuera à s’imposer erga omnes jusqu’à ce que ce même Parlement décide éventuellement de faire cesser ses effets en l’abrogeant. En d’autres termes, l’arrêt du juge constitutionnel, le gardien de la suprématie de la Constitution, produit un effet inter pares, alors que la loi inconstitutionnelle du Parlement s’impose erga omnes. Ainsi, n’est-ce pas permettre au Parlement d’élargir par la loi sa sphère d’influence tout en l’autorisant à défier l’autorité de la Constitution ?

B. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES TRAITÉS, CONVENTIONS OU ACCORDS INTERNATIONAUX

L’article 276 de la Constitution de 1987 pose en termes clairs la supériorité de la Constitution sur les traités, conventions ou accords internationaux dans la hiérarchie des normes juridiques. Ces instruments juridiques internationaux sont infra-constitutionnels et doivent donc être conformes à la norme constitutionnelle. C’est tout au moins ce qui est posé comme principe à l’article en question.

En fait, l’article 276 de la Constitution de 1987 ne fait que poser une interdiction. On pourrait même avancer qu’il s’agit d’une simple mise en garde, puisque le respect du principe en tant que tel n’est pas garanti par la Constitution.

La meilleure façon de garantir la supériorité de la norme constitutionnelle sur la norme conventionnelle de droit international c’aurait été d’instituer un contrôle de constitutionnalité des traités, conventions ou accords internationaux. Cela aurait permis au juge constitutionnel, gardien de la suprématie de la Constitution, de vérifier la conformité des instruments juridiques internationaux à la norme constitutionnelle. Donc, s’il n’existe pas un contrôle de conformité, l’Assemblée Nationale peut ne pas se sentir obligée de respecter l’interdiction posée à l’article 276 de la Constitution. Comment d’ailleurs empêcher qu’un traité international inconstitutionnel puisse être ratifié par l’Assemblée Nationale ?

Sous le régime de la Ve République en France, le traité ou l’accord international est supra-légale, donc de valeur juridique supérieure à la loi, mais infra-constitutionnel. Cette primauté de la Constitution sur le traité ou l’accord international est garantie par l’institution d’un contrôle, a priori, de constitutionnalité des engagements internationaux par le Conseil constitutionnel.(251)

En effet, l’article 54 de la Constitution française de 1958 dispose : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution. »

De son côté, la Constitution haïtienne de 1987 s’est contentée de poser le principe de sa primauté sur le traité ou l’accord international, sans que pour autant le respect de ce principe soit garanti.

La Cour de Cassation, en Haïti, est le juge constitutionnel, c’est-à-dire le gardien de la suprématie de la Constitution. Or, la Constitution de 1987 l’autorise seulement à vérifier, selon les dispositions de l’article 183, la constitutionnalité des lois. Quid des conventions, traités ou accords internationaux ?

Là encore, la Constitution de 1987 pose une limite et permet en même temps de la dépasser. En prescrivant à l’article 276 que « l’Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution », elle pose une limite au pouvoir de ratification du Parlement. Par contre, en ne prévoyant aucun mécanisme de contrôle de constitutionnalité de ces instruments juridiques internationaux, la Constitution de 1987 permet de dépasser la limite qu’elle a posée.

Or, le Peuple, auteur de la Constitution, est le seul Souverain. En conséquence, le justiciable devrait pouvoir exciper de l’inconstitutionnalité d’un instrument juridique international ratifié par ses délégués au Parlement. Imaginer le contraire aboutirait à ruiner la hiérarchie des normes juridiques telle que posée dans la Constitution de 1987.

Finalement, cette attitude ambiguë des constituants de 1987 permet à l’Assemblée Nationale de ratifier impunément des engagements internationaux comportant des dispositions contraires à la Constitution de 1987. D’où, la suprématie de la Constitution de 1987 en prend un nouveau coup.

C. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES

Pour l’adoption du règlement intérieur des Assemblées, plusieurs systèmes sont concevables, selon le degré d’autonomie que la Constitution entend laisser aux Assemblées.

D’abord, il est un système dans lequel il revient au Pouvoir Exécutif d’adopter le règlement intérieur des Assemblées. Ce système n’offre aucune autonomie aux Assemblées relativement à l’adoption du règlement intérieur devant régir leur organisation interne et le travail parlementaire. La France a connu ce système sous le Consulat et l’Empire.(252)

Ensuite, un autre système accorde aux Assemblées le pouvoir d’adopter leur règlement intérieur respectif sans le moindre contrôle. C’est le système qui offre la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires. Le régime constitutionnel de 1987 retient ce système.

En dernier lieu, un autre système, dit intermédiaire, accorde aux Assemblées le pouvoir d’adopter leur règlement intérieur respectif, mais sous le contrôle du juge pour éviter qu’elles ne portent atteinte aux principes constitutionnels. La France, sous le régime de la Ve République, connaît ce système.(253)

En effet, selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER : « Les règlements des Assemblées parlementaires complètent la Constitution pour tout ce qui concerne l’organisation interne des assemblées et le travail parlementaire. »(254)

Pour leur part, les professeurs André BARILARI et Marie-José GUEDON ont avancé : « Le règlement intérieur d’une Assemblée a une influence très grande sur les modalités d’exercice des pouvoirs et donc sur les rapports avec le Gouvernement. Une liberté totale en la matière peut au fait donner aux Assemblées la possibilité de modifier le fonctionnement d’un régime politique. »(255)

En vertu de tout ce qui précède, on comprend bien que le système retenu par le régime constitutionnel de 1987 et qui laisse la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires relativement à leur règlement intérieur respectif n’est pas sans danger. Puisque la Constitution haïtienne de 1987 ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de conformité du règlement intérieur des Assemblées à la Constitution, qu’est-ce qui rassure que cet instrument juridique d’une aussi très grande importance ne comportera pas des dispositions inconstitutionnelles ?

D’ailleurs, il a été fait observer qu’en France, « l’expérience de la IIIe et de la Ive République avait montré que, par le biais de son règlement, une Assemblée parlementaire pouvait parfois s’octroyer des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés. C’est pour éviter une telle dérive que les règlements des Assemblées sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise en application, au contrôle du Conseil constitutionnel. »(256)

Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’en France, sous le régime da la Ve République, le contrôle de la constitutionnalité des lois parlementaires par le Conseil constitutionnel n’est pas obligatoire. Il est plutôt facultatif ; il peut être demandé par le Président de la République, par le Premier Ministre, par le Président de l’Assemblée Nationale ou de celui du Sénat, par soixante Députés ou soixante Sénateurs. Pourtant, au même titre que les lois organiques et les propositions de loi mentionnées à l’art. 11 avant qu’elles ne soient soumises au référendum, le règlement intérieur des Assemblées est soumis obligatoirement au contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation(257).

C’est le cas de dire que les constituants français de 1958 ont bien compris la nécessité d’encadrer juridiquement les Assemblées parlementaires dans l’adoption de leur règlement intérieur respectif, ayant tiré leçon de l’expérience de la IIIe et de la IVe République(258). En revanche, avec l’absence de contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées parlementaires sous le régime constitutionnel de 1987, la suprématie de la Constitution de 1987 prend encore un nouveau coup, puisqu’on ne peut pas empêcher ni même sanctionner la violation de la Constitution par les Assemblées parlementaires dans leur règlement intérieur respectif.

En somme, la Constitution est affirmée comme la norme suprême de l’Etat, mais cette suprématie est juridiquement mal assurée, car les actes du Parlement, quand ils ne sont pas soumis à un régime de contrôle inefficace, ne font l’objet d’aucun contrôle. En d’autres termes, la Constitution fixe des limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser.

216 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 2.
217 BURDEAU 1977, page 80.
218 Idem, page 80.
219 DUBOUIS, PEISER, 2007, op. cit., page 2.
220 BURDEAU 1977, op. cit., pages 80 et 81.
221 ARDANT 2002, op. cit., pages 69 à 72.
222 Art. 19, Constitution de 1987.
223 idem, page 70.
224 Voir les chapitres II, III et IV du titre V de la Constitution.
225 Art. 284-4.
226 Art. 3.
227 Art. 5.
228 Art. 4-1 et 6.
229 BURDEAU 1977, op. cit., page 82.
230 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 147.
231 Voir l’article 283 de la Constitution.
232 Art. 282-1.
233 C’est en quelque sorte un voeu d’amendement.
234 Voir l’article 284-4 de la Constitution de 1987.
235 ARDANT 2002, op. cit., p. 99.
236 Que ce soit l’Administration publique centrale ou l’Administration publique locale.
237 François TERRE, Introduction générale au droit, 2006, op. cit., page 397.
238 Prenons en exemple le décret du 22 Août 1995 relatif à l’organisation judiciaire abrogeant la loi du 18 Septembre 1985 sur l’organisation judiciaire.
239 La Constitution de 1987 a accordé le droit exceptionnel de gouverner par décret uniquement au CNG. Voir l’article 285-1.
240 FOILLARD 1997, page 29.
241 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 42.
242 BURDEAU 1977, op. cit., p. 69.
243 Voir supra, chapitre 3, section I.
244 ARDANT 2002, op. cit., p. 59 à 61.
245 HAMON, TROPPER 2003, op. cit., p. 49.
246 ARDANT 2002, op. cit., p. 54.
247 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 45.
248 Termes empruntés à JELLINEK, cité par André BARILARI et Marie-José GUEDON dans leur ouvrage intitulé « Institutions politiques », 3e édition, 1994, Sirey, France, page 19.
249 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 759 ; ARDANT 2002, op. cit., page 62.
250 PACTET 2001, op. cit., page 82.
251 Voir les articles 52 et suivants de la Constitution française de 1958 ; François TERRE, Introduction générale au droit, 2006, op. cit., p. 208 ; David RUZIE, Droit international public, 16e édition, Dalloz, Paris, 2002, page
23 ; PACTET 2001, op. cit.,page 526.
252 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 51.
253 Idem, page 51 ; PACTET 2001, op. cit., pages 497 et 498.
254 Ibidem, page 50.
255 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., page 235.
256 Ibidem, page 759 ; ARDANT 2002, op. cit., page 62.
257 Cf. art. 28 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; le nouvel article 61 de la Constitution française de 1958 ; COLLINET 1999, op. cit., page 92 ;
PACTET 2001, op. cit., page 497.
258 « Anodin en apparence, le règlement se présentait comme une véritable machine infernale contre l’Exécutif et la Constitution. Les constituants de 1958 ne s’y sont pas trompés en soumettant obligatoirement sa conformité à l’appréciation du Conseil constitutionnel (art. 61 in limine) ». Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 130.

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