Au terme de ce travail, nous sommes en mesure de dresser un bilan rétrospectif des différentes hypothèses que ce travail de recherche a soulevées. Revenons tout d’abord aux prémices de ce travail. Notre motivation première résidait dans notre capacité ou notre volonté à réfléchir sur l’opérativité social du web-documentaire historique. Sommes nous parvenus à atteindre ce premier objectif. Toute prétention gardée, nous estimons que ce travail de recherche a été mené en observant une scrupuleuse attention à la dimension sociale du web-documentaire historique. D’une part, à travers l’observation et l’analyse des pratiques médiatiques impliquées par le web-documentaire.
D’autre part, à travers la réflexion sur le modèle social de transmission du savoir que peut engendrer le web-documentaire historique.
Cette dimension sociale a été notre fil conducteur. L’argument épistémologique soutient ce parti pris. Notre travail de recherche s’inscrit dans la lignée des sciences sociales et précisément des sciences de l’information et de la communication. Une partie de l’évolution des théories des médias découle de la prise en compte de la multidimensionalité des dispositifs médiatiques. Appréhender le web-documentaire selon différents points de vue nous a permis de saisir les véritables enjeux de ce genre médiatique nouveau.
Car c’est bien là la question. Le web-documentaire est-il vraiment un genre médiatique nouveau ? Un genre ou un format ? Qu’est il en fin de compte ? Ces interrogations ont été l’objet d’une première partie qui s’est attachée à valider l’hypothèse selon laquelle le web-documentaire s’affirme en tant que genre inédit doté de caractéristiques propres. Aucun média ne nait in situ. Ce n’est pas MacLuhan qui nous affirmera le contraire. Chaque média ou genre médiatique recèle des élémentspropres à des médias antérieurs. La question de la nouveauté ne se pose donc pas. Celle de la forme, au contraire, se pose. Panorama multimédia, visuel interactif, plateforme, documentaire, webreportage etc. Nous ne pouvons dresser qu’une liste incomplète des dénominations qui collent à ce
genre médiatique trouble. Trouble dans le sens où il laisse même les professionnels dans l’embarras.
Des émissions, des publications, des tables rondes, des colloques se penchent sur la question de la forme, de la dénomination du web-documentaire. Que dire alors du web-documentaire historique ? Certains disent que l’absence du forme donne au webdoc sa liberté et démultiplie les possibles. Au point que ce néant sémantique en vienne à constituer une caractéristique du web-documentaire, voire son essence même. D’autres, à rebours, dénoncent des créations qui sans poser la question du fond se perdent dans des absurdités et incohérences formelles. Les sages surgissent alors de la masse et expriment l’idée selon laquelle l’interactivité doit être au service du récit et non l’inverse.
Cela nous mène à un deuxième point : l’interactivité. Tout comme le web-documentaire, la plupart du temps, il s’agit d’un mot-valise. Il désigne tout et rien à la fois. A vrai dire, dans le cas des webdocumentaires historiques, il incarne davantage un imaginaire qu’un réel procédé technique. Les productions Voyage au bout du charbon ou Prison Valley représentent une prouesse technique et éditoriale. Toutefois, et malgré le succès de ces dispositifs, cette réalité n’est pas celle de l’ensemble des web-documentaires où l’interactivité technique n’est qu’une douce illusion. Il n’y a pas interactivité dans le sens où l’internaute enrichit le contenu. D’autres formes d’interactivité existent.
Une partie des web-documentaires historiques s’inspirent de ces autres formes. L’une d’entre elles consiste à mobiliser l’action et valoriser la liberté de l’internaute.
Tout l’enjeu du web-documentaire historique réside dans cette mise en scène de la liberté. Liberté de naviguer, liberté de lire et de visionner, liberté d’approfondir le sujet ou liberté de simplement se distraire. Il y a un renouvellement de la pratique des documentaires. Nous abordons ce problème dans la seconde partie. Le web-documentaire historique institue un nouvel ordre. Du moins, il adopte les imaginaires et les stratégies marketing contemporains. Nous sommes à l’époque de l’interaction. Nous sommes à l’époque de la liberté de choix pour le consommateur. Les médias ne sont pas épargnés par ce nouveau modèle de consommation. En tant qu’objet, le média doit s’adapter à son environnement sociétal. Le web-documentaire historique est un genre qui a saisi ce mouvement et qui s’est laissé porté. Nous ne souhaitons pas l’opposer au documentaire classique.
Pourtant, de par son intention, de par son contexte médiatique, sa forme, ses sujets et son contenu, le web-documentaire historique ne peut échapper à une telle comparaison. La question du succès de telle ou telle création, de tel ou tel genre n’est pas l’objet de ce travail de recherche. Ce sont les conséquences pragmatiques du web-documentaire historique. Quelles pratiques implique t-il ? Sont-elles révolutionnaires ? Nous avons montré que ces pratiques sont certes nouvelles mais pas révolutionnaires. Ce qui est véritablement inédit est la manière dont est pensé l’internaute et l’usage qu’il fait du site. L’individu est au cœur du processus de création. Au-delà de l’individu, c’est l’ensemble des possibilités qu’il représente qui est pensé. La création est pensée de manière à ce que chaque individu trouve un élément, un parcours qui lui convienne. Certes, le genre même restreint ce panel d’individus. En effet, le documentaire historique n’est pas un programme qui connaît une audience massive. Par ailleurs, le support web est pour le moment peu accessible à des personnes d’un certain âge. Enfin, nous tenons à préciser que ce ne sont pas tous les web-documentaires historiques qui pensent l’usage des internautes. En définitive, le nombre de webdocs et celui d’individu concernés par ce que nous venons d’exposer est quelque peu réduit. Qu’importe.
L’essentiel de notre travail repose sur des suppositions voire des anticipations. Loin de nous l’envie de faire de la littérature d’anticipation. Nous souhaitons simplement mettre en exergue des phénomènes qui existent à une échelle microsociale mais qui pourraient bien impacter l’ensemble de la société.
C’est sur ce présupposé que nous fondons notre troisième et ultime hypothèse. Nous avons supposé que le web-documentaire historique permet d’envisager d’autres formes de transmission du savoir. Envisagé à la fois comme un lieu mémoriel et un espace dans lequel les individus vivent une expérience particulière, le web-documentaire modifie notre rapport au savoir. Une fois de plus, le web-documentaire n’invente rien en soi. Ce sont son organisation et sa structure qui en font un dispositif particulier et propice à l’enseignement de l’Histoire. Toutefois il ne reste qu’un outil parmi d’autres tels que les ouvrages théoriques, les films, les œuvres d’art. Il ne remplacera jamais la figure de l’instituteur. Cela n’est pas son intention et cela n’est pas non plus l’objet de notre réflexion.
Cependant nous sommes en mesure d’interroger la fonction sociale d’un tel dispositif. Et notamment son impact sur la mémoire collective et sur le processus de mémorisation. La différence entre le web-documentaire et le documentaire est certaine sur ce point de vue. Chaque genre propose un mode d’intellection propre. L’important est de saisir l’enjeu de l’enseignement afin d’adapter les outils. Le web-documentaire développe un modèle fondé sur la pensée associative. Ce cheminement particulier de la pensée est certainement propice à des pratiques d’enseignement mais pas ou peu à d’autres. La question essentielle réside donc en l’utilisation des webdocs historiques. Nous avons fait état d’un premier élément de réponse en analysant les commentaires déposés à la suite des webdocs publiés sur le site lemonde.fr. Le résultat de cette analyse nous incite à penser que l’utilisation du web-documentaire est à ses balbutiements. Incapable de créer un véritable débat, le webdocumentaire historique ne nourrit pas l’imaginaire et la mémoire collectifs. Cela est propre au média internet où la conversation – modèle médiatique qui a le vent en poupe actuellement – est gangrénée par la prédominance de l’émotion et des réactions virulentes dès que le sujet est sensible.
C’est ainsi l’une des difficultés à surmonter afin que le web-documentaire historique s’impose comme un outil médiatique propice à la transmission du savoir. L’enjeu est alors la mémoire collective de notre société d’autant plus que le média Internet devient l’une des sources privilégiée d’information et d’éducation.
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