II.1. Facteurs catalyseurs de la crise malienne
Les contestations persistent et ce, malgré les différents accords, notamment, celui sur l’intégration des rebelles touareg suite aux accords de paix intervenus à l’issue de la rébellion des années 90.
Par la suite, la situation se détériora davantage et des facteurs exogènes sont venus se greffer aux difficultés politiques internes. Les difficultés liées au contrôle d’un vaste ensemble territorial refont rapidement surface, cette fois-ci aggravées par les désertions de Touaregs antérieurement incorporés dans l’armée malienne.
La guerre de Libye qui éclata dans un contexte de troubles n’arrangera pas les choses si l’on garde présent à l’esprit que la Libye fut toujours considérée comme une zone de refuge naturel pour les combattants Touaregs. C’est d’ailleurs ce qui expliqua leur engagement auprès des troupes fidèles à Mouammar Kadhafi. Il faut noter, à ce sujet, que le retour de ces combattants Touaregs au Mali sans être désarmés par les autorités en place, a été interprété par nombre d’analystes comme un signe de faiblesse du pouvoir malien. D’un autre côté, il faut comprendre que, par cet acte, le président ATT voulait jouer à l’apaisement et à la conciliation. Mais il n’avait pas prévu tous les effets de cette situation où son armée se retrouvera rapidement en face de combattants Touaregs surarmés et mieux équipés. Tous ces éléments viennent s’ajouter à ce qui semble être une mauvaise gestion de la question touareg notamment l’absence notoire d’investissements publics majeurs dans le Nord (contrairement à ce qui s’est passé au Niger par exemple). A partir de ce moment, s’affiche au grand jour les faiblesses d’une armée malienne « déséquilibrée » avec, d’une part, une cinquantaine d’officiers généraux embourgeoisés et ignorant les réalités du terrain et de l’autre, des hommes de troupes livrés à eux-mêmes, sous équipés (ou du moins avec des armes inadaptées à un vaste territoire).
Voilà qui explique, en grande partie, la déroute militaire face aux rebelles du MNLA.
Par ailleurs, il faut noter comme facteurs catalyseurs, les enjeux économiques poursuivis par les groupes armés et certaines puissances occidentales.
En effets, le sous-sol Sahélo-Saharien (dont le Nord Mali fait partie) regorge d’importantes ressources minières.
II.2. Déclanchement de la crise
La crise malienne est marquée par la manière dont l’Etat central a été vite anéanti. C’est le 17 janvier 2012, qu’une rébellion armée a réussi à chasser les forces maliennes du Nord du pays. Un coup d’Etat déposa le président ATT le 22 mars. La conjonction de ces deux évènements a enfoncé le Mali dans une profonde crise menaçant les équilibres politiques à l’interne mais aussi la sécurité dans la région.
Le cadre de transition mis en place par la CEDEAO à la suite d’âpres négociations avec la junte militaire dirigée par le capitaine Amadou Haya Sanogo n’a pas permis d’arriver à un ordre politique faisant l’unanimité. Toutefois, la junte militaire a gagné la sympathie de certaines couches sociales en jouant sur le mécontentement de la population envers le régime ATT.
Par contre, le Président de transition Pr Diouncounda Traoré a eu du mal à se départir de l’image négative de ce régime dont il est issu (étant président de l’Assemblée nationale sous le régime ATT). D’ailleurs, le 21 mai 2012, ce dernier a fait l’objet d’une agression physique, attribuée aux partisans des putschistes dans l’enceinte même du Palais présidentiel sur la colline de Koulouba et fut transféré en France pour raisons médicales pendant 2 mois. Durant cette période, l’appareil militaire a été déstructuré et les autorités civiles de la transition incarnées par le gouvernement du Premier ministre Cheick Modibo Diarra (lui-même contesté en partie du fait de sa double nationalité : malienne et américaine) se sont affaiblies. Une telle situation confuse ne permet pas d’envisager une restauration de l’intégrité territoriale par les forces malienne. Tous les experts militaires de la région s’accordent sur le fait qu’une telle restructuration serait un facteur de risques qui peuvent dépasser le territoire malien pour s’enliser en touchant toute la sous-région et ses fragiles équilibres.
Dans le nord du pays, le MNLA n’a presque plus d’existence politique et est largement dépassé par un groupe armé islamiste, Ançar-Dine, sous l’égide de Iyad Ag Ghali, un chef touareg voulant se venger de sa marginalisation lors de la constitution du MNLA. Rappelons aussi, paradoxalement, que c’est le Président ATT qui, en 2009 le nomma vice-consul du Mali à Djeddah. Iyad Ag Ghali est un ancien leader de la rébellion touareg au Mali dans les années 90. Il s’est, peu à peu, tourné vers la religion avec une pratique de plus en plus fondamentaliste. Agé d’une cinquantaine d’année, il est issu de la tribu des Iforas, dans la région de Kidal.(4)
Il s’appuiera sur des éléments d’AQMI pour prendre la ville de Tombouctou. Dès le 3 avril l’un des chefs connus d’AQMI, Mokhtar Belmokhtar (dit le borgne) aurait été aperçu dans la ville. Des rumeurs, démenties, à l’époque, par un responsable religieux de Tombouctou, évoquent une rencontre entre les principaux chefs d’AQMI au Sahel (Abou Zeid, Belmokhtar et Yayah Abou Al-Hamman) et les imams des trois grandes mosquées de la ville.
En effet, pour consolider son ancrage, Iyad Ag Ghali s’est vite rapproché des imams de la ville pour leur demander de l’aider à instaurer la charia. La stratégie d’Ançar-Dine n’est pas sans rappeler celles des Talibans afghans. Les milices d’Ag Ghali se sont empressés de ramener l’ordre, et avec l’aide d’AQMI, de distribuer des vivres à la population pour paraître comme les nouveaux « sauveurs » d’un Nord Mali, longtemps victime de marginalisation.
C’est ainsi que le chef d’Ançar-Dine a pu établir un pacte, avec une variété d’acteurs armés préexistants : des milices arabes et touareg soutenues, par le passé, par le régime de Bamako et, surtout, avec la nébuleuse AQMI, auteur de multiples enlèvements et assassinats d’Occidentaux en Mauritanie, au Mali et au Niger(5). En plus des attaques répétées perpétrées conte les armées régulières de la région, les éléments d’AQMI sont notamment impliqués dans les trafics en tous genres et les actes criminels transfrontaliers.
C’est dans ce sens que nombre d’observateurs voient le Nord-Mali comme un vaste espace potentiellement propice à l’accueil de combattants djihadistes de toutes nationalités. Des sources sécuritaires évoquent plusieurs cas d’étrangers déjà présent sur les camps d’entraînement djihadistes dans le Nord Mali.
Malgré une certaine accalmie au mois de juillet, l’on semble évoquer, à nouveau, le projet islamiste d’une prise intégrale du Mali. La prise de l’ensemble du pays par Ançar-Dine permettrait à ses alliés de disposer de bases-arrières pour frapper le Sénégal, le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire.
Le groupe est actif. Ses phalanges, que l’on nomme les Katibas, ciblent surtout la Mauritanie. Après que quinze militaires mauritaniens aient été assassinés en 2005, à Lemgheity, quatorze ont été massacrés à Tourine, fin 2008.
On se souvient aussi de la trentaine de soldats maliens assassinés en juillet 2009, de l’attentat contre une académie militaire à Cherchell, près d’Alger, en août 2011. Et de l’attaque contre la cité minière d’Arlit, au Niger, en 2010, où cinq français ont été pris en otage.
II.3. Le règlement de la crise malienne : l’énigme diplomatique de la CEDEAO ?
Dès le déclenchement de la crise malienne, s’est posée la question d’une intervention armée extérieure avec ses risques et incertitudes. Pour certains analystes, la communauté internationale devait privilégier le dialogue pour une éventuelle sortie de crise. Pour d’autres, il reviendrait à la CEDEAO de mener une médiation, prenant en compte les équilibres sociaux pour ne pas creuser les divergences de la société malienne. L’objectif premier a d’abord été de crédibiliser les institutions politiques pour une transition pouvant restaurer l’Etat et ses forces de sécurité rudement éprouvées par le coup d’Etat et l’occupation du Nord. Pour une bonne partie des décideurs ouest-africains, des mesures sécuritaires concertées au niveau continental doivent être prises pour que le Nord-Mali ne devienne pas, sous l’effet d’actions de groupes armés ou terroristes, un nouvel épicentre de la guerre contre le terrorisme. Le pouvoir confié à la CEDEAO dans cette crise l’est en vertu de la sauvegarde des principes sacrosaints de la démocratie dans les Etats membres. Il apparaît, dans la gestion de cette crise, que la CEDEAO n’a pas usé d’une stratégie appropriée à la gestion de l’après coup d’Etat au Mali. En effet, elle a choisi de reléguer les putschistes au second rang au profit d’une transition civile dirigée par le président de l’assemblée nationale avec les mêmes institutions du régime ATT.
Avant le coup d’état militaire, Il n’y a pas eu d’actions préventives à l’appui de l’armée malienne depuis l’incursion du MNLA alors que la CEDEAO est théoriquement dotée d’une unité d’alerte précoce pour les crises.
Depuis le déclanchement de la crise, il y a eu de nombreux sommets tenus au plus haut niveau régional et international sans résultats palpables. La force sous régionale, constituée de 3300 hommes, mise en place par la CEDEAO n’a pas pu se déployer. La résolution 2085(6) du conseil de sécurité de l’ONU adoptée le 21 décembre 2012, donne son accord à la CEDEAO pour une intervention militaire au Mali. Le déploiement de la MISMA étant autorisé, la préparation du déploiement (génération de force, entrainement, déploiement effectif sur le terrain) doit s’engager sans tarder. L’attaque de la ville de Konan par le MUJAO précipita l’intervention militaire de la France le 11 janvier 2013.
3 Analyse du Dr Bakary Sambe , Enseignant-Chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis(Sénégal)
4 Paix sécurité et gouvernance en Afrique de l’Ouest par Dr Zeini Moulaye spécialiste en relations internationales, forum des jeunes leaders de la CEDEAO francophone, Bamako 1er décembre 2012
5 Enlèvement de sept (7) expatriés agents d’Areva en septembre 2010 à Arlit et de deux (2) français au maquis le Toulousain en plein coeur de Niamey le 10 novembre 2010
6 Mali – Adoption de la résolution 2085 par le Conseil de sécurité (21.12.12) Cette résolution autorise le déploiement d’une force africaine au Mali pour permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale par la reconquête du Nord, tombé aux mains des narco-terroristes et en proie à des fondamentalistes. Elle répond à l’appel à l’aide du Mali et aux attentes de nos partenaires africains qui, au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine, ont pris la direction des efforts internationaux pour résoudre la crise.
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