Introduction :
En milieu scolaire, de nombreuses recherches ont prouvé que les attitudes et représentations forgées par les apprenants à l’égard des langues, ont un grand impact sur le désir et la motivation de les apprendre, et par la même la réussite ou l’échec de cet apprentissage.
C’est pourquoi différentes démarches didactiques et politiques linguistiques éducatives focalisent leur réflexion sur l’explication et l’analyse des représentations et images des langues chez les apprenants, les mettant au cœur des processus d’apprentissages, pour les exploiter en vue d’apporter quelques réajustements pédagogiques et didactiques plus favorables à l’apprentissage de ces langues.
Polysémique par sa mobilité et son usage dans plusieurs disciplines telles que la psychologie, la sociologie, l’histoire et la philosophie ; cette notion de représentation présente de nombreux points de rencontre avec la notion d’attitude. Elles sont même souvent utilisées l’une à la place de l’autre. Nous énoncerons quelques définitions de chacun de ces concepts afin de pouvoir les distinguer.
1. Attitudes :
A partir de 1960, les études portant sur les perceptions des locuteurs concernant les langues et leurs usages ont été traitées à travers la notion d’attitude. Celle-ci est généralement définie « comme une disposition à réagir de manière favorable ou non à une classe d’objet » (Castellotti & Moore, 2002 : 7).
Ainsi pour Katz (1960 : 168) : «L’attitude est la prédisposition de l’individu à évaluer un symbole d’un objet ou un aspect de son monde d’une manière favorable ou défavorable. L’avis est l’expression verbale d’une attitude, mais les attitudes peuvent aussi être exprimées en comportement non verbal. ».
De manière générale, l’attitude en psychologie sociale définit « un état d’esprit à l’égard d’une valeur ou une disposition envers un objet social » (Léon. M.H, 2008 :40).
Le mot « disposition » est l’élément central de ces définitions, qui souligne le caractère potentiel de l’attitude. Pour la psychologie sociale, L’attitude est une disposition interne durable qui sous-tend les réponses de l’individu à un objet ou à une classe d’objets du monde social.
Ces réponses sont des réactions aux croyances intériorisées vis-à-vis d’un objet, une personne ou un évènement et qui permet de situer ces objets sur une échelle de jugement allant de positive à négative, de favorable à défavorable. Par ailleurs, elles peuvent être motivées par des informations objectives, comme elles peuvent s’appuyer sur des préjugés ou des stéréotypes.
Les attitudes selon Léon. M.H (2008 :41) sont un produit social qui possède quatre fonctions :
• La connaissance : elles jouent le rôle de cadre de référence pour les évaluations que les individus font de leur environnement ; elles sont donc des connaissances ;
• L’instrumentation ou l’utilité : elles sont sources de comportements d’approche vis-à-vis des objets (sociaux ou non)positifs, favorables, valorisants, mais aussi source de comportements d’évitement vis-à-vis des objets (sociaux ou non) négatifs, défavorables, dévalorisants ;
• L’expression : elles permettent aux individus l’expression de leurs valeurs essentielles et de leur individualité ;
• La protection de soi : elles assurent une fonction de sécurité personnelle.
Zanna et Rempel (1988), traduisent ces fonctions en trois composantes distinctes de l’attitude:
• Cognitive : les connaissances que l’on possède sur l’objet de l’attitude.
• Affective : affects, sentiments, états d’humeurs que l’objet suscite.
• Conative : (nommé « behavioural component » chez Garrett et al.) consiste en une disposition à agir de façon favorable ou défavorable vis-à-vis de l’objet.
Ainsi, les attitudes et les conduites sont en relation étroite. La cause première des comportements est une intention d’action, c’est-à-dire une décision d’agir d’une certaine façon. Le comportement est fonction de la valeur assignée aux conséquences perçues de ce même comportement et à la probabilité subjective attachée à ses conséquences. Quant aux conduites, elles sont aussi liées au contrôle comportemental perçu par les individus, et déterminé par les croyances (correctes ou illusoires).
2. Attitudes linguistiques :
A partir des années 1960, les études portant sur les perceptions des locuteurs à l’égard des langues et leurs usages ont été principalement problématisées, à travers la notion d’attitude, et ceci dans plusieurs directions. Elles explorent les images des langues pour expliquer les comportements linguistiques, en s’intéressant aux valeurs subjectives accordées aux langues et à leurs variétés, et aux évaluations sociales qu’elles suscitent chez les locuteurs.
La sociolinguistique a associé au terme attitude celui de communauté linguistique. Celle-ci, qu’elle soit petite ou grande, il y a toujours des attitudes linguistiques aussi bien face aux autres langues que face à la variété parlée par la majorité des membres de la communauté actuelle. Dans la mesure où elle correspond à une évaluation, une attitude peut être positive, neutre ou négative, consciente ou inconsciente.
D’un autre point de vue, L’attitude linguistique est souvent l’expression de luttes sociales subtiles qui n’est pas toujours facile à justifier. Certains aspects du français standard contemporain proviennent de variétés non standards de l’ancien français; les formes non standards d’autrefois sont le standard d’aujourd’hui. La prononciation du (r) fait partie de la variété standard aux U.S.A., alors qu’elle est jugée non standard en G.B (Labov, 1994).
En effet ; il existe tout un ensemble d’attitudes et de sentiments des locuteurs face aux langues, aux variétés de langues et à ceux qui les utilisent. Ces attitudes ont nécessairement des retombées sur le comportement linguistique (Labov, 1994). Ce dernier se traduit chez les locuteurs par deux états ; soit un sentiment d’insécurité linguistique soit une situation d’hypercorrection.
2.1. Insécurité linguistique :
On parle de sécurité linguistique lorsque, pour des raisons sociales variées, les locuteurs ne se sentent pas mis en question dans leur façon de parler. Ils considèrent leur norme comme étant la Norme. A l’inverse, il y a insécurité linguistique lorsque les locuteurs considèrent leur façon de parler comme un peu dévalorisante et ont en tête un autre modèle plus prestigieux, mais qu’ils ne pratiquent pas.
Au lycée, nous avons remarqué que certains élèves ne se sentent pas capables de s’exprimer et préfèrent garder le silence et ne participer à aucune activité langagière, ils pourraient vivre une insécurité linguistique.
Boudreau, Dubois et Entremont (2008) définissent deux types d’insécurité linguistique : statutaire et formelle. L’insécurité linguistique statutaire est liée au sentiment que sa langue est moins prestigieuse qu’une autre langue. Par exemple, un locuteur étant d’avis que le français est une langue moins « importante » que l’anglais pourrait vivre une insécurité statutaire. L’insécurité formelle est liée au sentiment de ne pas être capable de bien parler sa langue. Un locuteur parlant français, mais pensant qu’il n’utilise pas les mots appropriés ou qu’il est tout simplement « mauvais » dans cette langue pourrait vivre une insécurité formelle.
Quant à William Labov (1976 :183), il suggère que l’insécurité linguistique se traduit chez les locuteurs par une large variation linguistique ou par des profondes fluctuations au sein d’un contexte donné et par un effort conscient de correction qui impliquent des réactions fortement négatives envers la façon de parler dont ils ont hérité
2.2. L’hypercorrection :
L’hypercorrection résulte justement de l’insécurité linguistique : C’est parce que l’on considère sa façon de parler comme peu prestigieuse que l’on tente d’imiter, de façon exagérée, les formes prestigieuses. Et ce comportement peut en entraîner d’autres qui viennent se greffer sur lui.
L.J.Calvet (1998 : 56) remarque que : « L’hypercorrection peut être perçue comme ridicule par ceux qui dominent la forme légitime et qui vont donc en retour juger de façon dévalorisante ceux qui tentent d’imiter une prononciation valorisée. Cet emboitement peut se poursuivre à l’infini, et nous montre l’ancrage social profond des attitudes linguistiques.»
3. Stéréotype :
Pour Leyens, Yzerbyt et Schadron (1996), les stéréotypes sont des « croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, […] les traits de personnalité, […] les comportements, d’un groupe de personnes ».
Les stéréotypes sont donc une sorte d’image mentale qu’un individu a d’un groupe d’individus et des individus appartenant à ce groupe. Ils ont un rôle important dans le processus cognitif des attitudes linguistiques. C’est « une forme spécifique de verbalisation d’attitudes », caractérisé par l’accord des membres d’un même groupe autour de certains traits, qui sont adoptés comme valides et discriminants pour décrire un autre (l’étranger) dans sa différence (Tajfel 1981 : 115).
Par ailleurs, L.J.Calvet (1998 :46), souligne que : « derrière les stéréotypes se profile la notion de bon usage, l’idée qu’il y a des façons de bien parler la langue et d’autres qui, par comparaison, sont à condamner. On trouve ainsi chez tous les locuteurs une sorte de norme qui les fait décider que telle forme est à proscrire, telle autre à admirer : on ne dit pas comme cela, on dit comme cela, etc. »
Ces différentes manières de parler une langue peuvent impliquer également des sentiments d’insécurité linguistique, voire même un blocage ou un refus de pratiquer cette langue, d’où une défaillance quant à son apprentissage.
Les stéréotypes ont été longtemps rapprochés des représentations et comme pour les attitudes, ces notions se constituent à partir de nos expériences et nos interactions dans la vie sociale.
4. Représentation :
Chacun des « évènements » de la vie quotidienne (discuter au café, au travail ou en famille, lorsque nous écoutons la radio ou nous regardons la télévision, lorsque nous votons…) met en jeu des représentations sur les objets qui constituent la réalité sociale. Car exprimer un point de vue, un avis ou une opinion à propos d’une « chose », traduit la représentation que nous nous faisons de cette « chose » (Vallence.A, 2010 :6).
Mais si la réalité des représentations semble facilement accessible, le concept l’est beaucoup moins. Autrement comment expliquer les différences d’avis ou d’opinions ? Dans quelle mesure les perceptions du monde sont partagées et/ou différenciées au sein d’une société et par quels facteurs ces perceptions se produisent et s’expriment ?
4.1. Représentations individuelle/collectives :
La pensée de Durkheim (1858-1917) est une des premières à incorporer le concept de représentation dans l’analyse des faits sociaux. Pour lui, une représentation désigne une vaste classe de formes mentales, relatives à la science, aux mythes ou encore aux religions, constituée d’opinions et/ou de savoirs sans distinction (Moscovici, 1989). Tout ce qui peut ainsi dire quelque chose de la réalité s’exprime à travers des représentations qui sont soit collectives, soit individuelles.
Les représentations individuelles qui découlent de la conscience propre à chaque individu sont perçues comme des entités éphémères et fluctuantes. A l’opposé, les représentations collectives découlent de la société dans sa globalité. Ainsi saisies comme processus reflétant l’expérience du réel, elles sont irrémédiablement objectives. Elles incarnent la norme du groupe qui leur assure une forte stabilité dans la transmission et la reproduction à travers les générations (A.Vallence, 2010 :15).
Cette analyse durkheimienne, qui accorde un fort intérêt à la collectivité est rattachée aux sociétés traditionnelles. Leurs caractéristiques se trouvaient dans le fait que les individus tiennent ensemble par la conscience collective et développent des rapports d’interdépendance ; d’où un certain désintérêt pour le fait individuel.
4.2. Les représentations sociales :
Le travail de Moscovici en 1961 rafraichira la notion de représentations sociales en partant des théories de Durkheim. L’une des critiques qu’il formule envers celles-ci concerne la vision figée des représentations que Moscovici considère inadéquate pour les sociétés contemporaines.
Il veut envisager les représentations sous une forme plus dynamique et mobile avec l’idée qu’elles circulent continuellement, montrant ainsi leurs fonctions de sociabilité. Dans ce cadre d’analyse, les représentations se créent dans les interactions entre groupes et se construisent dans la conflictualité sociale. Ce n’est pas une vision négative, mais une approche dynamique qui montre que les représentations sont inéluctablement signes et œuvres de distinction et d’hétérogénéité sociale.
Ainsi, en proposant de substituer le concept de représentations sociales à celui de représentations collectives, l’objectif de Moscovici était de présenter une instance apte à « articuler les processus cognitifs aux systèmes de communication et aux formes de sociabilité des rapports intergroupes » (Flament & Rouquette, 2003 :13)
Dès lors, les représentations tiennent un rôle important dans la gestion des relations sociales, tant du point de vue des conduites que de la communication. Les psychologues sociaux insistent sur trois aspects interdépendants des représentations :
• leur élaboration dans et par la communication ;
• la reconstruction du réel et ;
• la maîtrise de l’environnement par son organisation : « Analyser une représentation sociale, c’est tenter de comprendre et d’expliquer la nature des liens sociaux qui unissent les individus, des pratiques sociales qu’ils développent, de même que les relations intra et intergroupes. » (Bonardi & Roussiau 1999: 25).
Les représentations sociales sont socialement élaborées et partagées. Elles se construisent à partir des expériences et des informations, savoirs, modèles de pensée, reçus et transmis par les socialisations, la famille, l’école et la culture. Elles disposent d’un noyau central contenant des éléments significatifs du thème de la représentation. Pour qu’une représentation sociale évolue, se modifie ou se transforme, il est nécessaire qu’un élément de son noyau central soit remis en question (M.H.Léon, 2008 : 81).
4.3. Les représentations sociolinguistiques :
Aujourd’hui la notion de représentation est de plus en plus présente dans le champ des études portant sur les langues, leur appropriation et leur transmission. La langue est, avant tout, “un ensemble de pratiques et de représentations” affirme J.L.Calvet (1999 :165).
C’est la sociologie du langage, un des domaines de la sociolinguistique, qui s’occupe de sérier les attitudes et les représentations des locuteurs vis-à-vis des pratiques linguistiques (Messaoudi, 2003 : 4).
Nommée aussi représentation sociolinguistique, c’est une catégorie des représentations sociales. Même si la notion, d’un point de vue épistémologique, fonctionne de manière autonome dans certains secteurs des sciences du langage, il convient de situer la problématique des représentations par référence à son champ disciplinaire originel : la psychologie sociale. (Boyer.H, 1990 :102).
En ce qui concerne les sociolinguistes, il s’agit d’une certaine vision ou perception que les locuteurs se font des langues, cette forme de connaissance peut être fausse ou écran.
De nombreux travaux de sociolinguistes qui, à l’instar de William Labov, ont tenté de cerner ces aspects subjectifs articulés aux comportements des locuteurs, même de façon paradoxale, comme l’exprime dans un entretien, la déclaration particulièrement condensée de cet adolescent, “ma langue c’est l’arabe, mais je la parle pas” (17)
La sociolinguistique, depuis sa constitution comme discipline autonome, accorde un intérêt particulier à l’étude des différents phénomènes épilinguistiques. Ces derniers constituent aujourd’hui, un outil d’observation tellement efficace que l’étude des représentations des langues, repérables à travers les attitudes et les opinions des locuteurs, soit incontournable dans de nombreux phénomènes sociolinguistiques et sociaux, tels l’évolution et le devenir de tout parler.
Autrement dit, les représentations linguistiques peuvent renseigner sur les raisons profondes du choix des codes. Ces mêmes représentations qui génèrent les pratiques linguistiques, génèrent aussi les attitudes vis-à-vis des langues en présence, « il y a derrière chaque langue un ensemble de représentations explicites ou non, qui expliquent le rapport à cette langue sous forme d’attachement ou de répulsion » (J.L.Calvet, 1999 :82). Ce sont les idées préconçues sur la langue ou ses locuteurs qui font que celle-ci soit valorisée et adoptée ou refusée et rejetée.
Par ailleurs, Canut et Houdebine (1998 : 23) soulignent que l’analyse des représentations et celles des pratiques linguistiques se complètent :
« L’analyse de l’imaginaire linguistique, des imaginaires, attitudes, représentations, opinions, croyances, etc.- tous ces termes se valent venus d’ici et là, qui tentent de cerner ce champ- a pour principal objectif, selon moi de permettre de dégager une partie de causalité de la dynamique linguistique et langagière. D’où la nécessité d’étudier les comportements et les attitudes des locuteurs, d’observer les productions et de ne pas se contenter de recueillir les paroles des sujets afin d’en dégager leurs représentations, celles-ci pouvant varier selon les situations, les interactions…».
C’est dans cette optique qu’en puisant dans la psychologie sociale ces notions précitées, nous nous retournant dans le chapitre qui suit, vers la sociolinguistique afin de les mettre en pratique à travers une analyse quantitative et qualitative de ce phénomène, en l’occurrence les représentations des lycéens vis-à-vis de l’apprentissage du français.
17 L. Dabène, J. Billiez (1984), La situation sociolinguistique des jeunes issus de l’immigration, rapport ronéoté, Centre de Didactique des Langues.