« Si j’avais à donner mon opinion sur l’origine de ce peuple, je le considérerais comme une race intermédiaire entre les habitants de Tanna et ceux de l’île de l’Amitié ou entre ceux de Tanna et les Néozélandais ; ou encore un mélange des trois… »
James Cook, Balade, 1774
En tenant compte de l’organisation océanienne traditionnelle et de son évolution, nous avons pu nous questionner pour rechercher d’une part, comment la société Kanak avait- elle pu percevoir les premiers Européens arrivés sur leur territoire ? D’autre part, comment l’Européen avait-il perçu les Indigènes, et dans quel état d’esprit ? Quel avait pu être le degré d’implantation « polynésien » lors des « first contacts » ? Ou encore les données dites « protohistoriques » pouvaient-elle nous aider à élaborer des réponses à ce questionnement ?
1. La Polynésie, région des premiers contacts
Il faut attendre le XVIème siècle, pour que les découvreurs européens aillent à la conquête du Pacifique, découvert pour la première fois en 1513 par l’explorateur espagnol Vasco Nuñez de BALBOA (158). Magellan, le 21 janvier 1521, a réussi à atteindre PUKAPUKA la première île « polynésienne » inhabitée au large des îles Marquise. Le 6 mars de la même année, il a établit des premiers contacts avec les Océaniens de l’île GUAM, en Micronésie, dans l’archipel des Mariannes. Ce premier contact est assez rude. PIGAFETTA l’un des coéquipiers de MAGELLAN écrit ainsi dans son journal de bord :
« Les habitants de ces îles montèrent à bord des navires et nous volèrent sans que nous puissions nous protéger … Ils avançaient tellement vite, qu’ils paraissaient voler. Ils avaient des voiles en natte de forme triangulaire, et manœuvraient dans les deux sens, faisaient de la poupe, la proue et de la proue la poupe, à leur guise. ».
Cet évènement s’est terminé par un affrontement sanglant au cours duquel plusieurs Autochtones ont trouvé la mort après le « vol d’un canot ». L’équipage a été marqué par le courage et la hardiesse guerrière des hommes :
« Chaque fois que nous blessions l’un d’entre eux, d’un trait dans le corps, il le regardait et l’arrachait avec un courage étonnant, ce qui le faisait mourir sur le champ. »
Ce premier contact entre le portugais MAGELLAN et les Insulaires, semblait prédire irrémédiablement l’avenir d’un choc culturel entre deux mondes diamétralement différents. Quarante sept ans plus tard en 1568, l’espagnol MENDANA découvre le premier archipel dit « mélanésien » : l’archipel des îles baptisées SALOMON, dont certaines étaient habitées par des habitants de type « polynésien ». Lors d’une nouvelle expédition en 1595, il prit contact pour la première fois avec des habitants cette fois- ci des îles Marquises à FATU HIVA. Cette rencontre s’était soldée par des affrontements sanglants. Quelques jours plus tard, il tenta de s’installer aux Salomon, à la conquête de l’or. Malheureusement, après bon début pourtant de courte durée, des altercations se sont produites avec les Indigènes. L’équipage fut alors contraint de rebrousser chemin, le capitaine atteint de maladie y trouva la mort. Ainsi, la violence marque les premiers contacts avec le monde occidental lors la découverte du Pacifique sud.
Le MAIRE, SCHOUTEN, COOK, WALLIS, d’ENTRECASTEAUX, LA PEROUSE, DUMONT DURVILL empiétèrent le pas de TASMAN, envoyés par leurs gouvernements respectifs attirés par les richesses ultramarines et les profits potentiels. Cette effervescence se traduit par l’exploitation minière, végétale, marine ou hauturière du bassin Pacifique dès le début du XVIIIème siècle et se poursuit j’usqu’au XIXème siècle. Dans ce contexte, la Nouvelle Calédonie fut découverte en 1774.
Considérant l’aisance à laquelle les Indigènes à se déplaçaient d’îles en îles, on peut penser que les Océaniens de plusieurs contrées avaient déjà entendu parler des navigateurs Blancs sur leur grand bateau à voile. C’est en effet à partir de la fin du XVIème siècle que la conquête du Pacifique et de ses îles débuta.
L’île de Futuna, de Tonga ainsi que l’archipel du Vanuatu avaient été visités dès le début du XVII siècle. Des échanges de vivres entre les Européens et les Insulaires avaient commencé malgré des altercations qui s’étaient souvent soldées par de nombreux morts de part et d’autre.
Fig. 12- Attaque des indigènes de Samoa lors des premiers contacts avec les Blancs.
Ces évènements ont forcément imprégné la mémoire des Insulaires qui les divulguaient à leurs proches dans toutes les îles environnantes (169). La Nouvelle-Calédonie, relativement proche de ces îles nouvellement découvertes n’a pas été épargnée, les habitants avaient entendu parler de ces apparitions.
2. Quand James COOK arriva…
Quand James COOK s’approcha de Balade le 5 septembre 1774, il fut abordé par trois pirogues avec à bord cinq ou six hommes. La description qu’il nous en faite nous indique que certains d’entre eux semblaient être de race « polynésienne », il écrit ainsi :
« Ils étaient de la même race que ceux que nous avons vu la veille au soir, et nous pensâmes qu’ils venaient du même endroit. Ces hommes semblaient plus bâtis et plus robuste que ceux de Mallicolo, et plusieurs autres circonstances contribuaient à nous faire penser qu’ils appartenaient à un autre peuple. Ils donnaient aux chiffres jusqu’à 5 ou 6 le nom qu’ils ont à Anamocka (170) (une des îles de l’archipel de Tonga), et ils nous comprirent lorsque nous leur demandâmes les noms des terres contiguës. A la vérité on en trouve qui ont les cheveux noirs, courts et frisés comme ceux de Mallicolo, mais d’autres les avaient plus long, attachés au sommet de la tête, et ornés de plume comme les néo zélandais. A bord de ces embarcations James COOK nous apprend qu’il y avait le chef TIHABOUMA qui habitait de l’autre côté de la chaîne de colline. (171)»
Fig. 13- James Cook
Ce passage écrit par un coéquipier de James Cook nous informe que parmi les personnes des pirogues à Balade, certains avaient des connaissances en langue polynésienne. Soit certains d’entre eux avaient des origines « polynésiennes », soit ils avaient des contacts directs avec cette population. James COOK poursuit sur son observation :
« Si j’avais à donner mon opinion sur l’origine de ce peuple, je le considérerais comme une race intermédiaire entre les habitants de Tanna et ceux de l’île de l’Amitié ou entre ceux de Tanna et les Néozélandais ; ou encore un mélange des trois… »
Au premier contact, une scène presque anodine se déroula et l’auteur continue son récit :
« En signe de paix à l’adresse des étrangers, ils déploient un ou plusieurs étendards blancs ; en tout cas c’est ce qu’ils firent pour nous, quand nous approchâmes pour la première fois de leurs rivages ».
Il semble que cette pratique a été identifiée plusieurs fois à Balade en 1793 avec d’Entrecasteaux et par les santaliers dont le capitaine CHEYNES en 1842 plus tard le Bucéphale en 1843 dans lequel se trouvaient les missionnaires catholiques. Ce rituel a été aussi remarqué aux îles Tonga par COOK quelques jours auparavant. Les marins européens l’ont interprété comme un geste de paix ou d’amitié mais il n’en était rien. L’ethnologue Jean GUIART apporte une interprétation plus logique quand il écrit :
« Les habitants du pays inconnu visité ont d’abord cru que les nouveaux venus étaient les morts revenus sur terre pour apporter leur richesse à leurs descendants. Le blanc est en effet la couleur des morts et du deuil dans les sociétés océaniennes »(172)
Fi. 14- Le bateau de James Cook
Selon nous, le brandissement de l’étendard blanc pouvait signifier aussi qu’ils reconnaissaient en eux des esprits (revenants) venant leur rendre visite. Cette interprétation semble proche de la réalité parce qu’elle est confirmée par les Papous des hauts plateaux qui ont été les derniers de l’humanité à être en contact avec les Européens dans les années 30 du début du XXème siècle. De même que ces témoignages extraordinaires ont même été filmés (173).
En 1774 James Cook confirme aussi la présence polynésienne au Nord est de la Grande-Terre. Les habitants y emploient des termes polynésiens comme « ariki (174) » pour désigner le chef. Ce détail viendrait sans doute confirmer notre thèse selon laquelle Kaukelo d’Uvéa serait arrivé avant 1774. Egalement, ceci semble confirmer aussi que des liens matrimoniaux auraient été tissés entre eux. Dater l’immigration « wallisienne » en 1750 ne serait pas dénuée de sens.
Quand James Cook arriva, il eût une attitude que les Balades ont perçue comme respectueuse. Sans le savoir James Cook fit une démarche digne d’un chef « coutumier » :
« Après le repas, je me rendis à terre avec deux embarcations armées, accompagné par des indigènes qui s’était lui-même attaché à ma personne. Nous débarquâmes sur une plage de sable devant un grand nombre de gens, qui s’étaient rassemblés sans autres attention que de nous voir, car la plupart d’entre eux n’avaient pas même un bâton en main ; aussi fûmes nous reçus d’une grande courtoisie, et avec cette surprise naturelle des gens qui voient des hommes et des choses aussi nouvelles pour que nous pouvions l’être. Je fis des présents à tous ceux que mon ami m’indiqua, qui étaient soit des vieillards, soit des hommes qui semblaient êtres des notables, mais il n’eut pas le moindre égard pour quelques femmes qui se tenaient derrière la foule, me retenant même la main lorsque je voulus leur donner quelques grains de verroterie et des médaillons. Nous retrouvâmes ici le même chef qui a été vu le matin dans l’une des pirogues. Son nom, nous l’apprîmes alors, était Ti Bouma et nous n’étions pas à terre dix minutes, qu’il faisait faire silence. Etant immédiatement obéit par chacun, il fit un petit discours, et peu après un autre chef ayant imposé le silence, prononça aussi une allocution. Il était agréable de voir avec quelle attention ils étaient écoutés. Leurs discours se composaient de courtes phrases, auxquelles deux ou trois vieillards répondaient en inclinant la tête, et en emmottant une sorte de grognement qui marquait, pensais-je, leur approbation. Il nous était impossible de saisir le sens de ces discours ; mais nous avions des raisons de penser qu’ils étaient favorables et que sans nul doute ils nous concernaient. Je tins mes yeux fixés sur les gens pendant tout ce temps et ne remarquais rien qui pût m’induire à penser autrement… »
L’accueil « coutumier » a bien eu lieu envers James Cook en 1774 dans la plage de Balade. Effectivement ce rituel d’accueil dans la société Kanak est sacré et cet évènement prédira un séjour paisible de l’équipage anglais en Nouvelle Calédonie. La venue D’Entrecasteaux par contre, dix neuf ans plus tard dans le même lieu, n’aura pas cet accueil traditionnel, mais sera marqué par des altercations violentes. Cet aspect en terme culturel et relationnel est négligé par les protohistoriens océanistes pour expliquer le séjour exécrable de l’équipage français en 1793.
3. Approche iconographique
Les deux dessins ci-contre ont été réalisés par William Hodges (1744- 1797), compagnon de Cook. Le premier (23×39 cm) représente une vue de la Nouvelle-Calédonie, illustré par lui-même, gravé par William Byrne (1743-1805) et publié à Londres (New Street, Shoe Lane, and The Strand) le 1er février 1777 par Wm Strahan et Thos.
Au premier plan de la première illustration, la nature est bien mise en exergue avec les grands arbres cachant la case de forme ronde. On remarque aussi la présence de marécage sur la droite avec notamment des oiseaux. De même en arrière plan, on peut entrevoir la forêt et la chaîne montagneuse. Cette vision « rousseauiste » des îles du Pacifique, se reflète dans les écrits de James Cook et ceux de son équipage.
Effectivement, les Indigènes sont décrits comme des hommes à l’état de nature vivant paisiblement, sans contraintes apparentes. Au centre, trois hommes nonchalants discutent, l’un d’entre eux porte un sac ou un panier. Les cases semblent éloignées les unes des autres. On peut apercevoir des détails de l’architecture Kanak de cette époque : la flèche faîtière symbolisant la case du chef, et les chambranles sculptés des deux côtés de la porte de la case. « Le personnage au panier » a été repris plusieurs fois dans d’autres publications. L’une a été gravé par Viero Théodorum sous le titre de : Homme de la Nouvelle-Calédonie Isle dans la mer Pacifique à Venise et publié par Antonio Zatta en 1790. L’autre a été gravé par Grasset de Sauveur et publiée à Paris dans l’Encyclopdie des voyages en 1796.
Fig. 14- Balade 1774
Sur le deuxième tableau du même auteur, on retrouve cette vision « naturiste » des sociétés insulaires. L’homme vit complètement nu au milieu des grands arbres qui semblent être des araucacias, végétation tout de suit visible lors des accostages navals. Ce paysage est celui d’Ile des Pins et les représentations (des plantes et des animaux) mettent en évidence notamment l’intérêt scientifique des expéditions.
Le troisième tableau de cet auteur représentant un double portrait d’un homme de Balade, de face et de profil droit correspondrait en fait aux recherches anthropométriques pratiquées à cette époque.
Fig. 15 : Ile des Pins.
La connaissance des peuplades archipels encore inconnus, attachait beaucoup d’importance aux savants accompagnateurs de ces expéditions de découverte. Dix ans neuf ans plus tard, la vision de l’équipage de Bruni D’Entrecasteaux sera différente. Jacques-Julien Houtou de Labillardière (1755-1834), le botaniste dans l’expédition a réalisé les deux dessins ci-dessous, gravés par Jacques Louis (1764-1799) pour illustrer : Relation du voyage à la recherche de La Pérouse. Ce manuscrit a été commandé par l’Assemblée Constituante en 1791 pendant la première année de La République Française.
Ces gravures de dimension : 44,2 x 30,3 cm, ont été publiées à Paris chez Dabo en 1817. Ces deux gravures montrent bien que le contact avec les Indigènes de Balade a été marqué par des altercations relativement violentes et les témoignages de l’équipage le confirment. Contrairement aux tableaux anglais plus haut, l’homme se présente ici armé et agressif. Il tient dans sa main droite une sagaie et le lanceur l’utilise comme projectile à l’aide d’un propulseur en cordelette (175); les Européens trouvèrent cette arme très efficace et meurtrière. Dans sa main gauche le guerrier tient une arme dont l’extrémité a la forme étoilée. Selon les témoignages que cette arme à la manière de la hache ostensoir, était utilisée pour découper la victime et les morceaux du trophée étaient dispatchés dans les diverses chefferies pour être consommés .Ainsi l’équipe D’Entrecasteaux a été consterné par l’anthropophagie des Néo-calédoniens (176).
Fig. 16 et 17
La femme est vêtue d’une jupe traditionnelle en fibre qui était utilisée dans les échanges cérémoniaux entre les groupes en présence. La femme semble aussi apeurée et reflète sans doute l’état de guerre et de désolation de cette région en avril 1793 quand D’Entrecasteaux entre en rade à Balade au nord est de la Grande Terre. Selon certains chercheurs, la récente venue de migrants « polynésiens » à ce moment là, a transformés le paysage paradisiaque décrit par Cook et ses compagnons. Le mythe des origines des clans d’obédience « polynésiennes » divulgué les Kanak de l’extrême nord du Pays en fait légèrement allusion.
Fig. 19- Sauvage de la Nouvelle Calédonie lançant une sagaie
Fig. 20- Femme de Nouvelle Calédonie
4. La visite D’ENTRECASTEAUX.
Comme pour James COOK en 1774, le procédé d’accueil a été identique, dix neuf ans plus tard, lors des premiers contacts avec l’équipage d’Entrecasteaux. Le 23 avril 1793, les « Naturels » de Balade, après quelques échauffourées au moment où les marins embarquaient, revinrent sur la plage « en agitant une banderole blanche », en guise de paix selon les nouveaux venus. Les cinq hommes présents, regrettaient ce qui s’était passé, et reconnaissaient la faute des « kaya (177) » c’est-à-dire des « étrangers » parmi eux. Ce détail nous informe la présence d’autres personnes « étrangères » à la région au moment des faits. Etaient-ils « Polynésiens » ?
D’Auribeau l’un des coéquipiers du commandant pense à ce propos que :
« La connaissance que Monsieur Cook leur a laissé des objets de fer, leur en a fait connaître le prix ; une hache est pour le naturel un objet d’un prix inestimable. La quantité qu’ils en ont aperçue aux travailleurs leur a fait concevoir le téméraire dessein de les enlever de force. Les vols commis la veille et leur impunité, toutes ces raisons les déterminèrent sans doute à les attaquer (178) ».
Fig.18 : d’Entrecasteaux arrivé en N.Calédonie en 1793.
Concernant le massacre de l’équipage d’une pinasse du navire de guerre français « l’Alcimène » par les habitants de Poum à cette même époque, jean GUIART, ayant la même interprétation que Maurice LEENHARDT écrit :
« Les gens s’étaient jetés sur les marins au moment même où ils quittaient pour aller plus au sud. Partir ainsi, après avoir reçus au mieux, ne pouvait être compris que comme une trahison : n’étaient ils pas les morts venus apporter à leurs descendants, et à eux exclusivement, leur richesses ? Leur état de mortels se découvrait ainsi en paiement d’un mauvais procédé attribué à leur état de divin». (179)
Cette interprétation des évènements lors des premiers contacts, semble correspondre tout à fait à la mentalité océanienne d’antan. Le vol, lors des premières rencontres avec les Européens, aurait été la cause récurrente des représailles violentes des arrivants occidentaux. Notons tout de même que dans les cultures océaniennes, l’équilibre des échanges est fondamental. S’ils considéraient les nouveaux arrivés, du moins au début, comme leurs ancêtres défunts revenus , il n’y avait pour eux, aucun mal à prendre tout ce qu’ils pouvaient. Encore de nos jours dans le milieu océanien, un membre de la famille qui après un long séjour d’absence revenant parmi les siens, est souvent « pris à partie » par ses congénères qui lui « subtilisent » ses biens. Le nouvel arrivant ne se sentira pas offusqué ou mal à aise pour ces usages presque protocolaires. Bien au contraire, sa générosité lui donnera du prestige auprès de son cercle familial, du moins, momentanément…
E.P.E Chevalier de Rossel, celui qui prit la tête de l’expédition après la mort de l’Amiral, rédigea la relation officielle et la publia en 1807, écrit ainsi (182):
Nous prîmes des informations pour tâcher de savoir si les habitants de la Nouvelle Calédonie avaient vu leurs côtes quelques bâtiments européens. Nous crûmes entendre qu’ils se souvenaient du capitaine Cook ; mais je n’oserais pas l’assurer : au reste, nous ne vîmes aucun des objets qu’il dit avoir laissés dans leur île. Cependant l’avidité que ces insulaires témoignaient pour les haches, auxquelles, ils donnent le même nom que les habitants îles des Amis, semble annoncer que la connaissance qu’ils en ont leur avait été donnée par COOK, et que ce navigateur leur en avait également appris le nom. En général ils faisaient très grand cas du fer, et ils nous ont paru en sentir le prix.
Ainsi, le fait que les habitants de Nouvelle Calédonie donnaient à la « hache » le même nom que ceux habitants aux îles Tonga : « Toki » a été interprété comme un héritage du passage de James Cook, minimisant la présence de « Polynésiens » dans ces contrées.
Après quelques jours passés à Balade, le 4 mai 1793 dans l’après midi il se produisit un évènement important et capital concernant notre sujet d’étude :
« Une pirogue à deux voiles venant du large, de la direction des îles Beaupré, accosta la « Recherche » vers quatre heures. Il y avait sept hommes et une femme bien faits, très robustes, de physionomie agréable et très différents des naturels de Balade. Ils parlaient la langue des îles Tonga et venaient d’une île qu’ils appelaient Aouvéa. Ils montraient en même temps la direction des îles Beaupré. Ils connaissaient le fer et le cochon qu’ils désignaient du même mot que les Tongans (183)».
D’Entrecasteaux et ses coéquipiers ont confirmé la présence de « Polynésiens » dans l’atoll de Beautemps Beaupré ou d’une autre île dont ils doutent encore de l’existence. Leur connaissance du fer et du cochon semble indiquer qu’ils venaient d’une région de l’est déjà explorée par les Européens, mais on ne peut savoir s’ils étaient des migrants Polynésiens « fraîchement » arrivés ou des descendants d’immigrés. La présence d’une femme dans la pirogue peut alimenter d’autres hypothèses à ce sujet (184). La description contrastée entre le « Polynésien » et le « Mélanésien » est flagrant non seulement sur le plan physique que sur le plan psychologique.
5. La question de « l’entre-deux-expéditions » à Hoot Ma Waap (185)
Concernant la période de « l’entre deux expéditions (186) », le Père DELBOS écrit :
« Il est vrai que près de vingt ans séparent les deux visites et que dans l’intervalle beaucoup de choses ont pu se passer. Faut-il incriminer l’intrusion entre temps des Wallisiens d’Ouvéa ? Les richesses par Cook auraient-elles allumé les convoitises et déclenché des rivalités tribales ? Une sécheresse exceptionnelle- c’est un fait que la source où Cook a fait provision d’eau, abondante en 1774, est tarie en 1793- a-t-elle réduit les gens à la famine, laquelle aurait libéré les instincts sauvage de survie ? La population aurait-elle eu de mauvais contacts avec des navires de passage ? Un évènement que nous ignorons à dû se produire. Le connaîtrons-nous un jour ? Rien n’est moins sûr. (187)»
Or, Dorothy SHINEBERG n’est pas de cet avis, elle affirme sans équivoque que :
« …La différence qui existe entre la réaction de Balade lors de la visite de COOK et celle manifestée lors de la visite d’Entrecasteaux n’est plus aujourd’hui une énigme comme celle le fut pour la BILLARDIERE. En effet, l’histoire de ces indigènes peut fort bien avoir subi un changement crucial entre les deux expéditions : on suppose que pendant cet intervalle de dix neuf ans, les chef qui avaient accueilli COOK ont été obligé de s’installer dans une autre région et ont été remplacés par un petit chef originaire de l’île Wallis, qui était de tempérament guerrier (188)».
Effectivement, les récits de James COOK décrivaient les gens de Balade comme un peuple courtois et amical et nullement enclin au vol. Dix neuf ans après, D’ENTRECASTEAUX et son équipage se demandaient si le peuple qu’ils avaient devant eux étaient bien le même avec celui que James COOK avait décrit. En effet, à leur grand étonnement, les gens de Balade en 1793 leur paraissent comme misérables, maigres, enclins au vol et surtout anthropophages. Que s’était –il passé dans ce laps de temps ? Georges PISIER met en exergue la controverse entre l’ethnologue français Jean GUIART et l’historienne d’Australie Bronwen DOUGLAS. Il écrit :
« Mr GUIART s’appuyant sur un auteur français Charles BRAINNE, que confirmeraient ses informateurs locaux, estime que la chefferie qui avait reçu COOK avait été obligée de partir s’établir de l’autre côté du col d’AMOS, remplacé à Balade par une chefferie guerrière d’origine wallisienne Mme DOUGLAS prend le contrepied de cette opinion. Elle déclare d’abord que Charles BRAINNE est un des auteurs les plus contestables. Elle soutient ensuite que rien n’est moins sûr que la chefferie de BALADE en 1793 fût d’origine wallisienne » (189).
Entre le contact avec la population de James Cook en 1774 et celui d’Entrecasteaux en 1793, soit dix neuf ans plus tard, le village de Balade a changé de décor politique après une guerre fratricide. Selon Bernard BROU, certains clans Wahap sont issus des migrations « loyaltiennes » (Ouvéa) et polynésiennes voir uvéennes. L’arrivée au XVIIIème de nouvelles populations dans cette région a vu renforcer le camp des Wahap. Pour l’historien :
« Les chefferies Hoot apparaissent issues d’un même rameau et se réclament du même nom : TIDJINE. Les chefferies principales des districts de Whaap offrent en général une origine extérieure mieux définie. Les Bwarat, qui détiennent la prééminence à Koumac et dans la basse vallée de Hienghène, sont originaires en définitif des îles Wallis, par la migration qui atteignit en particulier Ouvéa et Lifou des îles Loyautés à la fin du XVIIIème siècle. On leur rattache directement la chefferie de Balade dont les titulaires et les sujets les plus proches sont classés DOY BWAXAT et qui semble avoir installé son autorité seulement après le passage de Cook qui lui, aurait été reçu par un chef Ohot ». (190)
BERNARD BROU écrit d’ailleurs :
« Ainsi dans la région qui nous préoccupe, les principales familles politiquement parlant, à l’arrivée des français du moins, étaient partagés en deux camps, les plus nombreuses étaient dites Ohot, les autres WHAAP. Ces dernières renforcées par des dynasties locales d’origine polynésienne récentes. L’opposition entre les deux camps, à la fois cérémonielle, à l’occasion des pilous, et politique, c’est-à-dire guerrière, à la même occasion d’ailleurs, avaient pour fonction de justifier en quelque sorte l’existence de chacune des chefferies à la fois vis-à-vis d’un adversaire permanent et d’alliés coutumiers… A ce brassage interne, a correspondu une extension de l’état de guerre et une aggravation des conditions de conflit. En effet, dans la société traditionnelle classique, on a pu dire que « la conquête des terres ne faisaient pas partie des normes et des buts politiques. La victoire consiste moins à tuer qu’à manger l’ennemi. En principe, elle n’est pas suivie par l’occupation des terres du vaincu… après les combats, on compte les morts des deux côtés et on échange pour chaque tué, une monnaie ».
Cette controverse peut expliquer le changement remarqué de la société kanak de la région Hot Ma Whaap entre 1774 et 1793 et nous interpelle puisque selon certains auteurs, la présence « polynésienne », a été le catalyseur de ce bouleversement. Qu’en est- il exactement ? Le père ROUGEYRON, un des premiers missionnaires catholique à évangéliser cette partie de la Grande Ile, fait allusion dans ses écrits à un personnage qu’il admire, Hippolyte BOUANOU. Cet Indigène de Pouébo, né en1833, âgé de 35 ans, avait la particularité d’être un catéchiste dévoué, mais aussi un grand chef. Le missionnaire raconte dans un de ses journaux de bord, que la grand-mère de ce catéchiste était d’originaire d’Ouvéa et plus précisément des îles Wallis :
« … Wallis se trouvant en guerre, des pirogues fuirent leur île, ils étaient une quarantaine à atteindre Ouvéa… Ils formèrent une petite colonie. Ce peuple s’étant multiplié, ne trouve plus Ouvéa assez vaste, une partie se retira en N. Calédonie et particulièrement à Pouébo. Un village se forma sous la protection du Grand Père de Hyppolite, qui épousa une femme dont naquit Goa…Alliés du grand père et au père d’Hippolyte, ces étrangers ne tardèrent pas à être puissant et considérés dans le pays. Mais leurs protecteurs étant morts, leur influence diminua et bientôt ils ne jouèrent plus qu’un rôle secondaire dans la tribu » (191).
Ce témoignage confirme qu’une colonie « polynésienne » s’était installée à Pouébo (192) bien avant 1800, si nous tenons compte d’une fourchette d’âge de trois générations. Sans doute qu’à l’arrivée d’ENTRECASTEAUX en 1793, ceux venant d’Ouvéa était déjà sous la protection du Grand Père d’Hyppolite. Cela confirmerait-il la version de Jean GUIART ou de BROU concernant la période dite de « l’entre-deux-expéditions » ?
Comme le souligne le religieux, cette colonie « accueilli » dans la chefferie a joué un rôle prépondérant dans tous les clans alliés. Les Indigènes et les chefferies autochtones faisaient alliance en échange de protectorat réciproque. « Ces polynésiens » réputés pour leur force physique, ainsi que pour leur connaissance maritime avancée ont été sollicités non seulement à Ouvéa avec le chef Bazit, mais aussi sur la grande Terre. Ces enclaves étaient sûrement bien délimitées dans l’espace au gré des maîtres terriens. Sur la Grande Terre, à l’arrivée des Européens, ils parlaient encore leur langue. Après deux ou trois générations, elles ont dû perdre petit à petit leurs spécificités (193).
Aussi, le clan MALUMA qui détient l’autorité politique de principe sur le district montagneux de Pabwa(OHOT) affirme son identité avec la chefferie BAHIT du district de WENEKI dans le nord d’Ouvéa. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’influence « polynésienne » ne s’est pas portée seulement chez les Whaap mais également dans les deux camps adverses de la Grande Terre.
6. L’expédition de Jules Dumont D’Urville
C’est l’expédition de Jules Dumont D’Urville le 17 juin 1827 qu’incombe la découverte de l’île d’Ouvéa. Effectivement, il est le premier navigateur à avoir exploré pour la première fois toutes les îles Loyauté et avoir précisé la position exacte de cette île. Après avoir longé la côte septentrionale de Lifou, le navigateur mit le cap sur l’atoll Beautemps-Beaupré appelé aussi Héo d’où il écrit ces mots :
« Croyant en avoir définitivement terminé avec les îles Loyalty…nous n’avions pas encore perdu de vue les terres de l’île Chabrol (nom de l’île de Lifou qu’il a baptisé en mémoire du ministre à qui la France avait dû l’expédition pour rechercher les traces de La Pérouse) lorsque la vigie en signala de nouvelles de l’avant. A cinq heures elles furent visibles de dessus du pont. (194)
La nouvelle île reçu le nom d’île Halgan, en l’honneur du contre amiral Emmanuel Halgan qui occupe à Paris le haut poste du directeur du bureau de Longitudes. Le 18 juin au matin, Dumont D’Urville pénètre dans la baie d’Onyat et aperçoit cinq pirogues, en forme de grands coffres, chargées d’hommes portant des chapeaux cylindriques semblent revenir d’une expédition militaire sur l’île voisine de Lifou. (195) Il écrit :
« Nous fîmes tous les signaux que nous jugeâmes les plus propres à les attirer vers nous mais nos efforts furent inutiles et leurs craintes furent probablement plus vives que leur curiosité ».
Ce témoignage sous tend que les réseaux maritimes préexistaient déjà et se sont perpétués jusqu’à aujourd’hui entre ces deux îles voisines (196).13 ans plus tard, dans le cadre d’une deuxième expédition, ce même navigateur aborde Ouvéa le 14 mai 1840 et le 15 mai il remarque la présence humaine à Beautemps Beaupré :
Nous aperçûmes alors distinctement les habitants de ce petit îlot, groupés sur un coin de la plage, et qui nous faisaient des signaux ».
Le découvreur de cet archipel n’a malheureusement pas eu de contacts directs avec cette population et les premiers Blancs après l’équipage d’Entrecasteaux à avoir des contacts directs avec les Ouvéens ont sûrement étaient les santaliers et les commerçants anglophones.
7. L’implication « des enfants du soleil levant » : Rôle et statut
La tradition orale évoque dans leurs légendes et mythes des personnes qu’elle appelle communément « les enfants du soleil levant ». Ces « entités » appartiennent à des clans nouvellement intégrés venus de l’Est par la mer. Ces dernier se feront conseiller de leurs « beaux frères» d’autant plus que des nouveaux venus débarquent sur les côtes calédoniennes, et ils se feront notamment messagers des nouvelles et des évènements dont ils seront témoins vers d’autres contrées. Leurs alliances matrimoniales et leurs compétences naturelles à la navigation les place de fait dans une position intermédiaire entre les Européens et les clans autochtones. Ce nouveau statut leur permettra de faire valoir leur positionnement et leur compétence en faisant toujours en sorte que ce qu’ils émettaient ne soient jamais en leur défaveur.
La communication entre les îles à cette époque était relativement limpide. Pour donner un exemple, la mort du capitaine Marta en avril 1842 à Maré a été connue des gens de Lifou deux jours après l’évènement. Ce qui prouve tout simplement que les nouvelles allaient assez vite par-delà les vallées et les montagnes, par-delà des récifs et des mers. Ainsi cette mobilité facilitait les jeux d’alliances et Christophe Sand cite Rivière :
« Dans la période précoloniale, l’arrivée des clans étrangers dans tertre déterminé favorise et désavantage les force en présence. La présence étrangère va faire basculer d’un côté ou d’un autre les groupes en conflit. Pour légitimer leur intégration les nouveaux arrivés vont s’allier avec ceux qui les accueillent et vont tout faire pour ne pas décevoir leur alliance. Souvent, ils vont démontrer une bravoure et une fidélité remarquable qui amènera des individualités à devenir de véritable chef en connivence au clan accueillant. Mais les jeux d’alliance deviennent plus complexes quand certains du groupe étrangers s’allient avec l’ennemi pour diverses raisons. Ainsi se superposent différentes strates hiérarchiques de groupes sociaux dans un même tertre (197)».
Avant l’arrivée des Blancs, si ceux qui venaient du « soleil levant » étaient considérés en milieu autochtone et avaient des positions privilégiées en tant que conseillers ou porte parole du chef, dans la période qui suivra, ils perdront petit à petit du prestige.(198) Effectivement les Européens avaient une supériorité technologique sans égale mais et lors des premiers contacts, ces conseillés traducteurs ont utilisé cette nouvelle présence à leur avantage au sein d’enjeux et de concurrences locales. La langue polynésienne a été momentanément la langue de communication et les informations et les traductions ont pu être déjouées à l’insu de tous.
Les Océaniens ont la particularité d’être plurilingues. En Nouvelle Calédonie, le Kanak parle facilement trois ou quatre langues, ce qui facilite la communication, l’échange entre les aires linguistiques et coutumières, même au de-là des mers. Le « vieux » Wamo d’Ouvéa à Balade a accueilli les missionnaires en 1843. Selon les témoignages, il parlait du bon « wallisien » apparemment perceptible par les missionnaires locuteurs. En un siècle, la langue de Kaukelo a dû être modifiée au contact des populations autochtones. Apparemment, le vieux WAMO parlait plus de 7 langues dont le Iaaï, faga, Pouébo, Balade, Hienghène, etc. Cela démontre la faculté d’adaptation de ces Polynésiens à la culture d’accueil, facilitée par le statut que leur ont légué les accueillants, agrémenté par le fait que les Européens connaissaient leur langue maternelle.
Jules GARNIER confirme l’emploi d’une langue polynésienne au milieu des langues mélanésiennes sur la Grande-Terre. Que sont devenus ces isolats ? Jacques IZOULET (199)dans son ouvrage évoque l’influence de la langue polynésienne sur la langue de Dréhu. Ainsi, le nom « Lifou » aurait été donné par les samoans, « Italofa » Bonjour polynésien « alofa, kuli, hele, moa, poaka, fao…, » serait des mots emprunté des langues polynésiennes. Par exemple en 1793, les gens de Balade ignoraient le chien ou le cochon (kuli, poaka). Il n’en est pas de même pour les Ouvéens. Il serait intéressant d’effectuer cette même recherche linguistique dans la langue de Nengone et dans toutes autres langues Kanak. Cette étude, nous semble t-il d’apportera d’autres éléments à la connaissance des contacts des Polynésiens en Nouvelle-Calédonie. La langue wallisienne via le fagaouvéa, comme langue d’interprétation entre le français et les langues cac, Yalayu ou yuaga du nord, n’était sûrement pas un exercice facile pour Wamo en 1843. Si le « fakauvéa » (200)parlé par les missionnaires et le fagaouvéa du XIXème siècle sont deux langues proches et relativement inter compréhensibles (201), le français et la langue de Balade sont deux langues diamétralement différentes. De même, la langue polynésienne et la langue française sont des langues conceptuellement distantes. On pourrait notamment se poser la même question concernant le wallisien et le Yalayu ou le cac.
La langue fagaouvéa a été la langue « tampon » dans les transactions importantes entre les responsables européens (du gouvernement français et de l’église) et les chefs des tribus kanak du nord, les missionnaires en témoignent au moment de la prise de possession en 1843 :
Le 31 décembre 1843 ou le 1e janvier 1844, selon les versions. Ce jour là se trouvaient réunis à bord du Bucéphale lors d’un repas, tous les chefs de Koko et de Balade .L’occasion avait paru bonne au commandant (LAFERRIERE) pour les emmener à demander la souveraineté de sa Majesté Louis Philippe 1er et de son gouvernement, conformément aux instructions qu’il avait reçu de son chef hiérarchique, le vice-amiral état major, afin que, à défaut de Monseigneur Douarre qui s’était récusé, il servît de témoin à l’acte solennel. Car il s’agissait bien d’un acte politique, sa formulation de laissait aucun doute :
«Nous chefs de l’île d’Opao (Nouvelle Calédonie) par devant le commandant et les officier de la corvette française le Bucéphale, déclarant que, voulant procurer à nos peuples les avantages de leur réunion à la France nous reconnaissons à dater de ce jour, la souveraineté pleine et entière de son gouvernement, plaçant nos Personnes et nos terres d’Opao sous leur haute protection vis-à-vis de toutes les puissances étrangères, et adoptant pour notre le pavillon français, que nous jurons de faire respecter par tous les moyens en notre pouvoir. Fait à Balade, remis entre les mains du comandant de la corvette française du Bucéphale, en présence des témoins ci-dessous dénommés, le 1er janvier 1844 ».
Cette déclaration avait été au préalable expliquée aux intéressés par le père Viard qui servait d’interprète. Celui-ci, dit le rapport de La ferrière, « E LELEI ! E LELEI » (202). Elle fut ratifiée quelques jours plus tard par les chefs de Koumac et les fils de celui de Bondé, de sorte que lorsqu’il parvint au contre-amiral Dupetit-Thouars, le document était revêtu de quatorze signatures, celles des chefs, celle du commandant et celle des officiers. A défaut de l’un des chefs indigènes qui l’eussent profané, le pavillon fut confié à la garde de l’évêque qui l’accepta pour six mois. La traduction réalisée dans les deux camps est discutable car les mots utilisés en français peuvent ne pas avoir leur équivalence conceptuelle dans la culture Hoot Ma Whaap via le wallisien. La question que l’on peut se poser c’est : Est-ce que les chefs autochtones ont eu la même lecture et la même compréhension du document que ceux qui l’on proposé ?
En résumé, les sources de première main des découvreurs occidentaux restent difficilement exploitables par rapport à notre objet d’étude. La retranscription de leur observation d’antan se limite dans leur propre champ de compréhension, l’analyse ethnologique contemporaine de ces données sont souvent l’objet d’interprétations diverses entre historiens et anthropologues produisant de véritables polémiques dépassant les enjeux scientifiques.
Photo 7- Monument commémoratif placé en 1913 à Balade pour marquer les soixante ans de présence française.
168 Richard HUMBLE, Les grands Navigateurs, Editions Time-Life, p 132.
169 WAHEO Jacob, Moju bongon kau adreem, CTRDP, recueil 2, juillet 1989 : Wakuba Ianu, l’un des conteurs originaires d’Iaaï nous raconte l’arrivée des premiers navires européens sur Ouvéa et les conséquences sur les mœurs des gens, p 105, 106.
BAUDOUX Georges, in L’invasion sournoise, ils avaient vu des hommes Blancs, Nouvelles Edition Latine, 1952 : cet auteur fait allusion à un récit lors de la venue de James Cook en 1774, raconté par les kanaks de Balade.
170 Romuka, une « des îles de l’Amitié » pour l’amitié durable qui semble régné entre les habitants, nom qui a été donné par James Cook, Tasman les avaient baptisés auparavant « Rotterdam. ».
171 James COOK, Relations de voyage autour du monde, Traduit de l’anglais par Gabriel Rives, 1998, Ed. La découverte, p 267.
172 Jean GUIART, Une histoire exemplaire, tirée du livre de Bob CONNELY et Robin ANDERSON, Premier contact- Les papous découvrent les blancs, Editions Gallimard, 1989, p 251.
173 Premiers contacts (réf)
174 Ce terme est employé encore aujourd’hui au nord de la grande Terre: « ariké la bande » : pour « bonjour la bande».
175 Ce dessin a été publié par la Réunion des musées nationaux in, De jade et de nacre, Patrimoine artistique kanak, Paris, 1990.p. 184,250 p.
176 Richard Hélène, le voyage D’Entrecasteaux à la recherche de Lapérouse, Editions du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 1986. 376 p.
177 Remarquons tout de même qu’en langue Uvéa, « kai ha’a » signifie « voleur ».
178 D’Auribeau cité par PISIER. D’Entrecasteaux en Nouvelle Calédonie (1792 1793), Publications de la Société d’études historiques de la Nouvelle Calédonie, Nouméa, 1976,
179 Jean GUIART- Une histoire exemplaire- op.cit., p 251.
180 Cette croyance indigène dans tout le Pacifique confirme sans doute ce que les premiers contacts des insulaires avec les navigateurs européens il y a un demi millénaire ont produit dans l’inconscient ou dans la conscience collective.
181 Les proches (cousins, cousines et les maternels) demandent au voyageur fraîchement rentré de « faire coutume » de ses affaires personnels.
182 E.P.E Chevalier de Rossel, Voyage d’Entrecasteaux, Paris, 1807.
183 Cf. Georges PISIER D’Entrecasteaux en Nouvelle Calédonie (1792 1793), Publications de La Société d’Etudes Historiques de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, 1976,
184 Certaines personnes ont avancé qu’il n’y avait pas de femmes dans l’excursion de KAULELO.
185 Jean GUIART dans ” les modalités de l’organisation dualiste et le système matrimonial en NC”, nous révèle que les conflits entre les Ohot (Belep;Nénéma, Bondé; Pouébo;Tiambouen, Wébia, Colnett, Wayèm; une partie de Koumac et Gomen ainsi Panloch, wélis la vallée de Témala, Gavatc, Tendo et la Tipinje et les Wahap au nord de la Grande Terre (composés de Tiabet, Arama, Koumak Tiari, Balade, Painboa, Tao; Panié, Hienghène, Kulna, Témala et Tiéta.), dans la première partie du XIXème siècle sont fréquentes.
186 La période de « l’entre-deux-expéditions » correspond à la période 1774-1793.
187 Georges DELBOS, L’église catholique en Nouvelle Calédonie, Mémoires chrétienne. Edition Desclée-1993, p30 ; noté aussi par Bernard BROU concernant cette période dans son ouvrage datant de 1973 : l’Histoire de la Nouvelle Calédonie, édité par le SEHNC, p 22.
188 D. SHINEBERG, Ils étaient venus chercher du santal, Ed SEHNC, 1973 p.
189 Cité par Georges PISIER, D’Entrecasteaux en Nouvelle Calédonie (1792 1793), Publications de la Société d’études historiques de la Nouvelle Calédonie, Nouméa, 1976, p85. Bronwen DOUGLAS a publié : « Histoire des contacts de la population de Balade », traduction dans le bulletin N 10, SEHNC ,1972.
190 B.BROU, l’histoire de la Nouvelle Calédonie : 1774-1925.Nouméa, 1973. p 65.
191 Voir l’« abrégé de la vie d’Hippolyte Bonou chef de la tribu de Pouébo », écrit par le P.ROUGEYRON probablement en 1870. (copie- archive personnel que l’on peut trouver à l’archevêché de Nouméa)
192 K.J. Hollyman, Etude sur les langues du Nord de la Nouvelle-Calédonie, Peeters Selaf, 1966, p42-43 : L’auteur fait allusion à cette présence polynésienne au village de Oon à Saint Mathieu à Pouébo, où résidait le clan Whaaiara, originaire d’ouvéa dirigé par la mère Ara accompagné de ses deux fils, Tijin et Pwayili, ce clan installé ensuite à Panook, il a déménagé à Saint Ferdinand quand la mission a occupé les lieux.
193 On peut aussi imaginer que les épidémies lors des premiers contacts ont décimé ces isolats polynésiens, leur mobilité a sûrement accéléré le processus de contamination et de dépopulation démographique dans tout l’archipel calédonien. Ce fait là est noté par Jacques IZOULET dans son travail sur la Mission d’Ouvéa, op.cit. p 90. Cf. Annexe 1.
194 M.J Dumont D’Urville, Voyage de la corvette l’Astrolabe exécuté par ordre du roi pendant les années 1826, 1827,1829 sous le commandement, Paris, J.Tastu, 1832, t. IV, p.468.
195 M.J Dumont D’Urville cité par Jacques Izoulet, Mékétépoun, Histoire de la mission catholique dans l’île de Lifou au XIXème siècle, Editions l’Harmattan, 1996, pp 34-35.
196 Pour avoir résidé quelques années au nord d’Ouvéa, ce lien est confirmé par les habitants de la tribu d’Onyat dont certaines familles se disent originaires de l’île de Lifou.
197 Rivière cité par Christophe Sand dans « Le temps d’avant ».
198 Naepels Michel, Histoire des terres kanakes, éditions Berlin, 1998, 379 p. deux façons d’accueillir pp 115-119.
199 Jacques IZOULET, Méketepoun , histoire de la mission catholique dans l’île de Lifou au XIXème siècle, L’harmattan 1996, p 24
200 Nom de la langue wallisienne : le diminutif « faka » veut dire « à la manière de ».
201 Les Polynésiens de l’occident ont des langues où l’intercompréhension est relativement facile. Chose étonnant, lors d’un séjour pédagogique, j’assistais à un culte maori méthodiste à Auckland au mois de septembre 2008, je comprenais mieux le pasteur quand il s’exprimait en maori que lorsqu’il parlait en anglais. Aussi dans cette même ville dans laquelle il existe une migration forte de Polynésiens de l’Océanie, le groupe de Wallisiens avec qui j’étais conversions en langue maternelle avec les Tongiens ou les Samoans sans passer par l’anglais. Si L’intercompréhension est possible actuellement, sans doute qu’elle devait être plus facile il y a deux ou trois siècles auparavant entre les Polynésiens de l’Occident.
202 Marque d’approbation : C’est bon, c’est bien, d’accord, en langues polynésiennes de la région occidentale.
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