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I/ Notion d’incidence professionnelle

Jusqu’en 2006, le retentissement professionnel d’une séquelle pouvait être indemnisé
par la majoration de la valeur du point d’IPP. Supprimant ce poste à caractère hybride, la
nomenclature Dintilhac a consacré l’incidence professionnelle (IP) en énonçant que « cette
incidence professionnelle à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de
revenus liés à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du
dommage touchant à la sphère professionnelle »(62).

Le rapport Dintilhac prévoit ainsi une liste indicative des préjudices à intégrer dans ce poste
en cas de reprise de son emploi par la victime (A), de son abandon suite à l’accident (B) ou
d’absence d’emploi lors de l’accident (C).

A) Les difficultés dans la poursuite de l’activité antérieure

Parmi les incidences périphériques du dommage, le rapport Dintilhac vise la perte de
chance professionnelle de la victime (1) et l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle
occupe (2).

1) La perte de chance professionnelle

Sont ainsi indemnisés au titre de l’incidence professionnelle le préjudice de carrière, la
perte de chance de bénéficier de promotions, de profiter d’opportunités professionnelles, de
faire évoluer son activité en se formant et de bénéficier des répercussions financières.

Pour la jurisprudence, l’indemnisation au titre de ce poste de la perte de chance
professionnelle d’accéder à des fonctions mieux rémunérées suppose que cette perte de
chance soit sérieuse et suffisamment établie(63). En outre, la réparation de la perte d’une chance
doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette
chance si elle s’était réalisée(64).

2) La pénibilité accrue au travail

Sont indemnisées au titre de l’incidence professionnelle les gênes ressenties par la
victime dans son activité professionnelle. La victime doit néanmoins établir en quoi son
dommage entraîne une pénibilité compte tenu de ses séquelles et de la nature des tâches
qu’elle effectue. En cas de diminution du temps de travail du fait de cette pénibilité,
l’indemnisation se fera également au titre des pertes de gains professionnels futurs.

B) L’impossibilité de poursuivre l’activité antérieure

Le poste de l’IP recouvre des aspects différents du retentissement professionnel tels
que la dévalorisation sur le marché du travail (1), l’obligation de changer d’emploi (2), les
frais liés à l’adaptation de son poste (3), le préjudice de retraite (4) ou le préjudice lié à
l’inactivité totale (5).

1) La dévalorisation sur le marché du travail

Le rapport Dintilhac vise « le préjudice subi par la victime en raison de sa
dévalorisation sur le marché du travail ». En effet, du fait de son handicap la victime peut être
moins performante, plus exposée à un risque de perte d’emploi et à des périodes de chômage
plus longues.

2) Le changement de profession

Le rapport Dintilhac cite le préjudice subi par la victime « qui a trait à sa nécessité de
devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre
qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap ». Peut ainsi être indemnisée
la perte d’intérêt pour le travail liée à une reconversion.

Le poste de préjudice patrimonial de l’incidence professionnelle inclut donc une dimension
personnelle et extrapatrimoniale.

3) Les frais de reclassement professionnel, de formation, d’aménagement ou de
changement de poste

Sont classés dans le poste de préjudice de l’IP « les frais de reclassement
professionnel, de formation ou de changement de poste assumés par la sécurité sociale et/ou
par la victime elle-même », qui sont déboursés « immédiatement après que la consolidation de
la victime soit acquise afin qu’elle puisse retrouver une activité professionnelle adaptée une
fois sa consolidation achevée ».

4) La perte de points de retraite

Selon le rapport Dintilhac, est indemnisée au titre de l’incidence professionnelle « la
perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le
déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le
montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite ».

Toutefois, lorsque la capitalisation de la perte de gains annuelle se fait sur une base viagère, le
déficit de retraite est déjà pris en compte dans les pertes de gains professionnels futurs et
aucun cumul avec la composante retraite de l’incidence professionnelle n’est possible.

5) La question de l’incidence professionnelle en cas d’inactivité totale

Il est parfois énoncé que l’indemnisation de la perte totale d’activité au titre des pertes
de gains professionnels futurs épuiserait le droit de la victime à une indemnisation au titre de
l’incidence professionnelle(65). Toutefois, l’incidence professionnelle personnelle de la victime
privée de vie professionnelle peut être mise en lumière(66). Ainsi, il existe un écart croissant
entre la rente ou le capital que reçoit la victime après la liquidation de son préjudice et le
revenu qui aurait dû être le sien. En effet, le salaire retenu, même s’il est revalorisé à la date
de la décision, ne prend pas en compte l’augmentation des salaires ni l’avancement au sein de
l’entreprise dont aurait pu bénéficier la victime.

En outre, la liste des préjudices à intégrer dans le poste de l’incidence professionnelle étant
indicative, peut être indemnisé ici le préjudice lié à l’état d’inactivité professionnelle totale.
En effet, la victime ne peut plus s’épanouir professionnellement et perd une partie de son
existence sociale(67). D’après C. Bernfeld, membre de l’Association Nationale des Avocats de
Victimes de Dommages Corporels, les critères d’appréciation de ce préjudice peuvent être
notamment l’âge de la victime, son investissement dans l’accès au travail, son vécu
professionnel, ses potentialités antérieures à l’accident, la fréquentation ou non d’un milieu
social de remplacement.

C) Le cas particulier de la victime sans activité professionnelle

Tout d’abord, la victime au chômage avant l’accident peut être indemnisée pour la
perte de la possibilité de revenir sur le marché du travail, en fonction de ses séquelles et des
éléments apportés quant à sa reprise éventuelle d’activité.

S’agissant de la victime qui exerçait une activité non professionnelle, la nomenclature
Dintilhac prévoit la possibilité d’une indemnisation au titre de l’IP « de la mère de famille
sans emploi pour la perte de la possibilité, dont elle jouissait avant l’accident, de revenir sur le
marché du travail ». Doit être distinguée la situation de la personne qui s’est arrêtée
provisoirement de la situation de la personne qui n’exerçait pas de profession.

Enfin, le rapport Dintilhac s’intéresse aux enfants et adolescents qui ne sont pas encore entrés
dans la vie active, pour lesquels seule une estimation est possible. Toutefois, cette
indemnisation ne doit pas conduire à un cumul des compensations au titre de l’incidence
professionnelle, des pertes totales de gains professionnels futurs et du préjudice scolaire,
universitaire ou de formation en ce qu’il indemnise la modification d’orientation.

62 Rapport Dintilhac, op. cit., p.35-36.
63 Civ. 2ème, 25 avril 2007, n°06-11852.
64 Civ. 2ème, 9 avril 2009, n°08-15977.
65 La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe, op. cit., p.27.
66 C. Bernfeld, L’incidence professionnelle en cas d’impossibilité de travailler : le corps désoeuvré, Dossier
Focus L’incidence professionnelle, Gaz. Pal., 10 août 2010.
67 B. Guillon, M.C. Gras, Fiche pratique X : Incidence professionnelle, Gaz. Pal., 30-31 janvier 2009.

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