L’oléoduc(133) constitue sans aucun doute la plus grande innovation en tant que mode de
transport dans les relations d’accès à la mer entre les Etats enclavés d’Afrique centrale et le
Cameroun.(134) L’option en faveur de ce moyen de transport a été prise après un long processus
marqué par plusieurs tergiversations sur le choix de la voie indiquée pour transporter le brut de
ces Etats.
En effet, après la découverte en 1969 d’importantes réserves d’hydrocarbures dans la
région de Doba(135) (Sud du Tchad) qui ne purent à cette époque être exploitées du fait de
l’enclavement et de l’instabilité politico-militaire du Tchad, la question de leur exploitation fut à
nouveau remise à l’ordre du jour au cours de la décennie 1990. Elle se posa en ces termes: le
pétrole tchadien doit-il être exporté vers les marchés internationaux par voie routière, ferroviaire
ou faut-il construire un oléoduc?(136)
La démarche entreprise par M. Nicolas Govoroff (alors vice-Président de Esso
exploration) le 15 Juin 1992 en terre camerounaise se solda par une option en faveur du pipeline.
Au cours de sa visite de contact à la Société Nationale des Hydrocarbures, celui-ci annonça en
effet à la partie camerounaise que son groupe pétrolier se proposait de construire un pipeline, à
travers le territoire camerounais, pour évacuer la production pétrolière du Tchad vers la côte
Atlantique.(137)
L’estimation de ce projet jugé « économiquement viable » par la partie camerounaise
amena cette dernière à se déclarer « favorable à la réalisation d’un tel projet sur son territoire » et
à « engager les discussions relatives à un avant-projet d’évacuation du pétrole brut tchadien par
pipeline à travers le territoire camerounais ». Tel était le sens de la lettre d’intention signée le 30
Juillet 1992 entre les trois parties.(138)
Si cette lettre n’exprime que « l’intention » des parties et ne possède d´un point de vue
juridique aucun effet contraignant, elle constitue cependant le point de départ dont découlera tout
le corpus normatif qui est à la base du droit reconnu au Tchad d´accéder par pipeline au littoral
camerounais (Chapitre 1). Du contenu de ces règles et de la pratique qui s´en dégage, dépend
largement la portée de ce droit (Chapitre 2).
Il s’agit du Cameroun, du Tchad et du Consortium. Ce dernier était à cette date composé des sociétés pétrolières
Esso exploration and production chad inc. et Shell. Cette composition connaîtra un réaménagement après le départ de
Shell et plus tard de Elf qui décidèrent de se retirer du projet.
133 Dans le cadre de cette étude, nous assimilerons indistinctement, pour des commodités d’analyse, oléoduc,
pipeline, Système de Transport Camerounais (STC). Toutefois, il convient de préciser que le pipeline est une notion
générique qui désigne une canalisation servant au transport des matériaux liquides (pétrole par exemple) ou gazeux.
Dans le premier cas, on parlera d’oléoduc et de gazoduc dans le second. La Convention de 1982 sur le droit de la mer
ne définit pas ces notions. Pour une définition, voir Marc ROELANDT, La condition juridique des pipelines dans le
droit de la mer, Paris, P.U.F., 1990, pp. 81, 82 et 94. Pour la présente analyse, l´on prendra en considération la
définition de l’Article 1, § 2 (d) de l’Accord bilatéral du 08 février 1996 entre le Tchad et le Cameroun qui renvoie à
la « canalisation pour le transport des hydrocarbures en provenance des basins sédimentaires de la Zone du Permis H,
traversant les territoires des Etats contractants et comprenant des stations de pompage, des systèmes de
télécommunication, des installations à terre et en mer pour le stockage et le chargement des hydrocarbures et toutes
les installations annexes qui s´y rattachent, y compris toute extension ou modifications futures de ces installations de
transport et toute addition future à ces installations ».
134 Il est important de souligner que si le pipeline mis en place est en « priorité » réservé au transport des
hydrocarbures tchadiens, l’Accord bilatéral conclu le 8 Février 1996 entre le Tchad et le Cameroun laisse entrevoir, à
travers le même pipeline, une possibilité d’évacuation des hydrocarbures en provenance d’autres Etats (Article 9 (2)
et Article 11). Les relations d´accès à la mer par pipeline, telles qu´elles seront analysées dans cette seconde partie,
concernent particulièrement le Tchad et le Cameroun. Avec la Centrafrique, l´accès à la mer à travers le territoire
camerounais reste limité aux moyens de transport traditionnels définis dans la première partie de cette étude.
135 Ces réserves sont estimées à peu près à 900 millions de barils. http://go.worldbank.org/J68AQQQN30
136 Sur cette question, voir Jean Dominique Geslin, « Tchad: un oléoduc nommé désir » in Jeune Afrique l’Intelligent,
n°2076-2077, 24 oct.-6 nov. 2000, p. 31.
137 La préférence donnée au pipeline peut se justifier par les avantages qu’il permet d’obtenir comparativement aux
moyens traditionnels d’accès à la mer (route, chemin de fer, etc.). Cette voie semble la plus fiable et la plus rentable.
Contrairement aux transports routiers, le pipeline enterré met le pétrole à l’abri des attaques et des accidents. Au plan
purement technique, son rendement est de loin supérieur à celui que peuvent offrir les autres voies. Selon Jacques
SOUBEYROL (« La condition juridique des pipe-lines en droit international », in A.F.D.I.,1958, p.160), un tube de
12 pouces, fonctionnant 18 heures sur 24 est susceptible de transporter 10.000m3 par jour alors qu’il faudrait
immobiliser 16 trains de 30 wagons-citernes chacun pour transporter la même quantité. Le pipeline constitue ainsi
une véritable économie d’énergie et de temps.
138 Il s’agit du Cameroun, du Tchad et du Consortium. Ce dernier était à cette date composé des sociétés pétrolières
Esso exploration and production chad inc. et Shell. Cette composition connaîtra un réaménagement après le départ de
Shell et plus tard de Elf qui décidèrent de se retirer du projet.