Par ce travail, je souhaitais approcher et comprendre ce qui se jouait pour les proches en cet instant particulier qui suit le décès. Je voulais percevoir l’incidence que pouvait avoir la présence et l’attitude de l’infirmier.
Tout d’abord, la recherche théorique, basée essentiellement sur la bibliographie, m’a permis de mettre en lumière les différents aspects de ce temps si particulier.
Cet instant m’a semblé cristalliser à lui seul un large panel d’émotions, d’interrogations, et de sentiments.
Bien qu’il soit éphémère, il semble suspendre le temps, laissant aux proches la sensation étrange d’être dans une dimension particulière, parfois inexplicable.
L’intensité des émotions face à la perte, à la vue du corps, se mêle aux questionnements sur le sens, le mystère de la vie. Cette scène suscitant des sentiments aux nuances infinies, à l’image de la personnalité de chacun, de son histoire, de ses croyances, de sa force, de ses fragilités.
Les pensées se succèdent, se contredisent, se précipitent. La colère, la tristesse, la révolte côtoient le soulagement, la culpabilité, les remords, ou les regrets. Les larmes se retiennent, pudiques, ou s’expriment, inconsolables.
De cette scène, le proche percevra parfois un détail : une image, une odeur, un mot, un geste, qui s’imprimera malgré lui parmi ses souvenirs.
Au cœur de ce temps suspendu, le rituel s’insinue, subtilement, dans une relation nouvelle face à celui qui n’est plus. Les gestes, les mots, les regards adressés à ce corps sans vie sont un premier pas, hésitant, difficile, sur ce long chemin qu’est le travail de deuil.
Face au choc, et à la vulnérabilité de certains proches, l’intervention infirmière pourrait être bénéfique, sous plusieurs aspects.
La présentation et l’apparence du défunt font l’objet de tous les soins, sachant que ce visage, ce corps, vont être exposés aux regards, et sans doute gardés en mémoire.
L’attention portée à chacun est d’autant plus fine que l’infirmier connaît les proches de longue date.
Une confiance permettant l’échange de mots, de gestes, de regards, qui apaisent, soulagent. Une écoute pouvant accueillir le silence, l’infirmier ayant été témoin de ce passé, de la maladie, de ce long parcours, il sait.
Les réponses et commentaires des infirmiers ont apporté un éclairage concernant leurs pratiques et leur approche de cet instant.
Si modeste soit cette première approche, les éléments recueillis permettent l’ébauche d’une réflexion.
Cet instant se présente peu, la mort étant de moins en moins fréquente à domicile. Or lorsque cela survient, les infirmiers s’engagent à accompagner la famille, et font preuve d’une disponibilité importante.
Ils sont un soutien pour les proches en cet instant, et portent attention à leurs attitudes. Pour beaucoup, cela est source de questionnement, de réflexion.
La présence infirmière peut être une aide, pour que chacun puisse s’inscrire en ce lieu, en ce temps limité. Que chaque proche, selon son désir, son ressenti, son cheminement, trouve la place qui sera la sienne, en accord avec sa plus profonde vérité.
Une juste place, qui ne sera empreinte d’aucune idéalisation, et ne sera en aucun cas soumise à l’idée que d’autres se font de cet instant. Rester ou partir. Regarder ou éviter. Approcher ou s’éloigner.
Tenir à distance ses propres croyances, ou certitudes. Approcher chaque membre de la famille, et lui permettre d’être en accord avec ce qu’il est.
Donner à chacun, s’il le désire, la possibilité de vivre pleinement cet instant, ou le regard porté vers le défunt, l’échange, la relation instaurée avec lui, au travers du rite, permettra de mieux se séparer ensuite.
Vivre pleinement sa peine, aller au fond de sa douleur, de ses émotions, pour avoir la possibilité de mieux les dépasser ensuite.
Eviter le regret parfois tardif, d’avoir écarté ou écourté cet instant difficile, mais si précieux.
De ce travail, il découle certainement la nécessité d’approfondir un certain nombre de questions.
Tout d’abord, obtenir le regard des familles serait important. Connaître leur vécu de l’instant, à domicile, et les détails ayant eu de l’importance à leurs yeux.
Recueillir ensuite leurs sentiments concernant l’intervention de l’infirmier, percevoir si celle ci a pu leur être bénéfique sous certains angles.
Enfin, envisager le suivi des endeuillés au sein de notre société. Bien qu’ils puissent obtenir de l’aide, celle ci est elle suffisante au regard de la grande vulnérabilité qui est la leur durant de longs mois ?
Car cet « instant d’après » est avant tout une première page. Celle d’une vie à venir, à reconstruire.
Une première ligne maladroite, que la plume peine à écrire.
Mais un ouvrage sur lequel chacun de nous devra un jour se pencher.
Nous sommes en juillet
Le ciel clair se fait l’écrin d’un soleil chaud et radieux
La dernière page de mon travail se tourne
Voyage au cœur d’un instant
Opportunité de mûrir, de grandir
Parcourir de nombreux ouvrages,
Découvrir la richesse de leurs auteurs, de leurs écrits.
Effleurer la mort,
Caresser son mystère, qui rend si précieuses nos vies.
Ressentir la portée des attitudes
Tenir éloignés d’insolentes certitudes
L’infirmière passe,
Croise les extrémités de la vie.
Délestée du poids de l’ego
Subtilité d’une approche
Proposition d’une présence
Invitation à l’écoute
Esquisse d’un mot, d’un geste,
Simplicité d’un partage
Humilité de ne pas savoir
Conscience d’être si peu dans cette immensité qui nous dépasse
Mais tant dans ce partage, ce passage, cette difficile séparation
Juste une « petite main »,
Une main tendue à cet autre soi qu’est le prochain
Une aide à traverser notre commune humanité
Juste un, dans ce grand tout,
Comme chacun de nous.