291. Les clauses limitatives de responsabilité ne sont pas dans le vent, c’est le moins que l’on puisse dire . Il faut souligner que pour ces dernières, le droit français se présente comme une mosaïque . Si on le regarde de trop près, on n’y voit que des solutions partielles, interventions législatives ponctuelles, régimes spéciaux. Dans sa genèse, ce droit manque d’une ligne directrice générale. C’est pour l’essentiel un droit jurisprudentiel, formé de solutions successives au gré des politiques juridiques.
292. Au fil des années, la politique a consisté à faire prévaloir une conception du contrat fondée sur l’équité. Cette idée n’est pas nouvelle, déjà Portalis estimait à propos de la lésion que « il est des règles de justice qui sont antérieures au contrat même, et desquelles les contrats tirent leur principale force. Les idées du juste et de l’injuste ne sont pas l’unique résultat des conventions humaines, elles ont précédé ces conventions et elles doivent en diriger les pactes. De là les jurisconsultes romains, et après eux toutes les nations policées, ont fondé la législation civile des contrats sur les règles immuables de l’équité naturelle ». Il ne s’agit pas d’une égalité abstraite, mais une égalité dans le concret, une juste proportion . Ainsi, les juges n’ont pas hésité à surveiller de manière stricte la liberté contractuelle. Actuellement, s’ils considèrent que les clauses limitatives de responsabilité, qui pourtant incarnent cette liberté, affectent l’essence du contrat et fragilisent son socle obligatoire, ils peuvent les rayer d’un trait de plume de la charte contractuelle. La détermination du contenu du contrat et l’aménagement conventionnel des sanctions de son inexécution sont donc, par le biais de la notion d’obligation essentielle, placés sous la tutelle du juge .
293. Il nous semble qu’il s’agit là d’une déviation car la liberté contractuelle doit demeurer le principe. Même si les éléments objectifs du contrat ont leur importance, le contrat est « l’affaire des parties » et non « la chose du juge » . L’idée d’un contenu normal du contrat est certainement juste, mais, elle ne devrait avoir qu’une valeur supplétive, car il appartient avant tout aux parties de définir leurs obligations. Certes, les juges semblent avoir entendu les remarques désobligeantes faites à l’égard d’une application trop rigoureuse de la notion d’obligation essentielle qui permet d’évincer de manière automatique les clauses limitatives de responsabilité. Cependant, cela ne semble pourtant pas être le cas des rédacteurs de l’avant-projet Catala, qui au contraire, ont consacré de manière explicite la notion d’obligation essentielle.
294. En revanche, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse et prôner une liberté sans contrôles. Il conviendrait donc d’établir, en réalité, un équilibre entre un dirigisme constricteur des juges qui semblent vouloir à tout prix écarter les clauses limitatives de responsabilité en renouvelant si besoin est le fondement de cette éviction, et un libéralisme exacerbé qui voudrait offrir une liberté entière aux parties sans protéger la partie faible.
295. Actuellement on est face à un sentiment partagé : d’un côté, il y a la volonté de la Cour de cassation de faire campagne contre les clauses manifestement abusives dans les contrats entre professionnels. De l’autre, il y a une hésitation sur les moyens de mener à bien cette campagne. Surtout, la lutte se fait de manière différente selon que l’on est face à une clause limitative de responsabilité purement contractuelle ou bien supportée par décret. En effet, dans le cadre de ces dernières, seule la faute lourde permet de les évincer, alors que pour les premières, la présence à travers la clause d’une atteinte à une obligation essentielle, et cela quelque soit le plafond, permet d’éradiquer la clause. Le régime réservé aux clauses quand elles figurent dans un contrat type est donc beaucoup plus souple et dénote une certaine réserve des juges dans l’organisation et la conduite d’une police des clauses en dehors des prévisions légales .
296. Pourtant, il nous semble que les relations contractuelles ne doivent pas être figées, mais au contraire, doivent pouvoir disposer d’une certaine marge de manœuvre conformément au principe de la liberté contractuelle. C’est pourquoi, il semblerait préférable de faire revenir la faute lourde sur le devant de la scène et de prendre celle-ci comme fondement de l’éviction des clauses limitatives de responsabilité, mais cela, non sans avoir pris le soin d’y faire quelques retouches. En effet, elle permettrait un contrôle à la fois plus souple et surtout plus complet puisqu’on aurait d’une part une approche circonstanciée à travers le comportement, et d’autre part, une approche objective à travers la surveillance du montant du plafond de réparation. Cependant, une réhabilitation significative de la faute lourde ne semble pas être d’actualité.
297. Au final, si l’on regarde la droit positif, les rapports entre la faute lourde et les clauses limitatives de responsabilité restent donc encore peuplés d’incertitudes. Leurs contours et leur régime ne sont toujours pas encore bien définis. En effet, ces deux notions qui puisent leur utilité réciproquement, sont tiraillées entre des conceptions diverses, à la fois souples et strictes. Actuellement, les auteurs et la jurisprudence prônent chacun leur propre conception, et il n’y a aucune unification des idées en vue. C’est pourquoi, il semblerait que la meilleure chose qui puisse arriver dans ce domaine, soit un arrêt de l’Assemblée plénière qui permettrait peut être de mettre un terme à cette discussion qui ne cesse de rebondir et qui au final reste sans fin. Cela va peut pouvoir se produire avec un prolongement éventuel de l’arrêt Faurecia 2de la cour d’appel de Paris en date du 26 novembre 2008 . En effet, on est en droit d’espérer que cette affaire se retrouve devant les chambres réunies.
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