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Conclusion

Un luxe en perpétuelle évolution

Depuis son apparition le luxe ne cesse d’évoluer avec son époque. Signe de culture et de distinction sociale(211) il se veut ainsi un véritable miroir de la société en évoluant avec elle. Par exemple au XVIIe siècle le luxe n’était que faste et superflu à travers les étoffes, les bijoux, les meubles (en or, broderies, perles…) ; avec l’industrialisation ce luxe se voudra plus utilitaire et au fil des époques il se voudra toujours plus innovant, il s’exportera avec la mondialisation et s’interrogera sur les désirs, les plaisirs de la société. Ainsi dans les années 2000, lorsque des inquiétudes planent sur la sexualité et en font un tabou à cause de l’émergence du sida, on voit apparaître des publicités où les corps se dénudent, se touchent et miment l’orgasme(212). Les mœurs évoluent, la nudité s’affiche de plus en plus et aujourd’hui chacun part à la quête de son plaisir n’hésitant plus à franchir la porte d’un sex-shop, acheter des sex-toys ludiques(213) ou se rendre dans des clubs libertins. Ainsi au fil des époques et des modes la publicité du luxe possède ses propres codes. Etudier les publicités de dix marques de maisons de couture sur une même saison dans une période de dix ans permet ainsi de mettre en exergue ces codes, leur apparition et leur évolution.

On remarque ainsi qu’un changement général s’opère entre 2006 et 2008. La vague du porno chic à son apogée jusqu’en 2004 s’essouffle pour disparaître presque complètement en 2012. A contrario à partir de 2006 des thèmes comme le ludisme ou l’onirisme émergent atteignant leur apogée en 2010 à travers par exemple la campagne printemps-été d’Hermès. La magie, l’univers des rêves et des contes sont utilisés comme c’est le cas pour cette publicité où Hermès met en scène la cendrillon moderne(214). Cette histoire qui nous est racontée n’est bien sûr pas qu’un « simple thème », beaucoup de codes sont mis en places. Par exemple on observe qu’à la même période (2006-2008) le cadrage des mannequins se veut moyen ou large (le cadrage américain étant auparavant plus privilégié, mettant alors en valeur le personnage(215)) ce qui permet de mieux nous plonger dans cet univers proposé tout comme l’utilisation d’un format 4×3 dont la vision nous parait plus naturelle.

Un contexte de repli social ?

D’autres notions sont aussi abordées notamment celle de l’héritage, de l’authenticité ou des valeurs d’une marque (globalement, le rapport au temps). Dès 2009
les grandes maisons de couture ont ainsi fait valoir leur artisanat à travers la presse (par exemple Gucci et sa campagne Forever Now représentant une vieille photo de ses ateliers, mars 2010), des court-métrage diffusés sur internet (Chanel en 2010, film Les mains d’Hermès, 2010), à la télévision (comme pour Cartier et son remarqué court-métrage de 3 minutes retraçant l’histoire de la marque de son origine à aujourd’hui) ou en créant l’évènement comme lorsqu’en octobre 2011 Louis Vuitton invite son public à ses Journées Particulières(216) où la marque propose la visite de ses ateliers de confections. On assiste ainsi à un certain repli que ce soit à travers la mise en valeurs de produits fondamentaux via l’artisanat (le cuir, la fourrure, la soie…) mais aussi à travers des valeurs morales puisque les marques tendent à affirmer les valeurs de l’héritage familial et culturel. On peut le voir par exemple chez Dolce & Gabbana printemps-été 2012, à travers des clichés à l’ambiance chaleureuse et familiale mettant en scène la célèbre top-modèle Bianca Balti et l’actrice Monica Bellucci (toutes deux italiennes) au sein d’une ambiance familiale mêlant toutes les générations. Hormis ces nouveaux axes de communication, ce repli moral s’affirme aussi par le recul de la vague porno-chic. En effet le peu de publicités mettant en scène un semblant de nudité, comme c’est le cas pour Chanel au printemps-été 2008 (les jambes du mannequin Claudia Schiffer sont complètement nues) ne se veulent pas provocantes ou dégradantes mais se révèlent des publicités esthétiques mettant en exergue la féminité et le glamour de la femme. Cet engouement pour le « glamour » pourrait s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord grâce au certain rapprochement entre les publicités de luxe et le cinéma(217) mais aussi à cause de la conquête de pays émergents tels que la Chine, l’Inde ou le Brésil.

Exporter une image de la femme européenne est une chose mais il faut aussi d’adapter à ces nouvelles cultures. Par exemple, en mars 2011 Pékin promulgue de nouvelles directives de sobriété à l’égard des publicités affichées en ville (sous peine d’amendes), le gouvernement les jugeant « malsaines »(218). Ce retour à l’héritage et aux valeurs d’une marque sont aussi bien sûr une manière de communiquer auprès de ces nouveaux pays cibles afin d’affirmer l’authenticité et la légitimité de la marque de luxe(219).

Vers de nouveaux codes

Onirique, ludique, authentique et glamour, le luxe se veut éternel et serein en mettant en puisant dans son histoire. On pourrait se demander si tout comme en 2000 pour contrer l’atmosphère tendue liée à l’épidémie du sida, l’ascension du ludisme de l’onirisme et de l’héritage n’est-il pas une manière de dédramatiser et rassurer après une période de crise financière ou aussi un moyen de s’imposer et se légitimer face à une concurrence des marques de masse, à la contrefaçon et à la conquête des pays émergeants.

Autrefois passionnel, aux tons chauds et à l’environnement théâtralisé (utilisation de fonds neutre ou fictifs) le luxe d’aujourd’hui est apaisé par des couleurs froides dont le bleu. Dans une interview du magazine L’Express(220) Michel Pastoureau explique ainsi qu’aujourd’hui le bleu est une couleur sage, conservatrice et discrète. Le bleu est aussi – avec le vert- la principale couleur que l’on trouve dans la nature qui est elle-même symbolique d’évasion, l’homme ayant toujours rêvé de s’évader dans la mer ou le ciel(221)qui lui-même est symbolique des dieux(222) et donc de la spiritualité. On retrouvera par ailleurs toute cette symbolique dans la publicité printemps-été 2010 d’Hermès où la jeune Cendrillon moderne dévale un escalier dont les marches supérieures sont au niveau du ciel et les marches inférieures au niveau de la mer (comme si la jeune femme au-delà d’une princesse se voulait déesse). L’environnement du luxe deviendra ainsi dès 2006 un lieu qui se veut urbain aux allures très géométriques (mobilier épuré aux formes carrés chez Gucci printemps-été 2010 et 2012, décor industriel chez Dolce & Gabbana en 2008, barres parallèles de gymnastique chez Chanel en 2012). Ces lieux ont une histoire dont les liens sont assez forts pour résister au fil du temps comme par exemple l’olivier(223)centenaire de la publicité Hermès 2012 aux racines robustes qui rassurent et apaisent ou encore les liens familiaux avec la publicité de Dolce & Gabbana 2012 où trois générations sont réunies dans une ambiance années 60. Au final, ce luxe nous accompagne, nous rassure et continue à nous faire rêver à travers les époques.

Et après ?

Alors que peut-on espérer pour la suite ? Après ces différentes publicités printemps-été 2012 et ces nouvelles tendances présentes depuis plusieurs saisons on peut espérer une continuité de la communication dans son rapport au temps, au voyage et au rêve. Cela semble d’ailleurs se confirmer avec l’apparition des nouvelles publicités automne-hiver 2012-2013 avec par exemple Hermès qui garde dans son accroche un rapport au temps signant « time on your side » (224) (l’accroche anglaise de la campagne printemps-été 2012 étant intitulée the gift of time, le cadeau du temps) ou encore la campagne automne-hiver 2012 de Louis Vuitton qui sous ses airs de train mystique des années 1910 nous fait voyager. Pourtant les mannequins aux étoffes scintillantes et aux imprimés léopards, aux hauts chapeaux et grosses lunettes rondes ont quelque chose de futuriste. Un voyage qui parait donc déjà extraordinaire. Le glamour semble continuer sa route avec une publicité automne-hiver 2012 en noir et blanc pour Dior dans un style années 50, l’actrice Mila Kunis est photographiée dans un cadre hollywoodien, il va sans dire que le cinéma est une grande source d’inspiration dans ces publicités. La marque Lanvin va quant à elle créer de nouveau(225) un buzz sur internet en dévoilant sa nouvelle campagne dont les mannequins sont non professionnels(226) (dont « Jacquie » une ancienne danseuse de 82 ans) Lanvin déclarant alors être « toujours à la recherche d’une histoire »(227). Une histoire, c’est sans aucun doute ce que chaque marque de luxe cherche à communiquer : une histoire authentique, une histoire féerique ou qui se veut au contraire réaliste, une histoire qui fait voyager, une histoire qui fait rêver, qui surprends et dont on veut s’inspirer.

Une histoire de cycles ?

Mais hormis les évènements de notre histoire qui influencent la communication du luxe (mondialisation, santé publique, crise…), la communication du luxe dans le secteur de la mode n’est-elle pas tout simplement soumise à des cycles comme la mode elle-même ? Si un souffle onirique et futuriste plane sur les campagnes automne-hiver 2012 comme ce fut plus ou moins le cas dans les années 80 peut-on s’attendre à un retour du porno chic d’ici quelques saisons ou faut-il s’attendre à des choses complètement nouvelles, des « surprises » comme nous propose Lanvin avec son clip musical, ses mannequins non professionnels et qui plus est, sénior ? (D’ailleurs, l’emploi de non professionnels sortant des dictats de la beauté et issus de la population n’est-il pas risqué de la part d’une maison de haute couture lorsqu’on sait que les marques de masses ont parfois cette démarche(228) ?) Affaire à suivre néanmoins ce qui est sûr, c’est que les publicités du luxe dans le secteur de la mode n’ont pas fini de nous surprendre, nous faire voyager et rêver !

211 Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Edition de Minuit, 1979
212 Opium, Yves Saint Laurent, 2000
213 La mode se veut aux sex-toys design et colorés de tailles, matières et accessoires différents.
214 Cheveux au vent, robe très courte, la belle dévale les escaliers design laissant au passage un de ses escarpins.
215 Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, Armand Colin 2011
216 Terme employé par la maison de couture
217 On le voit dans le cadrage et la mise en scène comme dans la publicité Prada printemps-été 2012 mais aussi tout simplement avec l’émergence des court-métrages comme média publicitaire.
218 Lefigaro.fr À Pékin, le luxe ostentatoire n’a plus droit de cité, article paru le 21/03/2011
219 On pensera notamment à la campagne « Made in » de Prada
220 Publié le 05/07/2004, Le bleu une couleur qui ne fait pas de vagues
221 Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur, Seuil
222 En référence à l’Olympe de la Grèce Antique.
223 Symbole de force très présent dans la mythologie : Les massues d’Hercule sont faites en bois d’olivier tout comme le pieu en bois qu’utilise Ulysse dans l’Odyssée pour combattre le Cyclope. De plus, l’olivier est réputé éternel, repoussant après chaque incendie « L’olivier fut brûlé dans l’incendie du temple par les barbares; mais le lendemain de l’incendie, […], ils virent qu’une pousse haute d’une coudée avait jailli du tronc “. Hérodote
224 Le temps est de votre côté, en votre faveur
225 Après son clip musical où les mannequins dansent au rythme d’une chanson du rappeur Pitbull
226 Castés dans les rues de New York
227 Propos recueillis dans Vogue (version US) Aout 2012 et déclarés par Alber Elbaz directeur artistique de Lanvin
228 Comme la marque Comptoirs des cotonniers, où les mannequins sont une mère et sa fille issues de la population.

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