A. Prescrire par le biais de l’image d’un objet de culte
A la télévision comme au cinéma, les oeuvres de fiction sont écrites et réalisées pour plaire à un public. En général, on parle de réussite, lorsqu’une oeuvre sait, par un moyen ou par un autre, exercer une influence sur la société des (télé)spectateurs qui la regarde. Si la science-fiction ou le fantastique parviennent à toucher profondément le public, c’est souvent parce qu’il y a, à la base de ces histoires, des référe ts ancrés dans le réel : les émotions que l’on pourrait qualifier d’universelles (l’amour, la haine, la tristesse…) ou encore les actions et le schéma narratif de l’oeuvre(42) (souvent construit sur des modèles similaires). La fiction tend à rejoindre le réel, car c’est ainsi que le spectateur va se reconnaître et pouvoir s’identifier aux personnages qui la construisent. Il s’agit donc pour la fiction au cinéma et à la télévision, d’élaborer des scénarios et des mises en scène qui accompagnent les spectateurs dans leur ancrage à des émotions ou à des moments politiques, historiques, sociaux ou culturels forts.
Cette volonté de plaire en s’appuyant sur le réel est, comme nous allons le voir, un moyen d’influencer le public. Ignacio Ramonet(43), dans son ouvrage Propagandes silencieuses, parle de « prothèse symbolique », pour nommer ce besoin de réveiller la sensibilité collective, par le biais d’un rapprochement avec notre réalité contemporaine.
Le genre des séries télévisées est particulièrement intéressant à étudier, car celles-ci constituent l’un des formats télévisuels les plus propices à captiver immédiatement le téléspectateur.
Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, il s’agit d’un genre dont l’aspect feuilletonnant permet de fidéliser des individus rapidement et sur le long terme. Cette fidélisation passe donc par la promesse de retrouver sur plusieurs épisodes (et plusieurs saisons) des personnages devenus familiers. Parce qu’elles s’installent dans le quotidien et dans les habitudes des téléspectateurs, les séries se doivent de « de traiter, de refléter notre actualité culturelle »(44). Si le format des séries est propre à ce genre télévisuel, leur contenu développe une fiction dont les référents à la culture populaires sont nombreux, voir indispensables. Ainsi, de grands thèmes ou des univers communs se retrouvent de séries et séries, et tendent à séduire des publics familiers à ceux-ci. Qu’elles soient médicales, historiques, policières ou qu’elles se déroulent dans l’univers des collèges/universités, ces séries insistent sur ce sentiment de promiscuité avec certains téléspectateurs. Il s’agit de distraire, mais plus encore : les fictions télévisées cherchent à bousculer le public en s’ajustant à un dessein idéologique susceptible de l’influencer au-delà du temps de réception primaire. Faire resurgir les questions et les préoccupations qui habitent les individus dans leurs sociétés en les dramatisant ou en les rendant comiques, permet d’attirer leur attention et de les légitimer. Il ne s’agit plus alors, d’une simple fiction, mais d’un reflet du réel, dans lequel le public va chercher à s’échapper et à trouver un certain apaisement. La série vit par ailleurs à un rythme quotidien qui n’est pas sans rappeler celui du téléspectateur: Une fois par an, on retrouve les traditions qui ponctuent la “vraie” vie, comme Thanksgiving ou Noël. Cette nécessité d’accrocher la fiction au réel permet de créer un lien très fort entre les personnages de série et le public. Le plus grand enjeu de ces éléments référents reste l’amour, qui demeure en quelque sorte le ciment liant les intrigues au fil des saisons.
Si les séries essaient de construire un univers qui puisse intéresser et rapprocher les téléspectateurs, il s’agit aussi de voir que pour les fans, la relation s’établit aussi dans le sens inverse.
Bon nombre de fans ont en effet des expériences d’usage, et un rapport à l’oeuvre de culte dans leur quotidien. Dans les nombreuses dimensions qui les composent, les séries télévisées sont sources de diverses influences sur la vie de leurs téléspectateurs les plus fidèles. Il s’agit dans cette partie, de voir quels types d’influences sont éveillés, et ce que cela peut dire des fans.
Souvent, parce que les fans s’identifient aux personnages de leur série préférée, ils cherchent à établir un lien dans leur quotidien, en adoptant certaines habitudes qui les en rapprochent: Les modes vestimentaires constituent l’un des exemples les plus parlants de cette quête d’identification dans la vie de tous les jours. Si l’on sort de l’exemple des séries télévisées, il s’agit de remarquer que cet aspect touche tous les domaines de la culture: la musique, le cinéma… Prenons pour l’illustrer, le travail de recherche fait par Emmanuel Ethis et Damien Malinas(45), sur les représentations de l’icône Elisabeth Taylor, à Cannes. Comme expliqué dans l’article (Annexe … le 25/07), alors même que l’actrice est décédée en mars 2011, on retrouve au mois de mai de la même année, de nombreux cinéphiles sur la croisette, désireux de témoigner de leur attachement particulier à cette dernière. Cet attachement se traduit par des tentatives plus ou moins réussies d’emprunts de l’image et de simulacres.
“Parmi les festivaliers, des sosies plus ou moins réussis recherchent à Cannes ce qui n’y est jamais délivré : bien plus qu’une identité de spectateur ou de cinéphile, une identité sociale qui se confondrait avec la fiction cinématographique dont la manifestation fait étalage.” [fin du premier paragraphe]
Il s’agit en fait de “montrer” dans son sens le plus direct, que l’on est un fan, et par conséquent, que l’on n’est pas un spectateur comme un autre. Au même titre que certains habillements tendent à signifier clairement un rang social, les vêtements portés par les sosies signifient que l’on porte une identité précise: celle de l’admirateur le plus complet d’une icône. Si l’on n’est pas sosie, l’identité de “fan” peut aussi se porter de façon moins prononcée, grâce à un style qui n’est pas sans rappeler celui de la version originale. Dans cet article, les sociologues parlent “des identités reconstruites à coups de petits scalpels identitaires”. Quelqu’un qui n’est pas dans la confidence ne verra pas qu’il s’agit d’une norme vestimentaire liée à l’artiste.
Mais dans un lieu comme Cannes, difficile de duper les spectateurs. Il en va de même pour les séries à la télévision. Si des séries comme Desperate Housewives ou Gossip Girl chez les adolescentes, vont façonner une certaine image de ce qu’est la mode, ce n’est pas le seul domaine qui influence les publics de fans. Les séries sont des diffuseurs d’idées. Parce qu’elles sont popularisées par les autres médias et qu’elles occupent une place très importante dans le paysage audiovisuel, leur influence est “partout”. Lorsqu’une série appartenant à un genre particulier a du succès et suscite l’intérêt et les pratiques connexes des fans, il n’est d’ailleurs pas rare de voir d’autres fictions du même genre voir le jour. Les séries médicales par exemples, ont su créer – depuis Urgences jusqu’à Dr. House en passant par Grey’s Anatomy – une vague de vocations médicales. Le fait que ces séries se déroulent dans un milieu professionnel réel pousse la frontière qui sépare ce monde réel du monde de la fiction à s’estomper.
Christine Bigeon, Odile Dosnon et Jean Guichard((46)), dans un article intitulé: “Que montre la télévision des professions et des professionnel(le)s?” s’attardent sur le rôle que les personnages de fiction peuvent avoir sur les téléspectateurs les plus fidèles. Nous insistons sur le terme de “fidèles”, car tous les spectateurs bien sûr, ne sont pas influençables au point d’envisager de faire carrière dans le domaine professionnel de leur héros. Les fans sont les plus enclins à ce genre de réflexions, la série étant une véritable passion au quotidien. Les chercheurs s’interrogent sur la façon dont la télévision peut “infléchir certaines conduites ou représentation, voire certains styles de vie des téléspectateurs”. Le brouillage de frontière naît d’une volonté des scénaristes, si ce n’est d’être le plus réel possible, de jouer sur les sentiments et l’empathie que peut ressentir le téléspectateur. Ce sont les émotions qui sont au coeur du processus d’identification, bien plus au final, que le métier qu’exercent les personnages principaux. Il suffit de lire les recherches concernant l’incrédulité accordée par les médecins aux pratiques du Docteur House ou aux internes de Grey’s Anatomy pour se rendre compte que leurs diagnostiques ou autres actes chirurgicaux sont invraisemblables.
Outre le choix d’une carrière professionnelle, on note des dizaines d’autres domaines dans lesquels l’attachement à une série peut avoir un impact. Comme nous l’avons vu dans la première partie du mémoire, lorsque nous nous intéressions à la représentation des fans comme “experts”, ces derniers sont en général peu enclins à patienter plusieurs mois pour regarder les épisodes inédits de leurs séries préférées en français. L’accroissement des sites dédiés au “streaming” sur lesquels les épisodes sont en général disponibles quelques heures après leur diffusion aux États Unis, leur a permis de suivre le même rythme de diffusion que les téléspectateurs du pays d’origine. Cette pratique a favorisé l’apprentissage de l’anglais pour les fans étrangers, qui, ne pouvant attendre de voir la série dans leur langue maternelle, ont appris à comprendre, avec ou sans sous-titres. Au même titre que la musique, il s’agit de voir que les motivations qui se cachent derrière l’apprentissage et la pratique d’une langue peuvent être complexes et fortement liée à un environnement culturel. Christian Le Bart(47) (page 147, 25 juillet) écrit à propos des fans des Beatles: “L’empreinte sur les trajectoires biographiques se fait particulièrement visible lorsque cette pratique débouche à la création de rock plus ou moins institutionnalisés.” Les séries, visibles dans le paysage audiovisuel et sources de multiples influences, sont l’un des facteurs qui permet un apprentissage plus rapide de l’anglais.
L’enquête menée sur les fans de la série Supernatural portait sur les modes d’appropriation et les influences possibles. Nous avons souhaité nous intéresser à la musique, et à la transmission des univers musicaux des séries sur les goûts des fans. Plusieurs questions ressortent de ce premier questionnement: Faut-il préalablement aimer le genre et les musiques caractéristique d’une série pour être “fan”? Par ailleurs, faut-il défendre ses goûts musicaux et les sortir
du simple contexte de l’objet de culte qui en est le prescripteur ?
Dans un premier temps, arrêtons-nous sur ce que les réponses au questionnaire nous apprennent:
Quels genres de musique écoutez-vous au quotidien ?
* Le total des effectifs correspond au nombre de genres cités par les cinquante-cinq enquêtés (certains n’ont pas répondus, d’autres ont cité plusieurs genres).
Précisez quelques artistes
* Autres groupes cités: Coldplay, Madonna, Simple Plan, Michael Jackson, Christophe Maé, McFly, Hurt, Boys like girls, Black Keys…
Les résultats de l’enquête indiquent qu’une forte proportionnalité des fans présents à cette convention, partagent des goûts musicaux assez semblables. Il y a tout d’abord ceux qui se retrouvent en indiquant aimer les mêmes groupes comme ACDC, Metallica ou encore Bon Jovi. Se retrouvent ensuite dans un pourcentage pour le moins éloquent, le nombre de ceux qui citent le rock, comme le genre qu’ils écoutent le plus et préfèrent. Les réponses à ce questionnaire sont particulièrement représentatives de ce que nous souhaitons discuter dans ce mémoire.
En effet, lorsque nous nous penchons sur la série en question, il s’agit de remarquer que la liste des musiques diffusées dans les épisodes de Supernatural met en lumière et à de nombreuses reprises, les groupes cités par les enquêtés. Les titres les plus connus du groupe ACDC (Highway to hell, Hell Bells, Back in black…) sont diffusées à chaque début de saison, au-dessus d’un montage résumant l’intrigue de la saison précédente. La musique vient rythmer cette sélection des moments les plus mémorables, et ajoute une émotion épique à la série.
Voir le groupe cité parmi les favoris des enquêtés signifie clairement que sa musique est en quelque sorte l’hymne de Supernatural.
Bien qu’il soit possible que certains d’entre eux aient indiqués aimé les groupes ACDC et Metallica parce qu’ils les connaissaient avant de s’éprendre de la série, il est fort probable que ce soit leur attachement pour Supernatural qui ait joué le rôle “d’agent de socialisation”.
On parle en ces termes pour indiquer les personnes où les médiums quels qu’ils soient, qui ont une influence sur nos goûts et nos pratiques. De façon générale, les individus pensent être libres de leurs choix de consommation. Or, que ce soit par le biais d’outils explicites (la publicité, les objets dérivés…) ou que ce soit davantage sous-entendu (à travers les goûts et valeurs des personnages de fiction que l’on admire par exemple), nous sommes entourés par de nombreuses sources d’influences, à commencer par nos proches (la famille, les amis…) et les médias.
Ces derniers diffusent des valeurs que nous intériorisons sans forcément nous en rendre compte. Lorsque nous regardons les différentes séries américaines qui nous passionnent, nous reportons sur la réalité, les comportements des personnages de fiction. Ce mécanisme dit “de l’imitation” n’est pas propre aux fans. Peut l’être en revanche, l’affirmation de nos goûts préférés lorsqu’ils font partis de ceux que l’on entend fréquemment dans une oeuvre de culte.
B. Les séries et la musique
De nombreuses séries comptent aujourd’hui sur leur bande originale pour se créer une identité qui leur soit propre, et ainsi plaire au public. The OC, Grey’s Anatomy ou encore One Tree Hill ont bien compris que la musique était l’un des ingrédients principaux d’une série qui fonctionne. On compte dans ces séries, plus de dix chansons par épisode. Il y a les indémodables, qui façonnent la série et sont adoptées auprès des fans comme de véritables hymnes caractéristiques de son univers, et les chansons de groupes que l’on découvre. Ces nouveaux talents (ou groupes peu connus) sont nombreux. Il s’agit alors pour eux d’un tremplin exceptionnel pour espérer percer et conquérir les ondes. En effet, la popularité des séries télévisées et la reconnaissance qui est allouée à celles qui accordent une place importante à la musique, est suffisante pour propulser un groupe en tête des charts. Breathe me de Sia est en effet passée de l’ombre à la lumière en étant diffusée lors de l’ultime scène de la série Six Feet Under.
Le groupe Snow Patrol a trouvé son public après que plusieurs de ses chansons ont été diffusées dans la série Grey’s Anatomy. Les téléspectateurs sont nombreux à aller se renseigner sur le web, pour connaître les titres et les groupes qu’ils entendent dans les séries qu’ils regardent.
Et lorsque l’on est fan, c’est tout un univers (celui de l’histoire qui l’accompagne lorsque celle-ci est diffusée dans un épisode), qui reste gravé à la chanson. La classer parmi ses favoris devient alors une pratique liée à la série. Dans la totalité du répertoire d’un fan de série, il n’est donc pas rare de retrouver une majorité de chansons diffusées dans celle-ci. Ceci montre bien que la condition de fan a un impact très important sur la vie sociale et culturelle des individus.
Elle façonne leurs goûts au même titre que les conseils et les attachements que peuvent prodiguer la famille et les amis. Les séries en particulier, parce qu’elles nous accompagnent toutes les semaines pendant plusieurs années, sont des prescriptrices de goûts puissantes.
De nombreuses autres séries choisissent également d’illustrer leurs scénarios d’un genre ou d’un type de musique particulier. C’est le cas de la série Supernatural. L’identité musicale se traduit par un désir de ne proposer que des musiques rock, hard rock et métal, sorties avant l’année 1985. On retrouve ainsi fréquemment, des groupes comme: ACDC, Foreigner, Metallica, Bon Jovi ou encore Kansas. L’étude des années de naissances données par les enquêtés(48) montre que les titres cités en favoris correspondent à des dates antérieures à leur naissance.
On peut suggérer que la série fait partie de leurs prescripteurs en matière de musique. Celle-ci leur fait découvrir des musiques des années 1960 et 1970, qu’ils s’approprient et apprécient au point d’acheter des albums et de les citer, comme le montrent ces questionnaires, dans la liste de leurs musiques et groupes favoris. Les séries, parce qu’elles connaissent le pouvoir d’influence qu’elles ont sur leurs fans, peuvent donner une seconde vie à des artistes que l’on entend beaucoup moins aujourd’hui.
Au-delà d’une influence sur les goûts, les séries ont aussi un rôle de persuasion et sont un miroir de valeurs. Elles s’inspirent du mode de vie des sociétés contemporaines (la façon de vivre, les comportements quotidien…) et véhiculent ainsi des valeurs typiques qui fondent l’identité d’un pays ou d’une société en général. Cela peut signifier que les fans en particulier, adoptent ces modes de vie reflétés par la fiction, dans leur vie de tous les jours. Plusieurs exemples peuvent illustrer cette réflexion. Les séries comme Gossip Girl et 90210 donnent à voir une image bien particulière de la mode et des vêtements que doivent porter les adolescents au quotidien. Si les héroïnes portent inlassablement de nouvelles tenues sophistiquées de grands couturiers dans chaque épisode, elles donnent ainsi à voir aux fans les plus fidèles, un monde où l’allure et le physique sont indispensables pour réussir. Ce genre vestimentaire est pourtant issu de la jeunesse des milieux aisés aux États Unis et ne correspond pas à la réalité.
La série fait découvrir un style que les passionnées souhaitent adopter, car celui-ci est véhiculé par des héroïnes qu’elles ont appris à connaître et à aimer. Combinant la beauté, le caractère et l’intelligence, les personnages sont construits pour être des modèles aux yeux des filles qui suivent assidûment la série. Si les fans de séries se laissent guider au quotidien par une multitude d’usages et en font les principales prescriptrices de leurs goûts en matière de musique, de style vestimentaire ou encore de livres, elles permettent également de les définir socialement.
Pour les téléspectateurs « traditionnels », les séries télévisées ne constituent avec le temps, qu’une « identité parmi d’autres, importante mais non exclusive, une expérience socialisatrice parmi d’autres ».(49) [Le Bart ; P. 150]. Pour les fans, il est en revanche important de maintenir intact, l’espoir d’une identité caractérisée avant tout par celle-ci. La condition de « fan » définie en général une période de temps qui peut correspondre à différentes phases (le temps de la diffusion de la série, depuis le moment où on la découvre jusqu’à la fin de sa vie, ou sur une durée de temps plus réduite). Quoiqu’il en soit, elle correspond à autant de valeurs qui servent à alimenter l’existence des fans. Les goûts et les modes de vie, lorsqu’ils sont issus de l’attachement que l’on porte pour une série, sont affichés : il s’agit de revendiquer son appartenance à un groupe restreint d’esthètes du genre. On montre ainsi que l’on est fan, et que l’on fait partie des plus fidèles. Ainsi, la passion se veut véritablement un moyen de montrer notre dévouement à la série, en développant au quotidien, des liens inextricables entre les composantes de la série, et les éléments de notre propre vie. A la question : « Faut-il préalablement aimer l’univers connexe de la série (la musique, les goûts vestimentaires…) pour être fan ? », il s’agit de voir que l’on peut avoir des habitudes et des goûts que l’on retrouve ensuite ou en parallèle dans la série, mais celle-ci joue néanmoins pour la plupart des fans, un rôle de prescripteur certain. Pour les premiers, l’attachement à la série peut d’ailleurs résulter du fait que l’on se sent proche de son univers et des caractéristiques qui la définissent (l’univers musical…). Pour les autres, nous pouvons dire que si l’on n’aime pas « avant », on apprend à aimer parce que (pour la musique par exemple) le genre nous est familier ou parce que l’on rattache les chansons à la série que l’on apprécie.
A la deuxième question que nous nous sommes posée au début de ce chapitre, à savoir : « Faut-il défendre ses goûts musicaux et les sortir du simple contexte de l’objet de culte prescripteur ? », tout dépend de si l’on revendique le fait d’être fan ou non de la série. Lorsque l’on a des pratiques liées à celle-ci au quotidien, comme le fait d’être inscrit à un forum pour discuter avec d’autres fans ou d’en parler à notre entourage régulièrement, on peut penser que l’on a aucun problème à confirmer le fait que nos goûts y sont liés. Un peu comme les sosies et les fans construits « à petits coups de scalpels identitaires », on choisit de dévoiler son degré d’attachement selon son désir et son propre ressenti vis-à-vis de la série. L’une des réponses soulevée par plusieurs enquêtés mérite que l’on s’y attarde un instant. Trois fans de la série ont indiqué aimé les « bandes originales de séries ». Ils déclarent ainsi que leurs goûts en matière de musique sont composés de celles qui sont diffusées dans les séries qu’ils regardent.
L’intérêt est double, car s’ils revendiquent aimer les musiques découvertes à la télévision, ces trois enquêtés font aussi partis de ceux qui ont indiqué, de façon, aimer ACDC et Metallica. Séparer les « musiques de séries » de ces groupes qui la caractérisent mieux que tout autre, semble être un moyen pour eux de faire la distinction entre des goûts « propres » et issus de choix personnels, et leur attachement pour la série. On note ainsi une volonté de se légitimer vis-à-vis de la série, et peut-être même de s’en détacher.
B. Les fans et l’industrie : des clients ciblés et une offre de plus en plus grande. Pour les fans, posséder des « objets » dérivés de l’oeuvre culturelle qu’ils admirent, leur permet de maintenir en place, une relation très investie affectivement. Comme si le fait d’être collectionneur ou de vouloir enrichir ses connaissances à propos de la série, pouvait leur permettre de se distinguer des « autres ». Pour beaucoup, le fait même d’être fan se définie par le fait de posséder tout ce qui se fait autour de la série et à son propos. Il s’agit pour les fans : de montrer aux spectateurs qui ne le sont pas, que l’on est un admirateur spécial, mais aussi de signifier aux autres fans, par un objet symbolique que l’on fait partie de la même famille, du même fandom. Les objets dérivés sont autant de façons de s’exprimer soi-même que de se déposséder d’une identité première. En soit, on peut en conclure que les fans sont des consommateurs peu singuliers, mais animés d’une même volonté : celle de satisfaire leur passion.
Comme nous ne cessons de le voir depuis que ce travail de recherche est commencé, les fans s’illustrent en ayant des pratiques culturelles (entre autres) liées à leur objet de culte. Les industries l’ont bien compris, et alimentent ces besoins en développant toutes sortes d’objets dérivés et de produits fait pour être assimilé au programme. Au cinéma, l’exemple le plus éloquent pour aborder cette frénésie des fans et des industries, est la franchise Star Wars.
Comme l’explique Henry Jenkins dans son ouvrage sur le processus de convergence culturelle, l’essor exponentiel des produits dérivés de la saga de George Lucas est ce qui a conduit les spectateurs à adopter des pratiques culturelles et sociales dites de « fans ». Ainsi, des générations de passionnés ont grandi en s’habillant comme Dark Vador pour Halloween, en se battant en duel avec des sabres lasers et jouant avec les centaines de figurines disponibles sur le marché. Si les films sont d’énormes succès qui n’ont de cesse de se confirmer avec le temps, ce sont ces produits, destinés à assouvir un besoin de rester connecté avec l’oeuvre, qui construisent la légende. Le succès de ces industries est tel, que de paraître des objets dérivés et des goodies, est devenu une logique de consommation propre à chaque oeuvre culturelle, et à chaque série, dès lors que celle-ci fait parler d’elle, en dehors de sa diffusion.
Construire la popularité d’un programme en développant son univers dans le réel est un pari qui paye, et les industries se lancent aujourd’hui sans restriction, dans le développement de produits dérivés. Ces derniers vont d’une part profiter financièrement aux marchés et par ailleurs profiter aux programmes en eux-mêmes, qui vendent leur image et accroissent ainsi leur renommée. A la télévision, du fait même que les séries sont des formats extrêmement populaires et rentables, les objets dérivés ne se comptent plus. Des albums de bandes originales aux livres de fiction dérivés en passant par les vêtements et bijoux, on note une palette presque infinie d’objets différents. La convention Supernatural a bien montré que les fans succombaient à cette amplification de leur passion. Les objets dérivés, en particulier lorsqu’ils « se portent » (les vêtements, les bijoux…) sont une étiquette supplémentaire pour afficher sa condition de fan. L’observation des fans présents à ce weekend donne à voir une grande proportion d’entre eux, vêtue avec des Tee-shirts, des bijoux et autres accessoires à l’effigie des héros du programme. En témoignent, les photographies de fans mis en annexe. Par ailleurs, l’une des questions de l’enquête portait sur le nombre de produits dérivés que les téléspectateurs présents possédaient. Voici ce que donnent à voir les résultats :
Avez-vous des produits dérivés de la série ?
Si oui, précisez lesquels ? (vraiment recherché)
* Autres accessoires cités : Badges, mugs, marque-page, figurines, portes clés…
** Sur les 48 enquêtés ayant répondus « oui » à la question précédente.
Ces deux tableaux sont intéressants car ils illustrent parfaitement ce dont nous parlons : le désir des fans d’ancrer leur attachement à une série dans des pratiques qui nécessitent souvent un acte de consommation. Le premier tableau donne à voir des résultats concluant quant à cette réflexion. Sur 55 enquêtés, 48 déclarent posséder des objets dérivés. Ce nombre, particulièrement probant, traduit l’impact qu’une série peut avoir sur notre vie, dès lors que nous en sommes fan. L’action « d’acheter » est en soit, une réponse à ce désir que les admirateurs ont de se montrer le plus fidèle et le plus visible possible. C’est un acte symbolique qui scelle un lien certain entre eux et le programme, en opposition avec celui-ci et le reste des téléspectateurs.
Par ailleurs, lorsque l’on demande aux interrogés de lister les objets dérivés qu’ils possèdent, on peut soulever le fait que rares sont ceux qui ne donnent qu’un seul type de produits. Les seuls objets seuls sont les DVD, qui davantage à l’objet culturel en soit, qu’à un objet dérivé.
Le besoin d’afficher sa condition de fan passe par celui de « posséder » le plus grand nombre d’accessoires issus de la série télévisée. On collectionne, et dans la plupart des cas, on affiche clairement notre « déviance ». En effet, 44,4% des objets cités par les fans de Supernatural (23% de vêtements et 21,4% de bijoux) correspondent à des produits qui se « portent » et qui permettent ainsi de rendre évidente, une passion que l’on a.
On ne trouve que rarement des objets dérivés en boutique, à moins que l’objet culturel soit connu pour être véritablement ancré dans la culture populaire connue et partagée par tous (On peut dire de Star Wars qu’il en fait partie). Le web fournit une multitude puissante et impressionnante de sources de distribution pour les contenus culturels recherchés par les amateurs.
L’émergence des médias de masse a considérablement modifié la façon dont étaient perçus et vécus les traditions et les pratiques de fans. Comme le montrent les différents types de produits cités par les enquêtés, il est aujourd’hui facile de commander, via des sites d’achat en lignes (Amazon, La Fnac…) des objets inattendus et fabriqués à l’attention des admirateurs les plus pointus. Plusieurs enquêtés, parmi les personnes concernées par la réponse « vêtements », ont précisé qu’ils possédaient par exemple, une imitation du bonnet fétiche de l’un des acteurs principaux. Celui-ci, après un voyage au Pérou, a posté sur son compte Twitter, une photographie de lui, portant un bonnet typique gris et rouge, ayant la forme d’un singe.
Aussi singulier que ce chapeau ait été, il a été au centre des conversations des fans, qui l’ont recherché sur internet, pour pouvoir l’acheter. C’est ainsi qu’est apparu sur les sites spécialisés dans la vente des objets dérivés de série, le même modèle. Cet exemple traduit bien la façon dont l’industrie se plie aux volontés des fans pour en faire les consommateurs clés de leurs produits. Ce bonnet, est par ailleurs un moyen pour les fans le portant à la convention, de marquer leur attachement à cet acteur en particulier. Les objets dérivés sont autant de symboles pour les initiés, qui leur permettent d’afficher une identité qu’ils revendiquent. Un vêtement aussi singulier que celui-ci, parce que l’on est fan de Supernatural, appartient au savoir collectif que possède un même fandom, tout comme de nombreux fans ont cité posséder la réplique du collier que porte l’autre personnage principal, dans toutes les saisons de la série. Ces derniers affichent ainsi leur préférence aux autres fans : accessoire qui passerait inaperçu pour tout individu ne faisant pas partie de la communauté des fans.
C. Analyse sémiologique des dispositifs d’influence : pour aller plus loin…
a. Les contenus « similaires »
Les produits dérivés à proprement parlé, ne sont pas les seuls outils que les industries mettent à disposition des fans, pour que ces derniers puissent assouvir leur besoin de se rapprocher de l’oeuvre. Aujourd’hui, et ce grâce à internet et aux médias de masse, l’accès à la consommation est ouvert sur un nombre infini de plate-formes d’achat. Le médium numérique est particulièrement facile à utiliser, d’autant plus pour des individus qui, comme nous l’avons déjà évoqué, en ont une pratique assidue pour retrouver leur semblable aux quatre coins du monde.
De nombreux sites de fans dédiés à une série renvoient aux les plate-formes d’achats telles qu’Amazon et la Fnac, mais de fans à fans, cette action semble plutôt tenir lieu d’information ou de conseil entre experts. Dans cette sous-partie, nous nous intéresserons aux stratégies d’influence mises en place par les industries culturelles sur internet. Nous l’avons vu, les fans placent souvent les chansons qu’ils entendent dans leur série télé préférée, au sein de leurs musiques favorites. Aujourd’hui, afin de parer au téléchargement illégal de musique sur les sites et programmes de téléchargement, de nombreuses plate-formes d’écoute gratuites sont apparues en ligne. Citons notamment : Deezer et Spotify(50). Chaque artiste que ces sites mettent à disposition des internautes, leur coûte un certain prix. Pour le rentabiliser, c’est la publicité qui fait office de monnaie d’échange, puisque les marques s’assurent ainsi une promotion par le biais d’espaces extrêmement fréquentés. Il est intéressant d’étudier la façon dont les auditeurs circulent sur ces plate-formes d’écoute. Lorsqu’un téléspectateur, fan d’une série en particulier, va taper dans la barre de recherche, le nom d’un artiste qu’il a entendu, le site va lui proposer une liste d’artistes similaires qu’il sera susceptible d’apprécier tout autant. Cette façon de renvoyer les internautes d’artistes à artistes, marque une influence certaine de la part de la plate-forme. Celle-ci passe par une forme d’interactivité sociale, qui se manifeste par les propositions pertinente de l’ordinateur.
L’utilisateur, s’il joue le jeu et navigue dans cette toile d’araignée tissée par les industries, se créé une base de connaissances et de goûts issue de son attachement à un programme télévisé, et embrasé par les sites web qu’il fréquente. Cet exemple n’est pas unique, car aujourd’hui, la plupart des sites que l’on peut qualifier de réseaux sociaux, se parent de ces « artistes/utilisateurs/objets » similaires. Le site de partage et d’hébergement de vidéos Youtube propose ainsi aux internautes, les vidéos semblables à celles qu’ils choisissent de regarder. Notons ici que lorsqu’un individu regarde la bande annonce d’un épisode de série, il a toutes les chances de se voir proposer les bandes annonces d’autres séries diffusées sur la même chaîne. Celles-ci, postée sur la même chaîne de vidéos, permettent ainsi grâce à cette catégorie des « semblables » de promouvoir leurs autres programmes de façon implicite. On peut dire de ces fonctions numériques, qu’elles ont un rôle social, puisque les sites contiennent des agents intelligent dont le but est d’aider l’internaute à s’orienter lors de sa navigation.
Sur Twitter, ce sont les inscrits « semblables » qui sont mis en valeur : il s’agit soit d’utilisateurs inscrits aux mêmes chaînes et partageant donc les mêmes goûts, ou des comptes de personnalités liées aux intérêts que l’on a.
Quoiqu’il en soit, il est intéressant de noter sur l’ensemble de ces interfaces, la facilité avec laquelle il est facile d’influencer le comportement, les modes de vie et les goûts des internautes.
L’intérêt pour ce travail de recherche, est de voir que les fans, qui sont particulièrement investis sur les réseaux sociaux et sur les sites qui peuvent avoir un rapport avec un élément caractéristique de l’oeuvre à laquelle ils vouent un culte, sont influençables au quotidien, et en particulier sur internet. Cette sous-partie est importante, car elle sert à souligner l’influence manifeste que la dimension sociale des sites web peut exercer sur les internautes. Au même titre que le bouche à oreille et les conseils de nos proches, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont des prescripteurs de goûts, dans le sens où ils suggestionnent partout et tout le temps, de nouvelles pratiques et de nouveaux objets culturels reliés à celui qui nous intéresse au départ.
Même à la télévision et lorsqu’il s’agit des fictions, le principe de similarité existe et fait son effet. Lorsqu’une série médicale a du succès, on voit ainsi fleurir une multitude d’autres fictions installées dans le même univers de l’hôpital (Urgences, Grey’s Anatomy, House M.D….). Lorsque ce sont les vampires qui sont à la mode dans une série télé, on voit naître d’autres séries dont les personnages eux aussi, ont des crocs (Vampire’s diary, True Blood…).
On utilise la popularité des séries pour s’en servir comme modèle de base. Les fans sont ainsi des « testeurs » culturels, dès lors qu’ils s’emparent d’un objet culturel. Les industries sont aux aguets, prêtes à renouveler de nouvelles fictions dans le genre qui a prouvé qu’il pouvait fonctionner.
b. Les réseaux sociaux : partager, commenter, aimer et surtout : afficher ses goûts
Lorsque l’on est fan, on cherche à se lier aux communautés d’intérêt qui discutent, partagent et échangent autour de l’oeuvre que l’on apprécie singulièrement. Sur la toile, de nombreux dispositifs permettent aux fandoms d’exister et de communiquer. Les réseaux sociaux constituent les outils numériques qui facilitent le plus ces interconnexions. On parle de « réseau social » pour désigner un espace numérique qui permet à ses utilisateurs inscrits, de rester en contact et de communiquer : soit avec des amis et des connaissances réelles (Facebook), soit avec des individus qui partagent les mêmes intérêts (culturels, politiques, sportifs…). Sur ces sites (comme Twitter, Youtube, Tumblr…) les internautes créent des réseaux d’ordre communautaire, puisqu’ils apprennent à connaître et développent des relations d’amitié virtuelles, avec des gens qui leur ressemblent, en particulier au niveau de leurs goûts. Twitter par exemple, permet aux internautes de discuter en temps réel, sur des sujets communs. Nul besoin de se suivre pour communiquer. L’intérêt de cet aspect communautaire réside dans ce disposi-tif du « Hashtag », qui fonctionne comme un mot clé ou un tag, et qui permet de définir le sujet du tweet. Ainsi, lorsque l’internaute tape un sujet dans la barre de recherche de Twitter, ces Hashtags le renvoient à l’ensemble de tous les tweets ayant le même sujet de discussion. On retrouve bien, dans ce dispositif communautaire, les caractéristiques nécessaires à l’existence et à la visibilité des fandoms, puisque les réseaux sociaux rassemblent, permettent d’échanger et de faire de nouvelles rencontres. L’exemple de Twitter donne aussi à voir, la façon dont ces réseaux sociaux sont pensés pour favoriser l’accès et la création de ces communautés d’intérêt. Il s’agit avant tout de « catégoriser » les tweets en fonction du sujet, afin de ranger le flot continu de mises à jour, et ainsi permettre aux internautes de se retrouver, voire de se trouver tout court. Les internautes vont s’identifier à d’autres utilisateurs, et créer avec eux, un lien d’ordre affectif complexe, mais toujours relié à ce sujet télévisuel qui les a un jour rassemblé.
Le désir des fans à décliner leur univers préféré, témoignent aussi d’un besoin de construire des expériences sociales où ils peuvent prolonger leur enthousiasme, au-delà des fins de saison et malgré le temps qui passe. En cela, les réseaux sociaux constituent l’arme principale des fans de séries télévisées. C’est grâce à eux que les communautés se créent, s’entretiennent et que les discussions se font palpables. En effet, il s’agit de voir comment, lorsqu’un épisode de série est diffusé par exemple, les conversations se font, et comment un avis général arrive bien souvent à sortir du lot. Avant de nous intéresser à ce dont les communautés sont capables de montrer lorsqu’elles sont soudées et actives sur les réseaux sociaux, il est important de nous arrêter sur l’image que donnent à voir les utilisateurs d’eux même, sur ces dispositifs. Nous prendrons là aussi, l’exemple de Twitter, pour illustrer nos propos.
Lorsque nous tapons dans la barre de recherche, le titre d’une série télévisée, le site nous suggère dans la colonne de gauche, des utilisateurs particulièrement actifs dans des discussions sur le sujet. Prenons l’exemple de la série Doctor Who. Si cette série britannique a souvent du mal à faire parler d’elle à la télévision ou dans la presse, elle est en revanche, extrêmement populaire sur internet.
Les utilisateurs conseillés ont pour la plupart, la particularité de dévoiler en guise d’image de profil, un avatar représentant le docteur ou un élément caractéristique de la série. Dès lors, on se doute qu’il s’agit de fans, puisque ces internautes sont inscrits à un réseau social, et donnent à voir, comme représentation d’eux même, l’univers de la série dont ils sont les fans.
Outre l’image, le pseudonyme choisi est également un moyen de signifier très clairement et très simplement que l’on appartient à une communauté précise, et que l’on est inscrit sur le réseau pour parler d’un sujet en particulier. Comme l’explique Christian Le Bart à propos des fans des Beatles, il s’agit de montrer « un autre soi »(51). Les fans qui indiquent dès le départ qu’ils sont des passionnés de tel sujet, marquent ainsi une affirmation identitaire tranchée, offerte à une passion que l’on affirme et que l’on affiche. Être passionné peut s’assumer ou se cacher, mais dès lors que l’on accepte d’être qualifié comme tel, c’est le monde entier qui devient le témoin de notre attachement pour une oeuvre culturelle : la famille, les amis, les professeurs et les « ennemis » pourront ainsi intégrer ce signe identitaire comme une marque caractéristique de notre identité première. Les réseaux sociaux en cela, contribuent largement à mettre en scène la passion des fans. L’affirmation identitaire telle qu’elle est présentée sur les réseaux sociaux, a été rendue possible grâce aux nouvelles technologies du numérique. En effet, les contacts réels montrent que le plus souvent « l’affichage est prudent, euphémisé, les coups d’audace sont retenus » [Le Bart ; P. 94]. « La peur de se faire remarquer, moquer, d’apparaître comme « démodé », « ringard » n’est pas moindre que la punition institutionnelle de jadis ». Le web protège de tels verdicts, car si les espaces de communications sont les mêmes, les dimensions géographiques et virtuelles rassurent. Sur Internet, on ose davantage se mettre en avant, car on parle à des dizaines d’internautes par écrans interposés. Plus facile ainsi, de s’assumer et de revendiquer sa passion, même aux gens que l’on connaît dans la vie réelle. Les outils numériques, et internet en particulier, ont modifié les modes de vie des individus et en particulier des fans, qui peuvent vivre leur passion au grand jour. Comme l’exemple de Twitter l’a montré, être fan modifie aussi les pratiques que l’on a sur internet.
Cela influence la façon dont ces derniers se mettent en scène face aux autres, et affirment ainsi une identité qui leur correspond sur les plans culturel et social.
Lorsqu’ils s’inscrivent sur Twitter dans le but de parler de leur passion, les fans tissent des liens avec une communauté déjà existante de fans qui discutent et défendent leur attachement pour la série. Leur but est ensuite, de représenter celle-ci, et de la rendre visible sur le réseau social, pour la faire connaître aux non-convaincus, mais aussi et surtout pour la mettre en valeur face aux autres séries populaires dont les fans sont actifs sur le web. Le public de la télévision sait qu’avec de la cohésion et des actions regroupées qui feront parler de lui, il peut faire changer les choses, se faire entendre par l’institution « toute-puissante » et renverser ce rapport de dominant/dominé pour prendre le dessus. Dès lorsqu’ils se connectent au réseau mondial qu’est internet, les téléspectateurs mettent leurs objectifs personnels au profit de quêtes communautaires.
Faire parti d’un tout, c’est en effet différencier les objectifs et intérêts que va chercher l’individu pour lui-même et pour le groupe. La pyramide de Maslow(52) présente en annexe permet de comprendre quels sont les besoins humains que nous pouvons lier aux besoins conscients et inconscients de l’individu : Le besoin de sécurité est le premier que nous pouvons rattacher à notre étude. Il correspond au besoin de se protéger des menaces qui entourent l’individu.
Celles-ci peuvent par exemple se manifester chez lui, par le besoin de fuir ses connaissances dans le monde social, en retrouvant dans une communauté, d’autres personnes qui lui ressemblent davantage et qu’il pourra considérer comme un refuge.
L’amour ou appartenance, correspond au besoin de se sentir accepté et intégré au sein d’un groupe. Dans notre cas, ce sentiment correspond au désir de se sentir uni à un groupe d’intérêt. On peut aussi dire qu’il s’agit pour l’individu, de ne pas vivre seul, sa passion pour un objet culturel qu’il affectionne particulièrement. Pour communiquer, échanger et partager autour de celui-ci, il doit d’abord appartenir à une communauté qu’il va rejoindre par les différents dispositifs que nous avons précédemment cités. Se sentir intégré passe par l’implication que le fan va avoir au sein de la communauté. C’est en s’engageant auprès d’autres identités numériques que l’individu va se sentir accepter et qu’il va appartenir à une communauté.
L’estime des autres, c’est le résultat que va obtenir l’individu en s’intégrant au groupe. Pour cela, il doit montrer, prouver en quelques sortes, qu’il est capable de communiquer et d’échanger autour de sa passion. On peut parler de rapport de force pour aborder cette confiance, ce sentiment de la communauté, de n’établir avec l’individu une connexion forte, que si celui-ci sait s’en montrer digne.
L’estime de soi, prolonge l’estime des autres et le sentiment d’appartenance. L’individu a besoin de se sentir reconnu en tant que membre à part entière au sein de la communauté. Il doit compléter ses besoins physiologiques par des besoins d’ordres moraux, qui le mèneront vers le sommet de la pyramide : L’accomplissement personnel. Celui-ci se traduit par un besoin de considération et une aspiration à s’épanouir au sein du groupe. On peut penser que ce palier est prépondérant à la capacité de l’ensemble des individus qui compose un groupe, d’avoir un impact sur une institution télévisuelle.
La pyramide des besoins, de par le titre même qui est le sien, montre que l’individu a « besoin » des autres pour s’épanouir. Lorsque l’on est fan, les aspirations impliquent d’autant plus les réseaux sociaux, que l’attachement que l’on a pour une oeuvre ne se retrouve pas (général) avec le même degré, dans un grand nombre de proches « réel ». Twitter, Tumblr ou encore Youtube, permettent, comme le montre le tableau récapitulatif des résultats de l’enquête sur les fans de Supernatural, d’assouvir plusieurs nécessités plus ou moins importantes. Afficher ses goûts comme nous en avons donner des exemples, correspond à l’estime de soi que l’on doit faire passer aux autres.
42 Annexe 2 p.90
43 RAMONET I. Propagandes silencieuses Gallimard, 2002 (P. 8)
44 ESQUENAZI J.-P. Les séries télévisées, miroir de la société? http://www.revue-medias.com/les-seriestelevisees-miroir-de-la,671.html, 2010. (consulté le 13 mars 2012)
45 ETHIS E. et MALINAS D. Cannes 2011 : La vraie disparition d’Élisabeth Taylor, 2011 http://www.parislouxor.fr/cinemas-et-culture/cannes-2011-la-vraie-disparition-delisabeth-taylor/ (Annexe 3 p. 91)
46 BIGEON C., DOSNON O. et GUICHARD J. Que montre la télévision des professions et des professionnel(le)s? – http://osp.revues.org/index2865.html (consulté le 8 juillet 2012)
47 LE BART C. Les fans des Beatles : sociologie d’une passion, Presses Universitaires de Rennes 2, 2000
48 Tableau des années de naissances page 84.
49 LE BART C. Les fans des Beatles – Sociologie d’une passion, Presse universitaire de Rennes, 2000. (P.150)
50 Annexe 4 p. 93
51 op. Cit. Note 43 en page 49 (P.94)
52 Maslow A. (1943) A Theory of Human Motivation, John Wiley & Sons Inc (Annexe 5 p.94)
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