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I.4. Essence et existence : la double polarité de l’être

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I.4.1. Essence

L’un des aspects sous lesquels l’être se présente dans sa réalité, c’est son essence, sa nature, ou encore sa quiddité (28). En effet, devant les objets de notre expérience, notre aspiration première est de savoir ce que ces objets-là sont. A propos, nous nous posons la question qu’est-ce ? (quid est ?) La réponse ainsi obtenue constitue la définition de la chose. Selon D. Mercier, nous ne pouvons d’emblée saisir la quiddité des choses, car « le terme de notre première appréhension est vague, défectueux, indéterminé.(29)» Il nous faut donc des efforts sans cesse répétés pour cerner les contours des choses. A ces efforts réitérés de notre intelligence aux prises avec les choses que nous aspirons à connaitre, répondent des raisons objectives, multiples et variées qui demandent ensuite à être classées, afin « d’assigner à chacune d’elles le rôle qui lui revient dans l’expression de la réalité totale. (30)» Celle (la raison) que nous regardons comme la première, comme le premier constitutif de l’être, nous l’appelons essence.

L’essence désigne ce qu’est une chose, ce par quoi cette chose est ce qu’elle est, ce qui la fonde avant tout comme telle et permet de la distinguer d’une autre chose. C’est ce qu’il y a en l’être de plus profond, d’essentiel. En tant qu’abstraite, elle ne comporte ni détermination singulière, ni existence (31). C’est aussi elle qui constitue l’intelligibilité d’un être et permet ainsi à la pensée de l’individualiser. Aux dires de D. Mercier, c’est par abstraction, par effacement de toute différence que l’intelligence se saisit de l’essence (32). Ainsi, le double aspect de l’esse qu’évoque J. de Finance est, par contrecoup, le double aspect de l’essence, puisque c’est dans l’essence dont il est l’acte intime que l’esse se saisit (33). L’essence, en tant que concrète, est l’essence de telle chose. En tant qu’abstraite, elle renvoie à l’esse commune. Elle fonde donc l’identité et la différence des êtres (34). Voyons à présent ce qu’est l’essence concrète, c’est-à-dire l’étant en tant qu’existant, l’esse ou l’acte d’exister.

I.4.2. Existence

Si l’essence est abstraite, elle ne demeure cependant pas en dehors de toute réalité. D. Mercier le montre en effet lorsqu’il affirme que « dans la nature, la réalité de l’essence abstraite est celle de l’essence concrète, en possession de déterminations singulières (…), affectée de l’existence. (35)»

Dans la réalité, il n’est pas un monde qui soit propre aux essences. Celles-ci font partie du monde des existants, de la réalité existante et n’ont en fait de réalité qu’intelligiblement, en ce que leur existence n’est qu’idéale, conceptualisée par l’esprit qui les pense. Toute réalité a une essence, et on ne peut se représenter l’existence sans en faire une essence. (36) C’est ce qui fait dire à Mercier qu’ « entre l’essence d’une chose concrète de la nature et cette chose concrète elle-même, il n’y a donc point de distinction réelle. Il n’y a qu’une distinction de raison, fondée toutefois sur la réalité.(37) »

L’existence, ou mieux, l’acte d’exister, est un acte que réalise chaque étant et ce, de façon distincte, originale. Mais il faut affirmer ici ce que nous avons affirmé à propos de l’essence, à savoir la dualité. Car l’existence n’étant pas séparée de l’essence, la diversité des modes d’exister entraine de fait la diversité des essences, puisque l’exister est l’acte intime de l’étant. Comme le montre J. de Finance, « les divers actes d’exister nous apparaissent dans un double rapport avec la diversité des sujets, d’une part, et de l’autre, avec le Tout de l’être, objet de l’affirmation radicale, dans laquelle ils s’insèrent. (38)»

Ainsi, l’exister, tout en étant un mode unique et individuel propre à chaque étant, insère cependant chaque étant dans l’esse commune. Ce qui nous a semblé être un principe incommunicable apparait dès lors sous un aspect opposé. Mais il s’agit là, à en croire J. de Finance, du mystère de l’être, que les êtres, tout en restant uniques, baignent dans une communion intime. « C’est par le plus intime d’eux-mêmes, par leur soi le plus réservé que les êtres sont un. (39)» On voit déjà apparaitre en filigrane l’analogie de l’être, que nous aborderons plus tard.

Conclusion

Au terme de ce premier chapitre sur la question de l’être, il sied de rappeler les idées essentielles discutées. Notre objectif dans ce chapitre était d’apporter des élucidations terminologiques sur quelques concepts métaphysiques de base, afin de baliser le terrain pour un usage aisé de ces concepts dans la suite de notre réflexion.

Pour cela, nous sommes partis de la question de l’être même, qui constitue le concept clé et le premier d’ailleurs qui fonde l’objet de notre enquête. Nous nous sommes donc interrogés pour savoir si le langage courant, ou mieux, le sens commun véhiculait une connaissance claire de l’être. Il en est ressorti que cette connaissance était subreptice dans l’entendement du sens commun. Cette insatisfaction nous a ensuite conduit à dépasser le sens commun par des approches métaphysiques. Ces approches nous ont révélé que l’être pouvait s’entendre soit substantivement, soit nominativement. En le prenant substantivement, nous avons rencontré deux amphibologies. La première renvoyait à une confusion entre le logique et le réel. La deuxième, qui résultait de la tentative de résolution de la première par le truchement du verbe exister, ruinait cependant l’être au profit de l’exister.

Quant à la forme nominative, elle a dévoilé l’être comme un acte, avec trois caractéristiques que nous avons soulignées, à savoir l’actualité, la totalité et la simplicité.

Après ces approches, nous nous sommes penchés particulièrement sur le corrélat de l’être, qui est l’étant, pour interroger sa signification. Cet effort nous a permis de découvrir la bipolarité de l’être. Cette bipolarité, nous l’avons étudiée sous les concepts d’essence et d’existence.

C’est maintenant que se pose clairement notre problème du départ. En effet, les étants participent à l’être, en tant qu’ils se définissent par cette participation, selon ce que nous venons de montrer. Or, l’être, avons-nous dit, acte simple et plénier, s’est présenté à nous sous deux aspects, l’essence et l’existence. Comment alors assurer la légitimité d’une participation du multiple à l’un ?

En d’autres termes, puisque les êtres de la nature qui constituent le réel se présentent sous des formes diverses, comment alors rendre compte de toutes leurs différences, si tant est vrai qu’ils émanent de l’être ? Faut-il y voir une différence ontologique du fait de la spécificité essentielle de chaque étant ou au contraire ne s’agit-il là que d’une différence superficielle qui n’exclut aucunement la communion ontologique de tous les étants dans l’esse commune ? Chaque étant possède-t-il son être spécifique qui serait incommunicable ou il existe entre les étants, outre leurs différences, une certaine unité ? S’il faut leur reconnaitre une certaine unité, comment alors en rendre compte, par quel procédé le savons-nous ? Si au contraire, il faut nier toute communion ontologique, comment alors expliquer, dans un tel nominalisme, l’origine de chaque étant et justifier l’existence d’une multitude d’êtres qui prendraient en charge chacun son étant particulier? Un tel nominalisme est-il soutenable ?

On le voit, ces questions se rapportent à trois manières possibles d’appréhender l’être, à savoir l’univocité, l’équivocité et l’analogie. Est-ce dans une acception univoque que la notion d’être s’applique aux divers êtres de la nature ? Ou les choses de la nature n’ont-elles de commun que le nom : la notion d’être serait-elle équivoque ? Ou enfin, la notion d’être serait-elle analogique, applicable aux divers êtres de la nature en des sens partiellement les mêmes et partiellement différents ?

Ces questions nous conduisent à étudier la structure de l’être chez J. de Finance, pour voir comment il répond à ce problème.

28 Ces termes, remarque J. de Finance, ne sont pas synonymes absolument. Essence a une signification purement ontologique, il est ce par quoi un être est ce qu’il est. Nature désigne en quelque sorte le principe de l’agir. Il exprime donc un rapport à l’activité. Quiddité a un sens plutôt logique et répond à la question qu’est-ce que c’est que cet être ? Cf. Connaissance de l’être, p. 45.
29 D. MERCIER, Métaphysique générale ou Ontologie, Paris, Félix Alcan, 1905, p. 29.
30 Ibid.
31 Cf. ibid., p. 69.
32 Nous semblons ici nous contredire, en ce que nous avons attribué la connaissance abstractive à l’appréhension du sens commun. Mais l’abstraction dont il est question ici, c’est, comme le note J. de Finance, est une « abstraction métaphysique », pour la distinguer des autres formes d’abstraction. Cette abstraction consiste à saisir l’être dans les êtres comme « ce-qui-ne-peut-pas-en-être-abstrait. » (Cf. Connaissance de l’être, p. 36.)
33 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 71.
34 Cf. ibid., p. 298-299.
35 D. MERCIER, op. cit., p. 69.
36 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 47.
37 D. MERCIER, op. cit., p. 69.
38 J. DE FINANCE, op. cit., p. 71.
39 Ibid.

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