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CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE

47. Conception classique de la faute lourde

L’admission de la faute lourde en droit des contrats est une initiative de la jurisprudence, le législateur n’ayant pas consacré cette notion dans le Code civil. Le juge a alors décidé d’appréhender cette faute comme celle consistant en un comportement particulièrement négligent du débiteur défaillant.
Une telle position, dite subjective, doit être approuvée en raison du principe d’équipollence de la faute lourde et du dol posé par la jurisprudence. Une telle règle signifie que les deux notions produisent les mêmes effets à savoir la réparation intégrale du préjudice subi par le créancier de l’obligation inexécutée ainsi que l’impossibilité pour le débiteur défaillant de se prévaloir d’une clause aménageant sa responsabilité. Les effets particulièrement lourds attachés à la commission d’un dol se justifient au regard de son extrême gravité, celui-ci étant une faute intentionnelle. Le débiteur refuse ainsi délibérément d’exécuter sa prestation. Il est de mauvaise foi. Cette attitude hautement répréhensible se doit d’être sanctionnée sévèrement. Dans ce contexte, pour que l’équipollence de la faute lourde et du dol puisse bénéficier d’une certaine légitimité il était normal d’admettre que la faute lourde revête également une certaine gravité pour être caractérisée. D’où la conception subjective de la faute lourde adoptée par la jurisprudence. Sa gravité réside dans l’extrême négligence, imprudence du débiteur défaillant. Cette approche de la faute lourde a également l’intérêt de remédier aux problèmes pratiques posés par la faute dolosive. Ceux-ci sont de deux ordres. Le premier repose sur la complexité à prouver, pour le créancier de l’obligation inexécutée, l’élément intentionnel propre au dol. La seconde difficulté, liée à la première, tient au fait que le débiteur pouvait tenter d’échapper à la qualification de faute dolosive en se retranchant derrière l’argument de la bêtise. Or, en consacrant une faute lourde subjective caractérisée par un comportement particulièrement négligent ou imprudent du débiteur défaillant, une telle justification ne pouvait plus être avancée.
Cependant, malgré les vertus d’une conception subjective, la Cour de cassation a, à partir des années 1980, élargi la notion de faute lourde.

48. Évolution jurisprudentielle vers une conception élargie de la faute lourde

La jurisprudence admet depuis les années quatre-vingt que la faute lourde puisse s’apprécier tant par rapport à la gravité des conséquences de l’inexécution que par rapport à l’importance de

l’obligation méconnue. Ainsi, il y a aura faute lourde en cas de manquement à l’obligation essentielle. Seule est donc prise en compte une donnée objective, celle de savoir si l’inexécution a trait à une obligation fondamentale ou non du contrat.

49. Un élargissement de la faute lourde discutable

La doctrine majoritaire n’a pas accueilli favorablement cet élargissement des contours de la faute lourde. Ainsi, M. MAZEAUD écrit : « La liberté contractuelle était alors d’autant plus mise à mal par cette définition objective de la faute lourde que la notion d’obligation essentielle est insaisissable, et que la volonté des contractants suffit à imprimer un tel caractère à une obligation objectivement accessoire »(1).
Certes, il paraît essentiel de sanctionner sévèrement le débiteur qui manquerait à son obligation essentielle, celle-ci étant la raison d’être du contrat. Surtout, l’admission sans aucune limite d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité portant sur une telle obligation rendrait l’engagement du débiteur potestatif, ce qui n’est pas concevable.
Cependant, concevoir ce manquement à l’obligation essentielle comme une faute lourde est discutable et, ce, pour deux raisons essentielles. D’abord elle conduit à ne qualifier la faute lourde qu’en raison d’une donnée objective indépendamment de la gravité du comportement du débiteur défaillant. Or, toute faute suppose qu’un jugement de valeur soit porté sur l’attitude de l’auteur des faits répréhensibles. Ensuite, et surtout, une telle position conduit à rendre de manière quasi-systématique non-valables les clauses aménageant la responsabilité lorsque celles-ci portent sur une obligation essentielle. Une telle position est à regretter. Une telle clause ne devrait pas forcément être écartée, notamment si elle contient un plafond d’indemnisation raisonnable. Les juges devraient donc faire preuve de plus de nuance. Or, c’est vers une telle modération que la jurisprudence la plus récente s’est orientée, ce qu’il convient, dès à présent, de mettre en évidence.

1 Note D. MAZEAUD, sous Cass. com, 29 juin 2010, « Clauses limitatives de réparation, la fin de la saga » : D. 2010, p. 1832 et s., spéc. n° 13.

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