Les institutions politiques, comme les autres institutions humaines sont, comme le disait J. Mégret (151), à la fois produit de l’histoire et volonté d’échapper à l’histoire. En effet, ceux qui les conçoivent sont souvent tentés de se référer à des « modèles » déjà expérimentés soit pour s’en inspirer, soit pour s’y opposer.
Le grand mérite des « pères fondateurs de l’EAC » et d’avoir imaginé une structure institutionnelle qui, tout en empruntant certains éléments aux constructions classiques du droit constitutionnel national et du droit international, en modifie les fonctions et les agence avec les éléments nouveaux dans une synthèse originale.
En effet, depuis Montesquieu, la séparation des fonctions exécutive, législative et judiciaire est demeurée au cœur des développements constitutionnels de l’Etat moderne. Tout en lui empruntant certains de ses éléments, les auteurs du Traité de l’EAC lui ont résolument tourné le dos pour répondre au problème qui leur était posé ; c’est-à-dire la mise en place d’une Organisation qui se distingue du modèle classique de la fédération puisqu’elle est caractérisée par des transferts de souveraineté partiels ou progressifs. Ceci explique, d’une part la structure multipartite retenue et d’autre part, une distribution de fonctions différentes de celle que connaît une structure étatique classique.
Aux trois institutions empruntées au modèle étatique, l’Assemblée, le Conseil et la Cour ; viennent s’ajouter le Sommet, le Comité de coordination, les comités sectoriels et le Secrétariat. Mais, si le Secrétariat symbolise essentiellement l’intérêt commun de la Communauté, tandis que le Conseil et le Sommet représentent davantage celui des Etats membres au sein de celle-ci, ces institutions agissent en réalité en étroite collaboration. On touche ici un autre trait spécifique du système, à savoir la répartition des fonctions entre les institutions. A cet égard, le vocabulaire emprunté à l’ordre étatique est en quelque sorte trompeur: dans la Communauté, ce n’est pas uniquement l’Assemblée mais, c’est le Sommet et le Conseil qui jouent le rôle du législateur. De même, le Secrétariat, de par son droit d’initiative, exerce une fonction législative importante.
La structure institutionnelle de l’EAC comporte une innovation remarquable par rapport aux organisations internationales classiques.
D’abord, il existe une grande diversification des organes ; l’on peut à cet égard distinguer les organes que le Traité qualifie d’ « institutions » et les organes qui, sans occuper une place aussi grande dans l’architecture de l’ensemble, n’en jouent pas moins un rôle important dans le domaine qui leur est imparti. Ensuite, l’EAC s’écarte du principe de représentativité de l’Etat car, tous les organes ne sont pas composés des représentants des Etats membres, même si la présence des nationaux continue à être assurée en leur sein. Enfin, l’influence des Etats membres n’est jamais proportionnelle à leur puissance politique, économique et géographique. Le principe de proportionnalité est corrigé par le principe d’égalité des Etats.
Comme nous l’avons déjà souligné, la réalisation des tâches confiées à la Communauté est assurée au premier titre par les sept institutions formant une structure de base. En effet, chaque institution est représentative d’intérêt déterminé et jouit d’une légitimité propre. Ainsi, le Sommet, le Conseil, le Comité de coordination et les Comités sectoriels ont vocation à représenter les intérêts des Etats membres de la Communauté. En revanche, au Secrétariat, à l’Assemblée et à la Cour, les nationaux qui y siègent n’y sont pas en qualité de représentant de leurs Etats ; mais expriment les valeurs et forces qui cadrent bien avec l’intérêt général de la Communauté (152). Cet équilibre institutionnel exprime le génie des « pères fondateurs » de l’EAC et ne correspond nullement au schéma classique de séparation des pouvoirs prôné par Montesquieu.
Il y a lieu d’observer que, malgré les progrès accomplis dans la construction de la Communauté Est Africaine, certaines insuffisances restent cependant à regretter.
En effet, si le système de présidence tournante du Sommet est efficace dans la mesure où il garantit l’égalité des Etats membres de l’EAC, il est tout à fait critiquable sur certains points. Ce principe deviendra de plus en plus difficile à gérer avec l’élargissement de la Communauté et, de plus, il fait que cet organe suprême qui rassemble les chefs d’Etats ou de Gouvernements ne soit pas aussi ostensible qu’on le croyait. A notre sens, il faudrait instaurer un système de nomination d’un président stable dans le but notamment d’assurer la visibilité et la permanence de cet organe.
De même, si le Secrétariat Général est un organe communautaire avec l’eccéité de représenter l’intérêt général de la Communauté, il peut être marginalisé par les organes intergouvernementaux notamment par le Conseil avec lequel il semble partager le pouvoir exécutif et législatif. Il faut qu’il soit réellement indépendant et devrait être doté d’un personnel effectivement compétent dont les membres sont choisis sur base des critères objectifs et acceptent réellement de quitter la scène politique des Etats.
Enfin, si l’Assemblée, qualifiée de législateur de la Communauté dispose des pouvoirs importants de délibération et de contrôle, il lui manque toutefois des outils forts pour pouvoir participer efficacement à la fonction législative.
Nous estimons qu’il est préférable que l’Assemblée soit, à l’égard de ces organes intergouvernementaux qui jouent un rôle non moins important dans le domaine législatif de la Communauté, investie d’autres pouvoirs notamment celui d’avis conformes et de codécision auquel cas l’intérêt général de la Communauté serait mieux garanti.
En principe, l’Assemblée législative comprend les représentants des peuples des Etats membres de la Communauté. Ces représentants jouissent des immunités et privilèges prévus par le Traité, mais, la manière dont ils sont désignés (153) limite considérablement leur liberté d’action et les incite à défendre plus les intérêts nationaux au détriment des intérêts communautaires. Par la suite, d’aucuns se posent la question de savoir si ces députés représentent réellement les peuples des Etats. Nous pensons que cet organe dont les membres ne sont pas élus par les peuples eux-mêmes est loin de satisfaire aux intérêts de ces derniers et de répondre favorablement à leurs préoccupations. Du fait qu’ils n’ont pas choisi leurs représentants et ne sont pas au courant de leur bien fondé, les peuples ne se soucient guère de la politique que ceux-là suivent dans leurs fonctions. L’insuffisance ou plutôt l’absence de l’information entraîne la passiveté des peuples (154) et ne leur permet pas de se faire une idée ou d’exprimer leurs jugements tant sur les charges des membres de l’Assemblée que sur les grandes lignes de la politique communautaire.
Pour conclure, nous voyons que pour couper court aux dangers que cette situation peut représenter, il faut non seulement que l’Assemblée législative soit élue au suffrage universel direct par les peuples mais aussi et surtout que les populations soient suffisamment sensibilisées, conscientisées et bien préparés dans l’optique de leur permettre et de les rendre capables d’exprimer leur volonté par le biais de leurs représentants afin de pouvoir décider à bon escient de l’orientation des intérêts communautaires.
151 MEGRET J., Le droit de la Communauté économique européenne, Vol.9, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 1979, p.1
152 Schématiquement, l’ « intérêt communautaire » (au Secrétariat), l’intérêt des peuples des Etats membres à l’Assemblée), et l’intérêt du respect du droit (à la Cour).
153 Les membres de l’EALA sont désignés par chaque Etat membre suivant une procédure déterminée et les conditions fixées par cet Etat
154 E. NIYONKURU, op.cit., p.30.
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