LE VOTE MUSULMAN : FICTION OU REALITE ?
Gilles Kepel(1) mettait déjà en rapport l’Islam et le politique en 1987. L’étude de l ’attitude d ’une communauté religieuse par rapport à sa façon de voter, revient à se demander s ’il y a un rapport entre le religieux et la manière de voter.
Etudier le choix électoral de la communauté musulmane revient irrémédiablement à se poser la question du vote des immigrés d ’origine maghrébine et nous pourrions nous demander s ’il y a une tradition politique(2) propre aux immigrés ?
On a souvent , ces dernières années, débattu sur l ’intention de vote de cette communauté religieuse. Certains y verront un vote subversif (3) ou alors un mythe.
Pour mieux comprendre l’attitude électorale des musulmans en France et dans l ’intérêt de notre mémoire, nous nous demanderons si les musulmans votent à gauche et plus particulièrement communiste ?
Dans un premier temps, nous essayerons de mettre en avant les facteurs de politisation de la communauté maghrébine en France. C ’est à dire : les raisons qui conduisent les musulmans français à accomplir leur devoir de citoyen.
Dans le deuxième volet de cet épilogue, nous verrons qu ’il existe des correspondances entre le communisme et l ’Islam et que le vote musulman peut tendre vers le P.C.F mais nous donnerons des limites à cette affirmation.
I) LA COMMUNAUTE MAGHREBINE DE FRANCE EST-ELLE POLITISEE ?
A) LES FACTEURS DE POLITISATION
Nous pouvons classer la communauté musulmane en trois catégories et selon leur droit civique : Il y a les musulmans français convertis dont les parents sont français et donc l’individu bénéficie de ses droits civiques.
La deuxième catégorie sont les musulmans immigrés et leur intérêt à la politique va dépendre de leur ancienneté. Les immigrés installés de longue date et attachés à leurs droits s ’intéressent d’avantage au débat politique.
Finalement, nous avons les jeunes issus de l ’immigration. Pour la plupart, ils sont citoyens de naissance. Ils ont été formés à l ’école et possèdent les droits et la culture pour comprendre et exercer, avec civisme, leur devoir.
Selon Jocelyne Césari (4), 51,2% des immigrés ont un intérêt pour la politique et 70 à 80% des immigrés, originaires du Maghreb, sont inscrits sur l es listes électorales contre 50 à 70 % pour les Turcs, les Asiatiques, les Africains.
Nous pouvons dire, d ’après ces chiffres, que la communauté maghrébine est plus attentive au débat politique. Les raisons seraient essentiellement des réactions d’autodéfense par rapport à la xénophobie, le racisme , la politique d’immigration.
On peut y ajouter une longue présence de cette communauté sur le sol français, une acceptation du jeu démocratique et du pacte républicain qui se manifeste par le fait d’aller voter.
Il y aussi le fait que la stabilisation en France de la communauté maghrébine et l ’amenuisement de l ’idée de retour sont allées dans le sens d’une mobilisation politique accrue. Certains 5 iront jusqu’à affirmer que cette prise de conscience du non-retour a conduit à la politisation de certains pour revendiquer le droit à la liberté de conscience, se manifestant par des revendications d’ordre religieux ( mosquées, carrés musulmans dans les cimetières, viandes hallal…..)
B) LE CHOIX POLITIQUE DES IMMIGRES
Le tableau ci-dessous nous donne le pourcentage des personnes issues de l’immigration, ayant voté le 8 mai 1988. Ces chiffres nous sont fournis par Jocelyne Césari(6) .
GAUCHE 72,9 % ( dont 40,7% pour le PS et 22,5% pour le P.C.F)
DROITE 2,9 %( dont 2,1% pour le RPR et 0,5 % pour le F.N)
Le quotidien La Vie(7) nous donne lui , le vote des français par confession.
D’après l’analyse de ces deux tableaux, nous nous apercevons que le vote des immigrés, comme celui des musulmans, tend plutôt à gauche mais votent-ils pourtant communiste ?
II) LE VOTE COMMUNISTE DES MUSULMANS : MYTHE OU REALITE ?
A) LA THESE DE G.KEPEL ET R. LEVEAU
Selon Gilles Kepel et Stéphane Courtois, 8 ce n ’est pas un mythe mais une réalité. Ils partent d ’un premier constat qui est de faire des musulmans, d es travailleurs immigrés. Ils estiment que les ouvriers, d ’origine maghrébine, sont fortement attachés à la foi islamique et du fait qu ’ils soient représentés dans cette catégorie socioprofessionnelle , ils sont plus exposés au chômage.
Ce qui implique aussi qu ’il y a deux types de socialisation des populations immigrées :
– La première est celle qui s ’organise autour des musulmans travailleurs autour de la confession islamique.
– La deuxième est celle qui rassemblait dans les années 1930, les ouvriers italien s, juifs et leurs camarades français sous la bannière du prolétariat.
L’Islam et le communisme sont comparés car ils estiment qu ’ils sont porteurs, tous deux, d’un projet téléologique de mobilisation sociale. L’Islam des revendications correspond à la pris e de conscience de la sédentarisation des immigrés d ’origine maghrébine. Ils approfondissent leur analyse et concluent que les revendications varient en fonction de l’individu, de sa condition salariale, du degré de scolarité, de l’appartenance à telle ou telle catégorie de musulmans…
Selon eux, que le père de famille musulman soit au chômage ou aient un emploi stable, les revendications vont être différentes. Ainsi par exemple, l ’étudiant peut voir dans l ’Islam une idéologie révolutionnaire qui doit abattre un monde impie et instaurer le régime de dieu et de la justice sur la terre. Nous ajouterons que, ces dernières années, une translation s ’est opérée et ce n ’est plus l ’étudiant qui est susceptible d ’être subversif mais le jeune des banlieues en échec scolaire, sans emploi et connu des services de police. Le mouvement piétiste du tabligh serait à l ’origine d ’un processus d ’idéologisation qui profiterait du désarroi du déracinement et proposerait un modèle de vie qui ne laisse pas de place au doute ou à la prise en compte des contradictions de l ’existence dans la société française. Cette forme de resocialisation est alors un dérivatif à divers types de désespérances qui peuvent déboucher sur la délinquance, la toxicomanie …
Et, il y a aussi des groupes islamiques révolutionnaires qui souhaiteraient abattre les gouvernements impies qui se dérogent des injonctions du Coran. Ils voudraient instaurer un Etat Islamique qui fera régner la justice sur terre. Nos chercheurs ont trouvé trois points entre la communisation des franges ouvrières dans les années 1930 et l ’islamisation des immigrés dans les années 1980.
Le premier point commun réside dans le fait que les bastion communiste des années 34-37 est composé d ’immigrés polonais, italiens et belges . Or, la répartition des immigrés maghrébins n ’est pas superposable avec les bastions communistes. ( Nous commenterons ces deux cartes un peu plus bas). Cette population des années 1930 est déracinée, traverse une mutation profonde et est à la recherche d ’une nouvel le identité, spatiale, sociale, linguistique, culturelle et politique. Tout comme les maghrébins, dans les années 1970.
Le deuxième point commun serait la crise économique de 1931 et 1974 qui a modifié dans les deux cas l’attitude de ces populations. Le chômage touche brutalement les populations immigrées, dès lors les stratégies de promotion et d ’intégration individuelles sont totalement compromises et les populations concernées modifient radicalement leur comportement. Donc, c ’est l ’échec d ’un processus d’intégration individuel qui va conduire ces populations vers une démarche collective.
Finalement, le P.CF va se proposer et être le vecteur de ces groupes , pour défendre leur dignité, leur identité et préserver leurs acquis économiques et sociaux. Le P. C.F n ’offre pas une politique mais une vision du monde o ù chacun peut se resituer exactement à sa place. Il offre surtout à la classe ouvrière un moyen d’affirmer sa nouvelle identité ouvrière, de renégocier les relations avec l’ensemble de la société.
B) CRITIQUES
Certes, certains points de comparaison peuvent être faits entre la condition et le ressentiment des immigrés dans les années 1930 et ceux des années 70-80. Cependant, cette comparaison entre Islam actuel et communisme de cette époque, est une vision totalisante du monde. On y voit la formation d ’un bloc unifié sous le label communiste pour se protéger pendant la période d’intégration de ces minorités.
Il y a, certes, des exactitudes comme le fait que les syndicats on pu servir de courroies lors des grèves de Renault-Billancourt en 1983 et que ces syndicats ont revendiqué des salles de prières pour les ouvriers musulmans. Mais n’est-ce pas là, l’essence des syndicats, que répondre aux voeux de ses salariés ?
La deuxième question que nous pouvons nous poser, est si ce processus d’intégration a fonctionné pour les populations immigrées des années 30 ; pourquoi n ’a-t-il pas fonctionné pour les musulmans ? Il en va de soi que l ’échec de l’offre du communisme aux musulmans est une preuve que cette corrélation n’a pas fonctionné de façon identique.
Ou alors, il faudrait admettre que la communisation est un facteur d’intégration et que l ’islamisation non. Or, nous avons vu et certains chercheurs le démontrent, que l’Islam est tout à fait soluble dans la République(9)
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Le P.C.F, parti ouvrier internationaliste et anticolonialiste ne peut qu’éprouver une sympathie de principe pour les travailleurs étrangers venus en France. Mais nous avons vu que, durant les affaires qui ont secoué la France de 1989 à 1995, cette sympathie ne s ’est pas forcément manifestée à l ’égard des musulmans. Il invite, en effet, les français et les immigrés (et non pas les musulmans) à une active solidarité car les deux groupes sont victimes d ’un même exploiteur, le capitalisme des grandes entreprises qui est aussi accusé d ’organiser la migration de populations pauvres et supposées dociles pour asseoir leur domination. C’est pourquoi, le P.C.F exhorte les immigrés à participer au combat mène par les français contre le patronat et le pou voir en place. Le P.C.F met essentiellement l ’accent sur l ’amélioration concrète de la condition des immigrés et dénonce leur concentration dans les communes de banlieues mais celui-ci a su prendre ses distances avec le caractère religieux de ses militants. Il n ’y a pas eu à notre avis d ’attirance entre le communisme et les musulmans mais seulement un rapprochement logique entre un parti défendant les intérêts des prolétaires et les ouvriers immigrés d ’origine maghrébine.
Revenons à présent sur le vote de s immigrés. Nous nous apercevrons que les immigrés votent à gauche, certes, mais en majorité pour le Parti Socialiste. C ’est Mitterrand qui a gagné à sa cause le vote des musulmans et non pas le Parti Communiste.
Nous pouvons constater à travers les deux cartes ci-contre que la répartition de la population immigrée maghrébine ne se superpose pas avec la territorialité du vote communiste.
Les lieux de survie du vote communiste restent des bastions soit ruraux, soit d’anciennes industries. Ces bastions se trouvent dans le nord de la France, dans le centre ouest et épisodiquement sur le pourtour méditerranéen .
Tandis que la carte de la répartition par des départements des immigrés maghrébins, nous montre que tous les départements de la région Ile-de-France comptent plus de 9% d ’immigrés soit plus que la moyenne nationale ( proportion d’immigrés dans la population est de 7,4%). La Corse et le pourtour méditerranéen, zones frontalières de débarquement des personnes en provenance du Maghreb, sont également le lieu de résidence d ’une importante population immigré. Enfin , la plupart des départements de la région Rhône-Alpes ainsi que le Haut-Rhin et la Moselle accueillent de nombreux immigrés. Le Nord-Pas-de-Calais compte 189 376 immigrés. Ainsi, les trois quarts de la population maghrébine se situe à l’est d’une ligne Le Havre-Sète.
Nous conclurons sur l ’affirmation que l ’Islam ne vote pas plus à droite qu’à gauche, il y a évidemment une politique de gauche qui peut séduire l’électorat d ’origine maghrébine, mais n ous retiendrons que le vote dépend plus de la personne, de l’individu que du collectif.
1 Gilles Kepel ; Les banlieues de islam, Ed. Seuil 1987. Il dénonçait une sympathie réciproque entre l’islam et le syndicalisme . Il compare aussi l’islam des années 80 au Communisme des années 30.
2 A ce sujet, un article de Gérard Noiriel : « La tradition politique des immigrés », dans la revue POUVOIR , Ed. P.U.F, 1987, P.42, peut nous éclairer.
3 Cf. Gilles Kepel , Op. Cit.
4 Jocelyne César, Etre musulman en France aujourd’hui ; Ed. Hachette, 1997
5 Gilles Kepel et R.Leveau ; Les musulmans dans la société catholique, FNSP, 1989
6 Jocelyne Césari, Op. Cit. 7 La Vie du 12 mai 1988
7 La Vie du 12 mai 1988
8 Thèse évoquée dans : « A l’ouest d’Allah », Ed. Seuil,1994 de Gilles Kepel
9 A noter , à cet effet l’éditorial de Abderrahim Lamchichi « Des débats, des controverses, des positions » ; Dans la revue Panoramiques , Ed. Seuil, 2éme trimestre 1997.