Passer du problème d’attribution des Régions à la fondation de leur identité comme condition de possibilité de la résolution de ce problème pouvait sembler aller de soi, la signature représentant la cristallisation de l’expression de cette identité.
Mais c’est un défaut beaucoup plus général de notoriété qui est le plus souvent pointé concernant les Régions. Il nous semblait devoir dépasser cette évidence pour arriver à la précision du problème de l’attribution.
De même, pour ce que nous examinons dans notre seconde partie, la fondation de l’identité est rarement questionnée. Considérant une jeune collectivité, cette problématique irait de soi, négligeant le processus de formation de l’identité. Bref, c’est donc un travail de précision et de questionnement de la problématique de communication des Régions que nous avons essayé de livrer ici.
Ainsi, pour reprendre l’ordre de notre travail, nous supposions donc que, plus qu’un problème de simple notoriété, c’était plus précisément un problème d’attribution qui constituait le coeur de la problématique de communication des Régions. Nous introduisions là une première notion venue du marketing. Cette première hypothèse nous a paru amplement validée. L’évolution de la Région montre qu’elle s’est rapidement imposée comme échelon majeur. Mais son évolution perpétuelle et le tournant qu’ont pris ses politiques depuis 2004 font que, quoique connue, elle est profondément mal connue, tout comme ses représentants.
Ce problème d’attribution renvoie à l’identification de la Région, seconde notion issue du marketing que nous avons introduite. L’identification est, avec la différenciation, un élément du positionnement. C’est à la reconnaissance d’une identité que renvoie elle-même cette identification. Cette question de l’identité a été un élément récurrent de la communication régionale qui l’a explorée, se livrant parfois à des errances qu’on pourrait qualifier de “publicitaires”. Or, ainsi que nous l’avons vu, l’identité ne peut être décrétée ni inventée. Sans jamais être définitivement fixée, elle s’élabore selon une multiplicité de processus qu’une collectivité ne peut maîtriser mais seulement retrouver, constater, accompagner et entretenir. La Région en quête d’identification devra donc trouver sa propre inscription dans ses processus.
C’est là qu’intervient notre deuxième hypothèse. Nous nous demandions si la création d’une signature, avec la démarche qu’elle implique, pouvait s’imposer comme la solution pour réaliser cette inscription et contribuer à résoudre ainsi ses problèmes d’attribution et d’identification.
La résolution des problèmes de communication propres aux Régions implique donc d’établir un positionnement. L’identification, basée sur une identité retrouvée, est une autre face d’une différenciation nécessaire pour chacune des Régions. La dérive publicitaire que nous évoquions avait justement abouti à uniformiser sur des traits d’identification identiques la communication des collectivités. Or, ce positionnement, abouti, peut se cristalliser dans une signature qui exprime un condensé de sens, un “hyperrésumé” de l’identité. Nous avons d’ailleurs rappelé l’origine héraldique de cette signature qui en donne tout le sens. Les armoiries qu’elle couronnait donnaient toute l’histoire de celui qui les arborait. La devise rappelait tout aussi bien cette histoire qu’elle en donnait le sens dans sa formule. C’est ainsi que nous pouvons également valider notre seconde hypothèse tout en lui ajoutant une réserve. La liaison entre la signature et l’action publique ne doit pas être perdue. Les politiques s’inscrivent sur le territoire, elle contribuent à lui donner son sens. Elles participent donc, comme nous l’avons vu, de la production de son identité. La signature ne fait que retrouver ce lien.
Enfin, il faut ajouter que c’est plus la démarche qui aboutit à cette signature, la pertinence du positionnement, que la signature elle-même qui lui donne tout son impact. C’est ce que montrent les cas concrets que nous avons étudiés. La signature peut facilement se perdre dans le slogan. Celui-ci en est, d’une certaine façon, le dévoiement, il utilise sa puissance d’impact sans en avoir la pertinence, sans être chargé de son sens. Pour les Régions qui ont affiché de tels slogans comme des signatures, l’utilisation a été impossible. Faute d’une assise suffisante, ils brouillent les messages avec lesquels ils sont sans connexion plutôt qu’ils ne les renforcent. La force de la devise sur les armoiries est qu’elle démontre et éclaire chaque action qu’elles rappellent. La devise est bien une expression de cette “trajectoire” que serait l’identité.
C’est ce que montre le travail des Régions Picardie et Pays de la Loire. La démarche très complète qu’elles ont menée et l’assise à de multiples niveaux de référence (historique, sociologique, linguistique…) de leur travail lui confère sa force.
Nous validons ainsi notre troisième hypothèse. La signature doit venir en appui d’une stratégie de communication complète qui appuie la différenciation qu’elle implique, faute de quoi elle perd toute possibilité d’impact.
C’est ce qui nous amène à la base de notre travail qui, en Limousin, est parti d’une commande de signature et non d’une commande de stratégie de communication. Le travail fourni pour la création de cette signature ne constitue qu’une ébauche de positionnement. S’il constitue un effort louable de l’institution pour structurer sa communication, il n’en reste pas moins insuffisant. Rappelons-nous la formulation de notre problématique : “Si la problématique de communication des Régions est bien un défaut d’attribution, la création d’une signature peut-elle y apporter une solution ?”
Pour le Limousin, ainsi que nous l’avons vu, la création de la signature, dépossédée de la dimension qui lui donne son sens, ne pourra apporter qu’une solution partielle au défaut d’attribution. Au moins ce premier travail permet-il d’envisager le chantier nécessaire qui s’ouvre à la communication régionale.
Il y a, tout au long de notre travail, une idée qui n’est pas exprimée – nous avons essayé de garder notre fil sans le perdre. Si la signature peut bien apporter une solution au problème d’attribution des Région, cela ne signifie évidemment pas que seule une signature permette de solutionner ce problème. Ce que nous validons au fond dans nos hypothèses, c’est bien cette démarche réflexive, ce stade du miroir, que nécessite la production d’une signature. Cette démarche paraît particulièrement adaptée à ces institutions jeunes en perpétuel mouvement que sont les Régions.
De la même façon, on n’aura pas trouvé exposée ici une mise en regard des différentes théories et pratiques de la communication permettant sur cette démarche, synthétisée dans ce que serait Une méthode combinant les avantages de toutes. Ce travail, s’il ne nous parait pas possible, mériterait tout de même d’être tenté. Il est de grande ampleur et nécessiterait une investigation auprès des agences qui interviennent auprès des collectivités, de leur faire exposer leurs méthodes et de les suivre dans leur application. On se rendrait certainement compte que la méthode est à réinventer pour chaque cas. Mais c’est un autre travail.
On pourrait nous dire qu’il est un peu tard pour se livrer à ce genre de réflexion. La Région a eu près de 30 ans pour se construire auprès de Français. La réforme territoriale à venir modifiera une fois de plus l’institution mais se chargera de la faire mieux connaître en la “dissolvant” dans la proximité du découpage départemental. Cette réforme, ce qu’on en sait aujourd’hui et l’évolution du mode de scrutin qu’elle prévoit, devrait en effet accentuer, voire hyperboliser la volonté de proximité(101). On comprend que l’intérêt régional dans cette évolution prévue, si difficile à acquérir, risque immanquablement de se “dissoudre” dans la défense du local.
Notons pourtant que la question du fameux “millefeuille territorial” qui préside à la réforme à venir peut être, somme toute, relativisée. Si l’on réfléchit qu’un consommateur connaît plusieurs centaines de marques, on s’étonnerait plutôt que, tant d’années après leur création, les quelques niveaux des collectivités n’aient toujours pas réussi à se faire connaître. Cette réponse ne préjuge pas de la cohérence du système français des collectivités mais répond à l’argument souvent avancé de la confusion des échelons et des compétences.
Si donc nous considérons la réforme à venir du point de la communication publique, les arguments du “millefeuille”, de “l’ovni” politique et surtout, les échos qu’ils trouvent, en constituent un désaveu. Nous ne voulons pas dire que la communication publique aurait pu rendre plus cohérente l’organisation territoriale aux yeux des Français et interdire toute velléité d’une telle réforme. Mais en leur rendant plus sensible leurs collectivités, elle aurait certainement pu mieux leur faire prendre conscience des enjeux d’une telle réforme.
Ce que montre la brève histoire de la communication publique, c’est qu’elle a souvent été conçue comme un “à côté” des politiques. Sa prise en compte n’a pas constitué un enjeu stratégique de ces politiques comme cela aurait dû être le cas.
Rappelons donc pour terminer que la communication des collectivités est une dimension à part entière de l’action publique. Un manifeste de Cap’com, le réseau des communicants publics le rappelait en 2008 pour répondre à une proposition de loi visant à bloquer à 0,3% le montant des dépenses de communication pour les collectivités : “La communication publique est un service public. Placée au service de l’intérêt général, elle est une dimension essentielle de l’action publique.”
Information, transparence, explication, telles sont les missions de la communication des collectivités, mais aussi production de sens, de valeurs communes, d’identité, fortification des liens sociaux, à travers les stratégies, c’est cela qui est visé.
101 Dans une tribune de l’ARF, Alain Rousset dénonçait en septembre dernier le mode d’élection retenu, uninominal à deux tours qui annonce une recentralisation sans précédent : “Il est très probable que sur un seul territoire, plusieurs conseillers généraux sortants seront présents. L’effet notoriété jouera en leur faveur, l’un d’entre eux sera sûrement choisi par les électeurs. La parité y perdra, comme la diversité et le renouvellement politique. Le conseil régional sera ainsi demain occupé très majoritairement par les conseillers généraux d’aujourd’hui qui voteront des ressources fiscales lorsqu’ils siégeront au département et se contenteront de répartir les dotations financières de l’Etat – qui constitueront plus de 90%des recettes régionales – lorsqu’ils siégeront à la Région”.