Introduction
Ce chapitre est constitué de trois sections. La première section traite de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. La seconde section quant à elle, aborde les principales tendances du contexte économique. Enfin, la dernière section présente les faits stylisés relatifs aux systèmes des régimes de change dans la zone CEDEAO. Cette partie permet de mieux appréhender l’évolution des régimes de change et des taux de change effectifs réels des pays de la zone.
II.1 Les expériences de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest
L’intégration économique en Afrique de l’Ouest débute avec la création du Conseil de l’Entente en 1959, puis en 1962 avec la création de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA). Dans les années 80, deux chocs externes majeurs ont contribué à déstabiliser les économies de l’Union et à détériorer la croissance économique : l’effondrement des prix des matières premières, sources importantes de recettes d’exportation et l’appréciation réelle du Franc CFA sous l’effet combiné de la hausse du Franc français et l’ajustement à la baisse des taux de change des pays voisins hors Zone Franc. Les pays membres de l’UMOA ont, dès 1990, manifesté leur volonté d’approfondir leur intégration économique en complément de l’union monétaire. L’évidence était que les mécanismes de régulation monétaire devraient être complétés par des reformes économiques pour assurer la cohésion de l’Union et lancer les bases d’une croissance durable. Ainsi fut créée, le 10 janvier 1994, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine(UEMOA).
Créée le 28 mai 1975, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) comprenait seize membres, mais aujourd’hui, elle ne compte que quinze après le retrait de la Mauritanie. C’est la principale structure destinée à cordonner les actions des différents pays de l’Afrique de l’Ouest. Son but principal est de promouvoir la coopération et l’intégration avec pour objectif de créer une Union Economique et Monétaire de l’Afrique de l’ouest. La CEDEAO et l’UEMOA visent la création d’un marché commun préparé par l’organisation d’une union économique et d’une union monétaire. Selon le Fond Monétaire International (FMI), le produit intérieur brut (PIB) global des Etats membres de la CEDEAO s’élève à 564,86 milliards de dollars US (2010), ce qui en fait la 25e puissance économique du monde. En outre, la CEDEAO projette la création d’une zone monétaire Unique à l’horizon 2020.
II.2 Les principales tendances du contexte économique
Selon le rapport économique sur l’Afrique 2011, la performance économique s’est améliorée dans la plupart des pays de l’Afrique de l’ouest en 2010. Il faut noter que suite à la crise financière de 2008, la croissance économique de la CEDEAO a connu une baisse, passant de 5,8 % en 2008 à 4,9 % 2009 (AMAO, 2010). Elle s’est effectivement améliorée en 2010, avec un taux qui avoisine les 6 %. Cette amélioration est due notamment à l’augmentation des prix et des revenus pétroliers ainsi que l’intensification de l’activité dans les secteurs de la construction (Ghana), la forte performance des secteurs agricoles et miniers (Sierra Léone) et l’augmentation des recettes provenant de l’exportation du caoutchouc (Liberia). La croissance du PIB s’est ralentie en 2010 dans la deuxième grande économie de la sous-région, la Côte d’Ivoire, passant de 3,7 % en 2009 à 2,4 % en 2010 (UEMOA, 2011). Cette baisse de la croissance est en partie due aux pénuries d’électricité et de l’incertitude politique qui a prévalu dans le pays avant et après l’élection de novembre 2010 (Rapport économique sur l’Afrique 2011). Le tableau n°6 montre que l’ensemble des pays de la CEDEAO ont eu une croissance instable sur la période 2006-2009.
Tableau n°6 : Répartition des pays selon la croissance du PIB réel
Source : Auteur, à partir des données de l’AMAO (2010)
II.3 Une monnaie unique pour la CEDEAO
L’idée de la mise en place d’une monnaie unique à l’échelle de la CEDEAO s’appuie sur plusieurs observations historiques. D’abord, les unions monétaires ont tendance à favoriser le commerce régional, à condition qu’il y ait une taille critique. Ensuite, c’est le commerce régional qui tire la croissance économique, plutôt que les transactions réalisées dans le contexte d’une spécialisation Nord/Sud. La raison est que le commerce régional porte le plus souvent sur des échanges de produits similaires, ce qui permet d’éviter que les industries nationales soient évincées par les importations. Enfin, après la Triade au niveau commercial(4), l’économie mondiale des années à venir risque de s’organiser autour de pôles monétaires. Il est important, qu’à côté des pôles constitués par les devises internationales (dollar, yen, euro), les pays d’Afrique puissent avoir leur propre pôle. Pour atteindre l’objectif de création de monnaie unique, fut créée en 1996, l’Agence Monétaire de l’Afrique de l’Ouest(AMAO), qui est une agence autonome et spécialisée de la CEDEAO. Ainsi, le calendrier de mise en place de la monnaie unique à l’échelle de la CEDEAO obéit à la logique suivante : les pays non membres de la zone Franc vont d’abord constituer leur propre zone monétaire appelée « Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest » (WAMZ : West African Monetary Zone) en 2014 avec l’adoption d’une monnaie commune (l’Unité de Compte de l’Afrique de l’Ouest). Il s’agit du Ghana, de la Gambie, de la Guinée, de la Sierra-Leone et du Nigeria. Ensuite, à partir de 2020, la WAMZ et l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) devraient fusionner leurs deux zones monétaires en vue de former une zone monétaire unique à l’échelle de la CEDEAO avec l’adoption d’une nouvelle monnaie. Le Cap-Vert et le Libéria devraient également rejoindre cette zone. En premier lieu, une union monétaire a d’autant plus de chances de tenir que les pays ont des structures économiques proches, que les politiques économiques menées par les gouvernements sont coordonnées, et que chacun accepte de ne pas adopter des politiques qui seraient nuisibles pour les autres. Il faut donc définir un cadre institutionnel qui favorise cela. En second lieu, il ne suffit pas d’avoir une monnaie unique. La question du régime de change est fondamentale, car il faut décider de ce qui est le mieux pour les pays dans leur rapport avec le reste du monde. Ainsi, la future monnaie unique de la CEDEAO pourra flotter par rapport aux devises internationales, ou bien être liée à celles-ci par un taux de change fixe, ou encore varier par rapport à un panier de devises à définir. Le choix d’un régime de change donné est difficile parce qu’il implique de prendre en compte tous les aspects du « bien-être » économique et social : le niveau de la dette, les conséquences sur le commerce, l’inflation, la pauvreté et la croissance.
II.4 Faits stylisés relatifs aux systèmes des régimes de change dans la CEDEAO
La plupart des études empiriques menées sur les régimes de change n’aboutissent pas à des conclusions formelles, mais parviennent à établir le mérite de chaque type de régime de change. Ghosh et al (2010), à travers leur étude sur le taux de change et la stabilité du système monétaire international font ressortir des enseignements qu’on peut résumer ainsi :
• Les régimes de change fixes conduisent à une inflation plus faible sans compromettre la croissance ;
• Les régimes de change intermédiaires sont synonymes de bonne performance en matière de croissance économique, notamment dans les pays émergents du fait qu’il combine une volatilité faible des prix et du taux de change ;
• Les régimes flottants ont plus de capacité à réduire la probabilité d’occurrence de crises.
Le but de cette partie est d’analyser le lien entre régime de change et politique monétaire, et l’évolution des régimes de change dans la CEDEAO.
II.4.1 Caractéristiques des régimes de change et des politiques monétaires dans la CEDEAO
La relation entre la politique monétaire et le régime de change est très discutée dans la littérature économique. La poursuite d’une politique monétaire peut être compatible avec plusieurs régimes de change. Ainsi, le FMI procède chaque année à un croisement entre le régime de change appliqué par les pays membres et la politique monétaire en vigueur. Selon le FMI, il existe quatre catégories de politique monétaire, à savoir : la politique d’ancrage dutaux de change, la politique de ciblage d’un agrégat monétaire, la politique de ciblage de l’inflation et la politique monétaire discrétionnaire.
La politique d’ancrage du taux de change consiste à vendre et acheter des devises étrangères à un taux donné afin de maintenir le taux de change à un niveau prédéterminé ou dans une bande d’une amplitude donnée. La base d’ancrage nominal ou la cible intermédiaire à la politique monétaire est le taux de change.
La politique de ciblage d’un agrégat monétaire consiste à utiliser un ensemble d’instruments pour atteindre un taux de croissance cible d’un agrégat monétaire comme la masse monétaire M1 ou M2. Dans cette configuration, l’agrégat monétaire sert de base d’ancrage nominal ou de cible intermédiaire à la politique monétaire.
La politique de ciblage de l’inflation consiste pour l’autorité monétaire de respecter une cible d’inflation qu’elle aura à définir dans le moyen terme. La politique monétaire est ajustée suivant l’écart entre l’inflation et l’inflation cible. La cible intermédiaire à la politique monétaire est l’inflation cible.
Enfin, il existe une quatrième catégorie de politique monétaire qui ne repose sur aucune règle ou aucune base d’ancrage nominal explicite. Dans cette situation, la banque centrale utilise un ensemble d’indicateurs qui lui permettent de définir et d’atteindre ses objectifs.
TABLEAU n°7 : Régime de change et politique monétaire dans la CEDEAO (pour 2008)
Source : Diop et Fall (2011)
A partir du tableau n°7, on constate que les pays de la CEDEAO concernés par la politique d’ancrage du taux de change sont les pays de l’UEMOA, la Sierra Léone, le Liberia et le Cap-Vert. La Gambie, la Guinée et le Nigéria ont opté pour la politique de ciblage d’un agrégat monétaire. La politique de ciblage de l’inflation est suivie par le Ghana.
On déduit qu’il existe une forte hétérogénéité dans la mise en oeuvre des politiques monétaires par les pays de la CEDEAO. En effet, les pays de l’UEMOA ont, depuis plus de 60 années, adopté la même politique qui consiste à ancrer leur monnaie commune au franc français puis à l’euro, tandis que les pays de la ZMAO n’arrivent pas encore à coordonner leur position pour satisfaire la condition de convergence préalable à l’adoption d’une monnaie unique. Pour ces pays, la politique monétaire et le régime de change peuvent être modifiés d’une année à l’autre.
II.4.2 Evolution des régimes de change dans la CEDEAO
L’évolution des régimes de change est présentée par le graphique n°3. Il est pris en compte les trois grandes catégories de régime de change (fixe, intermédiaire et flexible) et les classifications de jure et facto. On constate que l’évolution des régimes de change dans la CEDEAO est marquée par une prédominance du régime de change fixe de jure. Cette prédominance peut être attribuée aux pays de l’UEMOA qui constituent 53,3 % des pays de la CEDEAO et qui ont toujours eu un régime fixe. Cependant, le poids du régime fixe réellement mis en oeuvre (de facto) est plus faible que celui du régime déclaré (de jure). En outre On note que le poids du régime de change flexible de jure est plus élevé que celui de facto. La diminution progressive des régimes de change fixe et flexible est compensée par une augmentation des régimes intermédiaires. Ce constat témoigne d’un certain abandon de l’hypothèse bipolaire selon laquelle les pays ont tendance à opter pour les solutions de coin. En résumé, les pays de l’Afrique de l’ouest sont victimes du syndrome de «peur du flottement » et ont privilégié les régimes de change fixes et intermédiaires.
Graphique n°3 : Évolution des régimes de change des pays de la CEDEAO
Source : Diop et Fall (2011)
II.4.3 Évolution du taux de change effectif réel dans la CEDEAO
L’évolution du taux de change réel des pays de la CEDEAO sur la période d’étude permet devoir si ces taux sont en appréciation ou en dépréciation, ce qui indique l’état de compétitivitéprix de la zone. L’analyse est faite sur les pays de l’UEMOA et ceux de la ZMAO :
Graphique n°4 : Évolution du TCER des pays de l’UEMOA
Source : Kiema et al. (2011)
Pour les pays de l’UEMOA, on note une appréciation des taux de change effectifs réels,après une dépréciation brutale en 1994. Cela est la conséquence de la dévaluation de 1994, signed’une perte relative de compétitivité-prix des économies de l’Union. En effet, l’appréciation des TCER renchérît les prix des exportations des pays de l’union, ce qui se traduit par un déficit de la balance commerciale, conséquence de la perte de compétitivité des économies. Les TCER qui ont enregistré la plus forte augmentation par rapport à leur niveau de 1994 sont ceux de la Côte d’Ivoire (35%) et les appréciations les plus faibles étant celles du Mali (12%). En général, les taux de change réels de la zone ont progressé de 22% en moyenne (Kiema et al, 2011). On note ces dernières décennies que les pays tels le Nigeria et le Ghana occupent une place importante dans les échanges commerciaux de la zone. Toute modification dans la structure économique des ces pays peut avoir un impact sur l’évolution des TCER des pays de l’Union. Le taux de change utilisé dans ce graphique est exprimé au certain (5). Le graphique n°5 montre l’évolution du taux de change effectif réel des pays de la ZMAO.
Graphique n°5 : Évolution du TCER des pays de la ZMAO
Source : Auteur à partir de la base de Penn World Table
Les pays de la ZMAO ont opté ces dernières décennies pour les régimes intermédiaires et flexibles. Il faut noter une instabilité du TCER sur la période d’étude qui est due à la flexibilité du taux de change. Pour un pays comme la Guinée, marquée par une instabilité politique ces dernières décennies, il faut noter que la Banque Centrale manque d’indépendance et n’a pas pu résister aux pressions des hautes autorités de l’État visant à contourner le système de contrôle pour des paiements et des crédits de l’État. Selon le FMI (2008), la forte appréciation du taux de change réel de la Guinée est due en partie à la crédibilité accrue des changements structurels apportés aux politiques de change, l’anticipation d’allègement de la dette et d’amélioration des relations avec les créanciers, ainsi que les perspectives d’accroissement des exportations de produits miniers induits par les investissements de grande ampleur. L’appréciation généralisée des TCER dans la zone pose le problème de compétitivité-prix de celle-ci.
II.4.4 Prédominance du marché parallèle de change : Cas du Nigeria
Les règlements des transactions à travers le marché officiel (les banques) empruntent des détours trop longs. Toutes les opérations qui passent par ce circuit sont libellées en dollars US, quelque soit l’origine ou la destination des produits. Beaucoup d’entrepreneurs hésitent à utiliser ce circuit, très couteux financièrement, tant du point de vue du prix des formalités que des détails de dénouement des opérations. En contrepartie de la relative sécurité que garantit le système décrit précédemment, le marché parallèle oppose la souplesse et la facilité d’accès aux devises de financement. Ce circuit est traditionnel dans le cadre des transactions entre le Nigeria et ses voisins, ce qui ne permet pas d’évaluer son ampleur. Ce sont les différences de coûts qui incitent de nombreux opérateurs à recourir au marché parallèle pour financer leurs transactions. En effet, il est plus intéressant pour un opérateur économique d’un pays de la zone franc de passer par le marché parallèle que par le circuit officiel. Par ce dernier circuit, il passe par trois monnaies : le franc CFA, le dollar et le naira qui, du fait du jeu des commissions prélevées par les cambistes, contribue à déprécier ses fonds. Le tableau n°8 montre, à travers un calcul simple comment le marché parallèle, en éliminant une devise, permet de gagner environ 7.5 % du fonds de roulement par rapport au montant auquel l’opérateur est en droit de s’attendre s’il passait par le circuit officiel.
Tableau n°8 : Gains offerts par le marché parallèle
Source : OCDE (2001)
Ce gain d’opportunité constitue l’un des fondements du recours au marché parallèle par de nombreux commerçants, pour mobiliser les devises nécessaires aux règlements de leurs transactions. L’impossibilité de passer directement du franc CFA au naira dans le circuit officiel pénalise les opérateurs économiques et constitue une contrainte financière majeure au développement des transactions officielles entre le Nigeria et ses voisins.
Conclusion
Ce chapitre a permis de montrer que les régimes de change fixes et intermédiaires sont les plus utilisés dans la CEDEAO et que l’ensemble des pays de la zone sont victimes du syndrome de « peur du flottement ». Les pays de l’UEMOA enregistrent les taux de change les plus surévalués. En outre, les coûts de transactions sont élevés dans la zone, compte tenu de la multitude de monnaies. Après cette présentation de la zone, on passe à l’analyse empirique.
4 La triade est constituée des trois pôles commerciaux correspondant à la zone Amérique du Nord, à la zone Europe et à la zone Asie.
5 Quantité de monnaie étrangère nécessaire pour une unité de monnaie nationale