Les règles applicables aux aides d’État, telles que mises en œuvre par la Commission, ont-elles été au final comme l’a plusieurs fois affirmé Mme. Kroes « une partie de la solution à la crise financière, et non une partie du problème »(116)?
S’il est encore trop tôt pour véritablement évaluer le rôle de la Commission dans la résolution de la crise bancaire, il est tout de même possible de souligner d’indéniables réussites mais aussi des difficultés persistantes. Il n’est pas inutile de rappeler pour comprendre la position clef de la Commission dans cette crise, qu’il n’existe pas au sein de l’Union Européenne, d’institution centralisée en charge de la politique économique, ni de régulateur commun des services financiers. La politique économique et financière reste avant tout dans les mains des 27 États membres, or la Commission a su justement suppléer cette absence. Les circonstances ont conduit à l’émergence d’un contrôle des aides d’État comme un instrument positif de coordination des politiques économiques et non simplement comme un outil négatif de contrôle de conformité des aides avec le traité.
Tout d’abord, elle a apporté la sécurité juridique nécessaire tant aux états membres qu’aux établissements de crédit. Cette sécurité est subordonnée à la clarté du cadre juridique applicable et à la rapidité des procédures. Les différentes Communications publiées avec réactivité par la Commission ont répondu aux incertitudes des acteurs économiques, ce qui a permis de rassurer les marchés financiers : « les mesures d’aides prévues par les États membres ne seront pas entravées par le droit communautaire .(117)» La Commission, consciente qu’en l’absence de mesures drastiques d’accélération du processus décisionnel, elle aurait été tout simplement mise à l’écart, elle donc a considérablement raccourci la procédure. Cela s’est illustré dès la première phase mais surtout lors de la deuxième avec, nous l’avons vu, les pouvoirs accordées à la commissaire Kroes d’autoriser des plans de sauvetage d’urgence en l’espace de quelques heures, aboutissant à l’autorisation de plus de vingt aides publiques dans les huit semaines suivant cette mesure exceptionnelle.
La sécurité juridique repose aussi sur la stabilité. La Commission tout en faisant preuve de flexibilité est restée ferme sur les principes inhérents au droit de la concurrence, notamment en inscrivant son action sur des lignes directrices solides. Elle a prouvé que le cadre légal existant était suffisamment souple pour appréhender les situations de crise.
En outre, elle a neutralisé le risque, qui était considérable, des “courses aux subventions”. Les objectifs qui consistaient à maintenir un jeu concurrentiel et à éviter que des mesures nationales n’aient pour effet de transmettre les problèmes aux états voisins (effets de débordement), ont été remplis en s’appuyant sur les principes du marché intérieur, notamment ceux de non-discrimination et de proportionnalité. Cela nécessitait une coordination des approches nationales, un rôle que la Commission était la seule à pouvoir exercer et qui l’exposait nécessairement aux critiques.
Critiques qui n’ont pas manqué quand elle a imposé de sévères conditions aux restructurations. Mais, et c’est une autre réussite de la Commission, elle a accompli sa tâche en dépit (globalement) des pressions politiques et du peu de ressources dont elle disposait. L’équipe relativement mince la composant a dû faire face à un nombre considérable de notifications, et opérer un difficile balancement entre d’un côté des États membres soucieux d’un contrôle des aides publiques qui risquerait de freiner leurs efforts, et d’une autre côté, des gouvernements attendant de la Commission, l’assurance que les mesures de soutien adoptées par les voisins ne gênent pas ces efforts.
Le régime des aides d’état a donc permis à la Commission de s’impliquer dans la conception des divers plans de sauvetage adoptées au niveau national et par conséquent de jouer un rôle actif dans la gestion de la crise.
Après avoir contribué à éteindre l’incendie de la crise, encore faut-il éviter qu’elle ne se reproduise.
Or le droit de la concurrence a ses limites, le problème de l’aléa moral aurait peut-être par exemple été mieux abordé par une régulation financière adéquate que par de ?sévères ? mesures compensatoires aux destinataires de l’aide, de telles mesures étant susceptibles d’altérer profondément le jeu de la concurrence.
La politique de la concurrence intervient ex post, dans un objectif de discipline des comportements concurrentiels et non prudentiels, or pour maitriser l’imprudence des institutions financières, il apparait nécessaire de concevoir une régulation ex ante impliquant un suivi continu du secteur et une capacité d’intervention puissante et précoce. La vice-présidente de l’autorité de la concurrence indiquait ainsi que « si les gouvernements ne peuvent pas se tenir à une surveillance et à une riposte crédibles aux comportements illégaux ou seulement trop risqués, des autorités de régulation bancaire fortes, dotées d’outils coercitifs, capables d’intervenir au cours du développement des pratiques qui mettent en danger le fonctionnement du secteur bancaire et du reste de l’économie le peuvent » (118).
C’est en ce sens que l’Union Européenne s’est engagée depuis l’été 2007 dans une profonde réforme de la réglementation du secteur financier centrée autour de trois axes. Le renforcement de la réglementation prudentielle (domaine dans lequel la crise avait mis à jour de graves déficiences), l’extension du champ de la réglementation à d’autres domaines qui n’étaient pas auparavant soumis à des normes européennes (tels que les agences de notation et les fonds alternatifs), et enfin la supervision du secteur financier. Reste à voir comment s’articuleront politique de concurrence et réglementation.
116 KROES N., Competition policy and the financial/banking crisis: taking action, lettre ouverte, disponible sur http://ec.europa.eu/Commission_barroso/kroes/financial_crisis_en.html.
117 KROES N., Dealing with the current financial crisis, discours devant la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Bruxelles, 6 octobre 2008. Disponible sur : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/08/498.
118 PERROT Anne, « Politique de la concurrence et faillites bancaires », Revue Lamy de la Concurrence, n° 20, p.
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