L’expertise médicale de la victime (A) est une étape importante du processus
d’évaluation des pertes de revenus futurs, qui doit tenir compte de sa situation professionnelle
(B).
A) L’expertise médicale
La qualité première de l’expertise médicale est de reposer sur une connaissance exacte
de la profession de la victime (1) afin que l’expert puisse se prononcer sur l’imputabilité à
l’accident des répercussions sur l’activité de la victime (2) et sur l’aptitude ou l’inaptitude de
cette dernière à la poursuivre (3).
1) Renseignements sur l’activité professionnelle
Afin de pouvoir émettre un avis pertinent, le médecin doit interroger la victime sur les
modalités précises d’exercice de sa profession. Ainsi, le point 3 de la mission droit commun
2006 mise à jour en 2009 de l’AREDOC demande à l’expert de « fournir le maximum de
renseignements sur son [la victime] mode de vie, ses conditions d’activités professionnelles,
son statut exact »(51). L’appréciation des modalités d’exercice de la profession sera plus facile
pour une victime salariée que pour un travailleur non salarié.
S’agissant du demandeur d’emploi, le médecin doit se renseigner sur la qualification précise
et la nature du poste recherché par la victime au moment de l’accident.
2) Imputabilité du retentissement professionnel à l’accident
Le point 18-1 de la mission AREDOC demande au médecin « lorsque la victime fait
état d’une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles » d’« émettre un avis
motivé en discutant son imputabilité à l’accident, aux lésions, aux séquelles retenues » et de
« se prononcer sur son caractère direct et certain et son aspect définitif ».
Ainsi, selon H. Béjui-Hugues et I. Bessières-Roques, le rôle du médecin est de développer les
arguments médicaux qui expliquent l’impossibilité ou la difficulté de reprendre la profession
exercée avant l’événement à l’origine de l’expertise(52). Le médecin devra donc s’intéresser à la
nature du retentissement professionnel invoqué par la victime compte tenu des séquelles
permanentes imputables à l’accident et du poste qu’elle occupe.
3) Possibilité de reprise totale ou partielle d’une activité professionnelle
Le médecin doit se prononcer sur l’aptitude ou l’inaptitude de la victime à la poursuite
de son activité professionnelle. La mission d’expertise proposée par la Cour d’appel de Lyon
et le Barreau de Lyon demande ainsi au médecin d’ « indiquer, notamment au vu des
justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraine l’obligation pour la victime
de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d’activité
professionnelle »(53).
La reprise de l’activité antérieure est généralement subordonnée à l’avis favorable du médecin
du travail. Toutefois, le médecin expert n’est pas lié par les fiches d’aptitude ou d’inaptitude
de la médecine du travail. Lorsque les modalités d’exercice professionnel sont difficiles à
apprécier, le médecin doit préciser que son avis sur l’inaptitude partielle ou totale dépend des
déclarations de la victime. En outre, certaines séquelles, tel qu’un déficit visuel, peuvent
entraîner une inaptitude légale ou réglementaire à certaines professions, essentiellement pour
des motifs de sécurité. L’expert ne peut alors que confirmer cette inaptitude en précisant les
textes applicables(54).
Enfin, si la victime est un salarié du régime général de la Sécurité sociale, le médecin doit
l’interroger sur une éventuelle décision de reclassement professionnel par la Commission des
Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées. L’expert n’est pas lié par cette décision
et il doit se prononcer sur la justification médicale de ce reclassement. Néanmoins, dans
l’hypothèse où aucune mesure de reclassement ou de formation spécifique n’est envisagée, il
n’appartient pas au médecin d’apprécier la nature de la profession que la victime pourrait
exercer.
B) La traduction monétaire
Il convient d’envisager les situations respectives d’une victime poursuivant une
activité professionnelle (1), d’une victime ayant cessé de travailler (2) et d’une jeune victime
(3).
1) La victime exerçant encore une activité professionnelle
En cas de reprise d’une activité professionnelle, il s’agit d’évaluer la différence entre
les gains de la victime antérieurement à l’accident et son revenu postérieur.
La perte de gains professionnels futurs peut être limitée dans le temps. Ainsi, s’agissant d’une
victime atteinte d’une AIPP de 6%, licenciée et devant faire l’objet d’un reclassement
professionnel, il a été jugé que, du fait qu’elle avait entrepris des démarches en vue d’une
reconversion, la durée de ces démarches pouvait être raisonnablement fixée à un an, de sorte
que les PGPF devaient être indemnisées sur la base d’une année de son dernier salaire(55).
2) La victime n’exerçant plus d’activité professionnelle
Dans l’hypothèse d’une impossibilité définitive d’exercer toute activité rémunérée, la
perte annuelle déterminée est capitalisée sur une base viagère ou sur une base temporaire
limitée à l’âge de la retraite dans la branche de la victime, selon s’il est possible ou non
d’apprécier in concreto l’incidence sur les points de retraite compte tenu de l’âge de la
victime(56).
Il convient de prendre comme revenu de référence le revenu qui était perçu par la victime
avant l’accident. Toutefois, si la période antérieure à la consolidation a été longue, le salaire
de base pourra être revalorisé à la date de la liquidation, à condition que l’évolution de
carrière soit certaine et prouvée.
D’après la jurisprudence, ne doivent pas être déduites de l’indemnisation des PGPF les
allocations de chômage(57), les allocations aux adultes handicapées(58) et les pensions d’invalidité
versées par un organisme ne bénéficiant pas du droit de subrogation prévu par l’article 29 de
la Loi du 5 juillet 1985(59). De plus, l’indemnité de licenciement pour inaptitude médicale à
l’emploi ne doit pas être prise en compte pour évaluer les pertes de gains professionnels de la
victime(60). En effet, il apparaît que l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de
l’employeur de rompre unilatéralement le contrat de travail, elle ne tend donc pas à réparer un
préjudice consécutif à la perte de l’emploi.
3) La victime qui n’exerçait pas d’activité professionnelle
S’agissant des jeunes victimes qui ne percevaient pas à la date de l’accident de gains
professionnels, le rapport Dintilhac prévoit une « indemnisation par estimation », à défaut de
référence à un salaire antérieur(61). L’évaluation in concreto étant impossible, les paramètres
utilisés peuvent être le parcours personnel de la victime, son âge, la valeur statistique du
salaire médian déterminée par l’INSEE, l’environnement professionnel familial. Néanmoins,
si un choix professionnel avait été fait par la victime, l’évaluation peut se fonder sur des
données réelles en fonction de l’avancée de sa formation avant l’accident.
Toutefois, l’indemnisation intégrale de la victime pour sa perte de revenus en raison de
son inaptitude au travail ou la reprise de l’exercice de son activité professionnelle
n’impliquent pas la disparition du préjudice réparable au titre de l’incidence professionnelle.
51 Mission d’expertise médicale 2006 mise à jour 2009, AREDOC, op. cit.
52 H. Béjui-Hugues, I. Bessières-Roques, Précis d’évaluation du dommage corporel, op. cit., p.148.
53 Recommandations de bonnes pratiques en matière de réparation des dommages corporels, op. cit., p.4.
54 Point 18-1 Répercussions des séquelles sur les activités professionnelles constitutives de pertes de gains
professionnels futurs, de l’incidence professionnelle, d’un préjudice scolaire universitaire et de formation,
AREDOC, La Lettre, mars 2010.
55 Crim., 8 septembre 2009, n°08-87809.
56 La nomenclature des postes de préjudice de la victime directe, Bilan 2010, Etude de la COREIDOC,
AREDOC, mars 2010, p.25.
57 Civ. 2ème, 7 avril 2005, n°04-10563.
58 Civ. 2ème, 14 mars 2002, n°00-12716.
59 Civ. 2ème, 13 décembre 2001, n°99-21025.
60 Civ. 2ème, 11 octobre 2007, n°06-14611, RTD Civ. 2008 p.111, obs. P. Jourdain.
61 Rapport Dintilhac, op. cit., p.35.