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I. Un contexte particulier

1. Le choc ne choque plus

Après plusieurs années marquées par le shock-advertising, la vague porno chic semble s’essouffler. Dans un environnement hyper sexualisé ou l’on peut trouver sur une affiche un corps dénudé à pratiquement chaque coin de rue(177) et où les mœurs tendent vers une sexualité ludique libérée et assumée(178), un corps nu ne choque plus vraiment.

Bien sûr il y aura toujours de vives réactions(179) lorsque le ou les corps représentés induisent un message jugé violent ou dégradant, mais dans l’ensemble l’esthétisme des corps sera plus remarqué que leur nudité. Ainsi certains débats comme la certaine ressemblance entre ces femmes dénudées apparaissent (ainsi que l’anorexie, les normes de beauté aujourd’hui…) mais un corps nu ne soulèvera plus les foules comme ce fut le cas. De ce fait, la nudité dans la publicité ne s’accompagnera pas pour autant d’une position suggestive ou d’une peau reluisante.

Par exemple dans sa publicité printemps-été 2008 Chanel met en scène la top model Claudia Schiffer allongée sur une plage de sable fin (illustration 33 au verso). Le top aux cheveux longs et bouclés penche sa tête en arrière. On pourrait penser le temps d’un instant à la nuque de Sophie Dahl dans la publicité d’Opium d’Yves St Laurent en 2000, mais on remarque vite que cette tête penchée n’a rien à voir avec un quelconque plaisir sexuel malgré des jambes complètement dénudées. Notre protagoniste se veut plutôt las, détendue, naturelle. Prenant une pose de pin-up glamour, la belle qui a saisi une mèche de ses cheveux la regarde (à noter que ce mouvement de bras créait une parfaite symétrie avec son second bras pose au sol). Le geste est naturel, elle se prélasse au soleil. Le noir et blanc de la photo institue un certain chic a plusieurs égards : d’après Pastoureau(180) le noir après diverses attributions négatives et positives acquiert au XXe siècle une valeur d’élégance. Ainsi est-il fort probable que personne ne s’insurge contre les jambes entièrement dénudée de Claudia Schiffer mais se contente de contempler l’esthétisme de la photographie.

2. L’essor de la concurrence

a. Les marques de masse

Avec la mondialisation du luxe et de la mode (notamment grâce à internet), le luxe s’est plus ou moins banalisé (181) . Aujourd’hui les marques de luxe, en plus de leur concurrence du même secteur doivent faire face à la concurrence des marchés dit de masse offrant certes des produits moins sophistiqués mais néanmoins beaucoup plus abordables. Ainsi certaines enseignes comme Zara ou Mango vont s’inspirer fortement de coupes de grands couturiers tandis que d’autres comme H&M vont jusqu’à créer des partenariats avec les grands noms de la mode(182). H&M veut même aller plus loin en créant une ligne haut de gamme(183). D’après Karl Lagerfeld, ces collaborations permettent de “s’offrir l’idée d’un univers”.

b. La contrefaçon

L’industrie du Luxe a toujours été imitée ou copiée mais depuis quelques années on assiste à une ascension de la contrefaçon. L’amplification des réseaux et marchés internationaux, la progression des moyens de communication sont autant de moyens suscitant le développement de la contrefaçon(184). La contrefaçon n’est pas qu’un problème d’ordre économique : par la diffusion de produits non originaux à faible qualité, c’est aussi la notoriété de la marque qui est touchée. Ainsi le Comité Colbert a par exemple mené une campagne anti contrefaçon en 2012(185) afin de sensibiliser les consommateurs et revaloriser l’image de marques en insistant sur la qualité authentique d’un produit original.

3. La crise financière

Quand on connait les chiffres des maisons de couture actuelles(186) on pourrait croire que le luxe n’a pas souffert de la crise financière dont on peut dater l’apogée à l’année 2008. Handicapées par le ralentissement de la consommation, les ventes du groupe Richemont ont par exemple diminué de 12% au dernier trimestre de 2008. Mais très rapidement la crise va se faire oublier et aujourd’hui encore les maisons de coutures revendiquent une forte progression de leurs ventes(187). La conséquence du point de vue communication ? Pas seulement à cause de la crise mais aussi beaucoup dû à l’ascension de la contrefaçon, les marques de luxe ont choisi de revendiquer pour la plupart leur identité et leurs valeurs. Hermès qui a toujours mis en avant l’excellence de ses produits se retrouve ainsi aujourd’hui avec des bénéfices considérables(188). Les ventes du point de vue maroquinerie n’explosent pourtant pas et la raison est très simple : les capacités de production permettant un produit d’une telle qualité sont limitées(189), ce qui renforce le concept de la qualité du produit et sa rareté. Du côté de la perception du Luxe, selon une étude réalisée en 2009 sous la direction de Virginie MARY(190), il semblerait que sur un panel de plusieurs dizaines de personnes, 80% pensent que la crise n’a rien changé à leurs envies et leur perception du luxe contre 8% qui trouveraient que le luxe serait devenu inaccessible, 6% indécent et 6% qui feraient davantage attention à la qualité d’un produit.

177 Que ce soit dans les panneaux sucettes, abris-bus ou vitrines des buralistes
178 Multiplication des sexshops, des clubs libertins, salons de l’érotisme…
179 Menées par des associations féministes telles que Lameute
180 Michel Pastoureau, Noir, Histoire d’une couleur, Seuil
181 Via des produits accessibles comme les articles de cosmétiques, parfumeries et accessoires.
182 En 2001 il s’agissait de Karl Lagerfeld, en 2004 Sonia Rykiel. et en 2011 c’était au tour de Versace.
183 Article paru sur leparisien.fr le 02.04.2012, H&M se lance dans le haut de gamme
184 Danielle Allérès, La propriété intellectuelle dans l’univers du luxe., volume 16 n°88-89. pp. 139-150
185 Article paru sur lemonde.fr, la contrefaçon nuit-elle a l’image d’une marque ? Le 31.05.2012
186 Cf. I.1.b représentation du luxe en part de marché .
187 Notamment grâce aux nouveaux marchés comme la Chine, l’Inde, le Brésil.
188 Le bénéfice net a doublé en 2 ans, les listes d’attentes pour obtenir notamment le sac Kelly ou Birkin s’allongent partout dans le monde.
189 La formation d’artisans prend du temps, deux ans en moyenne pour la maroquinerie. Hermès, qui emploie 9.000 personnes dans le monde, a créé 715 emplois nets en 2011 dont la moitié en France, l’essentiel en production. 750 créations sont prévues en 2012. Hermès, rapport annuel 2011 http://www.amf-france.org/
190 Auteur inconnu

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