Afin de mieux comprendre l’intérêt que peuvent avoir les ONG à maîtriser une approche filière, nous tenons à mettre en avant les différentes philosophies(14) appliquées par les ONG, puis nous développerons un argumentaire sur la nécessité d’intervenir sur les filières.
Dans les années soixante-dix, les ONG ont eu une logique communautaire dans leur intervention. Cela consistait dans le fait d’intervenir sur les populations et seulement auprès des populations. L’hypothèse posée était d’aider les sociétés civiles en pensant qu’au bout d’un moment les populations seraient assez instruites pour s’auto développer (mythe de l’auto développement). La démarche liée à cette philosophie était la suivante :
1- Recrutement d’un chef de projet (expatrié ou local)
2- Recrutement d’une équipe (cinq ou six spécialistes souvent locaux)
3- Recrutement d’agents communautaires
Donc une logique d’intervention basée sur trente à cinquante personnes, sur une période assez courte.
L’intérêt de ce type de philosophie réside dans le fait que les ONG faisaient valoir leur manque de confiance dans les autorités politiques et les organismes multilatéraux. Cependant cette approche a très vite montré ses limites car espérer résoudre des problèmes structurels sur la base de projets de trois à quatre ans relève du mythe. Cela a donc entraîné un cloisonnement des populations aidées et une dépendance de la population par rapport à la logique d’assistanat développée lors des projets.
On retrouve encore malheureusement quelques ONG qui ont cette logique d’intervention qui dessert totalement les populations « aidées ». Généralement ces pratiques sont liées à un manque de connaissance du terrain par les opérateurs et à une volonté de reconnaissance vis-à-vis du pays d’origine de la structure.
Partant d’une bonne intention et d’une certaine naïveté de la part des ONG, les ravages causés par ce mode d’action sur la dépendance des populations locales aux aides extérieures ont parfois donné une image néfaste des ONG.
C’est donc avec une certaine amertume que les ONG sont très vite passées à une logique multi-acteur à partir des années quatre-vingt dans un contexte de décentralisation grandissant. A cette même période les logiques de « bonne gouvernance » et « démocratie locale » se sont développées, ce qui a favorisée cette nouvelle philosophie dans les ONG.
L’objectif de cette nouvelle approche est une amélioration des conditions de vie de la population ciblée qui puisse perdurer après le départ de l’ONG. Dans les faits cela est possible grâce à la mise en place de partenariats avec différents organismes. Des entreprises pour des partenariats commerciaux équitables et durables, des collectivités locales, d’autres ONG spécialisées dans d’autres domaines (compétences distinctives). On a donc logiquement une accumulation progressive de savoir-faire et de compétences et donc une capitalisation de bonnes pratiques. Cette approche aussi louable soit elle est dans les faits souvent bien difficile à mettre en place de manière efficiente, pour plusieurs raisons que nous allons détailler.
– La question du transfert
– Le manque d’analyse ex ante
– La durée de l’intervention imposée par le bailleur
– Le manque de suivi
La clef de voute de l’approche réside dans la logique de transfert. Mais comment organiser ce transfert de savoir-faire et de connaissances ? Les partenariats liés avec les collectivités ou les entreprises… aussi bien des acteurs publics que privés ne sont parfois que des partenariats de complaisance en vue d’obtenir des financements auprès des bailleurs. Il faut donc être très attentif. Il faut aussi savoir détourner les « éléments perturbateurs » qui peuvent bloquer l’intervention des ONG… Tous ces mécanismes de blocage doivent êtres parés.
La seule manière de se prémunir de ce type de problèmes c’est de réaliser des études ex ante, des analyses… afin de se préparer au mieux aux logiques du terrain. Il faut aussi savoir se faire reconnaître des autorités traditionnelles qui s’avéreront souvent plus efficaces dans la résolution de problèmes. La concertation a là aussi un rôle primordial pour concilier et acclimater les acteurs aux changements qui vont intervenir et pour communiquer (il faut se faire connaître si l’on veut avoir une certaine légitimité).
Mais comment mener à bien le transfert inhérent à l’approche multi acteurs si les bailleurs ne s’engagent que sur trois ans ? Deux approches sont possibles pour contourner cette question. Ces deux solutions qui peuvent et doivent être cumulables résident dans l’intervention sur des dynamiques d’acteurs et non sur du financement pur et total d’améliorations productives et dans la mise en place de montage de financements croisés basés sur des logiques de programmes à long termes.
L’approche filière apparaît alors comme une nécessité car elle permet de travailler sur des dynamiques d’acteurs dans une logique « long termiste » dont la finalité est la structuration d’une filière basée sur le développement paysan.
En adoptant cette logique filière on oblige l’opérateur (ONG) à fixer un cadre de travail définit. Ce type d’approche permet de mettre en avant toutes les caractéristiques souhaitées d’une approche multi acteurs.
De plus, dans une logique d’aide à la population rurale via l’analyse de filière, nous participons au développement au niveau national car la pauvreté est avant tout concentrée dans les campagnes du Sud, et nous permettons aussi de limiter un exode rural massif.
Encadré 9 : Territoires, développement et mondialisation, alternatives sud, 2008
Le champ d’intervention des ONG pouvant être limité pour des raisons de moyens financiers, il est préférable d’avoir une logique d’analyse d’aval en amont de la filière car ce sont les producteurs paysans qui ont le plus généralement besoin d’aide et de développement comme nous avons pu le mettre en avant tout au long du texte. L’analyse de filière nous permet cependant de ne pas négliger les autres acteurs de la filière car l’étude des filières est avant tout l’étude d’interactions à tout niveau que ce soit.
Afin de faciliter et de cadrer le projet de développement vers une autonomie des populations ciblées, il est indispensable de considérer la logique de filière mais aussi la logique entrepreneuriale sans laquelle il est impossible d’être efficace en tant qu’opérateur de développement.
14 D’après le support de cours, Urbanisation et Développement, K. KOOP et E. MATTEUDI