Rachel : Alors, ben, bonjour.
Doe : Bonjour
Rachel : La dernière fois qu’on s’est rencontré, on avait un petit peu dit pourquoi on avait choisi ce sujet comme travail de recherche. Donc, en fait, je répète juste un peu pour… Donc, en fait, on a choisi la vie affective dans un milieu carcéral fermé parce que c’est un sujet qui est très peu abordé et qui est tabou. C’est pour ça qu’on avait envie d’essayer de creuser un peu plus cela et pourquoi pas d’essayer de le rendre un petit peu moins tabou. Nous, ce qu’on veut connaître, c’est vraiment votre vécu, vraiment, ce que vous avez vécu. Je tenais aussi à préciser que ces entretiens resteront vraiment confidentiels, tout sera effacé. Et puis, si jamais il y a des questions auxquelles vous ne voulez pas répondre, vous nous le dites, il n’y a pas de souci. Si vous avez besoin de faire une pause, vous nous le dites aussi. Et on tenait encore à vous remercier de participer et de nous aider dans notre démarche.
Doe : Pas de problème
Rachel : Je vais commencer par la première question : en fait, qu’est-ce que vous auriez envie de nous dire sur vous ? Un peu en général,… Je ne sais pas…Votre âge… Qu’est-ce que vous aimeriez nous dire sur vous ?
Doe : Ce que vous avez besoin de savoir
Rachel et Roseline : (Rires)
Doe : (Rires) Qu’est-ce que vous avez besoin de savoir ?
Rachel : Je ne sais pas…Votre âge ?
Doe : 23
Rachel : 23 ans, d’accord…Et est-ce que votre détention, elle a été longue ? On n’a pas besoin de savoir le temps mais si elle a été plus ou moins longue ou plus ou moins courte ?
Doe : Pour un gars de mon âge, longue.
Rachel : Longue ? D’accord…
Roseline : Je mets juste des mots clefs, hein, c’est juste pour après si jamais…
Doe : Bon, ça dépend de ce que vous entendez longue aussi mais…pour un gars de 23 ans, ouais, c’est long.
Roseline : Mais plus d’une année ?
Doe : Oh oui, oh oui,…
Roseline : Plus d’une année, ça nous suffit.
Doe : Bien plus d’un an.
Rachel : Quel souvenir vous gardez de votre première arrivée en détention ?
Doe : L’arrivée en prison ?
Rachel : Ouais.
Doe : Disons, j’ai seulement réalisé plus tard. Le lendemain, quand je me suis réveillé. Quand je suis arrivé, pour moi, c’était même pas encore la prison, c’est vraiment le lendemain, quand je me suis réveillé, avec les matons qui ouvrent la cellule pour aller faire la promenade à 7h, alors que ça caille. Ouais, c’est le lendemain matin que j’ai vraiment tilté où j’étais… Le jour même, pas vraiment tilté. C’est le lendemain matin, au réveil, qu’on réalise où on est.
Roseline: Quels étaient les éléments, à part les matons, qui ont fait que vous avez réalisé que vous étiez en prison ?
Doe : Disons que c’est réveillé avec le bruit de la clef dans la serrure en faisant un bond de 3 mètres alors qu’avant tu tirais des cannes. Mais sinon rien…Le bruit qui règne, j’veux dire, la prison c’est pas calme. Entre les détenus qui… sont là. Ben, l’ambiance, forcément, l’ambiance d’une prison.
Roseline : C’est-à-dire ? Un peu plus décrire l’ambiance…
Doe : L’ambiance ? Ben, l’ambiance froide. On est tous dans la même galère. Surveillés en permanence. On fait pas un mètre sans être surveillé. Ouais, on s’y habitue à la longue mais au début, c’est pas évident.
Roseline : Vous étiez dans une cellule à plusieurs ou tout seul ?
Doe : Au début, dans une cellule à…Ben, j’ai toujours été dans une cellule à 2. Ben, forcément, après, le temps surpeuplé, on était 3 dans une cellule de 2. Donc 3 dans 12m2.
Roseline : Et pis, vous avez jamais fait de demande pour être tout seul ? Ça vous convenait d’être à 2, 3 ?
Doe : Ben, on n’a pas vraiment le choix, quoi. C’est blindé, c’est blindé…J’veux dire, faut bien les mettre à quelque part.
Roseline: D’accord…
Doe : Du moment, qu’c’est plein, c’est pas un hôtel, hein.
Roseline: En fait, là, vous parlez plus de préventive, pour l’instant.
Doe : Ben, c’était censé être une préventive mais moi j’ai fait toute ma peine à Champ-Dollon
Roseline : Tout le temps en préventive ?
Doe : Tout le temps en préventive.
Roseline: Même qu’il y avait une peine ?
Doe : Même quand j’ai été jugé, j’suis resté en préventive.
Roseline : D’accord.
Doe : C’est blindé de partout. Plus de transfert.
Roseline : Donc, ça veut dire qu’il y avait des moments où c’était donc dans le couloir, les moments de repas ou les choses comme ça ? Ou alors, c’était quand même les repas en cellule ?
Doe : Ah, non, moi j’étais repas cellule, au calme.
Roseline : Tout le temps ?
Doe : Ouais, j’ai pas bougé.
Rachel : Et parce que y’avait pas de place ailleurs et du coup, ils ont pas fait de transfert ?
Doe : Pour ça ouais, sinon pour les repas dans le couloir, disons que moi, j’m’en foutais complètement d’avoir les repas dans le couloir. Moi, j’voulais manger au calme et les couloirs, c’est pas calme. On est une centaine à gueuler comme des gorets,… . Pfff, non, moi, j’veux manger tranquille au calme, la télé et basta.
Rachel : D’accord. Et puis quelle idée vous aviez des relations entre les gens en détention ? Est-ce que vous aviez une idée avant ? Est-ce que vous vous étiez déjà imaginé ou fait une idée sur les relations qui étaient possibles en prison ?
Doe : Bof… Disons que moi, j’pensais surtout aux relations de violence. Les mecs entre nous quand on est enfermé avec tout ce qu’on peut pas faire ou tout ce qu’on doit faire, on se doit de montrer une certaine force entre guillemets. Donc, ouais, relations de violence…un peu conflictuelles. Et ça c’est pas totalement montré faux. Ça s’est un peu montré avec des bagarres, donc ouais…
Roseline : Vous avez, vous-même, participé à une bagarre ?
Doe : J’ai failli à plusieurs reprises mais j’ai toujours réussi à être calme. J’ai failli 2-3 fois mais j’ai toujours réussi à calmer le jeu.
Roseline : Donc, vous avez plus une personnalité à essayer de calmer le jeu que de rentrer en conflit ?
Doe : Non, pas toujours. Quand on me prend trop, quand on me cherche trop, ouais, j’rentre dans le tas. Mais là, c’était pour des broutilles et je me suis dit ça sert à rien que je finisse au cachot pour des connards pareils. Après, c’est casses-toi de là et puis, fous-moi la paix. J’avais pas envie d’aller au cachot pour des imbéciles pareils, ça en valait vraiment pas la peine, quoi. Donc, bah, j’ai calmé le jeu, je l’ai laissé s’enflammer de son côté et moi, je suis resté calme. Pas évident en me connaissant.
Rachel : Ouais, j’pense et en plus quand on est toujours confiné ensemble, on est toujours en contact et en…
Doe : Mais bon, ça fait partie du jeu…C’est pas un hôtel…
Rachel : C’est sûr… Est-ce que vous pourriez nous décrire une journée type ? En fait, un peu comment se passe une journée pour vous en général ?
Roseline : Avec des échanges relationnels importants.
Doe : Importants ?
Roseline : Ouais, ben, qui semblent plus importants pour vous.
Doe : Les seuls moments importants, c’était les parloirs avec la famille. Les autres relations avec les autres détenus, honnêtement, j’m’en fous, j’avais pas l’intention, c’était pas des potes, j’avais pas l’intention de revoir les gens après, c’était juste des gens avec qui je devais vivre le temps que j’étais là et basta. Relations importantes, c’était des relations de bons colocataires, ouais. Les autres… Bon, certes, y’a des liens qui se tissent avec le temps. Forcément, prendre des gens pas pour des potes, mais presque mais on sait que c’est le temps d’être ici. Une fois qu’on est dehors, on vogue. C’est juste le laps de temps où on est en prison, qu’on reste ensemble, on se met en groupe pour pas se faire chier seul, quoi. C’est une sorte de pote. Puis, une fois qu’on est dehors, ben, ça…Moi, j’garde pas contact.
Rachel : Mais ces rencontres, ces gens que vous avez rencontrés, ils se rencontrent où ? Vous avez la possibilité de les rencontrer où ?
Doe : Ben, soit quand on les fout dans notre cellule, soit quand on est au boulot, soit à la promenade, soit dans les couloirs, aux parloirs, quand on attend dans une cellule d’attente tous ensemble. Ouais, y’a plusieurs lieux où on n’est pas toujours seul.
Rachel : D’accord
Doe : Les trois quarts du temps on est avec ceux avec qui on s’entend depuis le début et puis les autres, pfff…, on fait pas gaffe.
Rachel : D’accord. Et puis, comment vous êtes arrivé à créer des liens. Est-ce que c’est vous qui êtes allé vers les gens ou c’est eux qui sont venus vers vous quand vous êtes arrivé ?
Doe : Disons que ça c’est un peu fait de soi-même, en fait. J’pourrais même pas dire qui est allé en premier. C’est juste des liens qui se…viennent dès le début. C’est juste y’a des genres de personnes vers qui je m’entends bien et bah, y’en a d’autres j’vais même pas essayer parce que je sais qu’on est pas sur le même chemin, donc ça sert à rien.
Roseline : Mais qu’est-ce qui fait que vous saviez que c’était le même chemin ou pas le même chemin ?
Doe : Non, disons, pas par rapport au passé carcéral. Disons, enfin, j’sais pas…Déjà la culture. Y’a des cultures avec qui j’pourrais pas parler parce que je sais que c’est conflictuel direct. Et pis y’en a d’autres, bah, quand j’vois qu’ils sont plus ou moins comme moi, on va dire.
Pas forcément la même tranche d’âge mais, j’veux dire qui ont l’air déjà plus calmes, parce que j’vais pas aller vers des merdeux qui s’agitent pour un oui ou un non. J’étais pas là-bas pour m’prendre la tête, j’étais là pour faire ma peine et basta. Donc, ouais, y’a des gens vers qui j’allais plus facilement. Pis, bon, forcément quand on vit tout le temps avec la même personne au travail, quand on est dans les ateliers, forcément on est dans le même atelier, donc…Pis après, c’est des caractères… C’est des caractères, c’est des délires, c’est quand on se marre ensemble. Faut bien rigoler quand même. C’est pas parce qu’on est en prison qu’on peut pas se marrer.
Roseline : Vous étiez dans quel atelier ?
Doe : J’étais à la reliure.
Roseline : A la reliure… C’est quand même un contexte où on est chacun sur une machine ou… y’a quand même un peu de solidarité…?
Doe : Ouais, disons qu’y’a la solidarité aussi et puis quand y’en a un qui sait pas faire un truc, on l’aide. Pis après y’en a un autre qui est libéré et ils nous en amènent un nouveau. Donc, le nouveau, certes, y’a le chef qui va lui apprendre et puis après c’est les autres détenus qui vont lui dire tu fais ci et si tu y arrives pas, tu m’appelles. Y’a une sorte de solidarité entre nous, quand même. On est dans le même navire, si on veut, donc, ouais, y’a une sorte de solidarité entre certains.
Roseline : Et pis, là, c’est vraiment le climat de travail donc y’a pas forcément à se prendre la tête comme vous le dites, c’est une ambiance ?
Doe : On s’est quand même pris la tête. Moi, j’me suis pris la tête avec un gars mais ça c’était…
Roseline : Mais c’était par rapport à rendre le travail ou c’était par rapport à…
Doe : Non, non, ça n’avait rien à voir avec le travail. C’était juste un gars qui me prenait la tête, une grande gueule, quoi…
Roseline : D’accord.
Doe : Donc, forcément, y’a un moment, ça passait plus
Roseline : Il faisait mieux que vous ?
Doe : Non, disons que c’était une mentalité qui se croyait supérieure à tout le monde. Le genre de mentalité avec laquelle j’ai de la peine. Comme un peu tout le monde, j’pense… Mais bon, on fait avec.
Rachel : Pis ces liens, au fait, que vous avez pu créer, vous pourriez les décrire comment ? Est-ce que c’était plutôt des liens superficiels ? C’était plutôt des liens, j’sais pas, amicaux ? Peut-être affectifs ? Ou intimes ?
Doe : Disons que je pense plus entre le superficiel et l’amitié. C’était des amis sur le moment, en fait. Des gens avec qui je m’entendais bien quand j’étais en prison. J’sais que c’est pas des gens que j’ai envie de revoir une fois dehors. C’est des gens avec qui je m’entendais super bien quand j’étais en prison. Y’en a avec qui j’ai fait un bon bout de temps avec…, ben, en prison. C’est vrai que pendant un petit bout de temps, on a fait des peines quasiment, pas ensemble, mais on a passé un bout de temps ensemble avant que l’un ou l’autre soit parti. Pis, ouais, c’était des gens avec qui on s’entendait bien.
Rachel : Il y avait de la confiance ?
Doe : On va dire, une certaine confiance.
Rachel : Une certaine confiance…
Doe : On peut pas avoir une confiance absolue. La confiance absolue, personnellement, moi en prison, elle existe pas. Du moment qu’on est en prison, j’veux dire, on peut pas avoir confiance en qui que ce soit. La seule personne en qui on a confiance, c’est soi-même. En tout cas, moi, j’ai confiance qu’en moi. Donc, jamais j’aurais fait cent pour cent confiance à qui que ce soit d’autre. Mais y’a une sorte, entre guillemets de confiance, sûrement. On sait qu’on peut compter dessus, on va dire, plutôt.
Rachel : Donc, il y a de l’entraide, il y a de la solidarité ?
Doe : Ouais, y’a de la solidarité qui se fait entre certains, pas tout le monde. Mais y’a une certaine solidarité à un moment donné.
Rachel : Est-ce que vous vous êtes permis de pouvoir discuter avec eux de tout ?
Doe : Non, j’allais pas commencer à parler de ma vie d’avant. J’allais pas commencer à dire où j’habite, ma famille, ci, ça, j’peux pas.
Rachel : D’accord.
Doe : Y’a quand même comme une sorte de protection, malgré tout. On est pas dans un monde tout rose, non plus. Donc, on va pas commencer à confier des choses qu’ils ont pas à savoir.
Roseline : Donc, vous ne vous êtes jamais confié à qui que ce soit ?
Doe : De nature, j’suis pas quelqu’un qui se confie.
Roseline : C’est dans votre nature…
Doe : Dedans la prison, dehors, j’suis pas quelqu’un qui se confie.
Roseline : Et dans ces liens, est-ce qu’il y’avait quand même du respect, pas de respect ?
Doe : Non, y avait un certain respect. Ouais, ben, pour avoir une bonne cohabitation, faut quand même respecter l’autre. Quand l’autre il dort, faut pas faire le souk, faut pas mettre la télé à fond ou se mettre avec la musique à fond. Ça c’est juste des règles de savoir vivre. Ça tient en prison aussi. Encore plus, même j’dirais. On est dans 12m2 à deux donc forcément dès qu’y’en a un qui dort, bah l’autre il va essayer de, …il va essayer de faire pas de bruit. C’est juste une question de, ouais, ça c’est même pas une question de respect, c’est du savoir vivre. Donc même si on est en prison, faut quand même connaître certaines règles.
Roseline : Donc, là, on a parlé par rapport aux codétenus. Mais, par rapport au personnel pénitencier, est-ce qu’il y avait des échanges… de respect, de solidarité ?
Doe : Honnêtement ? J’m’entendais super bien avec les matons. Peut-être étonnant… Mais alors, j’m’entendais bien…, y’avait 2-3 connards comme partout, j’ai envie de dire, 2-3 mecs qui pètent plus haut que leur cul, j’ai envie de dire mais, bon, la plupart, ils sont à leur place, ils nous traitent pas comme des moins que rien parce qu’on est des taulards. Donc, non, la plupart, ils sont corrects. Certes, y’en a 2-3 qu’on a qu’une envie c’est de leur foutre trois claques mais, bon, comme c’est des matons, on risquait rien. Mais, non, personnellement, moi, ça allait. Avec les matons, ça allait bien. La plupart, ils avaient quasiment mon âge, même, donc…
Roseline : Ah oui ?
Doe : Ils étaient assez jeunes. J’ai vu beaucoup d’arrivants qui étaient en formation. Pis, bon, je les ai vu défiler, j’étais plus vieux que certains gardiens. Certains gardiens, ils étaient peut-être,…, depuis quoi, depuis quasiment que je suis arrivé, ils me disaient : « mais, dis-donc, toi, t’es arrivé ici avant moi ? ». J’fais : « T’es arrivé quand ? ». Il me dit la date, j’fais: « Ouais, ouais, j’suis plus vieux que toi, j’ai plus d’ancienneté ». C’était des gamins, quoi et puis on se permettait de déconner avec eux. Ouais, certains, ils sont vraiment cool.
Roseline : Vous dites en formation, euh…
Doe : Ben, disons, que c’était marqué sur leur badge, c’était marqué : Ecole, j’sais pas quoi, ouais, c’était…
Rachel : C’était des apprentis.
Doe : Ouais, ouais, ils étaient en formation. Ils apprenaient le boulot, en fait.
Roseline : D’accord. Est-ce que vous avez vu une différence entre ceux qui étaient en formation et puis ceux qui étaient depuis plus longtemps là et qui étaient formés ?
Doe : Ça dépend, ceux qui étaient formés, ils savaient déjà mieux quoi faire quand on leur demandait un truc. Bon, pas toujours, certains, c’était des ploucs, mais disons que, ouais, les nouveaux, ils étaient pas tout-à-fait, toujours au courant de tout, on va dire. Mais, franchement, j’veux dire, j’veux pas les dénigrer mais c’est pas un boulot extrêmement compliqué, non plus : Tu ouvres une porte, tu fermes une porte, tu l’amènes là où le détenu doit aller, si c’est à l’avocat, tu l’amènes à l’avocat, il doit aller à l’école, tu l’amènes à l’école, il doit aller au parloir, tu vas au parloir. C’est pas extrêmement compliqué, non plus. Y’en a qui le font avec plus de…pas de plaisir, mais p’t’être plus d’humanité, en fait. Donc, y’en a certains, c’est …, ouais, c’est presque comme s’ils parlaient à des animaux. Y’en a certains mais ils étaient assez rares, encore. Parce qu’en principe, ils se faisaient remettre à leur place, vite fait, donc… . Donc, en principe, après, ils comprennent que c’est pas parce qu’on est en prison, …On reste des humains, certains ont fait des conneries, c’est pas une raison pour mal lui parler.
Donc ouais, ils sont assez calmes. La plupart, ça va. Franchement, y’en a, honnêtement, on peut pas se plaindre. Comparé à ce qu’on peut voir dans les films, les matons, c’est des matons. Franchement, ça va.
Rachel : Pis dans les rencontres qui vous ont marqué, en fait, le lien, il s’est créé comment ?
Doe : Ben, disons, qu’y’en a qui se confient, y’en a certains qui se sont confiés.
Rachel : Donc, des personnes qui vous ont fait confiance et puis du coup, vous vous êtes senti un peu en confiance avec ?
Doe : C’est même pas une question de confiance, c’est qu’il y’en a certains, ils se sentent, pas le devoir, mais ils ont besoin de parler, en fait. Donc si c’est même pas à moi, un, il parle quasiment à toute la prison.
Toute la prison connaissait son histoire. Et disons que c’était un…on va dire un gros dossier qu’ils en ont parlé dans les médias, faut pas s’mentir. Mais, ouais, j’veux dire, c’est toutes des relations…Ça se fait n’importe où. Soit quand on est au palais de justice, dans le fourgon comme des salades, dans les paniers à salades et qu’on attend, soit dans les cellules en bas où on attend, y’en a un qui attend pour voir s’il a…si son jugement,…qui attend pour juste voir si les prolongations pour quand on n’est pas encore jugé.
Disons qu’à un moment donné, on est bien obligé de se…On est bien l’un à côté de l’autre, donc soit on parle pas, soit on parle. Et pis, ça dépend des gens. Y’a des gens, tu peux rester deux heures avec, t’as même pas envie de leur parler et pis, t’en a d’autres, t’es deux heures avec mais tu lui parles au bout de dix minutes.
C’est comme une mini-société si on veut la prison, c’est comme une petite société à quelque part. A part que les règles qui s’appliquent en prison sont pas tout-à-fait les mêmes que dehors. Mais, j’veux dire, c’est comme ça. Quand parfois dans le tram, t’es assis à côté de quelqu’un, tu vas regarder à droite, tu vas regarder à gauche et pis y’en a d’autres, il va se mettre à parler… Tu sais pas pourquoi mais c’est comme ça. Bah, là-bas, c’est un peu pareil. On se met à te parler, tu cherches même pas à comprendre. C’est soit, tu veux lui parler, tu lui parles. Tu veux pas lui parler, tu dis que tu veux pas lui parler. Si tu parles aux gens, tu parles pas aux gens, c’est comme ici, tu parles aux gens ou tu parles pas. T’as pas de règle, en fait. Si t’as envie de lui parler, tu lui parles, sinon tu fais ta route.
Rachel : Et puis, bah, voilà, quand on rencontre quelqu’un, quand on a un moment d’échange, on a des émotions, en fait, qui apparaissent. Ça peut nous rendre heureux, triste, on peut se sentir compris ou, au contraire, se sentir encore plus mal ou…Qu’est-ce que les relations que vous avez pu…
Roseline : Vous avez eu des émotions en prison ?
Doe : Des émotions ? A part la colère, la rage et tout ça ?
Roseline : Oh, ben, il faut aussi parler un peu de colère et de rage.
Doe : Disons que ouais, j’avais l’apaisement quand j’avais le parloir, ouais. Ça, ça calme bien.
Roseline : Ouais….
Doe : Et sinon le reste, c’était toujours de l’impatience.
Roseline : Impatience ?
Doe : Ben, impatience de sortir, déjà.
Roseline : Ouais.
Doe : L’impatience quotidienne d’attendre qu’on sorte, compter presque les jours, à un moment on les compte plus en an. Sinon, ouais.
Roseline : Pis la colère, la rage, ça se dirigeait plus contre qui ? Contre vous-même ou contre les autres ? Et pis les autres ?
Doe : Le système.
Roseline : Le système ?
Doe : Ouais, le système. Un peu des deux. Et puis, avec le temps,…, faut bien apprendre à se calmer.
Roseline : Le système, c’est … ? C’est les tracas administratifs, c’est …
Doe : C’est l’administration pénitencière, ouais. Les directeurs de prison. C’est les fonctionnaires. Et ouais, tout ce qui est les juges qui sont dans, bon on les compte pas parmi. Enfin, ouais, tout le monde un peu,…Bah, tout le monde qui fait que ça existe. Tout ce qui est juge, bon la police, j’les ai jamais aimés, ça c’est pas nouveau. J’les aime toujours pas d’ailleurs. Et ouais…
Roseline : Mais la police, elle intervenait à quel moment ?
Doe : Pendant l’arrestation.
Roseline : Ah, oui, d’accord. Mais à l’intérieur de la prison, elle…
Doe : Ouais, disons qu’y a parfois, quand y’a les émeutes et tout le tralala, y’a un peu les forces de l’ordre qui arrivent. Ca fait presque plaisir de les voir pour les avoir sous la main, donc,…
Roseline : Vous avez vécu des moments d’émeutes ?
Doe : Ouais, y’a des petites révolutions et tout ça, ouais.
Roseline : Et comment ça se fait que les petites révolutions sont arrivées ?
Doe : Un ras-le-bol général.
Roseline : Un ras-le-bol général…
Doe : Ras-le-bol général. Quand on est à trois dans 12m2, j’veux dire, y’a un moment où c’est plus tenable, ça fait 4m2 par tête.
Roseline : Ouais, c’était des revendications de ce style-là ?
Doe : Mais y’avait ça ou bien y’avait les repas aussi…C’était une vraie calamité. En fait, j’sais même pas toujours de quoi ça part. Des fois, c’était juste la promenade, y’en a qui voulaient pas rentrer de promenade. Au lieu d’une promenade d’une heure, y’en a ils sont restés quatre à cinq heures et les gardiens pouvaient faire ce qu’ils voulaient, personne ne rentrait. Il me semble qu’une fois, bon, c’était pas mon secteur, c’est un autre secteur, j’crois qu’ils ont dû faire venir la police pour faire rentrer les détenus parce que voilà, quoi…
Roseline : Ah, oui, d’accord.
Doe : Je crois, hein, j’suis pas sûr, c’était à l’opposé d’où j’étais donc j’sais pas exactement comment … C’qui a eu lieu.
Roseline : Donc, quand il y a eu ces mini révolutions, vous essayiez de faire passer des droits ? Pas que des devoirs…
Doe : Ben, disons, c’était…Ouais. J’veux pas dire mais quand on mange tous les jours froid, au bout d’un moment, ben c’est bon, on en a marre. Sûr, c’est la prison, mais bon, déjà que ce qu’on mange c’est pas bon mais si ça pouvait au moins être chaud, ça pourrait être le cas. Pis, bon, un ras-le-bol général parce que vous avez pu lire dans les journaux « Champ-Dollon, over booké, sur plein», « six cents détenus à la place de deux cents ! », j’veux dire, nous on le sent, on est dedans.
Roseline : Ben oui.
Doe : Vous, c’est les journaux, vous dites « Ouais, d’accord, c’est des prisonniers, on s’en fout», nous, certes, on est des prisonniers, mais, merde, quoi, on est quand même concernés.
Roseline : Vous y vivez, c’est la réalité.
Doe : J’veux dire, on est quand même des êtres humains, on est à trois dans 12m2 ! J’sais pas si vous vous rendez compte de c’que c’est 12m2 à trois. Trois hommes dans 12m. C’est…, je sais pas…, à la longue, c’est…
Roseline : Ouais, c’est chaud ?
Doe : Ouais, c’est polluant. C’est intenable, trois dans 12m2.
Roseline : Ouais, cette proximité, c’est…difficile à vivre, quoi ?
Doe : Ouais, même si on s’entend bien avec les deux autres. Disons, que c’est un besoin d’espace à la longue.
Roseline : Un besoin d’espace, bien sûr.
Doe : J’veux dire le calme à trois dans 12m2, c’est rare qu’il y ait un peu de calme, quoi. Déjà qu’en prison, le calme…c’est relatif.
Rachel : Et puis, on parle souvent d’avoir sa bulle et j’pense que là, c’est…
Doe : Non sa bulle, on l’a pas. Sa bulle faut se la faire dans la tête sinon ouais… Faut s’avoir s’isoler, se mettre au calme tout seul parce que si on veut du vrai calme, faut attendre que les autres dorment. C’est ce que je faisais, moi, d’ailleurs. J’me couchais en dernier comme ça j’avais le calme du soir. Enfin,… parfois parce que quand les autres ils gueulent aux fenêtres dans la cellule d’à côté…
Roseline : Les murs, ils étaient pas épais, vous entendiez tout ?
Doe : Ah, non, c’est ceux qui gueulent aux fenêtres.
Roseline : Ah, aux fenêtres ?
Doe : Ouais, ben pour se parler entre eux, y’en a, ils se gueulent, ils sont l’un à l’autre bout et l’autre à l’autre bout, c’est deux heures du matin, ils gueulent ensemble.
Roseline : Ah, d’accord, ça c’est pour communiquer, en fait ?
Doe : Ouais. Et pour communiquer, ils emmerdent tout le monde. Donc, oui, sympa !
Roseline : Vous avez jamais fait ça, vous ? Vous avez jamais communiqué d’une cellule à l’autre ?
Doe : Si…mais moi c’était avec les cellules soit celle du dessus, du dessous, à droite ou à gauche, c’en est pas une qui était à perpète les oies.
Roseline : Donc vous aviez besoin de communication autre que ce que vous aviez dans votre cellule ou… ?
Doe : Ben, disons, que parfois, on a des…entre guillemets, des amis qui sont dans la cellule d’à côté et puis on a oublié de leur dire un truc ou eux, faut qu’ils nous disent un truc, on tape dans le mur pour le faire bouger, il vient à la fenêtre et pis on cause un petit moment. C’est interdit mais…bon, ben, voilà, quoi.
Roseline : Personne dit rien ?
Doe : Ben, disons, que c’est que les gardiens la plupart, un, ils disent rien et pis s’ils le disent, ils savent qu’on s’en fout et qu’on va continuer dès que la porte sera fermée. Donc, pff, voilà, j’veux dire, c’est pas ça qui va empêcher. Parfois celui du dessus ou du dessous, il a besoin de quelque chose, un petit yoyo pour lui envoyer ce qu’il a besoin, c’est vrai, c’est un peu la règle de savoir-vivre aussi, dépanner.
Roseline : Vous aviez les…cellules, euh…enfin les barreaux, vous pouviez pas vous envoyer des…parce qu’on a entendu que y’avait des gens qui s’envoyaient des lettres et tout…Est-ce que vous l’avez vécu, vous ?
Doe : (Rires) Disons qu’on arrive toujours à se démerder.
Roseline : Vous arrivez…
Doe : A la base, on avait des barreaux comme ça avec ça d’espace entre (le montre avec ses doigts). Juste derrière, ils ont mis des grillages avec des carreaux comme ça, donc on avait les deux, c’qui fait que…censé impossible mais…
Roseline : Vous avez réussi ? Vous l’avez fait donc, vous…
Doe : Bah, bien sûr que j’l’ai fait, bien sûr, tout le monde fait des yoyos, donc… pour dépanner. Et on nous met des carreaux comme ça…Du moment qu’on peut faire passer une corde…
Roseline : Vous y arriviez…
Doe : On y arrive. Et puis les cordes, y’a pas besoin d’avoir une vraie corde, on attache des lacets entre eux, on prend un bout de plastique, on déchire un morceau du drap pour faire une corde,…Et dès qu’on a un truc sous la main, on fait une corde.
Roseline : Ah, ouais, ok. Donc ça c’est vraiment la solidarité et pis c’est vraiment le besoin de communiquer qui primait ?
Doe : Ben, disons que quand quelqu’un a besoin de clopes, bah, on va lui envoyer des clopes… S’il en a plus… Pis bon, y’a d’autres choses qui se passent aussi, ça c’est plus confidentiel.
Roseline : Vous voulez pas en parler ?
Doe : C’est pas que je peux pas, c’est que c’est pas du légal…
(2-3 minutes de discussion sur l’illégal)
Roseline : Ouais mais, je tiens à préciser que dans l’entretien ça sort maintenant mais on va peut-être pas l’utiliser, donc…
Doe : J’espère bien !
Roseline : …il faut pas… ça n’a rien à voir avec…C’est un échange mais c’est pas un échange affectif ou…
Doe : C’est sûr !
Roseline : …mais, par contre, ça rentre quand même dans le besoin de communication
Doe : Mais c’est sûr, parce que si vous marquez « Oui, untel, untel a fait passer telle et telle chose… »
Roseline : Mais y’a pas de nom.
Doe : S’ils savent d’où on vient.
Roseline : Mais on va pas marquer d’où vous venez
Doe : Magnifique ! Alors, c’est bon.
Roseline : Ça on a pas le droit, c’est pas éthique, ça…Il manquerait plus que ça !
Doe : C’est rassurant.
Roseline : Non, franchement, ben, à la fin, on va demander comment vous vous êtes senti mais nous, notre…On le reprécise, c’est vraiment la réalité de ce qu’il se passe en prison, pis votre vécu. C’est vraiment pas…On ne juge pas…Enfin, on aimerait faire passer ça, qu’on ne juge pas.
Doe : Ça c’est bien parce qu’on est beaucoup jugé dès qu’on a fait de la prison. Dès qu’on a l’étiquette « prisonnier », pour rester poli, c’est chaud. Y’a la société puis nous. Même une fois qu’on est dans la société, on est toujours à l’écart.
Roseline : Alors, moi, je comprends, j’aurais sûrement la même réaction mais si on fait passer une histoire de jugement, j’espère que vous allez nous rappeler à l’ordre.
Doe : Ouais.
Roseline : (acquiescement de la tête) hummmm…
Doe : Ça marche.
Roseline : Parce que c’est pas notre intention première.
Doe : On est déjà assez jugé comme ça, ceux qui ont fait de la prison. On passe notre temps à être jugé, jusqu’à qu’on ait la liberté totale. Si on arrive à …qu’on a fait de la prison, ça va. Mais dès que tu dis à quelqu’un que j’ai fait de la prison, c’est jugement, taulard, il s’imagine ce qu’il veut, quoi.
Roseline : Pour vous c’est un échange matériel mais pour moi, ça ressemble à un échange de communication non verbale.
Doe : Hummmm, hummm…
Roseline : Alors, c’est tout, c’est pour ça que…
Doe : Non, mais on se dépanne, on se dépanne et puis juste parfois c’est pour…, même si on a pas envie, c’est juste question qu’ils nous foutent la paix. Y’en a, ils insistent. Parfois on dit, ouais, vas-y, j’t’envoie deux trois clopes, fous-moi la paix. Tu me les rendras…Tu me les rendras pas, plutôt.
Roseline : Parce qu’en fait, après, y’a le lendemain, pis peut-être vous allez les croiser, et puis si vous leur avez pas donné, ben, ils vous foutront pas la paix, c’est …
Doe : Non, même pas, non, ça on s’en fout de toute façon, j’veux dire. Si on lui dit non, on lui dit non. Il va pas vous prendre la tête parce qu’on lui a pas passé des clopes sauf si c’est le dernier des abrutis. C’est pas grave, faut pas se mentir.
Roseline : D’accord.
Doe : Mais en général, tu lui passes des clopes, il se souvient que tu lui a passé des clopes donc si, une fois, toi, t’as besoin d’être dépanné, tu le revois, pis, lui, il te les rend. Logiquement. Normalement, tu te souviens quand quelqu’un te rend un service, tu rends le service.
Roseline : D’accord.
Doe : Donc, ça encore, ça va.
Roseline : C’est un échange de bon procédé ?
Doe : Ouais. Mais t’as toujours certains, ils comptent que sur toi pour fournir. Donc c’est tout, pas tous les jours, mais c’est souvent « T’en as ? T’en as ? T’en as ? » Pis à un moment donné, tu dis non même si tu en as. Question que …parce que tu sais qu’ils comptent que sur toi pour en avoir. Y’en a, ils vivent que de ça, ils achètent que dalle, pis ils comptent pour les autres pour les fournir.
Roseline : Mais vous quand vous vous êtes procuré les cigarettes c’est parce que vous aviez de l’argent, pis vous pouviez en acheter ou c’est parce que y’a eu votre famille qui est venue, vous en a amené ?
Doe : Non, moi, j’travaillais donc…
Roseline : Ah
Doe : Moi, j’bossais donc j’avais l’argent qui rentrait.
Roseline : Ah, … Et puis vous pouvez en acheter…
Doe : J’pouvais acheter c’que j’voulais. Moi, j’achetais plus la nourriture. J’achetais même que de la nourriture et des boissons, des cigarettes pas trop, j’en ai pas besoin.
Roseline : Ok
Doe : Non-fumeur donc ça, j’m’en fous.
Rachel : Y’a juste là, on disait…des émotions apparaissent. Mais est-ce que vous vous êtes senti seul, donc ? Vous avez créé votre bulle mais est-ce que c’est se sentir seul, créer sa bulle ?
Doe : On est toujours un petit peu seul en fait.
Roseline : Toujours ?
Doe : On est toujours un petit peu seul parce qu’on est loin, on est loin de sa vie, si on veut. De sa vie d’avant, ben on est loin, ouais. D’un côté, on est toujours un peu seul parce que c’est les siens et encore même pas tous les siens parce qu’on les voit une fois de temps en temps. C’est une fois par semaine, grand max. Donc, ouais, on est toujours un petit peu seul si on veut. Parce qu’on est complètement à…, pas à l’opposé, disons qu’c’est pas notre vie, c’est un passage de notre vie mais c’est pas notre vie.
Roseline : C’est un passage…
Doe : Ouais, donc ouais, d’un côté, on est toujours un petit peu seul.
Roseline : C’est une rupture momentanée et pis, on, on, on se projette toujours sur quand on sort ?
Doe : Disons, qu’on est…Bon, à un moment donné, on évite aussi de penser à l’extérieur. A un moment donné, on est dans notre cellule, on pense plus à dehors. A un moment donné, faut savoir couper et se dire, ben, je suis là, je reste ici, l’extérieur, je l’oublie un peu. Si on pense trop, moi, si je pensais trop à l’extérieur, j’devenais dingue à un moment.
Roseline : Ah…
Doe : Donc, à un moment donné, j’essayais de ne plus penser à l’extérieur, de ce que j’aurais fait si j’étais dehors. Quand il faisait beau, j’aurais pu faire ci, j’aurais pu faire ça. Certes, on y pense mais c’est une pensée, on n’imagine pas ce qu’on aurait fait, c’est une pensée parce que forcément, ça nous passe par la tête…On se lève le matin, c’est l’été, c’est les vacances, on voit le grand beau temps, on fait « Merde, si j’étais dehors, j’aurais été avec des potes et tout ». On y pense mais…
Roseline : Après vous vous êtes…
Doe : On y coupe.
Roseline : Voilà, vous avez coupé…
Doe : On essaie de pas trop y penser parce que sinon,…on devient dingue. Enfin, moi, je devenais dingue. Si je pensais trop à dehors, au bout d’un moment, je pétais un…j’pétais un plomb. Donc ouais, j’coupais un peu le passé. Enfin, pas le passé mais je coupais le dehors… Ben, vas-y qu’ça avance, quoi.
Roseline : Mais quand vous étiez en prison, vous aviez quand même envie d’avoir un projet de vie ? Ça vous a permis ou pas…
Doe : Ben, c’est même là-bas que j’ai trouvé ce que je voulais faire. Parce qu’avant d’être là-bas, j’savais pas quoi faire. Pis, ben, le temps là-bas, j’me suis bougé un peu, vu que j’avais le temps à dispo…tant qu’à faire, j’ai bossé un peu, j’me suis rendu compte de pour quoi j’avais de l’intérêt, j’ai commencé un peu à bosser, à me perfectionner dans deux, trois domaines, à prendre des cours pour ressortir avec un projet, pis pour le faire.
Roseline : La prison en soit, ça vous a aidé à ça ?
Doe : J’me suis trouvé en prison.
Roseline : Ah, ouais, d’accord
Doe : Dur à croire mais c’est vrai que je me suis entre guillemets trouvé.
Roseline : C’est comme quand vous disiez, j’avais pas le caractère à ça…à rentrer dans le jeu où…vous avez dit ça, là, la même chose vous vous êtes découvert entre guillemets que vous pouviez rester calme ?
Doe : Ben, disons que j’ai énormément mûri. J’suis rentré là-bas avec une mentalité d’ado et encore…J’suis ressorti avec une mentalité d’homme de mon âge. Peut-être un peu plus jeune parce que, quand même, un peu jeune. On est toujours un peu jeune dans notre tête, c’est ça ! Mais disons que j’suis rentré en étant, dans ma tête, gamin pis j’suis ressorti en homme. Disons, ça m’a fait beaucoup mûrir. Et c’est même une gardienne, elle-même, qui m’a dit, p’t’être quoi, p’t’être au bout d’un an, elle m’a dit en ouvrant la porte, ben on s’est mis à parler avec le gardien, elle m’a dit « T’as bien changé, toi. En arrivant, t’étais un vrai con ». J’fais ok, merci. J’suis arrivé en bas dans la cour et j’fais, bon, ben, au moins, j’suis déjà devenu mûr.
Roseline : Ouais, c’était un compliment.
Doe : Ben, disons je me suis dit que si une gardienne, elle-même, s’est rendu compte que j’suis rentré j’étais con et que j’ai progressé alors qu’j’la vois une fois de temps en temps, j’me suis dit…ça devrait faire bouger les juges aussi. Si déjà au bout d’un an, ils ont pigé, après plusieurs années, j’crois que j’vais encore changer. Donc, ouais, j’ai grandi là-bas.
Roseline : Vous étiez fier de vous-même ?
Doe : Fier de soi, on va p’t’être pas exagérer, non plus.
Roseline : Ben…
Doe : Content d’avoir pu mûrir, ouais.
Roseline : D’accord !
Doe : C’était le moment. Attendre d’être en prison pour pouvoir mûrir, c’est un peu con mais ça m’aura au moins servi à ça…
Roseline : D’accord.
Rachel : Comment vous pourriez définir la nature des contacts ? Est-ce que c’était plutôt des échanges verbaux ? Est-ce que c’était plutôt…ben, est-ce qu’il y avait, voilà, la possibilité de toucher mais… c’est pas… une tape dans le dos ou voilà ? Ou plutôt non verbal ? Ou autre ?
Doe : Bon, c’est plus verbal. Bon, ça n’empêche pas qu’il y ait quand même une poignée de main, ils se tapent dans le dos parfois… Parfois, on…comment dire ? Comme faire semblant de se battre juste pour se marrer un peu. Comme les mecs on aime bien faire de temps en temps.
Rachel : Ouais.
Doe : Non, en principe, ça se limite à une poignée de main.
Rachel : D’accord.
Doe : En principe, ça reste à ça.
Rachel : Quand on est pas bien ou comme ça, on peut pas prendre ou se faire prendre dans les bras, un moment donné… ?
Doe : Moi, perso, ça ne me serait même pas venu à l’idée de prendre quelqu’un dans mes bras ou d’aller dans les bras d’un mec, non.
Rachel : D’accord.
Doe : Moi, c’était même pas…C’est même pas que c’était pas envisageable, c’est juste que j’y ai même pas pensé et j’y aurais même pas pensé, quoi.
Rachel : D’accord.
Doe : Moi, je vais pas aller me réfugier dans les bras de quelqu’un pour ça. Quand ça va pas, c’est baisser la tête, pis…ça passera.
Rachel : Ok.
Doe : Le temps guérit. Essayer d’avoir des bonnes pensées, penser à autre chose et puis c’est bon. Pis au pire, une bonne nuit de sommeil et pis le lendemain, on y pense plus.
Rachel : D’accord…Hum…Donc la dernière fois, quand on est venu manger…donc quand vous nous avez invitées chez vous, vous avez évoqué la séduction.
Doe : Hum…
Rachel : Vous vous souvenez ?
Doe : Vaguement.
Rachel : Vaguement. (Rires)
Rachel : Qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur la séduction ?
Doe : La séduction en prison ?
Rachel : Ouais.
Doe : Disons, qu’c’est toujours dès qu’on voit une gardienne, c’est le réflexe de l’homme, c’est… ça reste une femme, nous on est en prison, y’a pas de femme.
Rachel : Ok.
Doe : Donc forcément dès qu’on voit une…bon pas toutes non plus…Mais dès qu’on voit une femme, gardienne, qui peut nous plaire, ouais, y’a toujours un petit jeu ou un petit regard…Elles le savent, hein… Elles sont dans un monde, entre guillemets, d’hommes, donc elles savent très bien qu’en étant là, en étant une femme, elles viennent pas… elles sont pas innocentes. Elles sont pas stupides. J’veux dire, elles savent à quoi s’attendre. On va pas faire le métier de gardienne de prison si on a pas envie que quelqu’un nous séduise un minimum.
Forcément, on est coupé de ce monde-là, du monde affectif donc, ouais, dès qu’on voit une femme qui est gardienne, forcément… On reste un mec, on a toujours le réflexe même si on sait que ça n’ira pas…C’est tirer dans le vide, quoi…On le sait. Mais c’est juste ce plaisir-là, c’est …
Roseline : C’était juste le plaisir…
Doe : C’est juste un petit plaisir, ouais. On sait très bien qu’elle en a rien à foutre de nous, on le sait mais c’est juste le plaisir entre guillemets de lui faire comprendre.
Rachel : Ça fait du bien ?
Doe : Du bien, je sais pas mais disons que c’est toujours… Ça nous change un peu de la routine, j’ai envie de dire…
Roseline : Ouais.
Rachel : Ben, j’sais pas, ça pourrait frustrer, ça pourrait…
Doe : Ah, ben, si on peut se permettre, ouais, quand on voit une gardienne qui est bien faite de la tête aux pieds, ouais, c’est agaçant. Parce qu’on reste des mecs, on a forcément des idées qui nous passent par la tête. Et ça sert à rien donc…On sait que ça sert à rien
Roseline : Ah
Doe : On sait que ça sert à rien, surtout avec certaines gardiennes ça aurait été sympa, ouais.
Roseline : Mais là, par exemple, on peut extrapoler, on peut se dire mais est-ce que là, quand vous voyez une gardienne, ça peut un peu frustrer ? Pis vous le dites. Mais est-ce que la prison peut pas faire venir des personnes… ? Parce qu’après, on arrive aux prostituées alors autant l’aborder maintenant.
Rachel : Ouais.
Doe : J’sais même pas si ça se fait. J’sais même pas si la prison où j’étais ça se faisait déjà les…comment on dit… les parloirs intimes. Déjà, j’sais même pas si ça se faisait
Roseline : Mais vous sur le moment, vous avez jamais pensé à tout ça ?
Doe : Non, pas spécialement.
Roseline : Non. Vous…Vraiment, vous étiez le moment au jour le jour et puis…ça passera, quoi ?
Doe : Moi, je vis au jour le jour.
Roseline : C’est ça.
Doe : C’était vraiment, je vivais au jour le jour. Aujourd’hui c’est comme ça, je dors. Comment sera demain, on verra demain.
Roseline : D’accord.
Doe : J’veux dire, j’vais éviter de me prendre la tête plus que ça avec des trucs qui servaient pas à grand-chose. Certes, j’aurais bien fait des conneries avec des gardiennes, faut pas s’mentir. Mais, non, c’est pas possible, c’est pas possible donc c’est…On attend qu’on sorte et pis on récupère tout ça une fois dehors, donc, ouais, c’est comme ça.
Roseline : Ouais, c’est ça…Tant que vous pensiez pas, vous voyiez certes la gardienne mais vous vous êtes jamais dit ça serait quand même bien d’avoir un parloir intime ou d’avoir…
Doe : J’ai dit ça serait bien si ça se faisait mais étant donné j’croyais… j’savais même pas si ça se faisait à Champ-Dollon.
Roseline : C’est quand vous êtes sorti de prison alors en fait que vous y avez pensé ?
Doe : Non, déjà là-bas j’me suis dit mais j’savais pas si ça se faisait donc, j’ai même pas essayé de comprendre parce que le directeur c’est le dernier des trous de fion.
Roseline : Ah, donc, c’est pour ça ?
Doe : Déjà un ça servait à rien de lui parler de quoi que ce soit étant donné qu’il en avait rien à foutre de nous, il était là pour faire tourner sa boîte. Donc, j’veux dire, ça sert à rien d’aller plus loin.
Roseline : Mais entre détenus, vous en parliez ? Entre codétenus ?
Doe : Ah, ben, entre détenus, on sait qu’on est des hommes et qu’on a quand même des besoins. C’est sûr qu’on savait qu’on attendait d’être dehors. On pensait que c’était pas faisable. Donc on attendait…ben, on attend de sortir.
Roseline : Mais vous en parliez entre vous ?
Doe : Pas plus que ça, en fait.
Roseline : Non…
Doe : Ça sert pas à grand-chose. J’veux dire, on apprend à se passer de tout. Donc on apprend à se passer de ça aussi.
Rachel : Mais est-ce que vous pensez que si y’avait…, si y’avait droit à une affectivité ou à une sexualité, est-ce que ça pourrait…calmer les tensions ? Ou la violence ?
Doe : Y’a des chances, ouais…Une grande chance.
Rachel : Donc, si y’avait des parloirs intimes, vous pensez que ça permettrait d’apaiser ?
Doe : Ben, faut bien dire, c’est une frustration quand même. La frustration amène toujours un peu d’énervement. Donc ouais, ça calmerait, p’t’être pas…, ça n’arrêtera pas la violence, faut pas se mentir mais ça pourrait peut-être détendre un peu.
Roseline : Mais ça vous le pensez maintenant ou vous l’avez pensé quand vous étiez en prison ?
Doe : Disons que quand j’étais en prison, j’évitais de penser donc…Disons que…
Roseline : Vous, vous êtes …
Doe : Au jour le jour !
Roseline : Ouais, au jour le jour mais quelque part, est-ce que je peux utiliser le mot annihilé ?
Doe : Ça veut dire quoi ?
Roseline : Ben, justement, de, ben,… au jour le jour mais donc vous vous êtes coupé de beaucoup de besoins. A part le besoin de manger…
Doe : Disons, qu’on apprend.
Roseline : Vous avez appris ?
Doe : Moi, je dis, je pars du principe où l’être humain il s’adapte à tout. Donc il s’adapte à se priver des choses.
Roseline : Donc, c’est ce que vous vous êtes dit ? De toute manière, l’être humain, il va, il s’adapte à tout, je vais m’adapter à tout…
Doe : Mais j’ai vu que je m’adaptais donc je me suis adapté, je me suis dit que j’attends d’être dehors.
Roseline : Ok.
Doe : Certes, des parloirs intimes ça aurait été sympa mais d’un autre côté j’aurais fait venir qui ? La question était là aussi. J’fais venir qui ?
Roseline : Ben…
Doe : Qui c’est que je vais faire venir en prison juste pour ça.
Roseline : humm, humm…
Doe : J’me voyais déjà même pas faire venir qui que ce soit. J’me suis dit, j’attends d’être dehors et pis c’est bon.
Roseline : Ok
Doe : Prend ton mal en patience. Pis, quand on est dehors, ben…
Roseline : On se lâche ?
Doe : Ah ouais,… (Rires)
Doe : Plutôt…On récupère le temps perdu…Ouais, mais bon…On s’adapte à tout. On est pas venu pour ça mais on s’adapte à tout. On se passe bien d’être dehors, donc on peut bien se passer de sexe et tout ça aussi…
Rachel : Euh, est-ce que vous faites une différence entre l’affectivité et la sexualité ?
Roseline : Toujours en prison, …
Rachel : Toujours en prison, ouais.
Doe : Déjà l’affectivité entre hommes, ça n’existe pas vraiment. On est…On est plus des relations, ben d’hommes, en fait. On n’est pas trop affectifs l’un envers l’autre. Même à l’extérieur, j’veux dire avec les potes… avec mes potes, on va pas dire que j’suis trop affectif, j’suis un pote. Je reste…j’sais pas…bah, bon, j’prends des potes dans mes bras entre guillemets, c’est vraiment, s’ils sont vraiment, s’ils sont cassés en deux, j’veux dire.
L’autre fois, j’ai un pote il a perdu un de ses potes, mort dans un accident de moto, il a…, il pleurait. Ouais, j’l’ai pris dans mes bras mais comme un frère. J’veux dire, pas autrement. C’était un pote qui allait super mal. Donc ouais, j’sais pas si on parle ça de l’affectivité ou de la…de l’affectivité. Mais c’était plutôt dans le sens…y’a un pote qui va super mal, y’a un de ses potes qui est mort, si c’était arrivé à moi…Il pleurait, j’l’ai pris dans mes bras pour…pour qu’il ait une sorte de réconfort.
Roseline : Pour vous l’affectivité, c’est plus le toucher ?
Doe : L’affectif, pour moi, c’est plus proche du sexuel plutôt qu’autre chose. Entre hommes, j’veux dire, entre hommes.
Roseline : D’accord.
Doe : Parce que les femmes entre vous, vous êtes plus affectives sans, sans ambigüité. Alors, qu’un mec, c’est plus ambigu, j’trouve.
Roseline : Donc, la notion de tendresse, ça, ça rentre…
Doe : Ouais. (Rires)
Roseline : D’accord.
Doe : Ah pour moi, ouais, ouais.
Roseline : Ok. Mais en même temps, vous avez vu des relations affectives ou sexuelles…Enfin, vu, j’sais pas.
Doe : Vu ? Non.
Roseline : Jamais ?
Doe : Non, j’ai pas vu des mecs entre eux, non.
Roseline : Non ?
Doe : Tout en sachant très bien qu’y’en a quand même.
Roseline : D’accord.
Doe : Ça, faut pas sortir.
Rachel : Mais vous avez déjà vu des, des échanges affectifs ou sexuels durant les parloirs ?
Doe : A part des gens qui s’embrassent, non.
Rachel : Non ?
Doe : Non, parce qu’ils peuvent pas. J’veux dire, on est tous ensemble dans une salle, donc…
Roseline : Mais ils peuvent s’embrasser quand même ? Ça, ça, c’est un échange affectif ?
Doe : Ouais mais disons que quand ça commence à être un peu exagéré, le gardien, il leur dit vite d’arrêter, quoi. Parce que j’veux dire, ils sont pas seuls non plus, quoi. Donc un échange sexuel dans un parloir, peut-être pas parce que ça tournerait vite à l’orgie.
Roseline : Mais c’est un échange affectif alors.
Doe : Ouais, ben des gens qui s’embrassent, ça, j’veux dire, ça, c’est normal. On se voit une fois par semaine et encore…
Roseline : Mais, par exemple, quand votre famille venait, est-ce qu’il y avait des gestes, échanges affectifs ?
Doe : De famille !
Roseline : De famille…
Doe : Ouais.
Roseline : Vous faites une distinction ?
Doe : Ouais.
Roseline : Je demande…
Doe : Ouais, c’est de l’affection familiale, ça c’est normal. J’veux dire, la famille, ça reste la famille. C’est un monde à part, c’est…c’est la famille, quoi.
Roseline : Ok.
Rachel : Et puis, en détention, vous auriez eu plus besoin d’affectivité ou de sexualité ?
Doe : Très bonne question…De quoi j’aurais eu le plus besoin ? Ah, j’suis gourmand, j’vais dire les deux.
Rachel : Les deux ?
Doe : P’t’être sûrement les deux. L’affectivité parce que c’est une sorte de réconfort pour la tête et bon, la sexualité, c’est pour le corps. J’dirais un peu des deux. Mais bon…
Rachel : C’est un sujet que vous pouviez aborder entre détenus ?
Doe : Mouais, on en parlait un peu. J’veux dire…comme on est privé de ça aussi, on évite de trop y penser parce qu’après, ça frustre encore plus. Donc on évite de trop penser mais… Ouais, c’est sûr quand on, quand on a une belle gardienne, entre nous, on se faisait, on se disait des trucs, ça, y’a pas à dire. Quand on la voyait passer, on voyait tous les regards qui se retournaient aussi. J’veux dire ça…On reste des mecs, on voit tous les regards qui faisaient zzuuuppp, faut pas s’mentir, on a la tête qui tourne aussi, quoi. C’est, c’est normal entre guillemets. Pis, ouais, ben, disons que parfois, on a même pas besoin de se parler, juste on regarde la gardienne, on se regardait pis on avait pigé c’que l’autre pensait, en fait. On est des mecs, on sait de quoi, on sait à quoi on pense, en fait. C’est pas…c’est pas compliqué à comprendre, non plus.
Rachel : Ah…
Doe : Quand on est tous enfermés, quand on n’a pas eu de rapport depuis un bout de temps, dès qu’on voyait des filles, ouais, forcément, ben, l’esprit…
Rachel : Ouais, pis ça réveille, quoi ?
Doe : Ouais. (Rires)
Doe : A vrai dire parfois, on se dit « mais pourquoi elle bosse ici ? Pourquoi ? A quoi elle pense ? ». Parfois, c’est un peu agaçant, mais…on fait avec…
Rachel : Euh, on avait évoqué aussi la distribution des préservatifs…
Doe : Ça, j’étais même pas au courant avant que vous m’en parliez.
Rachel : D’accord, ok. (Rires)
Doe : Donc, ouais, ça, ça a été une surprise, ça !
Rachel : D’accord, donc vous étiez pas au courant que vous aviez accès à des préservatifs ou, du coup, on vous a pas distribué des préservatifs ?
Doe : Ben, ni l’un, ni l’autre et j’en aurais pas eu le besoin donc…moi, ça me va très bien.
Rachel : D’accord.
Doe : J’veux dire, ils m’en donnent, j’en fais quoi ? Des balles ? J’veux dire, en prison, j’en ai pas du tout besoin, ou bien ?
Roseline : Ouais, vous étiez déjà parti…ouais, c’est ça, vous étiez déjà parti sur l’idée…
Doe : Non, mais même si on m’en avait donné…
Roseline : Ben, ouais…
Doe : Ça m’aurait…j’veux dire, j’m’en serais pas servi non plus, ou bien…J’avais pas de femme, y’avait pas de femme, donc…
Rachel : Mais vous pensez que c’est une bonne chose ou… ? Qu’il y ait des préservatifs à disposition ou ?
Doe : Ouais, que ce soit à dispo, ouais…Pour ceux qui en veulent, ouais…Mais après, qu’ils les distribuent à tout le monde, c’est presque une incitation alors…
Rachel : D’accord.
Doe : Moi, j’veux dire,…Bon, moi, tu m’en donnes, j’en fais rien…J’veux dire, moi, j’suis attiré que par les femmes, ça me va très bien comme ça. Si y’en a qui sont plus ambigus ou qui ont vraiment besoin d’affection,…Ouais, qu’ils sachent qu’ils puissent en prendre. De là à en distribuer d’office à tout le monde,…
Rachel : D’accord.
Doe : P’t’être pas non plus la meilleure des idées. Vaut mieux ça que pas en avoir du tout, j’pense quand même… Bien que, c’est ça…Y’a de tout dans un monde.
Roseline : Ben, ça partait, comme disait votre directeur, peut-être de l’homosexualité consentie. Que c’est un moment du, de …que c’est un moment de passage…un….un moment de la vie qui fait que même si on est hétérosexuel, et ben….que le besoin affectif ou sexuel est tellement fort que, ben, y’a juste un passage, quoi…D’un mois ou un jour ou…
Doe : Ben, si y’en a qui en ont le besoin, ben, ils font ce qu’ils veulent, j’ai envie de dire. C’est…
Roseline : Vous, vous êtes parti dans l’idée que…
Doe : Les autres font c’qu’ils veulent, hum ! Nan, moi, c’est juste que l’affection, c’est avec une femme. Moi, j’m’arrête à ça. J’ressens pas le besoin d’autre chose. Si j’en ai pas, ben…j’en ai pas et basta.
Roseline : Hummm…
Rachel : Pis durant votre détention, quelle était votre idée sur les échanges…, relations…Hum ?
Roseline : On vient de la poser, en fait, il a déjà répondu presque.
Rachel : Mouais…
Roseline : Ben, oui.
Rachel : Non, mais en fait, en gros, très clairement, en fait, la question c’est…euh…quelle était votre idée sur les échanges homosexuels ? Qu’est-ce que vous, vous avez comme idée, durant votre…détention…quelle était votre idée sur les…les échanges sexuels entre hommes, quoi ? Ou affectifs…
Doe : Ben, disons, vu que ça se voit pas et qu’on…qu’entre guillemets, on est pas censé savoir qu’y’en a…Même si y’en a, j’pense, hein, parce que faut pas s’mentir…Disons, comme je…pff, moi, j’veux dire les autres font c’qu’ils veulent.
Rachel : Ouais.
Doe : J’veux dire, les autres font c’qu’ils veulent.
Rachel : D’accord.
Doe : Du moment qu’ils foutent tranquille, qu’ils me foutent la paix, j’veux dire, les autres font c’qu’ils veulent. Y’a pas d’soucis si…ben, s’ils y veulent, ben, qu’ils s’amusent entre eux, quoi. Ils font c’qu’ils veulent. Mais, à mon avis, s’ils s’embrassaient en public, vu qu’c’est traître la prison, ça aurait…j’pense, pour eux, ça aurait pas été la même chose parce que, bon, faut pas oublier que…c’est la prison, quoi. A mon avis, s’ils s’embrassaient entre eux, j’pense qu’y aurait eu des réactions. Moi, perso, j’m’en fous mais avec d’autres, ouais… J’sais pas comment ça aurait…J’pense ça aurait été une bonne excuse pour certains de se défouler, j’pense. En connaissant un peu la mentalité prison, j’pense, ça aurait été une bonne excuse pour certains de se défouler.
Roseline : Ça m’fait penser que, quand on est venu, vous aviez dit « De toute manière, c’est une micro société »…
Doe : Ouais c’est…
Roseline : Et la société est, en général, homophobe entre guillemets…
Doe : Plus qu’entre guillemets, ouais…
Roseline : C’est ce que vous aviez… C’est c’que j’ai entendu quand…
Doe : Ah ouais… Ah non, mais la société, de toute façon, elle est homophobe. On montre toujours les homos du doigt, on les montre toujours du doigt. Que ce soit deux hommes entre eux ou deux femmes entre elles.
Roseline : C’est pour ça que…
Doe : Un homme, deux hommes entre eux, c’est plus bizarre que deux femmes entre eux, c’est normal. J’veux dire c’est…c’est les hommes.
Roseline : C’est pour ça que vous dites en prison, y’en a qui se seraient défoulés ?
Doe : Ouais, y’en a certains, ils les auraient tabassés, j’pense, ouais. C’est toujours une bonne excuse pour certains. On est dans une société homophobe, faut pas s’mentir. La prison, c’est une mini société mais en plus dur, on va dire. Donc ouais, ils en auraient pris plein la gueule.
Roseline : Ah.
Rachel : Mais y’avait la masturbation aussi qui a été évoquée…
Doe : Ouais.
Rachel : Est-ce que la masturbation, ça vous suffisait ou au contraire, c’était encore plus frustrant ?
Roseline : Ou est-ce que…est-ce que vous l’avez pratiqué ou pas ? Mais, bon, ça, vous êtes pas obligé de le dire.
Doe : J’veux dire, après plusieurs années, après…on arrive à s’dé…, on a toujours des besoins. Donc, ouais, pratiqué, bien sûr, pis ça suffisait. Disons que c’était le seul truc à dispo donc… ça allait pour le moment que j’étais dedans.
Roseline : C’était juste un acte ou ça libérait quand même des tensions ou pas ?
Doe : Si ça libérait des tensions ?
Roseline : Ben, est-ce que vous aviez des tensions ? Je sais pas…
Doe : Disons que moi, les tensions, je les évacuais en allant au sport.
Roseline : Au sport…
Doe : J’me défoulais au sport. C’est le truc qui me calmait bien les nerfs. C’était le sport, moi, qui me calmait, pis, après, ben, quand y’avait besoin d’autre chose, y’avait autre chose. Pour vraiment me défouler, moi, c’est le sport. Quand ça allait pas, ben, sport en cellule.
Roseline : Vous faisiez du sport en cellule ?
Doe : Parce que moi, j’avais un gros besoin de sport pour me défouler. Comme j’suis quelqu’un qu’a vite les nerfs, j’ai besoin d’une bonne dose de sport pour calmer tout ça.
Roseline : C’était comme dans les films, vous faisiez des tractions ? (Rires)
Doe : Ca, on avait pas dans la cellule. On voulait mais ils voulaient pas nous en mettre une parce qu’ils avaient peur qu’on leur tape dessus après.
Roseline : Ah, bon, d’accord.
Doe : Ils voulaient pas qu’on…ils voulaient pas nous en mettre parce qu’après, si on s’énerve contre les détenus, on peut leur taper dessus avec la barre ou taper sur les gardiens avec…
Alors, que si y’a une barre fixe au mur, j’veux dire…On est pas Rambo non plus, j’veux dire, on va pas défoncer le mur pour choper une barre d’acier. Mais non, pompes et abdos, quoi. Bon, pis après, on arrivait à faire d’autres exercices avec le matériel qu’on avait à dispo, quoi. Le frigo, les sceaux qu’on remplissait de flotte, les bouteilles d’eau…
Roseline : Ah, ben, oui.
Doe : Système démerde, quoi. C’est la prison, donc, on se débrouille, on fait c’qu’on peut avec c’qu’on a…
Rachel : Hum, hum.
Roseline : Pour en revenir à la masturbation, qu’est-ce que ça vous apportait de plus ? Si ça vous apportait un plus…
Doe : Ben, disons, qu’c’est une sorte de mini sexualité entre guillemets, quoi. C’est le seul truc qu’on a à dispo. Enfin, que j’avais à dispo. Donc, comme c’était le seul truc que j’avais à dispo, c’est le seul truc que j’faisais, quoi.
Roseline : D’accord. En même temps, vous étiez deux à trois…
Doe : Ouais.
Roseline : Ça devait pas être évident ?
Doe : Ben on arrive toujours à être seul. On arrive toujours à être seul à un moment.
Roseline : Ok…
Rachel : On avait aussi parlé de la violence envers soi-même, envers les autres.
Doe : Hum, hum.
Rachel : Est-ce que vous pourriez nous parler un petit peu de…de ce sujet ?
Doe : Bah, comme vous pouvez le voir, ben, y’a pas de trace, donc j’vais pas m’amuser à ça, c’est vraiment pas mon truc. Mais, ouais, y’en a un paquet qui essaient, enfin, pas de se suicider parce qu’ils savent bien qu’ils vont pas en mourir mais qui s’amusent à se trancher le bras alors qu’ils savent très bien qu’ils vont pas y rester avec ça, quoi. Mais, ouais, y’en a qui s’amuse à ça quand même. Pis on les voit, hein…j’veux dire, faut pas s’mentir. Ça on…on les voit souvent. Mais bon, pfff, s’ils ont qu’ça à faire, ça libère une place.
Rachel : Et en fait, le fait d’éteindre un petit peu le…J’parle d’éteindre un petit peu le… la tête parce que vous dites que ben, voilà, « j’essaie de pas trop y penser, j’essaie de pas y penser tout ça… », donc quelque part c’est un peu un…comme un peu si on éteignait en haut et pis pour pas réfléchir. Est-ce que ça c’était aussi peut-être…Est-ce que vous pensez que ça pouvait être un moyen peut-être pour…pour… j’vais y arriver, hein…. Ouais, est-ce que c’était peut-être un moyen pour…pour justement pas vous faire violence, en fait ? Pour…
Doe : Non.
Rachel : Non …
Doe : D’façon, j’avais pas le …j’avais pas besoin de me faire du mal à moi-même. Non, j’trouve c’est un geste égoïste et que ça résout en rien les problèmes.
Rachel : D’accord.
Doe : Y’a d’autres moyens de résoudre un problème que d’essayer de…, d’essayer de se foutre en l’air. J’veux dire, y’a bien d’autres solutions.
Rachel : Hum, hum.
Doe : Donc, non, ça, ce geste égoïste, non, ça sert à rien. On n’est pas seul. Si on est seul, j’veux bien encore. J’veux dire on n’est pas seul, on a un entourage, on a une famille. Donc, ben, pas besoin de ça. Et pis, bon, éteindre le cerveau, j’veux dire, avec la longue…, il s’éteint de lui-même, j’ai envie de dire. L’extérieur, à force de…Ben, de plus y être, j’allais dire, ben, c’est pas qu’on oublie qu’il existe, mais disons, c’est pas qu’on en a pas besoin non plus, mais c’est…C’est qu’on l’a, on l’a, entre guillemets, un peu oublié.
Le dehors, c’est pas qu’on sait plus ce que c’est, mais c’est tout comme, en fait. On est tellement habitué à notre routine de…ben, de détenus, quoi, qu’on s’habitue à ça en fait. Pis le jour où on sort, ben, c’est là qu’on se rend compte vraiment que…que, ouais, c’est quand même mieux dehors. A un moment donné, c’est pas qu’on…C’est comme si on oubliait entre…Pendant un petit laps de temps, j’veux dire, on a notre habitude, là-dedans, ben…entre guillemets, ça ira pour l’instant, quoi. On s’y habitue. Certes, on a envie d’être dehors. Mais on s’habitue à être dedans, donc, on attend. On tire notre peine, pis, quand on sort, ben, on sort. Pis on récupère tous nos…toute notre, pas toute, peut-être, mais on récupère une liberté.
Roseline : C’est par rapport à vous ? Vous dites « on », mais c’est par rapport à vous ? Parce qu’y’en a d’autres qui supportent pas ?
Doe : Ouais. Y’en a plein qui supportent pas d’être enfermés, y’en a, tu les vois, on les voyait, au bout de…au bout d’un ou deux semaines, ils pétaient un câble, j’veux dire, moi j’disais « Putain, mon gars, tu viens d’arriver, calme…Nous ça fait des années qu’on est là, c’est bon ». Moi, j’me réconforte aussi comme ça. J’voyais des gars qui étaient là depuis bien plus longtemps que moi. Y’en avaient qui tapaient des années, et des années et des années et qui en avaient encore pour bien… pour bien plus que ce qu’ils avaient déjà fait. Moi, j’me réconfortais comme ça. Certes, j’ai un petit moment à faire mais quand je vois tel ou je vois tel et tout ce qu’il a déjà fait ou tout ce qu’il lui reste à faire et qu’il a tenu…Pff, pourquoi je tiendrais pas ?
Roseline : Hummm….
Doe : Ouais, en fait, le malheur des autres me réconfortait un peu sûrement. Quand je voyais qu’y’en avaient qui avaient fait déjà, j’sais pas, plein, plein, plein de temps, j’me dis : Ouais, bon, ben, ok, j’fais partie des plus anciens, peut-être, mais y’en a des pires.
Roseline : Ouais.
Doe : J’veux dire, à partir de là, ben, prends ton mal en patience et pis, tu sortiras.
Roseline : C’que vous êtes en train de dire, c’est, quand même, une question d’individualité ?
Doe : Faut bien dire, faut bien se réconforter comme on peut. Quand on voit tout le monde qui arrive, qui repart, qui arrive, qui repart… et pis, toi, t’es toujours là, tu te dis « Merde, c’est quand mon tour ? ». Pis après, tu te dis « Quoiqu’il arrive, j’serai dehors avant lui. Il a fait plus longtemps que moi déjà et j’serais dehors avant ». D’un côté, c’est p’t’être égoïste mais c’est une sorte de réconfort aussi. C’est p’t’être un peu égoïste mais j’crois que c’est humain avant de… Donc, bon, ben… « D’accord, tu sors. C’est cool pour toi », « Et tu sors quand, toi ? », « Dans longtemps ». Tu vois ça, j’veux dire, c’est bon. On fait notre route. Chacun sa route, chacun son chemin aussi (rires)
Rachel : Voilà, c’est ce que… Chacun son destin…
Doe : Aussi. Passe le message à ton voisin…
Rachel : Voilà. C’est exactement celle-là que j’avais dans la tête.
Doe : Moi, c’est ça, que j’avais en tête en disant…
Rachel : Euh, on avait parlé des parloirs intimes, par exemple, au Mexique et tout ça, euh… Je sais plus si c’était vous qui en aviez parlé ou…
Doe : J’en sais rien du Mexique donc ça ne me dit rien.
Rachel : Non ? D’accord. Parce qu’en fait au Mexique, ils ont créé, en fait c’est une…une prison qui est sur une île…
Doe : Oui….
Rachel : Et puis, euh…en fait, ben, en gros,…Hein ?
Doe : Dans ma tête, je cherchais qui c’est qui m’en avait parlé.
Rachel : Voilà. Et du coup, y’a la possibilité de vivre avec sa famille ou en tout cas avec sa femme ou avec ses enfants…
Doe : Ouais…Juste…J’sais plus qui en a parlé l’autre soir…
Rachel : Donc, c’était, pas vous…
Doe : Non, non, non, c’était pas moi.
Rachel : Désolée. Alors, on va arriver à la dernière question…
Roseline : Moi, j’ai juste une question juste avant.
Doe : Humm, humm.
Roseline : Y’a des personnes qu’on a interviewées qui avaient, en fait, famille, hein ? Et puis, vous, vous êtes plus, visiblement, côté célibataire ou est-ce que vous aviez une copine pendant votre détention ?
Doe : Pendant ma détention, non, pas de copine.
Roseline : Voilà…Alors, effectivement, ça me vient comme ça, j’me dis, c’est tout-à-fait un autre chemin, quoi.
Doe : Chacun sa route.
Roseline : Ouais, c’est ça. Enfin, voilà…Pour en venir où ? Y’a pas les mêmes préoccupations ?
Doe : Non, y’en a qui ont des enfants, y’en a qui ont une femme. Moi, j’avais quoi ? Mes parents et ma sœur, j’veux dire. Moi, tous mes amis et tout, j’les ai…, j’m’en fous, j’me dis « ils peuvent attendre », alors que ma mère, ma sœur, mon père, c’est une autre histoire.
Roseline : Donc, moi, c’que j’vois, vous m’arrêtez, vous avez été moins touché parce que, justement, y’avait pas ce côté affectif et charnel. Tout était à créer en sortant. Est-ce que je me trompe ou c’est… ?
Doe : Tout était à recevoir…c’était pas à récupérer parce qu’en rentrant, j’avais pas de copine. Au moment où je rentrais, j’en avais pas. Donc, j’me suis dit, c’est pas comme si j’avais une copine, parce que si j’avais une copine, le temps que j’suis en prison, elle m’aurait pas attendu, j’veux dire. A mon âge, on n’attend pas des années quelqu’un.
C’est vrai, en rentrant, j’avais pas de femme, j’avais pas de gosse… D’ailleurs, heureusement, ça aurait été grave à mon âge et…ouais…j’avais pas tout ça entre guillemets à récupérer. Quand j’suis sorti, j’me suis dit faut que j’me trouve une copine en étant dehors. Des potes, soit j’les récupère, soit ils vont continuer leur chemin, j’veux dire, bon, ils allaient pas m’attendre non plus des années. Donc soit j’récupère, soit j’vais en trouver d’autres, j’veux dire. C’était pas ma…c’était vraiment pas ma préoccupation du moment, ça, en fait. Moi, c’était juste faire ma peine et je sors quand je sors.
Roseline : Ok.
Doe : On sort un jour…C’est que…C’est c’qu’on se disait…ceux qui avaient des peines un peu longues, on s’disait « On sortira un jour ».
Roseline : Ben ouais.
Doe : La prison est dure mais la sortie est sûre.
Roseline : Mais on est bien d’accord que, par exemple, si c’était des personnes qui avaient une autre vie affective à l’extérieur, à l’intérieur, ils l’auraient pas vécu comme vous ?
Doe : Non mais j’en ai connu qui étaient mariés et qui en avaient ras-le-bol parce qu’ils voyaient pas leur femme. J’ai passé un petit moment avec un gars en atelier, il disait : « J’ai hâte d’être transféré pour avoir un parloir affectif avec ma femme ». Parce qu’il trouvait bien qu’à Chandol, y’avait pas. Il avait juste envie d’être transféré dans un pénitencier pour avoir ça, pour pouvoir récupérer, entre guillemets, sa femme. Donc ouais, étant donné que j’avais pas de femme ni quoi que ce soit, ça allait. Si j’avais eu une copine au moment où j’serais rentré, ça aurait été une autre histoire.
Roseline : Vous imaginez, ouais, que ça aurait été une autre histoire ?
Doe : Ouais, parce que j’savais que j’l’aurais perdue parce qu’elle allait pas m’attendre des années, donc…Faut pas s’mentir. C’est une autre histoire, ouais
Roseline : Hummm, hummm …ouais.
Rachel : Pis, est-ce que vos expériences affectives, amicales, rencontres, lien que vous avez pu faire durant votre détention, est-ce que ça a produit ou permis un changement dans votre vie de tous les jours à la sortie ?
Doe : Disons, que les conflits m’ont encore plus renforcé, j’pense. Les bons…les bons côtés de relations, j’pense pas qu’ça m’a changé mais les mauvais, j’pense, ça m’a encore plus renforcé.
Rachel : Hummm, hummm.
Doe : Parce que, forcément, y’a pas eu que des bons côtés. On a toujours des…pas des combats mais toujours moyen de… toujours une petite embrouille, on a toujours quelqu’un qui nous prend la tête, avec qui on s’prend la tête. J’pense ça m’a encore plus renforcé… les mauvais côtés de la prison m’ont bien renforcé.
Roseline : Renforcé dans le positif ? Dans être plus calme…
Doe : Ouais, ça m’a renforcé le caractère aussi.
Roseline : De savoir ce que vous voulez…
Doe : Ben, disons qu’je sais c’que j’veux et je sais aussi maintenant c’que je peux faire. Je sais que maintenant si on me prend la tête et ben, j’me suis dit si l’autre il a réussi à le faire tenir, à retenir face à l’autre, ben, face à une merde de l’extérieur, j’veux dire, il a presque aucune chance.
Roseline : D’accord.
Doe : C’est un peu un monde où on sait qu’on se renforce parce que comme on sait que c’est un monde dur, faut qu’on soit même, faut qu’on se renforce parce que sinon, on se fait bouffer…un peu. Faut toujours qu’on se renforce un minimum pour pas s’faire bouffer. Parce qu’y’a toujours des imbéciles qui jouent qu’à ça, c’est de démolir les autres. Donc si on, si on se renforce, ils nous ont pas. On se renforce un peu la vie de tous les jours, on apprend à relativiser.
Rachel : Ok.
Doe : Moi, j’vois des problèmes pour certains qui sont des problèmes énormes… pis, y’a bien pire dans la vie, quoi.
Rachel : Hummm.
Doe : Faut relativiser. T’as toujours peur. Relativise. Sérieux, ça aide. Tes gros problèmes sont peut-être les plus petits problèmes que quelqu’un d’autre a. Relativise, sérieux. T’en a des plus malheureux que toi. C’est un bon moyen de se réconforter aussi. T’as toujours plus malheureux. C’est égoïste mais…t’as toujours plus malheureux.
Roseline : Ouais, ouais.
Doe : C’est un autre mode d’intervention.
Roseline : Bon, quand vous êtes rentré en prison, vous aviez pas cette philosophie mais maintenant, vous l’avez.
Doe : J’suis rentré, j’étais un gamin.
Roseline : Pis, elle vous aide…Voilà…
Doe : J’suis rentré en prison, j’étais un gamin. Ouais, j’suis ressorti en homme, ouais, ben, disons que j’ai gardé quelque…quelque chose de là-bas, quand même, faut pas s’mentir. J’ai encore…aujourd’hui, encore, j’ai encore certains réflexes que j’avais là-bas.
Roseline : Ah ouais, d’accord.
Doe : Pis, j’arrive pas à m’en débarrasser, j’ai encore certains réflexes.
Roseline : Vous avez des réflexes… Vous pouvez nous donner quelques exemples ?
Doe : Disons que…toujours vérifier si j’ai tout sur moi. Bon, ça j’avais rien, sur moi, j’avais rien en étant en prison, enfin, rien dans mes poches…Mais là, dès qu’j’rentre ou que j’quitte un endroit, j’vérifie 50 fois mes poches pour être sûr que j’ai tout.
Roseline : Ah voilà. Ouais, alors, là, c’est…
Doe : Pourtant, là, j’ai que dalle, j’avais rien dans mes poches. Alors que là, dès que je quitte une pièce, je vais vérifier 2-3 fois si j’ai tout.
Roseline : Humm, humm.
Doe : Alors, là vous pourrez le voir, en sortant, j’vais vérifier mes poches. Même si je sais très bien que j’ai tout mais c’est…c’est…c’est une sorte, pas un TOC mais disons que c’est un réflexe que j’arrive pas à m’enlever.
Roseline : Pour vous rassurer et puis en même temps, c’est une certaine méfiance, alors ?
Doe : C’est p’t’être la méfiance de tout et de tout le monde, c’est possible même si je sais très bien que j’ai tout parce que j’veux dire, j’suis là, y’a rien qui est, j’ai pas bougé depuis, donc je sais que j’ai tout mais je sais que je vais tout vérifier.
Rachel : (Rires)
Roseline : D’accord.
Doe : Et j’arrive pas à m’en séparer, ça m’énerve. Ouais, c’est les habitudes.
Rachel : Ok.
Doe : Certains réflexes qu’on ne perd pas.
Rachel : On est arrivé à la fin, est-ce que vous aimeriez ré…, ajouter quelque chose ? Quelque chose dont on a pas parlé et que vous trouveriez important qu’on l’évoque ou… ?
Doe : Là, de tête, j’pense qu’on a fait le tour.
Rachel : D’accord.
Doe : J’pense qu’on a bien fait le tour. Sauf si y’a encore une question ?
Rachel : Non… non, non, ben, déjà, on voulait vous remercier, donc, encore une fois, d’avoir répondu à toutes ces questions. Et puis, pour vous, ça a été ?
Doe : Ouais.
Rachel : Ouais ? Ça…
Doe : Moi, ça me va
Rachel : Ca a pas été trop intrusif ou… ?
Doe : Pas du tout.
Rachel : Pas été jugeantes ?
Doe : Encore moins.
Rachel : D’accord, bon, ben, parfait.
Doe : Ben, c’est simple, du moment qu’y’a pas mon prénom et aucune description de quoi me rendre reconnaissant, moi ça me va.
Rachel : Ouais, ouais, non, non.
Doe : Du moment, que quelqu’un qui lit fait : « Mais tiens, ça me rappelle telle personne… », là ce serait une autre histoire mais là, j’veux dire, si quelqu’un arrive à me reconnaître face à un texte, il me connaît bien, bien.
Roseline : Ben, juste une petite question…Si le directeur n’avait pas insisté, est-ce que vous auriez téléphoné ou…
Doe : Mais il a pas dû insister.
Roseline : Il a pas dû insister…
Doe : ‘fin, c’est juste que moi, j’avoue, que quand j’ai quelque chose à faire, comme on me l’a appris, j’suis un vrai procrastinateur, je le… Je remets tout au lendemain… (Rires)
Rachel : C’est un mot que j’connais pas, ça.
Doe : C’est le fait de remettre tout au lendemain et j’avoue, j’suis comme ça.
Rachel : Comment on dit ? Pro…
Doe : Procrastinateur.
Rachel : Proscratina…
Doe : Procrastiner.
Rachel : Ok. (Rires)
Roseline : Ah, ben, nous aussi, on apprend, …
Rachel : Ouais.
Doe : C’est le directeur qui me l’a appris.
Rachel : Ouais.
Doe : Et, ouais, j’avoue que…j’suis toujours du genre à remettre tout au lendemain. A tel point que ben…à un moment donné, j’dois tout faire le même jour parce que c’est la…, c’est l’échéance. Comme pour payer les factures, c’est le dernier jour que j’fais.
Rachel : (Rires)
Roseline : Donc, vous avez… Vous aviez aucune appréhension pour venir ici ? Ok, c’est cool. Merci.
Doe : Ben, c’est simple, moi, depuis que j’ai eu mon jugement, plus rien me prend…plus rien me fait peur, plus rien ne me stresse. J’ai plus jamais stressé depuis ce moment. Et j’pense que je stresserai plus jamais.
Roseline : C’est beau…
Doe : Et y’a rien de plus stressant qu’un jugement, qu’ils vont te juger sur ta liberté
Roseline et Rachel : Hum, hum.
Doe : T’as rien de pire !
Rachel : Ouais, c’est clair !
Doe : Quand on juge ta liberté et ton futur, j’veux dire, on te retire… Jugement au pénitencier …. Ouais. On juge, on juge ta, j’veux dire on te juge toi et ta liberté. Ça, c’est stressant.
Roseline : Oui.
Doe : A partir de là, j’veux dire, le reste…pfff…c’est du gâteau. A partir de là, franchement, t’as vécu un jugement, c’est bon.
Roseline : Hum, hum…, c’est clair. Merci beaucoup.
Rachel : Ouais, merci, hum, hum.
Doe : J’vous en prie.
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