La Grande Rivière Artificielle est étudiée, dans la majorité des travaux scientifiques, comme un outil de développement. Les débats semblent se restreindre autour de la question de savoir si oui ou non, celle-ci représente un projet viable et économiquement rentable. Il est certain que la question se pose et se doit d’être développée. Le PGRA soulève le problème de l’utilisation de l’eau fossile pour le développement agricole dans un pays comme la Libye soumis à un climat aride. Les recherches précédentes se bornent alors à relever les avantages et les inconvénients d’une telle politique de gestion de l’eau sans tenter de comprendre les raisons d’une telle décision que la plupart des experts s’entendent à considérer comme absurde.
Le Projet de la Grande Rivière Artificielle s’inscrit clairement dans un ensemble bien plus vaste que celui du simple développement économique. Cette étude démontre que la GRA résulte d’abord de la volonté obsessionnelle d’un homme, Kadhafi, qui, depuis sa jeunesse, cultive le rêve d’une eau abondante ainsi que, sous l’influence de son modèle égyptien, aspire à une indépendance totale vis-à-vis du monde extérieur. L’étude de la jeunesse de Kadhafi ainsi que de ses origines sont apparues essentielles pour comprendre la naissance du PGRA.
Nombre d’experts affirment que ce projet pourrait être une réussite s’il n’était pas destiné principalement à l’agriculture. L’évapotranspiration record (entre 40 et 60 %), le prix extrêmement onéreux des produits issus de l’agriculture libyenne sans parler de la vision à court terme et des impacts écologiques constituent nombre de limites à un tel projet.
Il est clair que cette étude devait se pencher sur les raisons de ce projet. Sa dimension capricieuse constitue un premier élément tendant à expliquer le lancement d’un tel projet. La volonté controversée d’une utilisation de cette eau fossile au profit de l’agriculture prend alors plus de sens.
Cette vision de la GRA comme l’obsession seule de Mouammar Kadhafi ne suffit pas à expliquer l’engouement du régime kadhafiste pour ce gigantesque projet. L’étude s’est alors intéressée au rôle de la GRA comme outil de propagande, comme symbole du régime en place. La personnalisation du pouvoir, l’appel constant au peuple face aux élites ainsi que la proposition de solutions immédiates ont permis d’abord de soutenir la thèse du régime populiste. Le but final étant de comprendre en quoi la GRA est un formidable outil pour ce type de régime.
Ainsi, si ce projet participe clairement à chaque élément relevé à propos du populisme de Kadhafi, il joue d’abord un rôle indéniable dans la personnalisation du pouvoir de Kadhafi. Celui-ci n’apparaît alors plus seulement comme le héros de la révolution de 1969 mais également comme l’Homme ayant pu apporter l’eau du désert à la côte. Son rôle de Guide prend alors tout son sens, c’est lui qui répond aux attentes du peuple. Cette image est entretenue par un formidable travail de propagande permettant au citoyen libyen lambda d’assimiler l’ « or bleu » au Guide, « Grand Ingénieur » de la « huitième merveille du monde ».
Le désir de répondre aux attentes du peuple libyen entier constitue un autre élément participant au régime populiste. L’eau étant vitale pour chaque individu, le projet de GRA apparaît alors naturellement comme une réponse au profit de l’intérêt général. Enfin, la dimension à court terme du projet, ses nombreuses critiques, permettent d’interpréter la Grande Rivière comme une réponse immédiate, miraculeuse mais clairement fondée sur un effet d’annonce au manque d’eau.
Il est désormais clair, à travers les divers arguments cités dans ce travail, que la GRA ne constitue pas seulement un outil de développement économique mais dépasse largement cette seule fonction en fournissant un formidable instrument, un gigantesque symbole, une propagande considérable au service du régime populiste de Kadhafi.
Depuis la révolution libyenne de 2011, il est impossible d’avoir des informations précises sur la GRA. La mort de Kadhafi a ravivé les tensions entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine. Elle a également mis en évidence la déstructuration complète de la vie politique comme du tissu économique. Il sera alors intéressant dans les années qui viennent d’étudier l’évolution de la Grande Rivière Artificielle, aujourd’hui symbole du pouvoir d’un ancien dictateur pour les libyens.
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